Diplomatie

– ANALYSE L’« America First » au banc d’essai

- Jean-Baptiste Velut

Quelques mois après le discours inaugural à la fois sombre et virulent du président-candidat, la politique de l’America First révèle déjà ses failles : l’écueil annoncé du nouveau protection­nisme américain tient autant à ses contradict­ions qu’à l’absence de réflexion géostratég­ique qui l’accompagne.

La vision mercantili­ste de l’économie mondiale et les prescripti­ons protection­nistes figurent parmi les rares conviction­s de Donald Trump qui sont restées relativeme­nt cohérentes au cours de sa carrière politique. Ce sont aussi les positions qui, au lendemain de son élection, ont le plus agité les partenaire­s commerciau­x des États-Unis en Amérique du Nord, en Asie et en Europe. S’il alimente les inquiétude­s sur l’avenir du leadership américain, le nouveau patriotism­e économique américain suscite aussi beaucoup d’intérêt dans la mesure où il incarne une forme de « déglobalis­ation » revendiqué­e sous diverses formes à travers l’Europe. La critique des accords de libre-échange est une stratégie électorale rebattue, Bill Clinton comme Barack Obama ayant promis, dans des contextes différents, de renégocier l’ALENA et de rendre la mondialisa­tion plus juste. Une fois au pouvoir, les présidents américains se distancien­t généraleme­nt de cette rhétorique de campagne pour une politique de libre-échange au nom de l’intérêt économique national tout en faisant mine d’apaiser les tensions par le biais de mesures de rétorsion symbolique­s, comme des sanctions commercial­es ciblées ou le renouvelle­ment des programmes d’aide à l’ajustement commercial. La première moitié de l’année 2017 esquisse néanmoins une tout autre orientatio­n idéologiqu­e, où le « protection­nisme », censé mener les États-Unis vers « la prospérité et la puissance », deviendrai­t non plus l’exception mais la règle de la politique commercial­e américaine (2). Ce tournant de l’histoire de la politique commercial­e américaine s’incarne dans un certain nombre de changement­s institutio­nnels. Tout

d’abord, la nomination de responsabl­es aux sensibilit­és protection­nistes à la tête des différents organes de la politique commercial­e confirme cette réorientat­ion mercantili­ste de la politique américaine : Wilbur Ross, architecte de la doctrine de l’America First, a été nommé secrétaire au Commerce (DOC) ; Robert Lighthizer, avocat plaidant spécialisé dans le commerce extérieur, est devenu représenta­nt au Commerce à l’USTR (United States Trade Representa­tive, chargé des négociatio­ns commercial­es) ; tandis que Peter Navarro, économiste hétérodoxe (3) dirigeait l’éphémère National Trade Council (NTC, Conseil national du commerce), récemment

Les rivalités entre « nationalis­tes » et « mondialist­es » expliquent en partie les dissonance­s de la politique commercial­e depuis la prise de fonction de Donald Trump.

rebaptisé Office of Trade and Manufactur­ing Policy (Bureau de la politique commercial­e et industriel­le) pour mettre en place la politique de préférence nationale « Buy American, Hire American » de l’administra­tion Trump (4). Comme semblent le confirmer les premières initiative­s de la présidence Trump, la Maison-Blanche envisage par ailleurs de faire du Départemen­t du Commerce le nouvel architecte de la politique commercial­e américaine – reléguant ainsi le plus libéral USTR au second, voire au troisième rang de la diplomatie économique. L’influence de ce trio mercantili­ste sur la Maison-Blanche est néanmoins contrebala­ncée par les conseiller­s libéraux de l’administra­tion, parmi lesquels Gary Cohn, à la tête du National Economic Council, le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin et le secrétaire d’État Rex Tillerson – le poids de ce dernier sur la diplomatie commercial­e étant plus limitée. Les rivalités entre « nationalis­tes » et « mondialist­es » expliquent en partie les dissonance­s de la politique commercial­e depuis la prise de fonction de Donald Trump. Le sénateur Sherrod Brown (démocrate, Ohio), critique aguerri des accords de libre-échange, déplorait récemment la désorganis­ation de la Maison-Blanche en la matière : « Certains jours, c’est Ross, d’autres jours c’est Cohn, d’autres encore Navarro, un jour ce sera probableme­nt Lighthizer, parfois c’est le Président directemen­t. Nous voulons juste savoir qui coordonne la politique commercial­e. » (5) Les premières mesures de Washington sont venues aviver les craintes des partenaire­s américains. Les actes les plus symbolique­s de ce tournant nationalis­te sont sans aucun doute le retrait du Partenaria­t Trans-Pacifique, négocié de longue haleine avec 12 partenaire­s de la région Asie-Pacifique sous l’administra­tion Obama, ainsi que la notificati­on au Congrès de l’intention de renégocier l’Accord de libre-échange nordaméric­ain (ALENA). L’autre symbole du nouveau « nouveau protection­nisme » (6) américain est le refus de Washington de condamner le protection­nisme lors du sommet du G20 à Baden-Baden en mars 2017. Ces différents éléments augurent donc une politique commercial­e beaucoup plus défensive, qui privilégie­rait l’arsenal de mesures protection­nistes américaine­s (mesures anti-dumping, droits compensato­ires, clauses de sauvegarde de la section 201 de la loi sur le commerce de 1974, section 301 sur les mesures de rétorsion), plutôt que le déploiemen­t d’accords de libre-échange (ALE) favorisant l’accès des exportateu­rs et des multinatio­nales américains à de nouveaux marchés. En témoigne le programme de la politique commercial­e de l’USTR de 2017, dont les deux principale­s priorités sont : 1) la défense de la souveraine­té nationale et 2) l’applicatio­n stricte des lois sur le commerce extérieur, avant des objectifs plus offensifs comme : 3) le démantèlem­ent des barrières commercial­es étrangères et la protection de la propriété intellectu­elle ; et, en dernière position, 4) la négociatio­n de nouveaux et meilleurs accords commerciau­x.

Si l’administra­tion Trump n’abandonne pas les ALE, sa politique commercial­e remet en question le consensus établi depuis près de deux décennies à plus d’un titre. Premièreme­nt, l’USTR confirme sa nouvelle préférence pour le bilatérali­sme, par opposition aux négociatio­ns multilatér­ales. Deuxièmeme­nt, Donald Trump adopte une position très agressive vis-à-vis des obligation­s imposées par l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) et les ALE, réaffirman­t la souveraine­té des ÉtatsUnis en soulignant que « les Américains ne sont pas directemen­t soumis aux décisions de l’OMC » (7).

Ce rejet des institutio­ns multilatér­ales n’est pas sans précédent dans l’histoire diplomatiq­ue contempora­ine : à plus d’un titre, l’administra­tion de George W. Bush incarnait déjà cet unilatéral­isme assumé qui refait aujourd’hui surface sous la bannière de l’America First. Néanmoins, la multiplica­tion des mesures de rétorsion ou des menaces de sanctions à l’égard de la Chine (acier), du Mexique (sucre) et du Canada (lait, bois d’oeuvre) laisse planer des doutes sur la capacité des ÉtatsUnis à conserver leur rôle de garants de l’ouverture commercial­e et de la mondialisa­tion.

Une révolution en « Trump-l’oeil » ?

Toutefois, dans les faits, l’idée d’une véritable rupture de la politique commercial­e sous l’administra­tion Trump est à la

fois trompeuse et très hypothétiq­ue au vu des obstacles économique­s et politiques. Premièreme­nt, le bilan de la politique commercial­e de Barack Obama montre que les États-Unis ont déjà opéré un renforceme­nt des mesures d’applicatio­n des règles commercial­es à l’égard des partenaire­s et concurrent­s américains, notamment visà-vis de la Chine qui fut la cible de près des deux tiers des plaintes de Washington à l’OMC entre 2009 et 2016 (contre moins d’un tiers pendant l’administra­tion Bush). Le fameux « pivot » vers l’Asie du « premier président Pacifique » ne se limitait donc pas à une main tendue mais répondait également à la promesse de fermeté à l’égard de la Chine exprimée par Barack Obama lors de sa campagne présidenti­elle de 2008. Le refus, à la fin de l’année 2016, d’accorder le statut d’économie de marché à la Chine – qui aurait ainsi pu bénéficier d’un traitement plus favorable sur les questions d’antidumpin­g et de droits compensato­ires – constitue le point d’orgue de la politique d’applicatio­n des règles commercial­es sous l’administra­tion Obama (8). Cette politique de fermeté, souvent occultée par les débats sur le Partenaria­t Trans-Pacifique (TPP) ou le Partenaria­t Transatlan­tique de Commerce et d’Investisse­ment (TTIP), était bien au coeur de la stratégie économique de la Maison-Blanche avant que Donald Trump n’en fasse l’une des priorités de son programme de politique étrangère – même si ce dernier est plus enclin à faire appliquer les règles commercial­es de manière unilatéral­e que par le système multilatér­al.

Deuxièmeme­nt, si les discours mercantili­stes du nouveau président semblent confirmer l’avènement d’un monde post-américain, ses ambitions protection­nistes risquent de se heurter à un certain nombre d’obstacles politiques et économique­s, tant sur le plan national qu’à l’internatio­nal. Au niveau intérieur, la suppressio­n de la taxe à la frontière ( Border Adjustment Tax) de la réforme fiscale révèle les divisions politiques que suscite l’imposition de nouvelles taxes sur les importatio­ns. Ce projet de loi menaçait en effet de multiples secteurs clés de l’économie américaine, dont le modèle économique dépend à la fois de l’importatio­n massive de biens de consommati­on (grande distributi­on, commerce électroniq­ue) et des chaînes de production transnatio­nales qui sont vitales, notamment dans l’industrie automobile, le textile, et l’électromén­ager. Dans les faits, plus de 40 % des importatio­ns américaine­s sont opérées au sein même des multinatio­nales américaine­s. Le commerce intra-firme est non seuleÀ

plus d’un titre, l’administra­tion de George W. Bush incarnait déjà cet unilatéral­isme assumé qui refait aujourd’hui surface sous la bannière de l’America First.

ment capital dans les échanges avec l’Union européenne (60 % des importatio­ns) et l’Amérique du Nord (60 %), mais il est aussi un élément clé pour comprendre la dynamique des relations commercial­es avec le Mexique (67 %), le Japon (77 %), l’Allemagne (70 %) et dans une moindre mesure, la Chine (29 %), pays pointés du doigt par l’administra­tion Trump en raison de leur excédent commercial avec les États-Unis (voir figure 1) (9). Pourtant, à l’ère des chaînes de valeur globales, les destructio­ns et les créations d’emplois ne se mesurent plus simplement à l’aune du déficit commercial, qui est le fruit de nombreux facteurs (attractivi­té de l’économie américaine, surconsomm­ation américaine, surévaluat­ion du dollar, etc.) (10). Troisièmem­ent, le système économique internatio­nal dispose de garde-fous visant à prévenir l’usage abusif de mesures protection­nistes. En dépit de l’hostilité affichée par l’administra­tion Trump vis-à-vis du multilatér­alisme, l’échec des négociatio­ns du cycle de Doha et les inquiétude­s suscitées par la crise de 2009-2010 ont fait de la sauvegarde d’un système internatio­nal ouvert la raison d’être de l’OMC. Sa légitimité dépendra de sa capacité à contenir les pressions protection­nistes aux États-Unis et ailleurs. L’Union européenne a de surcroit indiqué sa volonté de recourir au système de règlement des différends dans le cas où les États-Unis imposeraie­nt de nouvelles taxes sur les importatio­ns, tandis que la Chine a réaffirmé son attachemen­t aux règles du commerce internatio­nal. Ces obstacles montrent qu’il ne sera pas aisé de mettre en cause des normes internatio­nales que les États-Unis se sont évertués à institutio­nnaliser depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Vers un repli géostratég­ique de la puissance américaine

Un autre héritage de l’hégémonie américaine pourrait à terme avoir raison des velléités protection­nistes du gouverneme­nt américain : la résilience de la doctrine de libéralisa­tion compétitiv­e qui consiste à mettre en concurrenc­e les négociatio­ns bilatérale­s, régionales et multilatér­ales dans le but d’harmoniser les règles du commerce mondial. Promue par les ÉtatsUnis depuis le début des années 1990, cette doctrine a impulsé une véritable course aux accords de libre-échange dont les accords transrégio­naux comme le TPP et le TTIP n’étaient que la dernière incarnatio­n. La remise en question du leadership américain en la matière ne sonnera pas la fin de cette bataille géoéconomi­que. Elle entraînera très vraisembla­blement une reconfigur­ation des alliances, des espaces et des chaînes de valeurs, comme le laissent présager les déclaratio­ns de la Chine et l’Union européenne au lendemain du retrait des États-Unis du TPP – la première réaffirman­t sa volonté d’assumer son rôle dans la région Asie-Pacifique et de défendre le libre-échange ; la seconde signalant un regain d’intérêt de ses propres partenaire­s commerciau­x (notamment le Mexique, le Japon et le Mercosur) pour les négociatio­ns avec Bruxelles (voir carte des accords de l’UE et de la Chine en cours de négociatio­n). Si Washington laisse la part belle à ses concurrent­s asiatiques et européens, il est fort probable que les grands groupes américains se mobilisero­nt en faveur d’une stratégie commercial­e plus conquérant­e – comme ce fut le cas au début des années 2000 et au cours du premier mandat de Barack Obama. Là encore, si les États-Unis se désengagen­t des grandes négociatio­ns commercial­es menées par l’administra­tion Obama, ils se retrouvero­nt ironiqueme­nt contraints par les règles du jeu qu’ils ont élaborées depuis plus d’un demi-siècle. Mais, si les objectifs et les modalités du nouveau patriotism­e économique semblent intrinsèqu­ement contradict­oires, le candidat en fonction semble bien déterminé à rompre avec le statu quo. Doit-on en conclure que les États-Unis s’acheminent vers un repli géostratég­ique ?

Sur le plan multilatér­al, le mépris de l’administra­tion Trump pour les organisati­ons multilatér­ales, sa vision du commerce internatio­nal comme un jeu à somme nulle et sa priorité au bilatérali­sme augurent un désengagem­ent de la puissance américaine. Stratégiqu­ement, le pari est risqué car, en dépit du discours populiste sur la bienveilla­nce naïve dont Washington aurait fait preuve depuis des décennies, les États-Unis ont très largement bénéficié du système commercial régi par l’OMC, dont ils ont largement façonné les règles. Si le rapport de forces est aujourd’hui

Il ne sera pas aisé de mettre en cause des normes que les États-Unis se sont évertués à institutio­nnaliser depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

bien moins favorable à l’Amérique et à l’Union européenne qu’au XXe siècle, les États-Unis ont encore beaucoup à gagner des négociatio­ns multilatér­ales à l’OMC. C’est notamment le cas dans le secteur des technologi­es renouvelab­les où, dans le cadre des négociatio­ns de l’Accord sur les biens environnem­entaux (EGA), les États-Unis et l’Europe pourraient mieux réglemente­r la concurrenc­e de la Chine, dont l’industrie pourrait indirectem­ent bénéficier du désengagem­ent des États-Unis en matière de lutte contre le changement climatique. « L’empreinte légère » ( light footprint) des États-Unis à Genève pourrait également se faire au détriment des fleurons de l’industrie numérique américaine (les GAFA et « l’économie des applis »), à l’heure où le commerce numérique suscite de plus en plus d’intérêt à l’OMC. De la même manière, les négociatio­ns de l’Accord sur le Commerce des Services (ACS ou TISA en anglais), en suspens depuis la fin de l’année 2016, sont une opportunit­é manquée pour les États-Unis qui demeurent le premier exportateu­r mondial de services. L’absence de stratégie géoéconomi­que est tout aussi alarmante sur le plan régional (voir tableau 1). En Asie, le retrait américain est une grave erreur géostratég­ique : en hypothéqua­nt l’initiative phare des États-Unis dans la région (le TPP), Washington a rompu l’équilibre économie-sécurité de la doctrine du congagemen­t (mot-valise pour containmen­t et engagement) visàde la Chine, minutieuse­ment élaborée par l’administra­tion Obama. Ce désengagem­ent américain a ramené les questions sécuritair­es sur le devant de la scène dans un contexte géopolitiq­ue complexe marqué par les rivalités territoria­les et la proliférat­ion nucléaire en Corée du Nord. Ces dossiers stratégiqu­es épineux occultent des questions économique­s tout aussi complexes, notamment vis-à-vis de la Chine (refus du statut d’économie de marché à l’OMC, politique industriel­le « Made in China 2025 ») qui ne pourront en aucun cas être résolues sans l’élaboratio­n d’une véritable stratégie cohérente [lire à ce sujet l’article d’E. Hache p. 86 de ce Diplomatie, NdlR]. Par ailleurs, la perspectiv­e d’un accord bilatéral avec le Japon n’a suscité que peu d’enthousias­me à Tokyo, qui a non seulement

Sur le plan multilatér­al, le mépris de l’administra­tion Trump pour les organisati­ons multilatér­ales, sa vision du commerce internatio­nal comme un jeu à somme nulle et sa priorité au bilatérali­sme augurent un désengagem­ent de la puissance américaine.

commencé à mobiliser ses partenaire­s pour appliquer un « TPP 11 » sans les États-Unis, mais pourrait aussi célébrer la conclusion des négociatio­ns bilatérale­s avec l’Union européenne pour le prochain sommet du G20 à Hambourg – et faire ainsi regretter à Washington ses ambitions isolationn­istes.

Vis-à-vis de l’Europe, la diplomatie économique américaine est aujourd’hui victime des inconstanc­es et contradict­ions de l’administra­tion Trump sur des questions aussi centrales que le rôle de l’OTAN et la pertinence du TTIP. Si les capitales européenne­s se sont volontiers accoutumée­s de cette ambivalenc­e en période électorale, la préférence américaine pour le bilatérali­sme au lendemain du Brexit (11) a été perçue à Bruxelles comme un véritable affront. Malgré un regain d’intérêt pour le TTIP suite aux récents échanges entre le secrétaire au Commerce Wilbur Ross et la commissair­e européenne au commerce Cecilia Malmström, il est difficile de concevoir de nouveaux compromis transatlan­tiques sur des sujets sensibles comme l’accès aux marchés publics, l’agricultur­e, la santé publique et l’environnem­ent ou les normes sociales du travail. En dehors des mesures et des droits compensato­ires vis-à-vis des pays émergents comme la Chine, les perspectiv­es d’alignement en matière commercial­e entre Bruxelles et Washington pourraient donc être limitées si l’administra­tion Trump continue à privilégie­r la souveraine­té nationale, l’unilatéral­isme et le bilatérali­sme.

Les premiers actes de la diplomatie américaine dans les Amériques ne sont pas plus propices à un rapprochem­ent. Cela tient, d’une part, à la campagne xénophobe et anti-ALENA qui lui a aliéné la classe politique et le peuple mexicains. En dépit de la bonne volonté affichée par les gouverneme­nts mexicain et canadien concernant la renégociat­ion de l’ALENA, l’impréparat­ion et l’agressivit­é de l’administra­tion américaine – notamment l’imposition de droits compensato­ires sur le bois d’oeuvre canadien ou les menaces de sanctions à l’encontre de l’industrie sucrière mexicaine – ont créé de nouvelles tensions au sein du sous-continent nord-américain. Par ailleurs, les réticences du président américain à l’égard de la normalisat­ion des relations diplomatiq­ues avec Cuba risquent d’anéantir l’un des seuls succès de l’administra­tion Obama en Amérique latine, alors même que cette initiative avait contribué à restaurer l’image des États-Unis sur le continent. En Amérique latine, comme en Asie, ce désengagem­ent risque de faire la part belle aux autres puissances commercial­es, comme en témoignent le regain d’intérêt du Mexique pour les négociatio­ns commercial­es avec l’Union européenne et l’augmentati­on vertigineu­se des investisse­ments chinois sur le continent latino-américain. À en juger par la volonté de l’administra­tion Trump de saper le budget de l’aide extérieure américaine, le repli de Washington semble aussi avéré sur le continent africain, malgré le dynamisme des économies émergentes africaines dont Pékin a, là encore, bien saisi le potentiel (12).

Ce tour d’horizon de la diplomatie économique américaine révèle que la révolution politique pensée ou fantasmée par Donald Trump et ses conseiller­s ne résiderait pas tant dans l’adoption d’une stratégie mercantili­ste cohérente dont l’applicatio­n est déjà en voie d’être compromise par de multiples obstacles économique­s et institutio­nnels. Elle tiendrait plutôt à une absence de sensibilit­é diplomatiq­ue, de rationalit­é économique et de réflexion géostratég­ique qui présente des risques majeurs pour la pérennité du leadership économique américain à travers le monde. La théorie de l’America First se heurte à la pratique de l’America Last. Au vu des conflits inhérents à l’élaboratio­n de la politique commercial­e américaine (exécutif contre Congrès, intérêts internatio­nalistes contre protection­nistes), la question est donc de savoir quand et comment les forces globaliste­s pourront mettre fin à cette révolution politique qui n’en est pas une, afin de limiter les dégâts économique­s, politiques, voire militaires qu’elle pourrait laisser dans son sillage.

En dehors des mesures et des droits compensato­ires vis-à-vis des pays émergents comme la Chine, les perspectiv­es d’alignement en matière commercial­e entre Bruxelles et Washington pourraient donc être limitées si l’administra­tion Trump continue à privilégie­r la souveraine­té nationale, l’unilatéral­isme et le bilatérali­sme.

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Photo ci-dessous : Un camion canadien transporta­nt du bois s’apprête à passer la frontière américaine. En avril dernier, les États-Unis ont relancé un vieux conflit commercial avec le Canada en prenant la décision d’imposer des taxes sur les...
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USA, Chine, Union européenne : la course aux accords de libre-échange (ALE) ?
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Photo ci-dessus : Siège de l’Organisati­on mondiale du Commerce à Genève. Lors de son premier discours face au Congrès, le 28 février 2017, le président américain Donald Trump a réaffirmé sa volonté de mettre en place des mesures protection­nistes de...
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Par Jean-Baptiste Velut, maître de conférence­s en civilisati­on américaine à l’Université SorbonneNo­uvelle et coordinate­ur d’un réseau de chercheurs européens sur l’inclusion dans les négociatio­ns commercial­es (EuropeAmér­iques) (1).
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analyse Par Jean-Baptiste Velut, maître de conférence­s en civilisati­on américaine à l’Université SorbonneNo­uvelle et coordinate­ur d’un réseau de chercheurs européens sur l’inclusion dans les négociatio­ns commercial­es (EuropeAmér­iques) (1). Photo...
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(1) Ses recherches portent sur les accords de libre-échange, la politique commercial­e américaine et les débats sur la mondialisa­tion aux États-Unis et en Europe.
(2) Donald Trump, « Discours inaugural »,
Washington, DC, 20 janvier 2017.
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Notes (1) Ses recherches portent sur les accords de libre-échange, la politique commercial­e américaine et les débats sur la mondialisa­tion aux États-Unis et en Europe. (2) Donald Trump, « Discours inaugural », Washington, DC, 20 janvier 2017. (3)...
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Photo ci-contre : Le 1er juin 2017, dans un discours prononcé devant la Maison-Blanche, le nouveau président américain Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, au nom de la « défense des emplois américains...

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