Dimanche Ouest France (Vendee)

Burruchaga : « L’Argentine avait besoin de ce titre »

Coupe du monde. Champion du monde 1986, Jorge Burruchaga estime que ses compatriot­es ont imité la génération Maradona grâce à un soutien populaire « jamais vu ».

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Jorge Burruchaga, champion du monde 1986 avec l’Argentine. Êtes-vous redescendu de votre nuage, près de deux mois après cette incroyable finale entre l’Argentine et la France ?

( Sourire) J’avais connu ce bonheur immense en tant que joueur (en 1986), en marquant le but vainqueur contre la RFA (3-2). Cette fois, c’était comme consultant, donc j’ai essayé de rester modéré. Mais intérieure­ment, j’étais évidemment heureux et très ému. Ces joueurs portaient un énorme poids sur les épaules après trente- six ans de disette. Et quelle finale !

Était- ce le plus grand match de l’histoire duMondial ?

Probableme­nt. C’était extraordin­aire. L’Argentine a approché la perfection pendant plus de 70 minutes. La France était sans solution. Pour faire simple, une équipe jouait une finale de Coupe du monde, l’autre non. Je ne sais pas quel impact a eu ce fameux virus, mais je n’ai pas reconnu cette équipe. Et puis Kylian Mbappé, qui avait peu existé jusque- là, a tout retourné en moins de deux minutes et semé la panique. Irrationne­l.

« Complèteme­nt sous le choc » après le deuxième but de Mbappé

Comment cette rencontre a-t- elle pu basculer si soudaineme­nt ?

( Il réfléchit) C’est totalement inexplicab­le. Le football est comme ça. On l’a vécu en finale en 1986. On menait 2- 0 contre la RFA en dominant assez largement, et puis, en un rien de temps, elle a égalisé. Sur le terrain, ça nous semblait irréel. Au Qatar, c’est arrivé contre les Pays- Bas aussi (2-2, 4- 3 aux tab, en quart de finale). Mais l’Argentine a fini par gagner à chaque fois, ce qui prouve sa force de caractère surpuissan­te. Les Français doi

vent s’en vouloir énormément d’avoir si longtemps déjoué.

Qu’avez-vous ressenti quand Mbappé a égalisé à 2-2 ?

J’étais complèteme­nt sous le choc et j’ai pensé qu’on allait perdre. La différence avec 1986, c’est que la France, contrairem­ent à la RFA, a continué d’appuyer et s’est procuré deux ou trois autres situations par la suite. Mais l’Argentine avait besoin de ce titre, plus que les Bleus, et ça a fait la différence à la fin. Le peuple voulait ce titre plus que tout, pour oublier son quotidien difficile. Bon, ce bonheur efface tout pendant deux jours seulement. Mais dans quel autre pays verrez- vous cinq millions de personnes dans les rues, comme à Buenos Aires, pour célébrer une victoire ? À notre époque, c’était 1,5 million. Là, notre économie a beau être dévastée, les Argentins étaient partout au Qatar. Une folie. Si on analyse la finale et la compétitio­n dans leur ensemble, cette équipe mérite totalement cette troisième étoile.

Qu’est- ce que l’Argentine avait de plus que les autres ?

La planète entière, ou quasiment, voulait voir Messi gagner la Coupe du monde, en récompense de sa carrière, de ce qu’il a apporté au football. Du jamais-vu. Ça a créé une énergie spéciale, un élan unique. Ça s’est ressenti tout au long de la compétitio­n. Techniquem­ent, cette équipe était complète : un gardien (Emiliano Martinez) d’un niveau fantastiqu­e, une défense qui donne beaucoup de sécurité, un milieu très dynamique porté par Enzo Fernandez et Alexis Mac Allister, un Lionel Messi extraordin­aire, un Angel Di Maria toujours là dans les grands matches et, devant, Julian Alvarez, l’attaquant qui défend le mieux au monde. La France voulait gagner aussi, évidemment, mais l’Argentine l’a plus démontré. On a vu la différence dans les attitudes et sur les visages.

L’équipe était construite autour de Messi, commela vôtre l’était autour deMaradona en 1986…

Oui. Sauf qu’ils ont beau être des génies, ils ne peuvent pas gagner sans les autres. Si c’était aussi simple, Messi aurait remporté cinq fois le Mondial. Il lui est arrivé d’être trop seul par le passé. Pas cette fois, puisqu’il a été entouré de coéquipier­s d’un grand niveau. Pour gagner, tu as besoin d’une colonne vertébrale et d’un équilibre, ce que l’Argentine a trouvé au Qatar.

Plus que la France ?

Sa défense était solide. Dayot Upamecano et Ibrahima Konaté sont deux cracks. Mais parfois, son milieu se faisait passer trop facilement car Dembélé et Mbappé ne se repliaient pas, et le trio Tchouaméni- Griezmann- Rabiot pouvait éprouver des difficulté­s au marquage. Je savais que l’Argentine pouvait faire mal en accélérant à la récupérati­on, ce qu’elle a fait. Le Benjamin Pavard version 2018 a aussi manqué parce que Jules Koundé est trop limité offensivem­ent pour jouer arrière droit. La blessure de Lucas Hernandez (dès le premier match contre l’Australie, 4-1) a eu un impact aussi. L’équipe de France a été trop irrégulièr­e.

Recueilli par Thomas BROGGINI,

à Buenos Aires.

Retrouvez l’intégralit­é de cet entretien sur www.ouest- france.fr/ sport/football/equipe- argentine

Jorge Burruchaga en bref

Né le 9 octobre 1962 (60 ans). Poste : milieu de terrain polyvalent. Parcours : Arsenal de Sarandi (19791982), CA Independie­nte (19821985, puis 1995-1998), FC Nantes (1985-1992), Valencienn­es (19921993).

Argentine (1983-1990) : 59 sélections, 13 buts.

Palmarès (principaux titres) : Copa Libertador­es 1984, Coupe interconti­nentale 1984, Coupe du monde 1986 (buteur en finale ; finaliste en 1990).

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| PHOTO : DEL PERCIO, AFP Jorge Burruchaga, ici après son but contre la Bulgarie lors du Mondial 1986 qu’il a remporté avec l’Argentine.

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