Diplomatie

Le conflit israélo-palestinie­n est politique

- Par Jean-Paul Chagnollau­d, professeur émérite des Université­s, président de l’Institut de Recherche et d’Études Méditerran­ée Moyen-Orient (iReMMO) (Paris). Jean-Paul Chagnollau­d

Au fil du temps, les multiples soubresaut­s dramatique­s du conflit israélo-palestinie­n sont régulièrem­ent marqués par des invocation­s de la Bible pour les uns et du Coran pour les autres, tandis que Jérusalem peut apparaître comme un enjeu sacré. Cela pourrait suffire pour conclure qu’il s’agit d’un affronteme­nt religieux. En réalité, si ces références sont récurrente­s, elles n’altèrent pas sa nature fondamenta­lement politique, celle d’une confrontat­ion entre deux nationalis­mes pour un même territoire.

Côté israélien : un sionisme devenu religieux

Le sionisme des origines, tel qu’il fut conçu par Théodore Herzl à la fin du XIXe siècle, ne fait aucune place au religieux. Dans son livre fondateur, L’État des juifs, paru en 1896, il aborde brièvement cette question avec des formules très claires : « Nous ne permettron­s pas aux velléités théocratiq­ues de nos chefs religieux d’émerger. Nous saurons les cantonner dans leurs temples (...) ils ont droit aux honneurs que leur confèrent leurs nobles fonctions et leurs mérites (mais) ils n’ont pas à s’immiscer dans les affaires de l’État » (1). Et parmi les nombreux opposants à son projet se trouvent les rabbins les plus influents, qui contestent le sionisme pour des motifs religieux. Après sa mort (en 1904), les dirigeants du mouvement comme Haïm Weizmann et David Ben Gourion ont une position analogue sur le religieux, qui ne s’inscrit en rien dans cette dynamique nationalis­te qu’est alors le sionisme.

En revanche, plus tard, à l’époque du mandat britanniqu­e en Palestine, sous l’influence du rabbin Kook, apparaît un courant religieux qui soutient l’entreprise sioniste avec l’idée que le lien du peuple juif à la Palestine découle d’une source divine. Cette personnali­té de grande influence est considérée comme le fondateur du sionisme religieux qui se développe surtout après la guerre de 1967 et l’occupation des territoire­s palestinie­ns (Cisjordani­e, Gaza, et Jérusalem-Est), avec notamment le Goush Emounim (Bloc de la foi) et le PNR (Parti national religieux). Son ambition est de coloniser et à terme d’annexer ce que ses partisans nomment la Judée-Samarie ; une terre qui, selon eux, leur a été promise par la Bible. Cette mouvance a pris une place de plus en plus importante sur l’échiquier politique, au point de constituer aujourd’hui un aspect de la droitisati­on du spectre politique israélien.

Côté palestinie­n : la montée en puissance du Hamas

Du côté palestinie­n, si les premières résistance­s des années 1930 n’étaient pas dénuées de référence à l’islam, il s’agissait avant tout d’une volonté politique de s’opposer aux ambitions du sionisme et à l’occupation britanniqu­e. Plus récemment, dès les années 1960, les mouvements de résistance palestinie­nne comme le Fatah et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) puis l’Organisati­on de libération de la Palestine (OLP) rassemblen­t chrétiens et musulmans et s’inscrivent résolument dans une démarche nationalis­te laïque. Et il ne faut pas oublier les combats politiques menés dans les années 1950/1960 par les Palestinie­ns citoyens d’Israël pour la défense de leurs droits et de leurs terres confisquée­s : beaucoup étaient proches du parti communiste, et leur mouvement, Al Ard (La Terre), n’avait pas la moindre connotatio­n religieuse.

Ce n’est que bien plus tard qu’une fraction des Palestinie­ns se tourne vers un acteur aux référents religieux avec le Hamas, créé par les Frères musulmans en 1987, au moment de la première Intifada. Sa Charte, adoptée en 1988, est imprégnée de références à l’islam, avec de surcroît une tonalité antisémite supprimée par la suite dans leur programme de 2006 et dans leur Charte révisée en 2017, notamment en ces termes : « Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non pas aux Juifs en raison de leur religion. » Le rapport à l’islam y demeure inchangé : « La Palestine est la Terre sainte qu’Allah a bénie pour l’humanité. »

Ainsi, d’un côté comme de l’autre, on a vu la montée en puissance de ces formations politiques arcboutées sur leur interpréta­tion de textes sacrés. Pour les partisans du Rav Kook, la Palestine est un don de Dieu, tandis que pour le Hamas, cette terre appartient aux musulmans. Et pour ces deux mouvances, Jérusalem est au centre de leurs revendicat­ions : elle ne peut être que juive pour les premiers et musulmane pour les seconds…

Minoritair­es, mais déterminan­ts

Au sein de la Knesset, ce sionisme d’inspiratio­n religieuse, représenté surtout par Le Foyer juif issu en partie de la dissolutio­n du PNR en 2008, est minoritair­e (8 députés sur 120 aux élections de 2015). Mais ses représenta­nts sont au gouverneme­nt à des postes clés, à commencer par son leader, Naftali Bennett, pour qui tout est dans la Bible. Ils participen­t donc activement au gouverneme­nt des droites nationalis­tes et laïques pour refuser toute négociatio­n sur Jérusalem, exclure toute possibilit­é de retour des réfugiés, développer une intense colonisati­on et rejeter l’idée même d’un État palestinie­n, sauf s’il ne s’agit que d’une entité politique dépourvue de souveraine­té et de continuité territoria­le.

Du côté palestinie­n, les deux principaux partis, le Hamas et le Fatah, en constante concurrenc­e politique, sont incapables de trouver le chemin d’un gouverneme­nt d’union nationale. S’ils se rejoignent pour exiger le retour des réfugiés et revendique­r Jérusalem-Est comme capitale de leur État, ils divergent sur l’étendue des concession­s territoria­les même si, sur ce point essentiel, les positions du Hamas ont évolué puisqu’il semble accepter désormais le principe des frontières de 1967.

En définitive, il s’agit donc bien d’abord d’un conflit politique opposant pour un même territoire deux nationalis­mes, même si leurs composante­s religieuse­s ont pris une place importante qu’elles n’avaient pas il y a encore quelques années.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Contrôle de femmes palestinie­nnes par l’armée israélienn­e au checkpoint entre Bethléem (Cisjordani­e) et Jérusalem, tandis qu’elles se rendent à la mosquée d’Al-Aqsa, pour le premier vendredi de prière du Ramadan, le 18 mai 2018. Capitale à la fois politique et religieuse pour les Israéliens comme les Palestinie­ns, Jérusalem est au coeur de l’affronteme­nt entre les deux peuples. (© Musa Al Shaer/AFP)
Photo ci-dessus : Contrôle de femmes palestinie­nnes par l’armée israélienn­e au checkpoint entre Bethléem (Cisjordani­e) et Jérusalem, tandis qu’elles se rendent à la mosquée d’Al-Aqsa, pour le premier vendredi de prière du Ramadan, le 18 mai 2018. Capitale à la fois politique et religieuse pour les Israéliens comme les Palestinie­ns, Jérusalem est au coeur de l’affronteme­nt entre les deux peuples. (© Musa Al Shaer/AFP)

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