Dimanche Ouest France (Vendee)
« J’ai trouvéma place, mais que ça a étédur ! »
« J’ai grandi à Massy (Essonne), en région parisienne. J’avais une belle vue, depuis mon HLM, sur les piscines de Verrières-le- Buisson, une ville cossue du 92. » Longtemps, Aurélie Valognes s’est gardée de cet aveu. « Je l’ai entendu, le « Ah ouais ? » qui suivait… » confie l’autrice de Minute papillon ou La cerise sur le gâteau, l’une des romancières les plus lues de France. Depuis Dinard, l’élégante station balnéaire bretonne où elle a jeté l’ancre, elle admet : « Transfuge ? C’est un terme que je n’avais pas entendu avant il y a deux ou trois ans… »
À l’époque, un journaliste, Adrien Naselli, la contacte. Il s’intéresse aux parcours de personnalités issues d’un milieu modeste et qui ont déjoué tous les déterminismes dans son Enquête sur les transfuges de classe (JCLattès). « Il a été le premier à trouver de la valeur àmon statut d’exilée de classe. En lisant son livre, j’ai trouvé que mon histoire n’avait rien d’unique, réfléchit l’autrice, dont la mère était Atsem en maternelle et le père peintre automobile. Tous ceux qu’il a rencontrés ont vécu les mêmes incompréhensions, lesmêmes ruptures. Nous avons trouvé notre place, mais que ça a été dur ! »
« L’angoisse de ma mère » Sans doute, L’envol, le neuvième roman d’Aurélie Valognes, qui vient de sortir, a- t- il commencé à s’écrire à ce moment-là : « J’avaisenviederaconter notre histoire collective… » Àsa façon, sincère et personnelle, avec un texte sensible où se répondent les points de vuecroiséset lesblessurescachéesde Gabrielle et Lili. Une mère et sa fille qu’un gouffre social et culturel semble peu à peu séparer. « Je me suis dit, peut- être qu’un lecteur sur mille va se reconnaître, reprend l’écrivaine. Ça ne sert à rien de se cacher, j’ai vécu tout ce que je raconte. »
Elle remonte le temps : « Mes parents sont divorcés, ma mère m’a élevée toute seule. J’avais un petit frère, c’était moi la grande… » Alors, forcément, « j’avais un devoir d’optimisme par rapport à l’angoisse que ma mère pouvait ressentir pour plein de choses. Et quand on tire ce fil-là… Oui, je suis la première à avoir fait des études, dans la famille. À avoir eu mon bac, à avoir faituneprépa, unegrande école. » Comme son héroïne, Lili, Aurélie Valognes s’est expatriée, à Genève, puisMilan. Comme Lili, encore, « j’ai mieux compris ma mère en devenant mère moi- même. L’Envol n’est pas juste une histoire de transfuge. La relation mère-fille est un thème central, insiste l’autrice. J’ai voulu montrer comment l’exil de classe vient abîmer cette relation et comment, malgré tout, chacune retrouve sa place. Comment on arrive à se dire je t’aime, sans se le dire vraiment… » Aujourd’hui, la romancière a trouvé un pied à terre, pour sa mère, en Bretagne, près d’elle. « Évidemment, je lui dédie L’envol… »
Sables mouvants
Quelques variations se sont glissées dans le roman. La prépa littéraire dans laquelle Lilimesure le fosséqu’il va lui falloir enjamber, AurélieValognes n’y a pas mis les pieds. « Je n’ai pas fait d’études littéraires, je ne me le suis pas autorisé… » La voie semblait sans issue : « Tu veux être chômeuse ? » Non, évidemment. « J’ai opté pour une prépa économique où je lisais des livres qui s’appelaient la Banque de France et… c’est tout sauf ce que j’aimais. »
La simple évocation de sa « licence deug éco gestion » la fait grimacer : « Moi, je voulais être styliste, chanteuse, comédienne, journaliste… Un milliard de vies, tant qu’il y avait de la création ! » Au lieu de cela, elle entre en école de commerce puis dans de grandes entreprises internationales. Le travail, la réussite ouvrent des portes qui ne referment pas les plaies mal cicatrisées. Jusqu’à « cette pause dans ma vie » , qui a débouché sur Mémé dans les orties.
Écrire, depuis, « est devenu ma vie. J’ai la trouilledene paspouvoir le faire jusqu’à la fin de mes jours… » Derrière la reconnaissance, les files d’attente des dédicaces, l’exil de classe laisse une trace. « Ce sentiment que la chance peut repartir aussi vite qu’elle est arrivée m’habite. Le syndrome de l’imposteur. L’impression que ma vie repose sur des sablesmouvants… »
L’envol, Fayard, 350 pages, 20, 90 €.