– ANALYSE Perspectives économiques en Amérique centrale
La situation économique mondiale bénéficiant d’un moment d’éclaircie, les petits pays d’Amérique centrale ont décidé de mettre cette période à profit pour mener les réformes et les politiques économiques – parfois difficiles – susceptibles de leur assurer une croissance durable.
Le résultat des élections américaines de fin 2016 et l’arrivée au pouvoir d’un président affichant des positions globalement protectionnistes ont conduit les analystes à revoir nettement à la baisse leurs prévisions de croissance mondiale – sans doute de manière un peu excessive –, et à réévaluer les perspectives économiques des principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Par ailleurs, si la politique menée par Donald Trump devait remettre en cause le resserrement monétaire américain entamé en 2016, elle introduirait de nouveau de grandes incertitudes sur les marchés, qui pourraient entrainer une forte volatilité sur le marché des devises et des effets négatifs dans tout le reste de l’économie (comme en 2013). Cependant, les économies des pays d’Amérique centrale, pourtant étroitement liées à celle du grand frère nord-américain, semblent pour l’instant moins affectées par ce scénario pessimiste. D’après les dernières études du Fonds monétaire international (FMI) (1), les économies d’Amérique centrale devraient bénéficier de la bonne santé de l’économie des États-Unis, de l’amélioration continue de l’environnement international avec une reprise modérée des prix des matières premières et de la récente augmentation des échanges internationaux. En outre, les banques centrales de la zone ont généralement une marge de manoeuvre suffisante pour soutenir la croissance de leurs économies par le biais de la politique monétaire (voir graph. 1). Toutes les économies centro-américaines ont pour principal partenaire commercial les États-Unis, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux cycles économiques de ces derniers. Seul le Panama, en raison de caractéristiques spécifiques à son économie, est relativement épargné. À l’inverse, le flux d’investissements étrangers directs en provenance des ÉtatsUnis dans la région est relativement modéré. Seule exception,
le Salvador qui, ayant les États-Unis à la fois comme principal marché d’exportation et comme premier investisseur étranger, présente une double vulnérabilité.
Certaines industries d‘Amérique centrale exportent par ailleurs la majeure partie de leur production aux États-Unis. Tel est notamment le cas du secteur textile et de celui des machines et de l’équipement, qui sont les deux industries les plus dépendantes à la demande américaine. Les activités du secteur primaire sont également caractérisées par cette forte dépendance, quoique dans une moindre mesure.
À noter que l’aide des États-Unis à l’Amérique centrale devrait diminuer dans les années à venir, tandis que la nouvelle administration devrait pousser les pays de la région à adopter des réformes économiques destinées à favoriser l’investissement privé et à stimuler la croissance : dans leur proposition budgétaire pour 2018, ils envisagent de réduire de 40 % leur aide au Guatemala et d’un tiers celles destinées au Honduras et au Salvador (voir graph. 2 et 3).
Guatemala
En avril 2017, l’agence de notation financière Fitch a donné au Guatemala une perspective stable. Selon ses dernières analyses, les faiblesses structurelles empêchent l’économie guatémaltèque d’atteindre des taux de croissance plus élevés et les réformes nécessaires ne seront pas entreprises dans les prochaines années. En revanche, le pays montre une certaine stabilité macroéconomique, appuyée notamment sur un faible niveau de dette publique, à même de compenser d’autres faiblesses. Le FMI a, pour sa part, révisé à la hausse (+ 0,5 point de pourcentage) ses prévisions de croissance du PIB pour le pays en 2017, à 3,3 %, ce qui représente une légère amélioration par rapport à 2016. Son estimation pour 2017 est ainsi légèrement inférieure aux prévisions qui font consensus chez les analystes. Toutefois, celle pour 2018 est conforme à la moyenne de 3,5 % observée au cours de la dernière décennie. Bien que la Fed américaine ait annoncé le rehaussement progressif de ses taux, la banque centrale guatémaltèque prévoit de continuer sa politique monétaire de taux d’intérêt bas, les anticipations d’inflation étant conformes aux objectifs qu’elle s’est fixés.
En tout état de cause, les liens étroits avec les États-Unis vont continuer d’être décisifs pour l’économie du pays dans un avenir proche, que ce soit en termes de débouchés pour ses exportations ou de flux de capitaux. Les transferts de fonds réalisés par la diaspora guatémaltèque aux États-Unis, qui ont un poids important par rapport au PIB, continuent de bénéficier de la bonne performance du marché du travail américain. La faiblesse des recettes fiscales reste un frein pour le Guatemala. Elle résulte à la fois de taux d’imposition trop bas, d’une assiette d’imposition trop étroite et de l’évasion fiscale. La capacité de perception des recettes du gouvernement guatémaltèque est manifestement insuffisante et de nombreux organismes internationaux recommandent une augmentation raisonnable de la charge fiscale. Avec plus de ressources, le pays pourrait financer des projets d’infrastructures de base et soutenir les populations qui ont le plus de besoins en termes de sécurité et d’éducation. Les analystes estiment que dans le cas du Guatemala, ces frais ont un rendement important, contribuant à améliorer l’environnement économique des entreprises et les aidant à devenir plus compétitives. À noter que la faiblesse des recettes fiscales n’a pas d’effet négatif sur le déficit budgétaire, qui reste l’un des plus bas d’Amérique latine. Récemment, le gouvernement a réussi à recueillir des fonds sur les marchés internationaux pour financer des projets d’infrastructures, l’investissement national étant limité par le faible taux d’épargne domestique. Par le passé, le taux d’accumulation de capital au Guatemala n’a pas été suffisant pour soutenir la croissance économique, ce qui explique les niveaux d’investissements décevants aujourd’hui.
La réunion de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui s’est tenue les 7 et 8 juin 2017 à Paris a noté que le Guatemala était prêt à ratifier rapidement
la convention sur la transparence fiscale promue par l’organisation internationale, ce qui entrainerait sa suppression de la liste noire de l’OCDE et de la France. Le président Emmanuel Macron a confirmé ce changement positif après sa rencontre avec son homologue guatémaltèque Jimmy Morales. Ces dernières évolutions viennent renforcer les perceptions de lent redressement de l’économie.
Panama
Le Panama présente l’un des taux de croissance du PIB les plus élevés d’Amérique latine. Grâce aux effets positifs d’une hausse des échanges internationaux plus forte que ce qu’avaient annoncé les analystes, il a même progressé plus vite au premier semestre 2017 qu’au cours des deux dernières années. Cependant, il faut attendre les derniers indicateurs pour confirmer cette tendance positive. Le FMI n’a quant à lui pas modifié ses prévisions de croissance pour le pays, l’estimant à 5,8 % en 2017 et 6,1 % en 2018.
Le secteur de la construction, résidentielle et non résidentielle, devrait continuer à contribuer significativement à la croissance du PIB dans un avenir proche. En outre, le gouvernement panaméen est disposé à promouvoir des projets de logements pour les familles les plus démunies, dans ce pays de grandes inégalités.
Le gouvernement favorise par ailleurs la croissance économique grâce à des politiques en faveur de l’ouverture du marché et du libre-échange. Il encourage aussi activement les investissements étrangers directs grâce à une réglementation qui permet aux entreprises d’établir facilement leur activité dans le pays. La discipline macro-économique, la parité avec le dollar, l’utilisation généralisée de la devise américaine et un bon environnement d’affaires ont contribué à faire prospérer le système financier du pays. Son développement au cours des années 1990 a apporté une contribution essentielle à la croissance économique des décennies suivantes et a été mis à profit au cours des dernières années pour augmenter la production dans un contexte de stagnation du commerce international.
Le canal et la zone de libre-échange de Colón, deuxième plus grand port libre au monde, viennent renforcer l’attractivité des investissements directs étrangers et constituent une source importante de revenus pour le Panama. L’agrandissement et le réaménagement du canal viennent d’être achevés, augmentant ainsi sa capacité d’accueil et le rendant à même d’accompagner le rebond du commerce international récemment enregistré. Le pays bénéficie déjà du réaménagement du canal qui a eu pour effet d’augmenter les revenus son activité. Sans aucun doute, ce projet réaffirme le Panama comme l’une des enclaves les plus importantes du commerce international. Ses relations avec les États-Unis sont très étroites dans le secteur financier, mais aussi dans le domaine du commerce, en raison de l’activité américaine dans la zone du canal et de l’accord de libreéchange bilatéral signé par les deux pays. Toutefois, le Panama reste sur certaines listes noires de taxe et de lutte contre le blanchiment de capitaux. Les scandales récents dans le pays ont conduit le gouvernement à surveiller davantage le système financier et à adapter la réglementation aux normes financières internationales. Cependant, cette adaptation risque de prendre plus de temps que prévu et d’entraîner certaines complications. Pour sa part, le gouverment panaméen considère les gains en transparence suffisants et estime que les instances internationales peuvent dès à présent procéder à un réexamen approfondi du système.
Costa Rica
Selon les derniers chiffres du FMI, la croissance du PIB du Costa Rica s’élèverait à 4,0 % cette année, conformément à la moyenne enregistrée au cours de la décennie précédente. La consommation privée est le principal soutien de cette croissance économique, qui bénéficie de la baisse progressive du taux de chômage, après un sommet atteint en 2014. Les prévisions de l’institution financière indiquent que l’augmentation des prix à la consommation va s’accélérer, et atteindre l’objectif fixé par la Banque centrale fin 2017 ou courant 2018. La récente dépréciation de la monnaie a conduit la Banque centrale à intervenir sur le taux de change pour maintenir sa valeur par rapport au dollar. Les marchés s’attendent à ce que les taux d’intérêt continuent d’augmenter parallèlement à ceux de la Fed. Cependant, les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas. La Banque centrale a l’intention de continuer à les utiliser comme instrument facilitateur d’accès au crédit et soutenant par conséquent la croissance.
En février dernier, la société de notation financière Standard & Poor’s a confirmé sa note de BB- sur la dette souveraine costaricaine, émettant toujours un avis défavorable sur celle-ci. Cela est principalement dû à des vulnérabilités externes et à la persistance d’un déficit budgétaire important, qui continuent d’alimenter la dette publique en l’absence d’une réforme profonde du système fiscal. En raison des élections prévues l’année prochaine, la maîtrise des dépenses publiques devrait encore être retardée, avec un impact négatif sur le déficit budgétaire déjà élevé.
Le Costa Rica reçoit des flux importants d’investissements directs étrangers dans ses zones de libre-échange et favorables aux entreprises. Il convient d’y noter la forte présence des entreprises américaines, le Costa Rica entretenant des liens commerciaux étroits avec les États-Unis. Ces zones de libre-échange ont soutenu le développement du Costa Rica sur le modèle d’une économie axée sur les exportations de produits de base vers un centre manufacturier et d’affaires. Cependant, la taille relativement importante des entreprises internationales établies dans le pays en fait un facteur de grande volatilité, susceptible de fausser considérablement l’ensemble de l’économie. Ainsi, le Costa Rica peut être classé dans la catégorie des petites économies ouvertes, et donc très exposées aux mouvements de capitaux et aux flux commerciaux internationaux. Le degré élevé de dollarisation continuera par ailleurs à représenter un risque pour les institutions financières costariciennes.
L’accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALÉAC) (2), entré en vigueur au Costa Rica en 2009, a ouvert la voie à des réformes importantes, notamment la privatisation de certains monopoles d’État, le renforcement des réglementations relatives à la propriété intellectuelle et l’ouverture de certains secteurs à la concurrence. Le Costa Rica souhaiterait actuellement rejoindre l’Alliance du Pacifique, qui comprend le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou, afin de diversifier ses partenaires internationaux et de diminuer sa dépendance aux États-Unis.
Salvador
Le FMI a décidé en avril d’abaisser ses prévisions de croissance pour 2017 d’un dixième, à 2,3 %, qui est aussi le taux estimé pour 2018. Depuis plus d’une décennie, le Salvador présente des performances économiques inférieures à la moyenne de celles des pays d’Amérique latine, mais il a récemment réussi à renverser la situation et son économie devrait enregistrer des taux de croissance supérieurs à ceux de ses voisins dans les années à venir. L’économie salvadorienne dépend fortement du cycle économique des États-Unis à travers différents canaux, tels que les transferts de fonds de sa population émigrée, les investissements directs étrangers et les exportations. La dollarisation de l’économie fait que le montant des liquidités sur le marché intérieur dépend des entrées de dollars américains. Les réserves de change détenues par la Banque centrale ont connu une tendance à la baisse et couvrent un peu plus de trois mois d’importations. Cependant, l’adoption du dollar américain comme monnaie légale a permis une meilleure stabilité macroéconomique, une confiance accrue des marchés et une réduction de l’inflation et des taux d’intérêt. Les prix à la consommation progressent lentement et devraient rester modérés dans un proche avenir.
Honduras
Malgré un bon début d’année, le FMI a décidé de revoir à la baisse ses prévisions de croissance du PIB pour le Honduras, les établissant à 3,4 % pour 2017. L’économie bénéficiera de la forte hausse de la consommation privée et de l’extension du crédit au secteur privé. Le taux d’intérêt bas et un accès plus facile au crédit devraient créer un climat favorable à l’investissement. Parallèlement, les exportations ont également bien commencé l’année. Le commerce est très concentré, aussi bien en nombre de partenaires (il se fait essentiellement avec les États-Unis) qu’en types de produits (secteur primaire principalement). Cependant, le Honduras s’est progressivement ouvert à de nouveaux marchés et a diversifié ses exportations. Grâce aux progrès réalisés au cours des dernières années, notamment à la consolidation de son système financier, le Honduras a pu bénéficier depuis 2005 d’un allègement de sa dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) lancée par le FMI et la Banque mondiale. Les réformes exigées dans le cadre de ce programme concernaient notamment la privatisation des services publics, l’amélioration du suivi des dépenses publiques et les investissements dans le logement et les infrastructures de transport. Dans le cadre du programme, le FMI souhaite désormais que le pays atteigne les objectifs de réduction du déficit budgétaire.
Nicaragua
L’amélioration de la situation sur le marché du travail et l’augmentation des salaires réels devraient entrainer la croissance de la consommation privée. Le FMI a de ce fait revu à la hausse ses prévisions de croissance du PIB pour cette année (4,5 %), et par conséquent pour l’année prochaine (4,3 %). Néanmoins, l’institution financière a pointé du doigt la hausse du déficit de la sécurité sociale nicaraguayenne.
Cependant, le Congrès des États-Unis a adopté en septembre 2016 un projet de loi sur les conditions d’investissement au Nicaragua, pour s’opposer à ce que les banques multilatérales de développement accordent des crédits à Managua. Cette initiative a été partiellement motivée par les événements qui ont eu lieu en juillet 2016, le Conseil suprême des élections ayant écarté les leaders de l’opposition.
Le libre-échange, la concurrence, un cadre juridique approprié et la discipline macro-économique sont quelques-unes des caractéristiques qui tendent à favoriser la croissance en Amérique centrale. Il est essentiel que ces pays continuent les réformes structurelles et trouvent de nouveaux marchés. Même si les portes pourraient se fermer avec les anciens partenaires commerciaux, de nouveaux accords avec d’autres parties du monde sont susceptibles de voir le jour. Après des années de crise, l’Amérique centrale doit saisir cette occasion d’utiliser pleinement son potentiel. (1) (2)
Le libre-échange, la concurrence, un cadre juridique approprié et la discipline macroéconomique sont quelques-unes des caractéristiques qui tendent à favoriser la croissance en Amérique centrale.