– L’acier en Europe, un secteur sous haute tension
Depuis une décennie, le secteur sidérurgique français et européen est en difficulté en raison d’une baisse de la croissance mondiale. De plus, il doit faire face à deux nouveaux défis : la concurrence de la Chine, dont les prix sont faibles en raison d’une surproduction, et les taxes à hauteur de 25 % sur les exportations vers les États-Unis à compter du 1er juin 2018, sur décision de Donald Trump.
Le secteur de l’acier dans l’Union européenne (UE), fortement dépendant de la croissance économique en particulier dans le domaine automobile, a été sévèrement touché par la crise mondiale de 2008. Depuis, la production n’a jamais retrouvé son niveau de 2007 (cf. document 1) : en 2017, elle n’en représentait qu’environ 80 % (210 millions de tonnes en 2007 contre 168 millions en 2017). La situation économique mondiale n’est pas le seul élément explicatif. Depuis plusieurs années, la production d’acier en Chine, qui représente 50 % de la production mondiale (1 689 millions de tonnes en 2017), continue d’augmenter alors même que la consommation locale ne cesse de diminuer (- 3,3 % en 2014, - 3,5 % en 2015). Or, plutôt que de baisser sa production, Pékin a fait le choix de vendre à perte en Europe, inondant ainsi le marché européen avec de l’acier bon marché. Pour l’UE, qui compte pour 10 % de la production mondiale, l’enjeu consiste à défendre son marché intérieur face à la Chine afin de rester compétitive à l’international.
Face à la surproduction chinoise
Pour contenir les pertes et renouer avec la croissance, les industriels européens ont été contraints à d’importants sacrifices dans le domaine de l’emploi ( cf. carte 2). Ainsi, la baisse de production de 40 millions de tonnes entre 2007 et 2017 s’est traduite par la destruction de plus de 30 000 emplois directs, soit 20 % des effectifs. Au sein de l’UE, quatre pays qui contribuent à plus de la moitié de la production européenne sont particulièrement concernés par la situation : l’Allemagne (26,1 % en 2017), l’Italie (14,1 %), la France (9 %) et l’Espagne (8,6 %).
Face à cela, les États s’organisent. La Commission européenne a ouvert dès 2016 des enquêtes contre les pratiques chinoises jugées anticoncurrentielles ( dumping) et met en place des sanctions économiques comme la surtaxation d’environ 15 % de certains produits d’origine chinoise. Toutefois, ces mesures sont dérisoires comparées à celles prises par l’administration américaine qui va jusqu’à imposer des taxes de 500 %. L’absence de consensus européen explique notamment cette incapacité à agir fortement. Le Royaume-Uni défend d’autant plus farouchement le libre-échange que sa production d’acier est faible (5 % de la production européenne et 0,5 % de la mondiale).
Néanmoins, l’UE est parvenue à limiter les importations chinoises tout en augmentant ses importations de 28 %. Depuis l’été 2015, l’acier en provenance de Chine a ainsi diminué de 45 % au profit de celui de la Russie (+ 240 %) et de l’Ukraine (+ 200 %). L’industrie européenne arrive à se maintenir dans ce secteur compétitif grâce à la fabrication de produits haut de gamme comme l’acier plat à destination du secteur automobile. Les exportations d’acier provenant de l’UE augmentent.
Contre les sanctions américaines
La décision des États-Unis d’imposer, à compter du 1er juin 2018, une taxe de 25 % sur les exportations européennes d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium était attendue, l’administration Donald Trump l’ayant envisagée dès son arrivée en janvier 2017. L’objectif affiché consiste à protéger le secteur sidérurgique américain qui a gravement souffert, lui aussi, de la surproduction chinoise, au point, selon la Maison-Blanche, de faire peser une menace sur la capacité stratégique des ÉtatsUnis à fabriquer de l’acier militaire. Toutefois, la mesure semble s’inscrire dans une stratégie économique qui vise à redéfinir les rapports de force commerciaux entre les États-Unis et ses partenaires, et pas particulièrement la Chine. Cette dernière, qui ne compte que pour 2,1 % des importations d’acier, sera en effet faiblement touchée par la mesure, contrairement au Canada (16,5 %), à la Corée du Sud (9,9 %) ou au Mexique (9,2 %).
Or la stratégie américaine a été bien pensée : ces trois États bénéficient d’exemptions en raison de concessions commerciales envisagées ou accordées. La Corée du Sud a déjà accepté de réduire ses exportations vers les États-Unis pour diminuer son excédent commercial, tout en consentant à ouvrir davantage son marché aux automobiles américaines. Quant au Canada et au Mexique, Washington a déjà prévenu que les exemptions seraient maintenues sous réserve que les renégociations en cours de leur traité de libre-échange régional (ALENA) soient plus favorables aux États-Unis.
L’UE savait que les avantages dont elle bénéficiait étaient conditionnés à des concessions commerciales. Un État européen est particulièrement visé par Washington : l’Allemagne, dont l’excédent commercial est jugé excessif par Donald Trump, de même que les droits de douane sur les automobiles américaines exportées vers l’Europe (10 % contre 2,5 % pour les voitures européennes exportées vers les États-Unis). Les visites respectives du président français, Emmanuel Macron, et de la chancelière allemande, Angela Merkel, à Washington en avril 2018 n’ont pas permis de débloquer la situation. Après avoir maintenu le secteur sidérurgique européen dans l’incertitude, Donald Trump a opté pour la sanction en imposant la taxe de 25 %. L’UE et le Canada ont porté plainte devant l’OMC.