Dimanche Ouest France (Vendee)

Le carnet d’un déporté dans la machine à coudre

Découvert par un bénévole d’Emmaüs à Cahors, il a été confié à deux historiens qui ont déterminé qu’il appartenai­t à Paul Duval, résistant originaire du Mans, mort en 1945 en camp de concentrat­ion.

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Le carnet d’un déporté français, caché dans le tiroir d’une machine à coudre, a refait surface 80 ans après la fin de la guerre, à Cahors (Lot), où deux jeunes historiens sont parvenus à identifier l’auteur, un boulanger sarthois dont l’histoire reste encore à écrire.

L’objet, à peine plus large qu’un jeu de cartes, contient une cinquantai­ne de pages jaunies, enserrées dans une reliure de métal dont la couverture fait apparaître les initiales A. N., au coeur d’un dessin de parchemin gravé au poinçon.

Charlotte Leroy et Enzo Delpech, tous deux âgé de 24 ans, chargés de recherche depuis quelques mois à la direction du patrimoine de la ville de Cahors pour y installer un nouveau musée de la Résistance et de la Déportatio­n, sont rapidement parvenus à trouver l’identité de son auteur, qui y avait inscrit le nom des camps où il avait été interné, avec ses différents matricules.

« Le premier numéro qui nous a permis de l’identifier, c’est son numéro d’Auschwitz, le 185.502, raconte Charlotte Leroy. Des associatio­ns ont compilé sur Internet les listes, convoi par convoi, des déportés. En tapant son numéro, on a trouvé un Paul Duval, né en 1915, au Mans. Sur sa fiche, d’autres camps de concentrat­ion sont mentionnés et on a pu vérifier que c’était les mêmes que sur le carnet. »

Exorciser la faim

Paul Duval écrit être passé au camp de Flosenbürg (Bavière, sud de l’Allemagne) et une associatio­n d’anciens prisonnier­s a confirmé posséder sa fiche, où toutes les informatio­ns recoupent celles déjà trouvées. L’homme, boulanger de profession et sans famille connue, est mort le 10 mai 1945, deux jours après la fin officielle des combats.

Au fil des pages du livret, pas de récit de la vie des camps, mais l’étonnante liste d’une centaine de recettes de cuisine visiblemen­t partagées avec ses codétenus, dont vingtcinq noms sont mentionnés, des déportés qui exerçaient en majorité « des métiers de bouche : boulangers, pâtissiers, restaurate­urs, hôteliers », raconte Enzo Delpech.

« C’est émouvant. On peut imaginer qu’ils se retrouvaie­nt dans leur baraquemen­t, qu’ils listaient les recettes », dit- il, interpréta­nt cette accumulati­on de gourmandis­es comme un moyen pour les déportés d’exorciser la faim.

Cassoulet, quiche lorraine, pot- aufeu, etc.. Les recettes sont écrites au crayon sur des feuilles où des mots en allemand étaient imprimés, sans doute volées au camp de travail de Flöha, dépendant de Flosenbürg, le dernier mentionné dans le carnet, dont la reliure de métal pourrait également provenir de morceaux de fuselage d’avions Messerschm­itt, que les détenus assemblaie­nt dans le camp, pensent les deux jeunes chercheurs.

Un résistant ?

Beaucoup de zones d’ombre persistent, comme les initiales de la couverture, le parcours du carnet depuis l’Allemagne, où est mort Paul Duval, jusqu’à Cahors. Ou plus important encore : les raisons de sa déportatio­n.

Enzo Delpech et Charlotte Leroy pensent que l’homme était résistant. Il faisait en tout cas partie du convoi du 27 avril 1944 vers Auschwitz, un des seuls convois de non- Juifs envoyés vers le camp de la mort, qui était composé en majorité de résistants arrêtés dans toute la France.

Les quelque 1 700 détenus arrivés par ce train ne resteront que quelques jours à Auschwitz avant d’être transférés à Buchenwald, près de Weimar (centre- est de l’Allemagne).

Le carnet a dormi depuis la fin de la guerre dans le tiroir d’une table à couture Singer, où un bénévole de l’antenne Emmaüs de Cahors l’a retrouvé, à l’automne, avant de le remettre aux deux chercheurs.

« En histoire, on apprend à être détaché émotionnel­lement de ce sur quoi on fait de la recherche, mais cet objet- là, c’est un peu perturbant », confie à l’AFP Charlotte Leroy, qui, grâce au carnet, a retrouvé la trace d’un oncle de sa grand- mère dont elle ignorait tout, dans le listing des déportés du convoi de Paul Duval.

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| PHOTO :| CHARLOTTE LEROY Enveloppé par une couverture en aluminium, le petit carnet de Paul Duval contient une soixantain­e de pages et une centaine de recettes de cuisine.

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