– La Ghouta, l’ancien « poumon vert » de Damas dans l’enfer
En avril 2018, les forces de Bachar al-Assad (depuis 2000) ont repris, après deux mois de bombardements et avec l’appui de leur allié russe, la Ghouta orientale, une poche de verdure située aux portes de la capitale de la Syrie, Damas. Tenue par les rebelles depuis 2012, cette zone de quelque 100 kilomètres carrés et 400 000 habitants connaît une pénurie de vivres et de produits de première nécessité, alors que les civils entrent et sortent d’un territoire détruit.
Jadis, les Damascènes se rendaient dans la Ghouta orientale, le long de la rivière Barada, pour goûter au charme et à la fraîcheur de ce lieu de villégiature dont le nom signifie « oasis » en arabe. Depuis le déclenchement de la guerre, elle représente une zone stratégique, car elle est située près de Damas, quartier général des forces loyalistes. Ancien grenier à blé et verger de la capitale, elle a connu en trente ans un exode rural massif et continu. Sunnite et pauvre, sa population était, en mars 2011, aux premières loges de la contestation populaire contre le pouvoir, devenant le bastion rebelle le plus proche de la capitale. Un an plus tard, la Ghouta tombait sous le contrôle de plusieurs groupes salafistes et djihadistes.
Les forces en présence
À la différence d’autres zones en Syrie, les combattants rebelles sont souvent recrutés localement et bénéficient d’une certaine assise populaire. C’est le cas notamment du groupe islamiste Jaych al-Islam, qui contrôlait Douma. Les villes d’Arbin et de Hamouria étaient sous la domination de Faylaq al-Rahmane, un autre groupe d’insurgés islamistes. Soutenu par l’Arabie saoudite et fort de quelque 10 000 hommes, le premier mouvement, d’inspiration salafiste, n’a jamais appartenu à l’Armée syrienne libre (ASL), coopérant avec AlQaïda. Principal groupe rebelle affilié à l’ASL et parrainé par la Turquie et le Qatar, Faylaq al-Rahmane (environ 8 000 membres) ne se revendique pas comme djihadiste ; en 2016, de violents combats l’avaient opposé à Jaych al-Islam.
Dans l’enclave de la Ghouta orientale se trouvaient aussi les salafistes d’Ahrar al-Cham et les djihadistes de Fatah alCham (Jabhat al-Nosra), qui fut la branche d’Al-Qaïda en Syrie avant de rompre en 2016. Si leur ennemi commun reste le régime, c’est parfois entre eux que ces différents groupes se battent. Si les rebelles de la Ghouta orientale ont utilisé des civils comme boucliers humains, ayant placé des soldats loyalistes et des civils alaouites dans des cages en 2015, ce sont les autochtones qui paient le prix fort de la guerre. C’est depuis ce réduit que des obus sont régulièrement envoyés sur des quartiers résidentiels de Damas, situés à une poignée de kilomètres du front, causant des pertes humaines. En représailles, les forces loyalistes bombardent.
La Ghouta est pourtant considérée, en vertu d’un accord signé en mai 2017 à Astana (Kazakhstan) entre la Russie, l’Iran et la Turquie, comme l’une des quatre « zones de désescalade ».
L’objectif était de mettre fin à la violence et de créer les conditions nécessaires à un processus politique. Néanmoins, cet accord n’a jamais pu être appliqué dans cette région où, jusqu’à fin 2017, des contrebandiers parvenaient encore à faire passer du ravitaillement, notamment grâce à des tunnels. Cela est progressivement devenu impossible du fait de la pression sans cesse plus grande du régime. Depuis, l’enclave manque de tout : nourriture, médicaments, électricité, eau potable. Ni les ONG ni les convois humanitaires de l’ONU ne peuvent accéder à la zone. Et la situation atteint des proportions dramatiques. Par exemple, le taux d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition sévère est de 11,9 % en 2017, soit le plus haut taux jamais enregistré depuis le début de la guerre en 2011.
Une tragédie humanitaire
Confrontés aux pires atrocités, les 400 000 civils présents avaient déjà été victimes en août 2013 d’une attaque chimique au gaz sarin causant 1 429 morts. Tandis que les bombardements du régime ont fait plus de 600 victimes en une dizaine de jours en février 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, le 24 février, à l’unanimité, une résolution réclamant « sans délai » un cessez-le-feu humanitaire pour au moins un mois dans toute la Syrie, allant jusqu’à évoquer des « crimes de guerre » commis par les forces gouvernementales. De son côté, la Russie a appelé le 27 février à la mise en place d’une « pause humanitaire » quotidienne de 9 heures à 14 heures afin de permettre aux populations de quitter la zone. En vain. De nombreux civils craignent en effet d’être pris pour cible. De sorte que le tournant dramatique de cette opération de reconquête a des allures de répétition du scénario de la bataille d’Alep menée fin 2016 ; l’armée russe accuse une fois de plus les rebelles de pilonner le corridor destiné aux civils pour les empêcher de fuir.
Il a fallu attendre le 7 avril 2018 pour que des sources émanant de l’opposition rapportent plusieurs cas de suffocation après un raid aérien sur la ville de Douma, les secouristes dénonçant une possible attaque au gaz de chlore. Cette ligne rouge constitue le summum des tensions entre Moscou et les capitales occidentales, conduisant aux frappes punitives menées le 14 avril 2018 contre les sites de production et de stockage d’armes chimiques syriens par des missiles américains, britanniques et français. Ayant causé une cinquantaine de morts, cette attaque chimique a permis aux troupes loyalistes d’obtenir la reddition de Jaych al-Islam à Douma, après l’évacuation négociée des combattants d’Ahrar al-Cham et de Faylaq al-Rahmane. Après deux mois d’offensive, les pertes humaines dépassaient 1 700 civils tués.