Dimanche Ouest France (Vendee)
« Une traînée de poudre » dans les Mauges
Cholet – C’était il y a 230 ans, en mars 1793. La levée de troupes provoque des soulèvements spontanés à Cholet et dans les Mauges. C’est le début de la guerre de Vendée.
Il y a 230 ans, en mars 1793, survient le déclenchement de la guerre de Vendée, à Cholet et dans les Mauges. Que se passe-t-il ?
Anne Rolland- Boulestreau : Déjà en 1792, cela ne se passe pas très bien dans l’Ouest. La constitution civile du clergé, avec la fonctionnarisation des prêtres, n’est pas très bien acceptée. Il y a déjà, cette année- là, des rassemblement d’habitants, mais l’insurrection reste vague et ne prend pas.
En mars 1793, c’est différent. La levée enmasse des troupes va mettre le feu aux poudres. Face à l’Europe coalisée, la France révolutionnaire procède à des tirages au sort parmi les hommes de 18 à 40 ans, dans tous les villages. Les gens n’ont absolument pas envie d’aller se battre. Cela s’ajoute à la déception liée à la religion et aux impôts, qui restent assez lourds malgré la suppression de la gabelle.
Quelle forme prend cette rébellion, avec des émeutes à Cholet dès le3mars 1793 ?
Les tirages au sort vont très mal se passer, notamment à Cholet, La Poitevinière et Saint- Florent- leVieil. Autour des paysans, des notables et représentants des villages vont se réunir et s’organiser, dans les auberges et les cabarets. Ces groupes vont s’en prendre à la garde nationale, brûler des papiers… C’est du bricolage, mais les bandes se soulèvent comme une traînée de poudre, puis se fédèrent autour Jacques Cathelineau et Stofflet.
Ils prennent Jallais, Chemillé… Ce sont des batailles de rue, avec déjà des blessés et des morts. La garde nationale, en sous- nombre, ne s’y attend pas. Les églises sont rouvertes et les curés qui ont prêté serment sont chassés.
Quid de la première bataille de Cholet, qui voit la ville prise par les insurgés le 14mars 1793 ?
Cholet est déjà une grosse ville à l’époque. Les gens alentour y descendent autour de quelques chefs. Pour le département, c’est impres
sionnant, c’est la panique. Il faut du temps pour que les républicains prennent la mesure de ce qui se passe.
Dès la fin mars, les insurgés deviennent une véritable armée, non professionnelle, qui prend le nom d’armée catholique et royale.
Jusqu’à l’échec devant Nantes, en juin 1793, les Vendéens rencontrent des succès. Ils sont nombreux et organisés, face à des républicains divisés. Mais une fois les villes prises, ils se dispersent et ne les tiennent pas.
La deuxième bataille de Cholet, le 17 octobre 1793, tournera à l’avantage des républicains…
Oui, elle oppose 30 000 à 40 000 personnes de chaque camp, en présence de tous les chefs. Après cela, combattants et civils sont obligés de remonter jusqu’à Saint- Florent- le-Vieil et vont décider de franchir la Loire, espérant le secours de la chouannerie. C’est la terrible virée de Galerne. Des milliers de Vendéens sont engloutis. C’est la fin de l’armée catholique et royale, qui ne combat plus sur ses terres.
Un bilan humain « considérable »
Quel est le bilan humain de cette guerre de Vendée ?
Le Choletais a payé le plus lourd tribut en pourcentage, avec la disparition de 30 % de la population. Selon les chiffres de l’historien Jacques Hussenet, cette guerre civile a fait entre 170 000 et 220 000 morts dans une région qui comptait 800 000 habitants. C’est considérable.
Certains villages ont perdu jusqu’à 60 % de leur population, avec des phases mortifères pendant les « colonnes infernales » entre janvier et avril 1794. Le quotidien est très difficile, l’économie est à l’arrêt, il faut survivre, cacher les enfants…
Quels étaient les objectifs de cette guerre ?
Pour les chefs, c’était Dieu et le roi. Charette et Stofflet voulaient le rétablissement de la monarchie. Pour les combattants, c’était Dieu seulement. Les Vendéens voulaient retrouver des bons prêtres, sans lien avec l’État.
« Des milliers d’archives
qui dorment »
L’Ouest n’était pourtant pas opposé à la Révolution, au départ…
Non, l’Ouest attendait beaucoup des réformes révolutionnaires. On le voit dans les cahiers de doléances, qui montrent notamment des attentes d’ouverture, d’infrastructures routières, de sages- femmes…
Vous avez été consultée pour le film du Puy du Fou, « Vaincre ou mourir », qui retrace l’épopée de Charette et sorti fin janvier. Qu’en avezvous pensé ?
Ce film a surtout montré l’ampleur des polémiques autour de la mémoire de la Vendée. Je ne m’attendais pas à une telle violence, avec une vision manichéenne de l’Histoire. On voit bien que les plaies ne sont pas refermées.
Il reste tout un travail à faire sur ce que cette guerre a provoqué dans l’Ouest jusqu’au XXIe siècle : la reconstruction économique, démographique, la façon dont la société a surmonté ce traumatisme… On a des milliers d’archives qui dorment et peu de chercheurs pour l’instant.
Cela me paraît beaucoup plus intéressant que de s’épuiser dans des querelles stériles sur le rôle de Charette ou sur les termes de génocide et de crime contre l’humanité.
La guerre de Vendée aurait directement contribué à l’esprit d’initiative que l’on observe encore aujourd’hui notamment dans le nord de la Vendée et lesMauges…
Oui. Quand Napoléon promulgue une loi pour rembourser les dégâts de la guerre civile, en aidant par exemple les métayers qui ont perdu leurs bâtiments, très peu d’habitants vont demander des subventions à l’État. Les Vendéens comptent sur eux- mêmes, sur le réseau, la famille, le village, certainement pas sur l’État qui inspire une grande méfiance.
Même pendant la Restauration, quand Louis XVIII prend des ordonnances pour donner des pensions aux Vendéens qui ont tout perdu, ceux- ci sont réticents.
« Batailles de rue »
Selon vous, 230 ans après, l’État a-t-il entrepris tout son travail de mémoire concernant la Vendée ?
On peut débattre sur l’utilité de la repentance. Dans le Choletais, il existe une grande richesse d’associations locales autour de la guerre de Vendée. Leur succès montre que ce n’est pas l’État qui est attendu sur ce sujet.
Au sein de la fédération Balades historiques et gourmandes dans les Mauges, que je préside, on amène le public, l’été, sur les lieux de mémoire. Je crois plus à ce genre d’initiatives. Les gens sont d’abord avides de savoir.