Ruptures et continuités à la tête de l’Angola
Ayant surpris en déclarant une guerre ouverte au clan de l’ancien président Dos Santos, le nouveau chef d’État angolais, Joao Lourenço, issu comme son prédécesseur du parti MPLA au pouvoir depuis l’indépendance du pays, peut-il être l’homme de la démocratisation et de la relance économique, dans un Angola exsangue ?
L’année 2017 aura été un riche moment électoral pour l’Afrique. Même si la régularité des processus électoraux sur le continent suscite des interrogations, nous ne pouvons pas nier qu’ils sont porteurs de changements. En Angola, en particulier, beaucoup d’analystes internationaux se sont attachés à comprendre les raisons qui ont conduit l’ancien président José Eduardo dos Santos, après 38 ans au pouvoir, à ne pas se présenter à sa propre succession.
Élections 2008 : le grand espoir déçu
Les élections législatives de 2008 – les premières depuis la fin de la guerre civile, en 2002 – avaient offert au président José Eduardo dos Santos (arrivé au pouvoir en 1979) une opportunité et une marge de manoeuvre incomparables pour rallonger encore son mandat, mais aussi réformer l’État et son économie politique. En effet, son parti, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1975, a remporté ces élections à une majorité écrasante, avec 81,64 % des voix. Cette nouvelle légitimité démocratique avait été amplifiée, à l’époque, par cinq grandes tendances principales :
• une croissance économique élevée. De 2004 à 2008, l’Angola a connu une croissance économique annuelle à 2 chiffres, soutenue par des dépenses publiques élevées et l’augmentation rapide des exportations de pétrole ;
• le lancement d’un programme de reconstruction nationale accéléré, contrôlé par les Chinois. Dans la décennie qui a suivi
la fin de la guerre civile, la Chine aurait accordé plus de 11 milliards d’euros de ligne de crédit à l’Angola, investissant principalement dans les infrastructures (logements, aéroports, ports, routes, électricité…) (1) ;
• l’asphyxie de l’opposition politique, celle-ci n’ayant au total que 29 sièges à l’assemblée, contre 191 sièges pour le MPLA ; • l’acceptation de la libre concurrence et la recherche d’un soutien international libéré des polarités de la guerre froide ; • l’atmosphère d’espoir régnant dans le pays, avec la consolidation de la « paix et la démocratie » angolaises.
Ces réformes allaient permettre à José Eduardo dos Santos d’établir l’horizon temporel, les conditions et la stratégie pour sa sortie du pouvoir, pensait-on. En créant des institutions solides et véritablement démocratiques et en rétablissant le pouvoir des institutions de l’État, le président démontrerait les capacités d’un grand homme d’État. Cependant, c’est une issue politique différente qui est advenue.
La croyance dans de possibles réformes s’est brusquement effondrée en 2009, lorsque le président Dos Santos a décidé de ne pas convoquer les élections présidentielles qu’exigeait la loi constitutionnelle en vigueur à l’époque.
La croyance dans de possibles réformes s’est brusquement effondrée en 2009, lorsque le président Dos Santos a décidé de ne pas convoquer les élections présidentielles qu’exigeait la loi constitutionnelle en vigueur à l’époque. Au lieu de cela, il a choisi d’exploiter la victoire législative du MPLA pour consolider son pouvoir personnel. La constitution promulguée en 2010 ayant aboli les élections présidentielles directes, le président (qui est également le chef du gouvernement) sera désormais la tête de liste du parti vainqueur des élections législatives et le vice-président le second sur cette même liste. Aux élections générales de 2012, le MPLA arrive sans surprise largement en tête dans un scrutin verrouillé par le pouvoir, en remportant plus de 70 % des suffrages. Bien que ces élections aient été considérées comme libres, transparentes et démocratiques par la mission d’observation électorale de la Communauté des pays de langue portugaise comme par celle de l’Union africaine, ce fut loin d’être le cas d’après l’opposition et les ONG de défense de la démocratie (2).
Élections 2017 : une campagne d’un nouveau type…
Cependant, la campagne électorale pour les législatives de 2017 a été marquée par des changements importants. Après avoir affirmé en mars 2016 qu’il quitterait le pouvoir en 2018, soit un an après les élections qui étaient à venir, José Eduardo dos Santos, sans doute affaibli par la maladie, a fait savoir le 2 décembre 2016 qu’il ne serait pas candidat. Le MPLA a désigné pour lui succéder Joao Lourenço, alors ministre de la Défense et vice-président du parti.
Malgré la probabilité croissante d’une victoire du MPLA, beaucoup pensaient que les partis de l’opposition pourraient, ensemble, obtenir plus de votes que celui-ci et ainsi faire en sorte que le gouvernement n’ait pas de majorité parlementaire. Cela montre une évolution des mentalités : le processus électoral n’est plus perçu comme un défi lancé à la seule Union pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) – le plus grand parti d’opposition au MPLA depuis la fin de la guerre de libération –, mais comme une échéance qui concerne tous les partis d’opposition ayant réussi à consolider leur assise depuis 2008. Cependant, Luaty Beirao, rappeur et militant angolais en faveur de la démocratie, bénéficiant d’un écho assez large à l’échelle internationale, a affirmé pour sa part que le scrutin ne serait pas démocratique et transparent, et appelé à l’abstention. Par ailleurs, certains ont souligné le fait que, contrairement à la situation qui prévalait lors du scrutin de 1992, au sortir d’une première période de guerre civile (1975-1991), il existe désormais une élite politique solide en Angola. Or, cette élite présente globalement le même visage, quel que soit le parti politique considéré. Elle est de ce fait rejetée par les électeurs, en particulier par les jeunes, qui ne se reconnaissent pas dans ces représentants et aspirent à une autre politique. Pour toute une autre frange de la population, qui n’est pas non plus allée voter, les élections ne sont synonymes que de promesses non tenues et de démagogie des politiciens. Entre ne pas voter et courir le risque d’être choqué par les résultats, ou voter et courir le risque d’être floué par un processus électoral irrégulier, l’alternative avait tout de l’impasse.
… mais un résultat contesté
Effectivement, de nombreux cas présumés de mauvaises pratiques électorales lors du vote de septembre 2017 ont été rapportés, ce qui a suscité de vives tensions. Compte tenu des soupçons de fraude électorale, les représentants des quatre autres partis en lice dans ce scrutin – l’UNITA, mais aussi
le Front national de libération de l’Angola (FNLA), le Parti du renouveau social (PRS) et la Grande Convergence du salut d’Angola-Coalition électorale (CASA-CE), ont sollicité une audition urgente auprès du conseiller André Silva Neto, président de la Commission nationale électorale (CNE). L’ordre du jour de la demande incluait notamment les problèmes suivants, qui démontrent clairement de graves manquements à la régularité dans le processus électoral : failles dans la procédure de nomination des assesseurs, déplacement géographique des bureaux de vote par rapport à l’endroit fixé en mars 2017, transferts d’électeurs vers des bureaux de vote beaucoup plus éloignés de leurs lieux de résidence, circuit de transmission des données du vote défectueux, passivité de la CNE face à l’omniprésence du MPLA dans les médias publics, malgré les restrictions censées s’appliquer en période électorale…
Cependant, la composition de la CNE est déterminée en fonction de la représentation parlementaire. En d’autres termes, le MPLA domine la CNE qui se trouve de ce fait soumise aux injonctions du parti gouvernemental. Aussi, malgré les plaintes déposées par l’opposition, le MPLA a été proclamé vainqueur de la quatrième élection générale angolaise par la CNE, le 8 septembre 2017. Les résultats officiels comptabilisent 4 164 157 voix pour le MPLA (61,07 % des suffrages), permettant d’élire ses candidats à la présidence et à la viceprésidence de la République, respectivement Joao Lourenço et Bornito de Sousa, ainsi que 150 de ses candidats aux mandats de députés (sur 220 sièges à l’Assemblée nationale). En deuxième place se trouve l’UNITA, dirigée par Isaias Samakuva, avec 26,67 % des suffrages, ce qui lui donne 51 sièges de députés. La CASA-CE est arrivée en troisième position avec 9,44 % des suffrages, obtenant 16 mandats parlementaires. Bien que les partis de l’opposition aient brandi la menace d’une éventuelle demande de recomptage des voix, ils ne l’ont finalement pas mise à exécution et les élections de 2017 ont été considérées comme libres et équitables.
La crédibilité du nouveau président mise en doute
Au moment où le président Joao Lourenço a pris ses fonctions, beaucoup de réserves ont été émises quant à son pouvoir réel, à sa capacité à gouverner comme à tenir ses promesses électorales réitérées lors de son discours d’investiture. En effet, le MPLA allait continuer à être présidé par Dos Santos – le 16 mars 2018, ce dernier a d’ailleurs annoncé conserver ses fonctions au moins jusqu’au début de l’année 2019 (3). Or, compte tenu de la discipline et du contrôle de la politique gouvernementale par le parti, beaucoup estimaient que Lourenço serait contraint d’agir selon les termes et selon les souhaits de José Eduardo dos Santos.
Parallèlement, Sonangol – l’entreprise publique chargée de l’exploitation et de la production de pétrole et de gaz naturel en Angola, la principale source de richesse du pays auquel elle apporte les trois quarts de ses recettes – est alors dirigée par Isabel dos Santos (4), fille de l’ancien chef de l’État. En d’autres termes, tout désaccord entre Sonangol et le gouvernement est susceptible de laisser Lourenço sans aucune marge de manoeuvre financière. Isabel dos Santos domine également l’exploitation des diamants, dont l’Angola est l’un des principaux pays exportateurs.
Par conséquent, au moment où Lourenço prend ses fonctions, les ressources humaines et le parti sont entre les mains de Dos Santos ; le pétrole et la plupart des revenus, entre les mains de sa fille Isabel. En outre, le Fonds souverain, qui regroupe les réserves stratégiques de l’État, est présidé par un autre fils de José Eduardo, José Filomeno de Sousa dos Santos. Ce genre d’« État profond » (5) pourrait assurer la préservation du pouvoir de l’ancien président et son entourage, ce qui compromettrait sérieusement l’ensemble du projet de transformation de Joao Lourenço.
« Améliorer ce qui est bien et modifier ce qui ne va pas ». Tel était le slogan de campagne choisi par le nouveau président de la République, semblant donner la mesure des changements qu’il entendait faire. Ces mots, que l’on peut comprendre comme une « ligne de conduite », laissaient penser que Lourenço tenterait de profiter d’une partie du patrimoine
Le processus électoral n’est plus perçu comme un défi lancé à la seule Union pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) – le plus grand parti d’opposition au MPLA depuis la fin de la guerre de libération –, mais comme une échéance qui concerne tous les partis d’opposition ayant réussi à consolider leur assise depuis 2008.
du MPLA, mais qu’il devrait sans doute instaurer une certaine distance avec le pouvoir précédent pour consolider le démarrage d’une nouvelle phase pour l’Angola. La situation de l’Angola aujourd’hui n’est pas celle de l’Angola de 1979. Le pays n’est plus en guerre. Il a connu une période de paix pendant laquelle il a guéri ses plaies et a pu se développer – jusqu’à la chute des prix du pétrole en 2014-2015, qui a mis au jour les faiblesses du système économique, les fragilités de ses structures en construction. Le rôle que jouera Lourenço pour l’Angola ne pourra donc pas être celui qu’a joué José Eduardo dos Santos lorsqu’il a pris le pouvoir en 1979. À la mort du premier président de la République angolaise indépendante, Agostinho Neto, dont il a pris la suite, il y avait d’autres leaders de poids au sein du MPLA – Lucio Lara, Iko Carreira. Alors que les frontières du pays étaient toujours en phase de consolidation, c’est donc dans un environnement beaucoup plus incertain que Dos Santos a assumé le pouvoir, dans un contexte où les moyens importaient moins que la fin.
Joao Lourenço pourra, quant à lui, trouver les points de convergences entre les élites des différents partis et les diverses lignes économiques. Il pourra en outre s’appuyer sur une génération montante au sein du MPLA lui-même, ainsi que sur des secteurs beaucoup plus organisés de la population et de la société civile que dans les années 1980. Le défi sera alors pour lui de construire les moyens, car la fin, chacun sait ce qu’elle devrait être aujourd’hui : faire reculer la pauvreté (en 2015, 36,6 % de la population vivait au-dessous du seuil de pauvreté), faire baisser son taux de mortalité infantile, qui reste parmi les plus élevés au monde (68 décès d’enfants jusqu’à cinq ans pour mille naissances), augmenter l’espérance de vie après la naissance (la deuxième plus basse au monde, avec 44 décès de nouveau-nés pour mille naissances) (6) ; mais aussi apporter de l’eau potable aux 51 % de la population qui n’y ont pas accès, et les services d’assainissement de base aux 61 % de la population qui n’en bénéficient pas (7) ; ou encore, augmenter le taux d’emploi, entre autres choses…
Le bilan après 200 jours de gouvernance
Depuis son entrée en fonction, le 26 septembre 2017, Joao Lourenço a remercié assez brusquement plusieurs administrateurs d’entreprises publiques dans les secteurs du diamant, des minéraux, du pétrole, des médias, et au sein de la Banque nationale de l’Angola, qui avaient précédemment été nommés par José Eduardo dos Santos. Bien que ces limogeages soient perçus favorablement par la population, qui les considère comme une étape obligée dans la lutte contre la corruption dans le pays, certains analystes critiquent le manque de renouvellement des cadres. Par exemple, José Filomeno dos Santos a été remplacé à la présidence du conseil de d’administration du Fonds souverain de l’Angola par l’ancien ministre des Finances et secrétaire aux Affaires sociales, Carlos Alberto Lopes. De même, deux anciens premiers ministres ont été nommés directeurs exécutifs pour Sonangol : Lopo do Nascimento (19751978) et Marcolino Moco (1992-1996), ce dernier étant très critique de l’ancien chef de l’État. Lourenço a été accusé de pratiquer une « valse des chaises ». Limogeant certains hauts fonctionnaires pour les réembaucher à d’autres fonctions, il aurait ainsi cherché à donner l’impression d’un renouvellement des cadres et de la mise en oeuvre rapide des réformes promises durant la campagne. Certes, on ne peut nier que certains administrateurs d’État ont été réaffectés à d’autres postes. Mais il faut comprendre que le nombre de personnes
Au moment où Lourenço prend ses fonctions, les ressources humaines et le parti sont entre les mains de Dos Santos ; le pétrole et la plupart des revenus, entre les mains de sa fille Isabel.
dans le pays qui sont qualifiées pour occuper des postes gouvernementaux importants reste limité. À la suite d’une politique coloniale d’éducation sélective, l’Angola a accédé à l’indépendance avec un taux d’alphabétisation relativement faible, inférieur à 70 % (8), et les efforts d’alphabétisation de la population après l’indépendance ont toujours été entravés par la situation de guerre civile, qui a plombé 27 des 42 années d’indépendance.
En dehors de cela, deux changements importants peuvent déjà être ressentis : d’une part, le commencement d’une véritable lutte contre la corruption, et, d’autre part, une plus grande impartialité dans le traitement de l’information par les médias contrôlés par l’État. Le bureau du procureur général de la République semble assumer son rôle, démontrant la position nouvelle du Parquet général. Il enquête et a engagé des poursuites dans plusieurs affaires de corruption mettant en cause des responsables d’institutions, comme c’est le cas pour José Filomeno dos Santos, accusé d’avoir détourné 500 millions de dollars. Tout indique que ce processus devient exemplaire, car il corrobore l’idée de changement préconisée par Joao Lourenço et concrétise l’une des idées centrales de son discours d’investiture : « Personne n’est si riche et si puissant qu’il ne peut être puni, personne n’est si pauvre qu’il ne peut être protégé ». L’Angola connaît ainsi actuellement une période de grand dynamisme politique et social. Partout, on parle de la façon dont les « intouchables » sont désormais appelés à témoigner, y compris le chef d’état-major, le général Sachipendo Nunda (9). Dans les bars et dans les rues, on ose évoquer le rapatriement des capitaux placés par les riches Angolais à l’étranger (10), ou encore les prochaines élections locales attendues pour 2020 – les premières depuis l’indépendance. La fixation d’un calendrier électoral pour celles-ci fait l’objet d’un vif débat : en vertu du principe constitutionnel de « gradualisme territorial », le MPLA semble se diriger vers l’instauration de scrutins échelonnés dans le temps, en commençant par les provinces où il est assuré de la victoire, tandis que les autres partis défendent la tenue simultanée et sur tout le territoire de ces scrutins locaux. En tout état de cause, ces discussions sont révélatrices d’une volonté collective, au quotidien, d’exercer pleinement les libertés d’expression et de la presse, comme de la plus grande indépendance du pouvoir judiciaire.
Le climat d’optimisme des débuts de la présidence Lourenço, stimulé par les discours en faveur de la fin de l’impunité et du népotisme, ainsi que de la liberté des médias, devra bien entendu s’accompagner des mesures concrètes nécessaires, et ce dans le temps long, pour conserver la popularité du gouvernement. À défaut, Joao Lourenço risque d’être perçu comme le simple continuateur de la politique de son prédécesseur, c’està-dire un dirigeant incapable de susciter des changements. Son premier défi sera de réussir à prendre la présidence du MPLA, afin de pouvoir gouverner en étant libéré de l’influence de José Eduardo dos Santos et du clan qu’il avait mis en place.
Deux changements importants peuvent déjà être ressentis : d’une part, le commencement d’une véritable lutte contre la corruption, et, d’autre part, une plus grande impartialité dans le traitement de l’information par les médias contrôlés par l’État.