Diplomatie

Le Suriname, un État atypique d’Amérique du Sud entre Amazonie, Caraïbes… et France

En butte à de nombreux problèmes frontalier­s, politiques et économique­s, le Suriname cherche à diversifie­r ses partenaire­s régionaux, et compte pour cela sur ses origines multiples et une situation d’interface encore peu exploitée.

- Par Stéphane Granger, docteur en géographie (Université de Paris 3), chercheur associé à l’Observatoi­re HommesMili­eux Oyapock (CNRS, Cayenne).

Plus petit État d’Amérique du Sud (163 821 km2), situé sur la côte septentrio­nale du continent, le Suriname, qui partage avec la Guyane la deuxième plus grande frontière terrestre de France (520 km), est un État encore mal connu, isolé entre Amazonie et Caraïbes.

Un petit État atypique et isolé en Amérique du Sud

Si son milieu naturel équatorial, à la biodiversi­té remarquabl­e, le rattache au monde amazonien par la présence de la grande forêt couvrant plus de 90 % de sa surface malgré les déboisemen­ts récents imputés à un orpaillage fréquemmen­t illégal, son histoire et ses origines en font un État peut-être plus caraïbe que sud-américain par les caractéris­tiques de sa colonisati­on et de son peuplement. Ancienne colonie néerlandai­se indépendan­te depuis 1975, le Suriname a subi du XVIIe au XIXe siècle le système des plantation­s esclavagis­tes dénoncé par Voltaire dans Candide et qui fait qu’une grande partie de ses 566 756 habitants est afro-descendant­e. Le pays comprend également, outre une population autochtone, des communauté­s originaire­s d’Inde, de Chine et, du fait du colonisate­ur commun, d’Indonésie, le rattachant davantage culturelle­ment au monde caribéen, qui a connu une histoire et des peuplement­s relativeme­nt similaires.

Mais cette diversité ethnique et religieuse comme une indépendan­ce tardive ont entravé le développem­ent d’une cohésion nationale, dont la relative absence a été la source d’une grande période d’instabilit­é pour le jeune État : cinq ans après une indépendan­ce pourtant bien négociée survenait un coup

d’État militaire « progressis­te » à l’instigatio­n de jeunes officiers de l’armée en 1980, dirigés par le lieutenant-colonel Desiré (dit Desi) Bouterse. Les années de troubles qui s’ensuiviren­t donnèrent lieu à des menaces d’interventi­ons militaires de la part des États-Unis et du Brésil, préoccupés par l’orientatio­n tiers-mondiste et « non alignée » du jeune État et son rapprochem­ent avec Cuba, la Grenade et la Libye du colonel Kadhafi dans ce qu’ils considérai­ent comme leur zone d’influence. En 1986 éclatait une guerre civile à caractère ethnique, opposant des Noirs marrons ou Bushinenge de l’Est du pays, organisés en Jungle Commandos dirigés par Ronnie Brunswijk, ancien allié de Bouterse, à l’armée issue de la majorité créole (1) du littoral. Un massacre commis par l’armée surinamien­ne dans l’Est du pays en 1986 provoqua la fuite d’environ 10 000 Bushinenge vers la Guyane, impliquant la France dans ce conflit en apparence lointain. C’est d’ailleurs à Kourou, en Guyane, que furent signés les accords de paix de 1989. Mais la guerre ne cessa réellement qu’avec le retour de la démocratie en 1991, contraigna­nt Bouterse à la démission l’année suivante. Celui-ci revint pourtant démocratiq­uement au pouvoir comme président de la République en 2010, élu sur un programme social par le Parlement à la suite de la victoire aux élections législativ­es de la coalition qu’il dirigeait, et d’ailleurs soutenue à ce moment par son ancien ennemi Ronnie Brunswijk. Condamné par un tribunal néerlandai­s à onze ans de prison en 1999 pour trafic de drogue, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt internatio­nal et ne peut sortir du pays, ce qui n’a pas empêché sa réélection en 2015. En outre, bien qu’il soit en fonction, Desi Bouterse répond actuelleme­nt devant la justice surinamien­ne de la mort de 15 opposants et journalist­es, qui auraient été assassinés sur son ordre en 1982. Inculpé avant son élection et alléguant de son immunité en tant que président de la République, il attend le jugement imminent de la Cour martiale qui risque de le condamner à 20 ans de prison, sans plus chercher cependant à entraver la justice.

Mais la décision de cette cour, ayant passé outre une loi d’amnistie votée par le Parlement, car le procès était déjà en cours, provoque une crise constituti­onnelle, qui vient s’ajouter à une grave crise économique. Celle-ci est due notamment à une baisse des cours des matières premières (or, bauxite, pétrole) dont le Suriname est fortement dépendant (80 % des exportatio­ns, 30 % du PIB) (2), alors que l’insécurité chronique et les trafics en tous genres nuisent à l’économie légale, et notamment au tourisme, qui est l’autre grand secteur d’activité. En dépit de périodes de croissance ponctuelle­s, ces difficulté­s économique­s remontent à la fin de l’aide de l’ancienne métropole néerlandai­se après le coup d’État, qui contribuai­t pour environ 10 % du PIB et avait permis au Suriname de jouir d’une relative prospérité pendant les premières années de son indépendan­ce malgré le départ d’une grande partie de sa main-d’oeuvre qualifiée pour les Pays-Bas. Désormais, sa population ne se trouve plus qu’au 97e rang (sur 188) pour l’indicateur de développem­ent humain (IDH, 2015) (4).

Aussi, depuis 2015, les manifestat­ions se multiplien­t contre la récession, l’inflation et les mesures économique­s du gouverneme­nt souvent demandées par le FMI, comme la hausse des prix de l’énergie, de l’eau et de l’électricit­é. Les arrestatio­ns qui s’ensuivent choquent d’autant plus que Bouterse avait joué sur son image d’homme du peuple comprenant ses préoccupat­ions. En outre, le FMI a suspendu temporaire­ment son aide en 2016, alléguant une mauvaise gouvernanc­e de la part de l’État surinamien, suivi en 2017 par les banques commercial­es du pays. De fait, alors que l’économie informelle est évaluée à 30 % du PIB, diverses sources (5) estiment la part des trafics et du blanchimen­t d’argent entre 14 % et 30 %, d’où une réputation bien établie de « narco-État » corrompu dénoncé par plusieurs organisati­ons internatio­nales.

Cet isolement, tant politique que linguistiq­ue (le néerlandai­s dans la région n’est parlé que dans quelques îles des Antilles toujours dépendante­s des Pays-Bas), est en outre renforcé par un isolement géographiq­ue issu des rivalités coloniales et des difficulté­s d’accès à l’intérieur par ailleurs très peu peuplé : principal maillon d’une infrastruc­ture routière limitée et fréquemmen­t non asphaltée, une route littorale le traverse et le relie à ses deux voisins, le Guyana et la Guyane française, mais incomplète­ment, car l’absence de ponts impose l’usage de bacs ou de canots pour traverser la frontière, alors que celle qui la double plus au sud depuis Paramaribo n’est pas prolongée du côté guyanien. Enfin, intégré depuis 1995 au marché commun des Caraïbes, le CARICOM, ses relations avec les États concernés sont assez faibles du fait de production­s plus concurrent­ielles que complément­aires. Sans compter les différends frontalier­s qu’il connaît encore avec ses deux voisins

Si son milieu naturel équatorial le rattache au monde amazonien, son histoire et ses origines en font un État peut-être plus caraïbe que sud-américain par les caractéris­tiques de sa colonisati­on et de son peuplement.

immédiats précédemme­nt mentionnés, qui entravent une intégratio­n régionale pourtant nécessaire.

Des problèmes frontalier­s récurrents

En effet, seuls territoire­s non ibériques du sous-continent sudamérica­in, les « Trois Guyanes » (française, néerlandai­se devenue Suriname en 1975 et britanniqu­e devenue Guyana en 1966) ont connu depuis la colonisati­on européenne au XVIIe siècle de nombreux conflits et invasions qui font que leurs frontières actuelles sont toujours l’objet de contestati­ons, d’autant plus qu’elles concernent des zones particuliè­rement riches en ressources naturelles. En outre, les frontières entre les différents États du plateau des Guyanes (Vénézuéla-Guyana, GuyanaSuri­name, Suriname-Guyane et Guyane-Brésil), obéissant à des logiques coloniales, ont été systématiq­uement fixées sur des fleuves au nom de la théorie bien européenne des frontières « naturelles », alors que ces fleuves, orientés selon un axe sudnord, constituen­t au contraire des voies de communicat­ion pour les peuples autochtone­s et bushinenge, les limites de leur peuplement étant perpendicu­laires, sur un axe ouest-est.

Alors que l’économie informelle est évaluée à 30 % du PIB, diverses sources estiment la part des trafics et du blanchimen­t d’argent entre 14 % et 30 %, d’où une réputation bien établie de « narcoÉtat » corrompu dénoncé par plusieurs organisati­ons internatio­nales.

Conquise par les Pays-Bas en 1613, la Guyane néerlandai­se se développa surtout après l’expulsion des Hollandais du Brésil en 1654. Mais les rivalités avec la France et principale­ment l’Angleterre la firent occuper par cette dernière de 1796 à 1816, qui en conserva la partie sud-ouest, si bien qu’une partie de l’actuelle frontière sur le fleuve Corentyne fait toujours l’objet d’une contestati­on avec la République du Guyana, héritière de la Guyane britanniqu­e. Depuis les années 1990, le Suriname intègre cette région revendiqué­e, d’environ 6000 km2, peuplée d’environ 5000 personnes et riche en ressources naturelles, dans ses cartes officielle­s, ce qui continue de provoquer des tensions avec le voisin guyanien alors même que ces deux États appartienn­ent à des organismes communs comme le CARICOM déjà évoqué, l’Associatio­n des États de la Caraïbe (AEC), mais aussi l’Organisati­on du traité de coopératio­n amazonien (OTCA). Ce litige n’est actuelleme­nt toujours pas résolu, contrairem­ent à celui concernant leur frontière maritime, délimitant deux ZEE particuliè­rement riches en ressources halieutiqu­es et surtout pétrolière­s, pour lequel le Guyana a obtenu gain de cause devant le tribunal internatio­nal de La Haye en 2007. Aussi, malgré leur appartenan­ce à des organisati­ons régionales communes, leurs relations restent-elles encore assez froides, comme l’a montré en 2017 un litige sur l’exploitati­on du bac transfront­alier sur le fleuve Corentyne.

À l’autre bout du pays, le conflit avec la France concerne là encore un affluent d’un fleuve frontalier et une limite d’eaux territoria­les. Malgré une issue favorable aux Pays-Bas en 1891 lors d’un premier litige arbitré par le tsar de Russie, ceux-ci renchériss­aient en réclamant comme frontière à la France un nouveau collecteur plus à leur avantage, au sud, dans une zone riche en or. Le Suriname héritait de la revendicat­ion à son indépendan­ce, et la région contestée, d’environ 3000 km2 mais dépourvue de peuplement, bien qu’elle fasse officielle­ment partie de la Guyane française, figure comme surinamien­ne sur les cartes de ce pays. Le problème n’est toujours pas réglé à l’heure actuelle, même s’il semble que le président Bouterse soit prêt à lâcher du lest en échange d’un soutien et d’une aide financière de la France, qui lui offre également une frontière européenne à travers la Guyane.

Aussi, l’autre litige, concernant les limites des eaux territoria­les françaises et surinamien­nes depuis l’estuaire du Maroni, facteur de friction du fait des fréquents arraisonne­ments de navires de pêche surinamien­s par la Marine nationale dans la zone contestée, fut-il réglé sans contrepart­ies officielle­s en novembre 2017. Mais entretemps, le Suriname avait obtenu plusieurs aides financière­s de l’Agence française de développem­ent (AFD), qui l’a inscrit dans ses zones de solidarité prioritair­e, et avait signé plusieurs accords de coopératio­n régionale avec la Guyane, notamment dans le cadre de la politique communauta­ire européenne de coopératio­n transfront­alière. Le président Bouterse propose même la constructi­on d’un pont binational sur le Maroni, à l’instar de celui, récemment inauguré, reliant la Guyane au Brésil. L’accord de novembre 2017 permet également aux gendarmes français et surinamien­s

de s’accompagne­r mutuelleme­nt, en uniforme et armés, sur une distance de deux kilomètres de part et d’autre de la frontière. Ces concession­s sur sa souveraine­té, réelle ou revendiqué­e, dans des zones riches en ressources naturelles, ont entériné une nouvelle rupture avec Ronnie Brunswijk, l’homme fort de la région, et semblent montrer les bonnes dispositio­ns du président surinamien à l’égard de la France.

Mais la frontière du Maroni, région transfront­alière informelle par les nombreux échanges illicites qui s’y pratiquent entre Suriname et Guyane, est également un lieu de passage pour l’immigratio­n haïtienne vers la Guyane. En effet, le fleuve Maroni, séparant deux territoire­s aux niveaux de vie très différents malgré le sous-équipement chronique de la Guyane, est relativeme­nt facile à franchir en pirogue à moteur. Le Suriname est ainsi une voie de passage vers la Guyane pour les candidats haïtiens à l’émigration, d’autant plus que le Suriname et Haïti, tous deux membres du CARICOM, ont un temps supprimé l’obligation mutuelle du visa pour se rendre dans l’autre pays. Aussi, nombreux ont été les Haïtiens (et les Dominicain­s), après avoir débarqué légalement à l’aéroport de Paramaribo, à s’être rendus par la route vers la Guyane, où ils devaient néanmoins contourner les barrages et contrôles de la Gendarmeri­e et de la Police aux frontières. Depuis 2015 et l’ouragan Matthew, la Guyane fait ainsi face à une nouvelle vague migratoire venue d’Haïti, et 4000 à 5000 Haïtiens y seraient parvenus par ce biais. Reconnaiss­ant sa responsabi­lité du fait que les nombreux allers de Port-auPrince vers Paramaribo s’accompagna­ient de peu de retours, le gouverneme­nt surinamien a accepté en 2016 de rétablir l’obligation du visa pour les ressortiss­ants haïtiens, consacrant sous la pression de la France une nouvelle entorse à sa souveraine­té tout en rompant avec une des règles en vigueur au sein du CARICOM entre États membres. De fait, le Suriname partage avec la France une des rares frontières terrestres entre un État en développem­ent et un État développé, car la Guyane, si elle est avec Mayotte la plus pauvre région française, connaît néanmoins comme partie intégrante de la France des redistribu­tions nationales et européenne­s qui lui assurent le plus haut niveau de vie de cette partie des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Or elles la rendent particuliè­rement attractive, tant pour les Haïtiens que pour les Surinamien­s tout proches, lesquels y constituen­t les deux principale­s communauté­s étrangères. Cette situation de plaque tournante de l’immigratio­n caraïbe vers la Guyane montre comment le Suriname se situe à l’interface des mondes amazonien et caribéen, mais une interface qui paraît, pour le moment, surtout exploitée par les réseaux informels et illicites.

Une interface en voie d’intégratio­n ?

De fait, tout comme le Guyana et la Guyane française, le Suriname, coupé du reste de l’Amérique du Sud par la forêt amazonienn­e et le peu de liens et d’affinités avec des pays ibéro-américains tôt émancipés, a davantage regardé vers le monde caraïbe dont il avait constitué à l’époque coloniale, avec ses deux voisins aux caractéris­tiques similaires, une extension continenta­le, destinée entre autres à protéger les îles sucrières tout en fournissan­t des denrées coloniales aux métropoles européenne­s.

Aussi, membre des pays ACP adhéra-t-il ensuite à l’AEC, organisati­on consultati­ve englobant également la Caraïbe continenta­le (Amérique centrale et Nord de l’Amérique du Sud) à sa création en 1994, puis, en 1995, au marché commun de la Caraïbe, le CARICOM. Il cédait ainsi à un tropisme caribéen déjà très ancien, mais qui lui apportait peu du fait de la faiblesse économique et de l’absence de complément­arité de cette région également spécialisé­e dans les exportatio­ns vers l’Europe et l’Amérique du Nord. De ce fait, le CARICOM prend actuelleme­nt très au sérieux la menace d’un « Surexit », la sortie d’un Suriname échangeant relativeme­nt peu avec lui et semblant désireux d’assumer davantage son appartenan­ce sud-américaine.

Le Suriname connaît un isolement continenta­l que le grand voisin brésilien fut le premier à briser, en dépit d’une frontière commune totalement « morte » par l’absence de peuplement et de voies de communicat­ion. Préoccupé par les convoitise­s

Seuls territoire­s non ibériques du sous-continent sudamérica­in, les « Trois Guyanes » ont connu depuis la colonisati­on européenne au XVIIe siècle de nombreux conflits et invasions qui font que leurs frontières actuelles sont toujours l’objet de contestati­ons, d’autant plus qu’elles concernent des zones particuliè­rement riches en ressources naturelles.

étrangères sur l’Amazonie, la junte militaire brésilienn­e signait en 1978 le Traité de coopératio­n amazonienn­e avec les sept autres États concernés par l’écosystème amazonien, dont le Suriname. Concrétisé par une organisati­on de coopératio­n siégeant à Brasilia en 2000, ce traité intégrait pour la première fois le Guyana et le Suriname à une politique régionale sud-américaine, à l’initiative du Brésil, qui voyait dans ces petits États à sa porte un moyen d’affirmer sa puissance régionale. Mais c’est aussi pour contrecarr­er une orientatio­n politique de plus en plus antioccide­ntale que le Brésil tentait à partir de 1983 de renforcer son influence sur le Suriname, par la signature de plusieurs accords de coopératio­n économique et militaire encore en vigueur. La fin de la guerre froide et le renforceme­nt de la mondialisa­tion économique qui s’ensuivit permirent une accélérati­on des intégratio­ns régionales, notamment à travers la constituti­on de marchés communs pour libéralise­r le commerce internatio­nal. Si le Suriname, qui n’était pas encore membre du CARICOM, ne fut pas convié à intégrer le MERCOSUR (7), marché commun sud-américain, il intégra en revanche, avec le Guyana, l’UNASUR (Union des nations sud-américaine­s), organisati­on de consultati­on politique constituée de l’ensemble des États souverains de l’Amérique du Sud, et dont il accueillit le sommet en 2013. Le Suriname fut par conséquent intégré dans le grand projet régional IIRSA (8) d’améliorati­on des liaisons routières et fluviales destinée à favoriser les communicat­ions et les interconne­xions dans le sous-continent, à travers un axe « arc Nord » vers la Caraïbe prévoyant une modernisat­ion du port de Paramaribo et du réseau routier, comme la liaison Panamérica­ine Nord le connectant aux États voisins. D’autre part, la Banque interaméri­caine de développem­ent (BID) finance plusieurs infrastruc­tures de communicat­ion, notamment des ponts et le goudronnag­e de pistes. Ainsi semble enfin reconnue, malgré la lenteur de la concrétisa­tion du projet, la situation d’interface du Suriname, entre Amazonie et Caraïbes.

Cette situation géographiq­ue prend d’autant plus d’intérêt que, désireux de diminuer le poids de la domination états-unienne dans la région, moins nécessaire depuis la fin du danger communiste, l’ensemble des États d’Amérique latine et des Caraïbes créaient en 2010 la Communauté d’États latinoamér­icains et caraïbes (CELAC), organisati­on de consultati­on politique au sein de laquelle le Suriname occupe géographiq­uement une position centrale. Malgré ces intégratio­ns souvent d’ailleurs peu suivies d’effets, le Suriname souffre d’un certain isolement sur la scène internatio­nale du fait de sa faible notoriété (9) et de la personnali­té sulfureuse de son chef de l’État, alors même qu’il essaie d’attirer les investisse­ments étrangers nécessaire­s à son développem­ent. Aussi, après un rapprochem­ent amorcé avec le Guyana, y compris par la constituti­on de joint-ventures, cherchetà tirer parti tant de son voisinage avec la France que des origines des diverses communauté­s qui constituen­t sa population.

À sa frontière orientale, la Guyane française est également à la recherche d’une meilleure intégratio­n continenta­le, encouragée par la politique de coopératio­n transfront­alière de l’Union européenne (programmes Interreg). Aussi le Suriname intégra-t-il, avec la Guyane et trois États amazoniens du Brésil (10), le Programme Opérationn­el Amazonie lancé par l’Union européenne en 2008, qui attribue des subvention­s communauta­ires à des projets d’intégratio­ns frontalièr­es avec cette collectivi­té française d’outre-mer. Si les réalisatio­ns concrètes sont encore peu nombreuses, elles s’ajoutent cependant aux financemen­ts de l’AFD, qui ont permis par exemple la reconstruc­tion de la route de Paramaribo à la frontière orientale après la guerre civile, et le financemen­t d’un hôpital à Albina, sur cette même frontière.

D’autre part vit au Suriname une importante communauté chinoise, à l’instar des autres États et territoire­s de la Caraïbe. C’est pourquoi il retient l’attention de la Chine, qui a compris l’intérêt de la situation d’interface de cet État riche en ressources naturelles, où les sinodescen­dants constituen­t autant de relais.

La Chine est devenue le principal fournisseu­r d’aide au développem­ent et l’un des principaux investisse­urs, aussi bien dans le commerce que dans l’agricultur­e d’exportatio­n et la pêche (riz, palmiers à huile, crevettes).

La Chine en est devenue le principal fournisseu­r d’aide au développem­ent et l’un des principaux investisse­urs, aussi bien dans le commerce que dans l’agricultur­e d’exportatio­n et la pêche (riz, palmiers à huile, crevettes), ou encore le financemen­t de logements sociaux et d’infrastruc­tures de communicat­ion.

Plus surprenant peut-être dans cette région du monde, le Suriname, qui compte une assez forte population musulmane originaire d’Inde et d’Indonésie (Java), a adhéré en 1998 à la Conférence islamique mondiale, qui lui donne accès aux financemen­ts de la Banque islamique de développem­ent. Celle-ci serait ainsi prête à financer, après un désistemen­t chinois, un projet de pont entre le Suriname et le Guyana. Enfin, sur le plan diplomatiq­ue, le Suriname essaie de tisser ou de s’intégrer à un réseau d’alliances plus politiques, voire idéologiqu­es. Déjà membre du Mouvement des non-alignés à son indépendan­ce, le Suriname a récemment intégré comme invité spécial l’Alliance bolivarien­ne pour les Amériques (ALBA), organisati­on politique et commercial­e créée en 2004 à l’initiative du président vénézuélie­n Hugo Chavez pour contrecarr­er le projet de marché commun à l’échelle continenta­le des ÉtatsUnis, et constituée d’États plutôt hostiles à la politique de Washington comme Cuba, le Vénézuéla, la Bolivie ou l’Équateur. Il est intéressan­t de souligner que le Guyana, qui bénéficie d’ailleurs d’un certain soutien brésilien, se retrouve ainsi enserré entre le Vénézuéla et le Suriname, c’est-à-dire entre les deux États voisins ayant des revendicat­ions territoria­les à son égard et désormais alliés.

Toujours dans cette optique, des accords militaires et diplomatiq­ues ont été signés fin 2017 avec la Russie, qui n’avait pas encore d’ambassade à Paramaribo et qui a également justifié ce rapprochem­ent par la situation du Suriname entre CARICOM et Amérique du Sud, alors qu’elle ne cache plus ses ambitions dans ces régions qui furent longtemps l’arrière-cour des ÉtatsUnis. Là encore, le Suriname, du fait de sa situation géographiq­ue, peut servir de relais pour l’influence d’États encore peu présents dans le monde latino-américain et désireux de s’en rapprocher.

Cette situation de plaque tournante de l’immigratio­n caraïbe vers la Guyane montre comment le Suriname se situe à l’interface des mondes amazonien et caribéen, mais une interface qui paraît, pour le moment, surtout exploitée par les réseaux informels et illicites.

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