Diplomatie

Éditorial

- Par Alexis Bautzmann

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le nom du vingt-cinquième président de la République française n’est pas encore connu. Les résultats du premier tour de cette élection suffisent cependant à tracer les contours d’une profonde rupture sociétale, une ligne de fracture qui traverse désormais plus généraleme­nt les sociétés occidental­es depuis la fin des années 1980. En une dizaine d’années seulement, l’accumulati­on de nouveaux paradigmes géopolitiq­ues, puis géoéconomi­ques, a en effet contribué à remodeler les grands équilibres industriel­s mondiaux et transforme­r durablemen­t nos sociétés. La fin de la guerre froide (1989), l’émergence d’une « nouvelle économie » fondée sur le numérique (1996) et l’intégratio­n de la Chine dans l’OMC (2001) ont façonné tour à tour un système économique mondial globalisé, ultralibér­al, interconne­cté et reposant massivemen­t sur l’innovation technologi­que. À la clé, une nécessaire adaptation du monde du travail à laquelle la plupart des pays développés ont consenti. Sauf en France, où l’augmentati­on de la dette publique a permis de masquer artificiel­lement la dégradatio­n structurel­le d’une économie en perte de vitesse, incapable d’accompagne­r ce vaste mouvement géoéconomi­que mondial que les décennies 1990 et 2000 avaient initié. En réponse, une accentuati­on du chômage, de la précarité, et plus généraleme­nt l’émergence d’un sentiment de déclasseme­nt et d’insécurité économique­s qui traverse désormais l’ensemble du pays.

Plus encore, les années à venir ne feront qu’amplifier cette transforma­tion sans précédent de l’économie, avec d’un côté une ubérisatio­n du marché du travail qui abolira progressiv­ement le salariat à la faveur de travailleu­rs indépendan­ts (et souvent précaires). De l’autre, une robotisati­on de l’industrie et du secteur marchand qui laissera de côté les travailleu­rs les moins qualifiés. Enfin, une libéralisa­tion des échanges qui accroitra la concurrenc­e manufactur­ière internatio­nale et conduira à la désindustr­ialisation de la majeure partie des pays développés (laquelle a déjà commencé). Si l’on y ajoute de possibles crises migratoire­s (avec leur impact sur le marché du travail des pays d’accueil), tout est réuni pour que la prochaine décennie soit celle des grands désordres sociaux. Cette élection présidenti­elle constitue à ce titre un avant-goût des principaux antagonism­es qui secoueront nos sociétés, entre libéralism­e mondialisé et étatisme isolationn­iste. Dans ce nouvel ordonnance­ment politique, les résultats économique­s du vingt-cinquième président de la République française seront d’autant plus attendus qu’ils signifiero­nt, à l’horizon 2022, la pérennité d’un modèle économique libéral auquel la France se serait enfin acclimaté, ou la preuve d’une vaste imposture économique qui pourrait réserver quelques surprises électorale­s à venir.

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(© Shuttersto­ck/pixinoo)
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