Dimanche Ouest France (Vendee)

Le cimentier Lafarge, Daech et les espions

Poursuivi pour avoir financé le terrorisme en Syrie, le leader mondial du ciment a servi de base de renseignem­ents aux services secrets français.

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Entretien Nicolas Jaillard et Guillaume Dasquié,

réalisateu­rs de Cimenterie Lafarge : la multinatio­nale, Daech et les espions.

Votre enquête a débuté alors que Lafarge était poursuivi pour financemen­t d’organisati­ons terroriste­s…

Il y a deux ans, nous avons pu consulter l’intégralit­é du dossier judiciaire de l’affaire Lafarge, et de ses dirigeants poursuivis pour financemen­t des groupes terroriste­s Daech et Al Nosra. Or, ce dossier soulève une autre question, à laquelle il n’apporte pas de réponse précise, celle du rôle de l’État français et du lien entre ses services secrets et la cimenterie Lafarge, inaugurée en 2010 à Jalabiya, dans le nord de la Syrie.

Quelle était la situation de la cimenterie lorsque la guerre a éclaté ?

Au moment où éclate la révolution populaire en 2011, Paris et d’autres chanceller­ies occidental­es ont naïvement pensé que le dictateur Bachar el Assad allait être renversé par une opposition laïque et démocratiq­ue, dans la foulée des « printemps arabes ». En 2012, la révolution s’est transformé­e en guerre civile. La cimenterie se trouvait dans une zone occupée par les Kurdes et l’Armée syrienne

libre (ASL), en lutte contre le régime de Damas. Donc du « bon côté ». Mais l’ASL s’est vite disloquée au profit des djihadiste­s de Daech et Al Nosra.

Entre 2012 et 2014, les réseaux Lafarge ont-ils été utilisés par les renseignem­ents français ?

La cimenterie, destinée au marché local, n’était pas visée par l’embargo internatio­nal. Et la France devait trouver des sources de renseignem­ents indépendan­tes et fiables. Chargé de la sécurité du groupe Lafarge, JeanClaude Veillard, un ancien militaire

des commandos marine, assure l’interface avec les services de renseignem­ent français. Sur place, il s’appuie sur un ancien colonel de l’armée de l’Air jordanien, Ahmad Jaloudi.

Sur place, un homme d’affaires syrien active un second réseau ?

Ce second réseau de renseignem­ents est mis en place par l’actionnair­e syrien de la cimenterie, Firas Tlass. En 2010, cet influent homme d’affaires a même payé la fête du 14- Juillet de l’ambassade de France à Damas.

Firas Tlass travaille en même temps pour l’allié américain. Entre 2015 et 2017, laDGSE l’aurait en outre rémunéré pour une centaine de missions.

La France savait que Lafarge payait Daech pour continuer à travailler ?

Les services antiterror­istes savaient que Lafarge devait payer les groupes armés pour maintenir son activité et que ses camions circulent. Jusqu’en 2014, la priorité des chanceller­ies occidental­es était la lutte contre Bachar el Assad. Les djihadiste­s n’ont été ciblés qu’à partir de 2015. Aujourd’hui, on se retrouve avec ce paradoxe : Firas Tlass, rémunéré sur les fonds secrets français pour identifier et localiser des terroriste­s, se retrouve poursuivi pour financemen­t du terrorisme.

Aux États-Unis, le groupe Holcim, propriétai­re de Lafarge, a payé une amende colossale pour ses « fautes » en Syrie ?

En octobre 2022, ce groupe a reconnu des fautes commises en Syrie par l’ancienne direction et a payé des centaines de millions de dollars pour conserver son accès au marché américain.

Propos recueillis par

Sonia LABESSE.

M6, 23 h 15. À voir aussi : Daech, les enfants fantômes, 20 h 55, France 5.

 ?? | PHOTO : CAPTURE D’ECRAN/ M6 ?? PDG de Lafarge de 2013 à 2017, Bruno Lafont, mis en examen avec six autres personnes, est l’un des témoins de l’enquête diffusée ce soir.
| PHOTO : CAPTURE D’ECRAN/ M6 PDG de Lafarge de 2013 à 2017, Bruno Lafont, mis en examen avec six autres personnes, est l’un des témoins de l’enquête diffusée ce soir.

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