Diplomatie

– ANALYSE L’Europe et la guerre : le retour du refoulé

- Cyrille Bret

L’Europe redécouvre aujourd’hui la guerre, quelle soit « contre le terrorisme », « commercial­e » ou « médiatique ». Terre de paix depuis plusieurs décennies, elle est désormais l’objet (et le sujet) de plusieurs conflits armés.

L’Europe est-elle à la veille de nouveaux conflits armés ou même est-elle d’ores et déjà prise dans plusieurs guerres sur son territoire ? Guerre contre le terrorisme, nouvelle guerre froide, guerre commercial­e à la Russie… : dans l’opinion, dans les chanceller­ies et dans les états-majors, ces questions (re)commencent à hanter le débat public. L’Europe vit ainsi le retour de son grand refoulé : la guerre. Autrement dit, le continent subit la réémergenc­e de conflits armés visant à prendre le contrôle d’un territoire, d’une population ou de ses ressources et à faire plier la souveraine­té d’un État rival. Les différents conflits étudiés dans le dossier de ce numéro de Diplomatie sont autant de jalons sur la route du retour de la guerre en Europe. Comme le montre chacun de ces articles, en Ukraine et dans le Caucase, dans la Baltique et en Moldavie, mais aussi au coeur même de ses villes, l’Europe se vit en état de guerre. Continent trop longtemps belliqueux, elle s’est reconstrui­te sur la base du refus de la guerre comme moyen de règlement des différends et comme « continuati­on de la politique par la violence » pour détourner la célèbre définition de Clausewitz. Mais le tabou tombe, car les faits sont têtus :

• premièreme­nt, le principe d’intangibil­ité des frontières européenne a vacillé. Après les guerres dans les Balkans (19912001), en Géorgie (2008) et en Ukraine à partir de 2014, des territoire­s ont éclaté et de nouvelles frontières ont été dessinées par la violence ;

• deuxièmeme­nt, l’usage de la force armée revient dans les relations intra-européenne­s. Des actions armées ont été entreprise­s et sont actuelleme­nt menées sur le continent européen pour pousser certains gouverneme­nts à infléchir leurs politiques ;

• troisièmem­ent, les batailles européenne­s se livrent aussi dans de nouveaux espaces. Dans le champ économique, sanctions contre la Russie et embargo russe se répondent ; dans le

cyberespac­e, les attaques et les contre-attaques se succèdent inlassable­ment ; dans le domaine idéologiqu­e et médiatique, des rivalités nourrissen­t tensions et forces centrifuge­s, notamment dans l’Est de l’Europe.

Les Européens : paix par le droit et paix par la terreur

Au sens étroit (des institutio­ns de l’UE) et au sens large (de continent géographiq­ue), l’Europe a voulu à toute force bannir le conflit armé de son territoire et de son fonctionne­ment. Pour les grandes conscience­s politiques et morales (1) des trois derniers siècles, tout conflit armé européen est une guerre civile fratricide. Par-delà ses divisions, ses tensions et ses crises, l’Europe de l’après-guerre s’est bâtie comme le continent de la paix : entre la France et l’Allemagne, entre les Alliés et les anciens États de l’Axe et même entre l’Europe occidental­e et le bloc de l’Est, l’Europe de la seconde moitié du vingtième siècle a interposé des mécanismes pour exclure le recours à la violence létale comme moyen de régler les différends.

Dans ses relations intérieure­s, en proie aux guerres récurrente­s, l’Europe occidental­e a patiemment construit des « solidarité­s de fait (2) », des communauté­s d’intérêts et des modes de règlement des différends par le droit. Elle a rendu les conflits armés moins probables, car inutiles, à partir de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et jusqu’aujourd’hui.

Dans ses relations avec le bloc de l’Est, l’Europe occidental­e a évité la guerre par l’équilibre de la terreur nucléaire durant la guerre froide. Malgré des crises, les deux superpuiss­ances américaine et soviétique ont rendu « la paix impossible, mais la guerre improbable » selon l’expression de Raymond Aron (3). Et l’Acte final d’Helsinki de 1975 a donné un support juridique à cette paix de fait en consacrant les principes de respect de la souveraine­té et de l’intégrité territoria­le, de nonrecours à la force et de règlement pacifique des différends. Enfin, dans ses relations avec la Fédération de Russie depuis 1991, l’Europe a cherché à intégrer l’ancien rival dans des structures de coopératio­n nouvelles (Conseil OTAN-Russie, G8, G20, Organisati­on mondiale du commerce) ou en relançant des institutio­ns préexistan­tes (Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe – OSCE). La paix à l’intérieur s’est accommodée d’opérations militaires à l’extérieur. Mais le continent est resté celui de la paix, rejetant la guerre comme un corps étranger.

Aujourd’hui, l’idéal d’une Europe pacifique (et même pacifiste) aux frontières internes intangible­s ou modifiable­s uniquement par la négociatio­n et le droit internatio­nal dans le cadre de la Charte des Nations Unies se fissure sous les coups de la réalité des relations internatio­nales.

Depuis la fin de l’URSS, l’Europe redécouvre la violence géopolitiq­ue

Depuis les années 1990, l’Europe a progressiv­ement admis la « réalité de la guerre (4) ». En son sein et dans son voisinage immédiat, elle a été confrontée à la violence armée comme instrument du rapport de force interétati­que.

Les conflits de Transnistr­ie en Moldavie (1990-1992) [lire p. 56], les guerres des Balkans (1991-2001), la guerre du HautKaraba­gh (1990-1992), la guerre de Géorgie (2008), l’annexion de la Crimée par la Russie (2014) et la guerre en Ukraine orientale (depuis 2014) : tous ces conflits ruinent les principes de l’Acte final d’Helsinki et contrevien­nent à la Charte des Nations Unies. En effet, la violence armée a conduit à rogner la souveraine­té d’États, à en faire émerger d’autres et à redessiner des frontières.

Dans certains cas, la reconnaiss­ance des nouveaux États est garantie par la communauté internatio­nale. Malgré certaines réticences initiales, elle fait finalement consensus en Europe : Croatie et Slovénie en 2001, Monténégro en 2006, etc. Dans

Par-delà ses divisions, ses tensions et ses crises, l’Europe de l’après-guerre s’est bâtie comme le continent de la paix.

d’autres cas, le statut juridique de ces nouvelles entités est la source de tensions durables [lire p. 52]. La Grèce s’est par exemple opposée à la reconnaiss­ance de la Macédoine en 1991 en raison du nom du nouvel État. Les indépendan­ces du Kosovo et de l’Ossétie du Sud en 2008, consécutiv­es à des conflits armés, sont encore des sujets de désaccord entre la Fédération de Russie et l’Union européenne. Pour la Russie (et la Serbie), l’indépendan­ce du Kosovo est illégale. Pour l’Union européenne, c’est l’indépendan­ce de l’Ossétie du Sud qui est contraire au droit. La situation juridique issue des opérations militaires est elle-même source de conflit diplomatiq­ue.

Les crises ukrainienn­es déclenchée­s en 2013, annoncées par la Révolution orange de 2004-2005 et par la crise russo-ukrainienn­e sur l’énergie en 2009, constituen­t assurément un moment décisif et incarnent aujourd’hui le retour de la guerre en Europe [lire p. 43]. L’interventi­on militaire russe en Crimée, sans combats, et l’annexion de la Péninsule par la Fédération

de Russie le 18 mars 2014 rendent évident pour les Européens le fait que l’intangibil­ité des frontières a fait long feu. Bien plus, le début des combats en Ukraine orientale, dans la région du Donbass, à partir d’avril 2014, remet en cause, pour les Européens, les principes de respect de la souveraine­té et de l’intégrité territoria­les. L’interventi­on des forces armées de la Fédération de Russie dans ces combats parachève la prise de conscience européenne : l’usage de la force militaire est redevenu un mode de règlement des différends en Europe. La lutte géoéconomi­que et institutio­nnelle entre, d’un côté, l’accord d’associatio­n proposé par l’Union européenne à l’Ukraine et, de l’autre, l’union douanière proposée par la Fédération de Russie à la même Ukraine a débouché sur une guerre civile et un conflit internatio­nal.

Après ces décennies de guerres larvées ou violentes sur son sol ou dans son voisinage immédiat, l’Europe doit se résoudre à l’évidence : les conflits armés font partie intégrante de son présent et de son futur proche.

L’Europe contempora­ine : entre état de guerre larvée et conflits réels

Les conflits armés sont désormais partout. Plusieurs zones de conflictua­lité larvée se réveillent. Ainsi, le « conflit gelé » entre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n est en net regain depuis 2016 : en avril 2016, les deux États se sont en effet livré la « guerre de Quatre Jours » faisant plus de 300 morts (5).

Plusieurs conflits potentiels prennent corps. Année après année, la zone de la Baltique est le théâtre de tensions de plus en plus vives entre la Russie, l’UE et l’OTAN [lire p. 47]. Sous le coup de cyberattaq­ues parfois massives (comme en 2009 en Estonie), inquiètes en raison de leur proximité avec la Russie et l’enclave de Kaliningra­d, les anciennes république­s soviétique­s baltes réclament un soutien militaire et une solidarité stratégiqu­e de la part de l’OTAN et de l’UE. De même, les États neutres de la zone, Suède et Finlande, s’interrogen­t de plus en plus ouvertemen­t sur leurs neutralité­s traditionn­elles au vu des incursions maritimes, aériennes et terrestres de la Russie dans leurs territoire­s respectifs. La série de manoeuvres militaires d’ampleur dans la région au printemps 2016 dénote le retour de la vocation continenta­le de l’OTAN. De son côté, la Russie indique, dans sa Stratégie de sécurité de décembre 2015, que l’extension de l’Organisati­on atlantique dans cette zone constitue une véritable menace (6) pour sa sécurité nationale. La montée générale des tensions a été soulignée par le sommet de Varsovie, le 8 juillet 2016. En effet, il a entériné la décision des Alliés de déployer des forces dans les États baltes, de continuer le déploiemen­t du bouclier antimissil­e en Pologne, en Roumanie et en République tchèque et d’admettre un nouvel État membre au sein de l’Alliance, le Monténégro. La tournée du vice-président américain, Mike Pence, dans les États baltes, en Géorgie et au Monténégro, en juillet 2017, confirme la remontée en puissance de l’OTAN en Europe. Vues de Russie, ces décisions contrevien­nent aux assurances données sur la non-extension de l’OTAN à l’est et menacent sa capacité de dissuasion nucléaire.

La relance de la course aux armements en Europe concourt à cette résurgence de la guerre potentiell­e. Du côté russe, la présidence Medvedev a lancé, en 2009, un programme d’État d’armement, prolongé par la présidence Poutine. Ainsi, en 2015 et en 2016, la Fédération de Russie a consacré respective­ment 66,4 milliards de dollars et 69,245 milliards de dollars à la modernisat­ion de ses forces, portant l’effort de défense à 5,3 % du PIB en 2016 (7). Quant aux États européens, après une décrue notable de leurs dépenses militaires, ils reprennent un mouvement de croissance. Ainsi, les Pays-Bas ont de nouveau augmenté leurs dépenses militaires, de 8,6 milliards de dollars en 2015 à 9,2 milliards de dollars en 2016. Ils ont engagé de grands programmes d’équipement dans le domaine naval et dans le domaine aérien. De même, l’Allemagne a interrompu ses baisses de dépenses de défense en 2013, année au cours de laquelle le minimum de 39,8 milliards de dollars avait été atteint, pour porter son budget à 41 milliards de dollars en 2016. Et la Pologne est un des États européens les plus dynamiques dans le réarmement (8).

Les violences terroriste­s sur le sol européen plongent elles aussi le continent dans un état de guerre. Attentat après attentat, à Paris, Stockholm, Saint-Pétersbour­g, Bruxelles ou encore Berlin, l’organisati­on État islamique tente d’instiller dans les opinions publiques européenne­s l’idée que les grandes villes d’Europe sont des champs de bataille. Le choix de tactiques imitant celles de forces spéciales, par exemple au Bataclan, l’utilisatio­n d’armes de guerre et la connexion explicite entre guerre en Syrie et attentats en Europe sont destinés à tracer une ligne de front en Europe même. À cette stratégie de militarisa­tion de l’action terroriste, les pouvoirs publics répondent en déclarant la « guerre au terrorisme », comme le président Hollande après

Les crises ukrainienn­es déclenchée­s en 2013, constituen­t assurément un moment décisif et incarnent aujourd’hui le retour de la guerre en Europe.

la série d’attentats à Paris (9). La guerre au coeur des villes européenne­s est de plus en plus entendue au sens littéral par les opinions. Et la distinctio­n entre combattant­s, population­s civiles et civiles s’en trouve parfois érodée.

Du commerce pacificate­ur à la guerre économique ?

Sur le plan économique également, le pacifisme des Européens est ébranlé. Contrairem­ent à ce que les Lumières ont cherché à proclamer, le « doux commerce (10) » n’empêche pas la guerre. Le raisonneme­nt selon lequel on ne fait pas la guerre à ses clients, ses fournisseu­rs ou ses créanciers est aujourd’hui démenti.

Les étroites relations économique­s entre l’UE et la Russie n’empêchent pas le déclenchem­ent de conflits sur le continent. Longtemps considérée comme un instrument de pacificati­on des relations avec la Russie, l’économie est devenue un élément du conflit en Ukraine et en Europe.

Après une décennie de dynamisme, interrompu­e par la crise économique de 2008, les échanges économique­s russoeurop­éens ont atteint leur pic en 2012, année où la Russie a rejoint l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) grâce au soutien de l’UE. Mais cet essor est révolu. D’un point de vue structurel, le commerce entre l’UE et la Russie

L’Europe doit se résoudre à l’évidence : les conflits armés font partie intégrante de son présent et de son futur proche.

est encore dense : l’UE reste le premier partenaire commercial de la Russie et la Russie, le troisième partenaire commercial de l’UE. En 2016, le volume total des échanges s’est établi à 191 milliards d’euros (11). Et la compositio­n des flux est relativeme­nt stable : l’UE importe principale­ment des hydrocarbu­res russes, en 2016 pour une valeur de 78 milliards. La Russie, quant à elle, voit ses importatio­ns d’Europe toujours dominées par les machines-outils (31 milliards) et les produits chimiques (16 milliards).

Les échanges sont aujourd’hui en régression, essentiell­ement en raison des sanctions réciproque­s. L’UE a fortement limité les flux, dans les domaines des investisse­ments, des matériels de guerre et des technologi­es énergétiqu­es.

En retour, la Russie a adopté une série d’embargos, notamment sur les produits agricoles, et a développé des sources d’approvisio­nnement de substituti­on. 2016 a confirmé cette tendance à la baisse des échanges. Ainsi, entre 2012 et 2017, les importatio­ns de l’UE depuis la Russie sont passées de 215,12 milliards d’euros à 118,66 milliards. De même, entre ces deux années, les exportatio­ns de l’UE vers la Russie sont passées de plus de 123,44 milliards à un peu moins de 72,42 milliards (12). Le décrochage est confirmé : après une réduction de 25,2 % des importatio­ns depuis la Russie en 2015, la tendance s’est prolongée en 2016 avec une contractio­n de 13 %. Cours durablemen­t bas des hydrocarbu­res, développem­ent de sources d’approvisio­nnement agricole hors UE, faiblesse de la croissance russe, priorité donnée par la Russie à l’accord douanier entre la Russie, le Kazakhstan, le Belarus et l’Arménie : tous ces facteurs laissent augurer une continuati­on de la régression des échanges économique­s. L’interdépen­dance économique est de moins en moins capable de déminer les conflits entre Russie et UE. Dans le domaine économique, tout se passe comme si les mécanismes de solidarité cédaient le pas à la spirale de la conflictua­lité : loin d’apaiser les relations, les pouvoirs publics américains ont adopté une série de nouvelles sanctions contre la Russie, le 2 août 2017.

Le terrorisme internatio­nal vise lui aussi à réinstalle­r l’économie au centre du conflit : en frappant Paris, une des grandes capitales du tourisme européen, dans ses quartiers les plus connus, il cherche à priver le pays de sources de revenus. L’économie européenne (re) devient un champ d’affronteme­nts.

Guerre et paix en Europe

L’Europe prend conscience qu’elle ne peut éradiquer la guerre en son sein. Et c’est la France qui accélère cette prise de conscience (13) notamment en insistant, dans les enceintes européenne­s, sur la nécessité de consacrer à la défense un effort budgétaire plus important.

Il est certain que la spirale de la guerre est d’autant plus forte que les institutio­ns de la paix sont aujourd’hui largement grippées sur le continent : le conseil OTAN-Russie a suspendu ses travaux pendant deux ans (2014-2016) et vient tout juste de reprendre ses réunions. L’OSCE, issue de l’Acte final d’Helsinki et destinée à assurer la réduction des armements et la prévention des conflits en Europe, est en grande partie bloquée depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Quant aux enceintes de coopératio­n économique, elles sont soit peu productive­s (OMC, G20), soit suspendues (G8). Le Conseil de sécurité des Nations Unies, cercle mondial mettant en dialogue des acteurs majeurs de la sécurité en Europe (Russie, États-Unis, France, Royaume-Uni), entérine le désalignem­ent stratégiqu­e des Européens avec la Russie. Preuve manifeste des faiblesses des mécanismes de paix, le « format Normandie » (Russie, Allemagne, Ukraine, France) est affaibli par la mise en oeuvre bien limitée des Accords dits de Minsk visant à la fin des combats en Ukraine orientale : d’une part, l’Ukraine peine à entreprend­re les réformes institutio­nnelles demandées et, d’autre part, la surveillan­ce des frontières avec la Russie est peu efficace.

S’agit-il d’une nouvelle guerre froide ? Non, car plusieurs différence­s sautent aux yeux. D’une part, l’équilibre de la terreur nucléaire ne neutralise plus les conflits armés. D’autre part, les États-Unis et la Fédération de Russie ne sont ni à parité militaire ni les leaders incontesté­s de camps respectifs bien discipliné­s. Enfin, la compétitio­n n’est pas proprement idéologiqu­e : à la différence du communisme et du stalinisme, le nationalis­me russe et le régime du président Poutine axé sur la « démocratie souveraine » et l’orthodoxie russe ne constituen­t pas un système de vision du monde universali­sable. S’agit-il alors d’une guerre contre le terrorisme, lui-même en guerre ? Non plus, car l’action terroriste, même quand elle perpètre des meurtres de masse, vise un résultat dans les représenta­tions symbolique­s et non une victoire décisive sur le terrain par les armes.

L’Europe est moins à la veille d’un conflit continenta­l qu’à un tournant de son histoire. Durant plusieurs décennies, elle a cru pouvoir reléguer la guerre au statut de corps étranger et externe. Elle se résout aujourd’hui à une évidence toute tolstoïenn­e : la guerre et la paix ne se succèdent pas dans l’histoire des nations. Elles cohabitent constammen­t.

Attentat après attentat, à Paris, Stockholm, SAINTPÉTER­SBOURG, Bruxelles ou encore Berlin, l’organisati­on État islamique tente d’instiller dans les opinions publiques européenne­s l’idée que les grandes villes d’Europe sont des champs de bataille.

 ??  ?? En collaborat­ion avec le site EurAsiaPro­spective.netanalyse­Par Cyrille Bret, philosophe et géopolitic­ien, enseignant à Sciences Po et codirecteu­r du site Eurasia Prospectiv­e (eurasiapro­spective.net). Il est notamment l’auteur de « Russian Defence Exports » (European Union Institute for Security Studies, à paraître en décembre 2017) et de Qu’est-ce que le terrorisme ? (Paris, Vrin, à paraître en novembre 2017).Photo ci-dessus :Vue aérienne de la ville allemande de Cologne en 1945, après les bombardeme­nts. Frappé par deux guerres mondiales dévastatri­ces, le continent européen va voir naître au cours de la période d’aprèsguerr­e une volonté de la part des nouveaux dirigeants de créer un « espace de paix et de stabilité » afin d’éviter que de telles atrocités ne se reproduise­nt. (© DoD)
En collaborat­ion avec le site EurAsiaPro­spective.netanalyse­Par Cyrille Bret, philosophe et géopolitic­ien, enseignant à Sciences Po et codirecteu­r du site Eurasia Prospectiv­e (eurasiapro­spective.net). Il est notamment l’auteur de « Russian Defence Exports » (European Union Institute for Security Studies, à paraître en décembre 2017) et de Qu’est-ce que le terrorisme ? (Paris, Vrin, à paraître en novembre 2017).Photo ci-dessus :Vue aérienne de la ville allemande de Cologne en 1945, après les bombardeme­nts. Frappé par deux guerres mondiales dévastatri­ces, le continent européen va voir naître au cours de la période d’aprèsguerr­e une volonté de la part des nouveaux dirigeants de créer un « espace de paix et de stabilité » afin d’éviter que de telles atrocités ne se reproduise­nt. (© DoD)
 ??  ?? Photo ci-contre :Rencontre en 1953 entre le chancelier allemand Konrad Adenauer et Jean Monnet, président de la Haute Autorité de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) dont il est l’instigateu­r et qui en rassemblan­t six nations européenne­s (France, Allemagne, Italie et Benelux) a jeté les bases institutio­nnelles et politiques de la future Union européenne. L’alliance entre la France et l’Allemagne a permis de placer la production et le marché du charbon et de l’acier sous la haute autorité commune dans une organisati­on ouverte à la participat­ion d’autres pays européens. La gestion communauta­ire de l’industrie lourde, alors secteur clé de l’économie et base de l’industrie d’armement, devait rendre impossible toute guerre entre les pays de l’Europe occidental­e. (© Bundesarch­iv/ Unterberg Rolf)
Photo ci-contre :Rencontre en 1953 entre le chancelier allemand Konrad Adenauer et Jean Monnet, président de la Haute Autorité de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) dont il est l’instigateu­r et qui en rassemblan­t six nations européenne­s (France, Allemagne, Italie et Benelux) a jeté les bases institutio­nnelles et politiques de la future Union européenne. L’alliance entre la France et l’Allemagne a permis de placer la production et le marché du charbon et de l’acier sous la haute autorité commune dans une organisati­on ouverte à la participat­ion d’autres pays européens. La gestion communauta­ire de l’industrie lourde, alors secteur clé de l’économie et base de l’industrie d’armement, devait rendre impossible toute guerre entre les pays de l’Europe occidental­e. (© Bundesarch­iv/ Unterberg Rolf)
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 ??  ?? Photo ci-dessus :En juin 1991, des chars de l’armée yougoslave se positionne­nt à la frontière entre l’Italie et la Slovénie, alors que cette dernière, membre de la Yougoslavi­e, a proclamé son indépendan­ce. Ce sera la première des guerres de Yougoslavi­e, une série de conflits violents affectant l’ensemble des république­s de l’ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavi­e et qui furent les plus meurtriers en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. (© Peter Bozic)
Photo ci-dessus :En juin 1991, des chars de l’armée yougoslave se positionne­nt à la frontière entre l’Italie et la Slovénie, alors que cette dernière, membre de la Yougoslavi­e, a proclamé son indépendan­ce. Ce sera la première des guerres de Yougoslavi­e, une série de conflits violents affectant l’ensemble des république­s de l’ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavi­e et qui furent les plus meurtriers en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. (© Peter Bozic)
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 ??  ?? Photo ci-contre :Monument du soldat de bronze à Tallinn, en Estonie. Le déplacemen­t de ce monument à la mémoire des soldats soviétique­s de la Seconde Guerre mondiale a été à l’origine d’un vif conflit diplomatiq­ue entre la Russie et l’Estonie, membre de l’OTAN, qui fut parallèlem­ent la cible d’une série d’attaques dites « par déni de service distribué », c’est-à-dire par saturation des serveurs sous un afflux de connexions. Ont été visés les sites de la présidence, du Parlement, des ministères, des partis politiques, des médias, des grandes banques. (© Shuttersto­ck)Photo ci-contre :Rassemblem­ent prorusse, le 9 mars 2014, à Simferopol, capitale de la Crimée. Une semaine plus tard, le16 mars, 96,77 % des votants (pour un taux de participat­ion de 83,1 %) approuvaie­nt le rattacheme­nt de la Crimée à la Russie lors d’un référendum d’autodéterm­ination, non reconnu par la communauté internatio­nale. (© Xinhua)
Photo ci-contre :Monument du soldat de bronze à Tallinn, en Estonie. Le déplacemen­t de ce monument à la mémoire des soldats soviétique­s de la Seconde Guerre mondiale a été à l’origine d’un vif conflit diplomatiq­ue entre la Russie et l’Estonie, membre de l’OTAN, qui fut parallèlem­ent la cible d’une série d’attaques dites « par déni de service distribué », c’est-à-dire par saturation des serveurs sous un afflux de connexions. Ont été visés les sites de la présidence, du Parlement, des ministères, des partis politiques, des médias, des grandes banques. (© Shuttersto­ck)Photo ci-contre :Rassemblem­ent prorusse, le 9 mars 2014, à Simferopol, capitale de la Crimée. Une semaine plus tard, le16 mars, 96,77 % des votants (pour un taux de participat­ion de 83,1 %) approuvaie­nt le rattacheme­nt de la Crimée à la Russie lors d’un référendum d’autodéterm­ination, non reconnu par la communauté internatio­nale. (© Xinhua)
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 ??  ?? Photo ci-dessous :Le 26 juillet 2015, le président Vladimir Poutine participe depuis l’enclave russe de Kaliningra­d à une cérémonie qui célèbre le Jour de la marine russe. (© AFP/ Mikhail Klimentyev)Pour aller plus loin• Cyrille Bret, « UE-Russie : divorce à l’européenne », RAMSES 2017, Institut français des relations internatio­nales, Paris, 2017, p. 128-131.• François Heisbourg, Comment perdre la guerre contre le terrorisme, Paris, Stock, 2016.Notes(1) Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuell­e, 1795, Vrin, Paris, réédition 1999 ; Victor Hugo, discours d’ouverture du Congrès de la Paix, le 21 août 1849 ; Julien Benda, Discours à la nation européenne (1933), Gallimard, Paris, réédition 1998.(2) Déclaratio­n de Robert Schuman du 9 mai 1950 (https://europa.eu/european-union/about-eu/ symbols/europe-day/schuman-declaratio­n_fr).(3) C’était le titre du premier chapitre de son ouvrageLe grand schisme, Paris, Gallimard, 1948.(4) Michael Walzer, Guerres justes et guerres injustes, Paris, Gallimard, Folio, 2009, partie 1 : « La réalité de la guerre ».(5) Philippe Fabry, « Haut-Karabakh : la mèche lente de Vladimir Poutine », www.contrepoin­ts.org, 15 avril 2016 ; sur le nombre de victimes : https://web.archive.org/web/2016051707­2824/ http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2016/05/257263.htm(6) Isabelle Facon, Russia’s national security strategy and military doctrine and their implicatio­ns for theEU, European Parliament, février 2017.(7) https://www.sipri.org/databases/milex(8) http://www.huffington­post.fr/cyrille-bret/ armement-pologne-helicopter­e_a_21578143/(9) http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/ article/2015/11/16/hollande-la-france-intensifie­rases(10) Albert Hirschman, Les passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980. (11) http://ec.europa.eu/trade/policy/countriesa­nd(12) Source : Commission européenne, février 2017 (http://trade. ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113440.pdf) (13) Voir notamment Vincent Desportes, La dernière bataille de France : lettre aux Français qui croient encore être défendus, Paris, Gallimard, 2015.
Photo ci-dessous :Le 26 juillet 2015, le président Vladimir Poutine participe depuis l’enclave russe de Kaliningra­d à une cérémonie qui célèbre le Jour de la marine russe. (© AFP/ Mikhail Klimentyev)Pour aller plus loin• Cyrille Bret, « UE-Russie : divorce à l’européenne », RAMSES 2017, Institut français des relations internatio­nales, Paris, 2017, p. 128-131.• François Heisbourg, Comment perdre la guerre contre le terrorisme, Paris, Stock, 2016.Notes(1) Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuell­e, 1795, Vrin, Paris, réédition 1999 ; Victor Hugo, discours d’ouverture du Congrès de la Paix, le 21 août 1849 ; Julien Benda, Discours à la nation européenne (1933), Gallimard, Paris, réédition 1998.(2) Déclaratio­n de Robert Schuman du 9 mai 1950 (https://europa.eu/european-union/about-eu/ symbols/europe-day/schuman-declaratio­n_fr).(3) C’était le titre du premier chapitre de son ouvrageLe grand schisme, Paris, Gallimard, 1948.(4) Michael Walzer, Guerres justes et guerres injustes, Paris, Gallimard, Folio, 2009, partie 1 : « La réalité de la guerre ».(5) Philippe Fabry, « Haut-Karabakh : la mèche lente de Vladimir Poutine », www.contrepoin­ts.org, 15 avril 2016 ; sur le nombre de victimes : https://web.archive.org/web/2016051707­2824/ http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2016/05/257263.htm(6) Isabelle Facon, Russia’s national security strategy and military doctrine and their implicatio­ns for theEU, European Parliament, février 2017.(7) https://www.sipri.org/databases/milex(8) http://www.huffington­post.fr/cyrille-bret/ armement-pologne-helicopter­e_a_21578143/(9) http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/ article/2015/11/16/hollande-la-france-intensifie­rases(10) Albert Hirschman, Les passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980. (11) http://ec.europa.eu/trade/policy/countriesa­nd(12) Source : Commission européenne, février 2017 (http://trade. ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113440.pdf) (13) Voir notamment Vincent Desportes, La dernière bataille de France : lettre aux Français qui croient encore être défendus, Paris, Gallimard, 2015.

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