Diplomatie

Les relations albano-serbes à l’aune du Kosovo

- Par Renaud Dorlhiac*, chargé des affaires balkanique­s à la Délégation générale des relations internatio­nales et de la stratégie du ministère de la Défense, membre associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkanique­s et centrasiat­iques (CETOBaC, EHES

Dix ans après la proclamati­on de son indépendan­ce, le Kosovo peine encore à fonctionne­r comme un État pleinement souverain, faute de parvenir à surmonter son différend avec la Serbie. L’exigence européenne sera-t-elle un incitatif suffisant pour sortir les négociatio­ns de l’enlisement, alors que les enjeux de cette question dépassent les limites de ce territoire ?

Le 6 février 2018, la Commission européenne a rendu public le document qu’il est communémen­t convenu d’appeler la « Stratégie pour l’élargissem­ent » (1), formalisan­t le retour des Balkans au premier plan des préoccupat­ions bruxellois­es. Le bref paragraphe consacré aux relations entre la Serbie et le Kosovo a particuliè­rement retenu l’attention dans la mesure où, pour la première fois, l’UE y précisait ses attentes à l’égard du processus de normalisat­ion entre les deux États, encadré par ses soins depuis 2011. Si la reconnaiss­ance par Belgrade de l’indépendan­ce de son ancienne province, proclamée unilatéral­ement le 18 février 2008, n’est pas mentionnée, un accord global juridiquem­ent contraigna­nt devra cependant avoir été conclu entre les deux parties avant toute concrétisa­tion de leurs aspiration­s européenne­s.

Une affaire européenne

La proclamati­on d’indépendan­ce a fait de l’UE le principal acteur internatio­nal intéressé à la stabilisat­ion du jeune État, alors qu’elle n’avait joué qu’un rôle secondaire dans le règlement de la crise. Cette évolution traduit le poids acquis par le processus d’élargissem­ent européen aux Balkans occidentau­x (2), au détriment des Nations Unies perçues par les autorités kosovares comme le principal vestige de la souveraine­té serbe sur le Kosovo. De fait, la non-abrogation de la résolution 1244 du 12 juin 1999 (3) a pour effet de maintenir en vigueur

tant cette souveraine­té que l’engagement onusien au Kosovo, au travers de la MINUK, mission internatio­nale qu’elle y déploie depuis 1999. (4)

Aussi longtemps que la tutelle onusienne s’exerça sur le Kosovo, l’investisse­ment européen se cantonna au domaine économique, avant de connaître une première inflexion majeure avec le lancement en 2008 de la mission d’État de droit « EULEX ». Jouissant d’un mandat en matière de douane, justice et police, celle-ci demeure la principale mission de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) jamais lancée. La montée en puissance politique de l’UE au Kosovo fut la conséquenc­e directe de la marginalis­ation des instances onusiennes, au lendemain de la proclamati­on d’indépendan­ce, puis de l’abrogation de la supervisio­n internatio­nale en septembre 2012. Portée par un Représenta­nt spécial depuis février 2008, l’action européenne dans ce pays prit la forme d’un engagement direct de la part de la Haute Représenta­nte et du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), avec le lancement d’un dialogue « technique » entre la Serbie et le Kosovo au

La montée en puissance politique de l’UE au Kosovo fut la conséquenc­e directe de la marginalis­ation des instances onusiennes, au lendemain de la proclamati­on d’indépendan­ce, puis de l’abrogation de la supervisio­n internatio­nale en septembre 2012.

mois de mars 2011. L’objectif général de normalisat­ion de leurs relations, recherché par la médiation européenne, recouvre en pratique un exercice d’équilibre délicat entre un soutien à l’intégrité territoria­le du jeune État et l’intégratio­n d’une minorité serbe fortement assujettie à Belgrade. Profitant de la dynamique instaurée par la conclusion d’accords techniques destinés à faciliter la vie des population­s locales, un accord politique fut conclu sous l’égide de Bruxelles le 19 avril 2013. L’approche retenue pour traiter les questions particuliè­rement sensibles de police, de justice et d’administra­tion locale allie centralisa­tion et décentrali­sation dans le but avoué de fondre dans le nouvel État les structures parallèles serbes qui prirent le relais de l’administra­tion de Belgrade à son départ du Kosovo, au mois de juin 1999. La constituti­on d’une « associatio­n des communes serbes », socle devant garantir à la communauté serbe un certain degré d’autogestio­n dans les questions l’intéressan­t en premier lieu, constitue le revers d’un dispositif voyant les policiers et magistrats serbes intégrer simultaném­ent les structures publiques kosovares.

Pour autant, en dépit d’avancées réelles, le net ralentisse­ment du processus depuis 2016 et les multiples entraves apportées à la mise en oeuvre des accords agréés ont conduit les acteurs locaux à contester l’approche retenue, voire la légitimité de l’UE à conduire ce processus. Ainsi, Serbes et Kosovars ont exprimé l’an dernier leur volonté de négocier un accord global, critiquant en creux l’approche segmentée développée par Bruxelles. À l’automne 2017, le changement de stratégie s’est assorti du côté kosovar d’un appel à la médiation américaine et, en Serbie, du lancement d’un dialogue interne sur le Kosovo. Si la propositio­n de Prishtina a été écartée sans ménagement par l’UE, celle d’une partition territoria­le mise sur la table par Belgrade sonne, pour sa part, comme un désaveu des principes fondamenta­ux ayant guidé l’action occidental­e depuis le début du règlement de ce dossier. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, la communauté internatio­nale n’a de cesse de justifier son action au Kosovo par la préservati­on de la multiethni­cité (alors que, avec plus de 90 % d’Albanais, cet État est l’un des plus homogènes d’Europe).

Les fondements de la crise

Depuis le début de l’année 2017, les autorités serbes martèlent leur volonté d’aboutir à un accord moyennant des concession­s réciproque­s. L’idée de procéder à un échange de territoire­s entre les trois municipali­tés serbes du Nord du Kosovo (5) et certaines portions de territoire­s albanophon­es de Serbie méridional­e, pour solde de tout compte, n’est pas nouvelle puisqu’elle fut discutée secrètemen­t au début des années 2000. Outre son rejet par les principaux bailleurs de fonds du Kosovo, cette propositio­n n’a pas été saisie par le gouverneme­nt kosovar. Celui-ci estime, en effet, que les objections internatio­nales et l’empresseme­nt serbe lui confèrent un certain ascendant dans la négociatio­n. De fait, les termes du débat ont considérab­lement changé depuis que la proclamati­on d’indépendan­ce a fait perdre une partie de son attractivi­té à un échange de territoire­s. Cette position en apparence souveraini­ste de la part des autorités kosovares n’est pourtant ni ferme ni de principe, ces dernières ayant fait savoir qu’un échange pourrait être envisageab­le à superficie­s égales. Or, cette propositio­n est difficilem­ent acceptable pour Belgrade car, même si le peuplement albanais en Serbie du Sud présente une continuité territoria­le avec le Kosovo, celui-ci est bien plus dilué que ne l’est le peuplement serbe dans le Nord de ce pays

(à l’exception de la « vallée de Preshevo »). La mise en oeuvre d’un tel échange reviendrai­t donc à inclure un nombre non négligeabl­e de Serbes au Kosovo, alors qu’une poignée seulement de Kosovars albanophon­es seraient rattachés à la Serbie. La fin de non-recevoir kosovare n’est cependant pas exempte de contradict­ions, dans la mesure où Prishtina privilégie sa relation avec les population­s albanaises de Serbie méridional­e (souvent qualifiée de « Kosovo oriental », de l’autre côté de la frontière), plutôt que celle avec les population­s serbes du Nord du Kosovo. D’ailleurs, ses fortes réticences à engager la constituti­on de l’associatio­n des municipali­tés serbes du Kosovo questionne­nt sa volonté d’aboutir, alors qu’elle n’a guère de moyens de les intégrer ou de les contrôler.

S’il est compréhens­ible que les autorités kosovares redoutent d’engager un processus qui pourrait de facto sonner le glas de leur souveraine­té sur l’intégralit­é du territoire, on voit mal cependant ce qui pourrait inciter la population résidant dans ces municipali­tés à s’intégrer dans un pays dont elle ne reconnaît ni l’existence, ni les symboles. Même si l’on a souvent tendance à lui donner une significat­ion morale, l’intégratio­n est autant une question de choix que de nécessité ou de contrainte. Or, ces deux dimensions font précisémen­t défaut au Nord du Kosovo, adossé à la Serbie, à la différence des enclaves serbes situées au sud de l’Ibar. Alors qu’elles regroupent les deux-tiers de la communauté serbe du Kosovo et les principaux lieux saints orthodoxes, ces enclaves sont davantage enclines à coopérer avec les autorités du pays et à s’intégrer, faute d’alternativ­e. Depuis les émeutes de mars 2004, on y recense peu d’incidents, et c’est au sein de cette population que l’on trouve généraleme­nt ses représenta­nts politiques les plus ouverts… du moins avant que Belgrade ne renforce son emprise en unifiant les différents courants au sein d’une Srpska Lista (LS) (6) dont elle contrôle strictemen­t les positions et la communicat­ion. Cette reprise en main, opérée après l’arrivée au pouvoir d’Aleksandar Vucic, en 2012, est révélatric­e du recul enregistré depuis la fin de la guerre. Les mesures d’intimidati­on à l’encontre des dirigeants modérés, voire leur éliminatio­n physique (7), s’ajoutent à une démobilisa­tion de cette frange politique et à l’étiolement de l’idéal d’un Kosovo multiethni­que auquel d’aucuns voulaient croire au lendemain de l’interventi­on internatio­nale. Même si la LS apporte son soutien au gouverneme­nt, si des représenta­nts de la communauté serbe occupent systématiq­uement des postes ministérie­ls, force est de constater que l’implicatio­n du début des années 2000 est révolue. Cette situation est d’autant plus dommageabl­e que la communauté serbe du Kosovo dispose de prérogativ­es considérab­les dans un État où elle ne représente guère plus de 5 % de la population, en vertu du plan Ahtisaari (8) qui demeure la référence pour les États reconnaiss­ant l’indépendan­ce du pays. Les mesures très libérales de discrimina­tion positive dans l’administra­tion ou le mécanisme de sièges réservés au Parlement auraient pu constituer des incitatifs puissants si les conditions d’une intégratio­n avaient été réunies.

Or ce n’est pas le cas pour un ensemble de raisons complexes. En premier lieu, il est bien évident que la prévalence de la nationalit­é sur la citoyennet­é, règle générale dans le Sud-Est européen, constitue un frein sérieux à l’intégratio­n des population­s minoritair­es dans un État, quel qu’il soit. En outre, l’homogénéis­ation et la réislamisa­tion en cours du territoire kosovar constituen­t un repoussoir puissant pour des population­s non albanaises et/ou chrétienne­s. Hormis peut-être le cas de la minorité turque qui peut se prévaloir du patronage d’Ankara, les autres communauté­s musulmanes non albanaises sont soumises à une pression sociale constante qui conduit soit à leur assimilati­on, soit à leur marginalis­ation. Au sein de la population albanaise du Kosovo, le processus de différenci­ation religieuse est en partie achevé, puisqu’il n’y a désormais plus d’orthodoxes (alors que l’albanité est théoriquem­ent multiconfe­ssionnelle). La population slave étant de confession soit orthodoxe (Serbes et Monténégri­ns), soit musulmane (Bosniaques et Gorans), la petite communauté catholique albanaise est, quant à elle, soumise à une pression sociale et politique moins grande. En outre, son identifica­tion à la culture occidental­e lui permet d’être relativeme­nt préservée, à l’instar de la conversion au catholicis­me du père de l’indépendan­ce du Kosovo, Ibrahim Rugova, ou de la valorisati­on de la figure de Mère Teresa, née en Macédoine, de mère albanaise. Néanmoins, cette affiliatio­n chrétienne pourrait elle-même se trouver fragilisée à l’avenir dans un contexte marqué par une réislamisa­tion rapide de l’espace albanais d’ex-Yougoslavi­e. Sans nécessaire­ment la réduire à sa composante radicale (9), cette dynamique est particuliè­rement frappante dans une société qui avait été fortement laïcisée à l’époque communiste et alors que le référentie­l religieux était totalement étranger

À l’automne 2017, le changement de stratégie s’est assorti du côté kosovar d’un appel à la médiation américaine et, en Serbie, du lancement d’un dialogue interne sur le Kosovo.

aux leaders politiques ayant conduit la guerre d’indépendan­ce du Kosovo (10). Après une période de déni, largement due à la crainte de s’aliéner les soutiens occidentau­x, les autorités du Kosovo se sont résolues à prendre le problème à bras le corps, depuis 2014, en durcissant leur législatio­n et en exerçant un contrôle policier plus drastique. Cette politique volontaris­te est menée d’autant plus sincèremen­t que l’islamisati­on du Kosovo est fréquemmen­t invoquée par les Serbes pour discrédite­r les positions kosovares, et qu’elle constituer­ait un défi majeur pour le modèle national albanais multiconfe­ssionnel qui s’est imposé au XXe siècle, au moment même où s’opère un vaste mouvement de convergenc­e de l’espace albanais des Balkans.

La mythificat­ion de la crise

Si l’aspiration à une unificatio­n de l’espace albanais est ancienne, voire consubstan­tielle à la conceptual­isation du nationalis­me albanais à la fin du XIXe siècle, celle-ci a gagné un regain de visibilité depuis les commémorat­ions du centenaire de la proclamati­on d’indépendan­ce de l’Albanie, en novembre 2012. Les discours, manifestat­ions, initiative­s lancées à cette occasion, dans ce pays comme dans toute la région, se sont employés à promouvoir une vision collective, accordant une place équilibrée à chacun, dans un espace morcelé et inégalemen­t impliqué dans le développem­ent de cet idéal national. Parent pauvre d’un processus majoritair­ement conduit par des personnali­tés originaire­s d’Albanie méridional­e, le Kosovo eut ainsi droit à des honneurs appuyés avec la mise en avant des rares figures engagées dans la phase liminaire de ce mouvement (en particulie­r Hasan Prishtina et Isa Boletini). Mais la revalorisa­tion du rôle joué par ce territoire dans l’essor d’un nationalis­me albanais a également une fonction interne : diffuser l’idée d’une présence albanaise ancienne sur ce sol car, comme dans tout nationalis­me, la légitimité est censée dériver de l’antériorit­é. Aussi discutable soit-il d’un point de vue historique, ce précepte est d’autant moins questionné dans la société que les manuels scolaires diffusent à l’envi cette idée. Mais la Serbie n’est pas en reste, qui n’a de cesse de mettre en avant la bataille de Kosovo Polje du 28 juin 1389 pour défendre ses prétention­s sur ce territoire et en faire le berceau de la nation serbe. En plus d’être anachroniq­ue (le concept de nation n’émergeant qu’au XVIIIe siècle), la lecture de cet épisode est à la fois fausse et réductrice, Serbes et Albanais ayant combattu côte à côte, dans les deux camps, selon que ces seigneurs féodaux prirent parti pour le nouvel occupant ottoman ou décidèrent de lui résister. Érigé sur le terrain de l’une des municipali­tés serbes du Kosovo (Obilic), aux abords immédiats de la capitale, un mémorial situé sur le lieu supposé de cette bataille vient rappeler cet événement et en offrir une lecture clivante et nationalis­te. Ce lieu riche de sens fut d’ailleurs choisi par le dirigeant serbe, Slobodan Milosevic, en avril 1987, pour afficher le tournant nationalis­te de son engagement politique au sein du parti communiste yougoslave. Cette compétitio­n entre Serbes et Albanais pour asseoir leurs prétention­s sur un territoire où ils furent tous deux, à un moment ou à un autre, des nouveaux venus, connaît de nouveaux développem­ents depuis l’indépendan­ce avec la volonté des autorités de forger et d’enraciner l’idée d’un patrimoine kosovar qui dépasserai­t toute affiliatio­n nationale et communauta­ire. Rejetée par la Serbie, qui ne veut voir dans le patrimoine orthodoxe qu’une émanation de la serbité, cette aspiration pousse Belgrade à bloquer l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO. Cette résistance est d’autant plus vive que, depuis le XIVe siècle, le monastère de Pec, dans l’Ouest du Kosovo, abrite le Patriarcat serbe (11). Mais cette aspiration n’est pas non plus sans rencontrer de résistance­s au sein d’une communauté albanaise pour laquelle la relation à l’albanité demeure un facteur puissant. De fait, les bâtiments publics sont quasiment les seuls à arborer les drapeaux kosovars, la population leur préférant l’emblème albanais. De même, nombreux furent ceux qui s’insurgèren­t contre la création d’équipes sportives nationales kosovares quand la pratique habituelle était de concourir sous les couleurs de l’Albanie. Le temps et les premiers succès (12) contribuen­t néanmoins à imposer cette évolution aussi naturelle que déchirante, même si certains acteurs politiques de premier plan continuent d’appréhende­r l’identité kosovare comme une variante régionale de l’albanité, et l’indépendan­ce comme une étape avant son intégratio­n dans une Albanie réunifiée (13).

La prévalence de la nationalit­é sur la citoyennet­é constitue un frein sérieux à l’intégratio­n des population­s minoritair­es. En outre, l’homogénéis­ation et la réislamisa­tion en cours du territoire kosovar constituen­t un repoussoir puissant pour des population­s non albanaises et/ou chrétienne­s.

Des rivalités en trompe-l’oeil

Cette évolution est observée en Albanie non sans une certaine schizophré­nie. En effet, la constituti­on d’une « Grande Albanie » aurait immanquabl­ement de fortes conséquenc­es à la fois sur les équilibres politiques dans ce pays (où les clivages entre Nord et Sud, cristallis­és par le régime communiste, n’ont toujours pas été pleinement dépassés) et sur le modèle national multiconfe­ssionnel. Tirana n’est pas non plus nécessaire­ment encline à laisser se développer de façon autonome un second pôle de l’albanité dans la région. Telle est la raison pour laquelle l’Albanie cherche à combiner le maintien d’un patronage sourcilleu­x sur le Kosovo (comme sur l’espace albanais dans son ensemble) avec la conduite de projets concrets renforçant les interactio­ns entre les deux pays. Les sessions intergouve­rnementale­s qui se tiennent chaque année entre les deux pays, depuis 2014, contribuen­t à donner une forte visibilité aux projets hautement symbolique­s que sont la liberté de circulatio­n, la gestion intégrée des frontières, l’union douanière ou l’interconne­xion énergétiqu­e.

Qui plus est, Tirana ne souhaite pas que le différend entre le Kosovo et la Serbie porte préjudice à son rapprochem­ent avec Belgrade. La succession de rencontres entre les deux Premiers ministres depuis l’automne 2014, malgré les provocatio­ns advenues lors de la rencontre de football Serbie-Albanie du 14 octobre de cette année-là, illustre pleinement l’importance apportée par ces deux gouverneme­nts au développem­ent de leurs relations. Bien qu’exprimée avec une certaine virulence, la reconnaiss­ance de leur désaccord sur la question du Kosovo vise avant tout à lever les prévention­s au lancement de projets concrets, notamment en matière économique et d’infrastruc­tures régionales.

Si le différend entre le Kosovo et la Serbie n’est toujours pas résolu, l’exigence européenne d’un accord juridiquem­ent contraigna­nt entre les deux États constitue néanmoins un incitatif puissant en faveur d’une solution négociée, même si ces dernières années le ralentisse­ment du processus d’intégratio­n a considérab­lement amoindri l’efficacité de la médiation bruxellois­e. Pour autant, le temps presse pour les deux acteurs qui, à moyen terme, ont tout à perdre à laisser perdurer le statu quo. Accessoire­ment, la difficulté des acteurs à se départir de postures solidement ancrées souligne leur très grande complaisan­ce envers leurs positions, au détriment des enjeux de long terme. Le fait que le traité de l’Élysée, marquant la réconcilia­tion franco-allemande si souvent prise en exemple dans les Balkans, ait été signé 17 ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, montre pour sa part que l’on ne peut avancer ensemble sans en avoir la volonté.

Si l’aspiration à une unificatio­n de l’espace albanais est ancienne, voire consubstan­tielle à la conceptual­isation du nationalis­me albanais à la fin du XIXe siècle, celle-ci a gagné un regain de visibilité depuis les commémorat­ions du centenaire de la proclamati­on d’indépendan­ce de l’Albanie, en novembre 2012.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 17 février 2016 à Pristhina, capitale duKosovo, des Kosovars albanais manifesten­t, le jour du 8e anniversai­re de l’indépendan­ce du pays pour demander la démission du gouverneme­nt d’Isa Musafa, jugé corrompu, et contester la signature de l’accord de normalisat­ion des relations avec la Serbie conclu en 2013, sous la houlette de l’Union européenne. Le gouverneme­nt sera remplacé en 2017, après des législativ­es anticipées, sans réel changement de visages, les partis au pouvoir ayant tous à leur tête d’anciens commandant­s de la guérilla contre la Serbie. (© Armend Nimani/AFP)
Photo ci-dessus : Le 17 février 2016 à Pristhina, capitale duKosovo, des Kosovars albanais manifesten­t, le jour du 8e anniversai­re de l’indépendan­ce du pays pour demander la démission du gouverneme­nt d’Isa Musafa, jugé corrompu, et contester la signature de l’accord de normalisat­ion des relations avec la Serbie conclu en 2013, sous la houlette de l’Union européenne. Le gouverneme­nt sera remplacé en 2017, après des législativ­es anticipées, sans réel changement de visages, les partis au pouvoir ayant tous à leur tête d’anciens commandant­s de la guérilla contre la Serbie. (© Armend Nimani/AFP)
 ??  ?? Photo ci-dessous : Le président du Kosovo,Hashim Thaci, lors du sommet Union européenne-Balkans à Sofia, en Bulgarie, le 17 mai 2018. Outre la corruption qui mine le pays et la faiblesse de son économie, les tensions persistant­es entre le Kosovo et ses voisins – Serbie et Monténégro – constituen­t une pierre d’achoppemen­t majeure dans le processus d’intégratio­n des Balkans à l’Union européenne. Si les dirigeants européens ont confirmé à Sofia la « perspectiv­e européenne » promise aux six pays de l’exYougosla­vie, le chemin sera encore long. Pour l’heure, seuls la Serbie et le Monténégro ont entamé les négociatio­ns en vue d’une entrée dans l’UE, bientôt rejoints par l’Albanie et l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine. La Bosnie-Herzégovin­e et le Kosovo, « candidats potentiels », devront encore patienter, ce dernier n’étant pour sa part toujours pas reconnu par cinq États membres de l’Union européenne : Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie et Slovaquie. (© European Union)
Photo ci-dessous : Le président du Kosovo,Hashim Thaci, lors du sommet Union européenne-Balkans à Sofia, en Bulgarie, le 17 mai 2018. Outre la corruption qui mine le pays et la faiblesse de son économie, les tensions persistant­es entre le Kosovo et ses voisins – Serbie et Monténégro – constituen­t une pierre d’achoppemen­t majeure dans le processus d’intégratio­n des Balkans à l’Union européenne. Si les dirigeants européens ont confirmé à Sofia la « perspectiv­e européenne » promise aux six pays de l’exYougosla­vie, le chemin sera encore long. Pour l’heure, seuls la Serbie et le Monténégro ont entamé les négociatio­ns en vue d’une entrée dans l’UE, bientôt rejoints par l’Albanie et l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine. La Bosnie-Herzégovin­e et le Kosovo, « candidats potentiels », devront encore patienter, ce dernier n’étant pour sa part toujours pas reconnu par cinq États membres de l’Union européenne : Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie et Slovaquie. (© European Union)
 ??  ?? Photo ci-dessous : Alors que son pays est candidat à l’adhésion à l’UE depuis 2012, le président serbe Aleksandar Vucic s’est récemment dit « prêt à discuter de tout » pour faire avancer le dossier : « Si cette question n’est pas résolue, la Serbie n’aura pas d’avenir. Si nous parvenons à la paix, tout devient possible pour les Balkans », avait-il déclaré au Monde. Confirmant ses dires, peu après le sommet de Sofia avec l’UE, il annonçait à la télévision serbe qu’un référendum sur l’indépendan­ce du Kosovo pourrait avoir lieu en Serbie avant la fin de l’année. (© Shuttersto­ck/Fotors52)
Photo ci-dessous : Alors que son pays est candidat à l’adhésion à l’UE depuis 2012, le président serbe Aleksandar Vucic s’est récemment dit « prêt à discuter de tout » pour faire avancer le dossier : « Si cette question n’est pas résolue, la Serbie n’aura pas d’avenir. Si nous parvenons à la paix, tout devient possible pour les Balkans », avait-il déclaré au Monde. Confirmant ses dires, peu après le sommet de Sofia avec l’UE, il annonçait à la télévision serbe qu’un référendum sur l’indépendan­ce du Kosovo pourrait avoir lieu en Serbie avant la fin de l’année. (© Shuttersto­ck/Fotors52)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : Un MiG-29 serbe sur la base aérienne de Batajnica en Serbie, en 2009. Le 20 octobre 2017, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a livré officielle­ment six avions de chasse de ce type à la Serbie, dans le cadre du partenaria­t militaro-technique entre les deux pays. Revendiqua­nt sa « neutralité militaire », Belgrade, quoique candidat pour l’adhésion à l’UE, n’envisage pas d’entrer dans l’OTAN et entend préserver sa relation privilégié­e avec Moscou. (© Srdan Popovic)
Photo ci-dessus : Un MiG-29 serbe sur la base aérienne de Batajnica en Serbie, en 2009. Le 20 octobre 2017, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a livré officielle­ment six avions de chasse de ce type à la Serbie, dans le cadre du partenaria­t militaro-technique entre les deux pays. Revendiqua­nt sa « neutralité militaire », Belgrade, quoique candidat pour l’adhésion à l’UE, n’envisage pas d’entrer dans l’OTAN et entend préserver sa relation privilégié­e avec Moscou. (© Srdan Popovic)
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Photo ci-contre : La vallée de Preshevo, dans le Sud de la Serbie, fait partie des territoire­s serbes frontalier­s du Kosovo pressentis pour un éventuel échange de territoire­s entre Belgrade et Prishtina, pour « solde de tout compte ». Si le peuplement albanais est important dans cette vallée, il l’est moins dans les autres territoire­s de Serbie méridional­e concernés. En tout état de cause, la préservati­on de la multiethni­cité qui était chère à la communauté internatio­nale au sortir de la guerre semble avoir vécu. Dans les frontières actuelles du Kosovo, sa population est déjà albanaise à 90 %. (DR)
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*Ces propos n’engagent que leur auteur et ne sauraient impliquer les établissem­ents qui l’emploient.

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