Le conflit israélo-palestinien est politique
Au fil du temps, les multiples soubresauts dramatiques du conflit israélo-palestinien sont régulièrement marqués par des invocations de la Bible pour les uns et du Coran pour les autres, tandis que Jérusalem peut apparaître comme un enjeu sacré. Cela pourrait suffire pour conclure qu’il s’agit d’un affrontement religieux. En réalité, si ces références sont récurrentes, elles n’altèrent pas sa nature fondamentalement politique, celle d’une confrontation entre deux nationalismes pour un même territoire.
Côté israélien : un sionisme devenu religieux
Le sionisme des origines, tel qu’il fut conçu par Théodore Herzl à la fin du XIXe siècle, ne fait aucune place au religieux. Dans son livre fondateur, L’État des juifs, paru en 1896, il aborde brièvement cette question avec des formules très claires : « Nous ne permettrons pas aux velléités théocratiques de nos chefs religieux d’émerger. Nous saurons les cantonner dans leurs temples (...) ils ont droit aux honneurs que leur confèrent leurs nobles fonctions et leurs mérites (mais) ils n’ont pas à s’immiscer dans les affaires de l’État » (1). Et parmi les nombreux opposants à son projet se trouvent les rabbins les plus influents, qui contestent le sionisme pour des motifs religieux. Après sa mort (en 1904), les dirigeants du mouvement comme Haïm Weizmann et David Ben Gourion ont une position analogue sur le religieux, qui ne s’inscrit en rien dans cette dynamique nationaliste qu’est alors le sionisme.
En revanche, plus tard, à l’époque du mandat britannique en Palestine, sous l’influence du rabbin Kook, apparaît un courant religieux qui soutient l’entreprise sioniste avec l’idée que le lien du peuple juif à la Palestine découle d’une source divine. Cette personnalité de grande influence est considérée comme le fondateur du sionisme religieux qui se développe surtout après la guerre de 1967 et l’occupation des territoires palestiniens (Cisjordanie, Gaza, et Jérusalem-Est), avec notamment le Goush Emounim (Bloc de la foi) et le PNR (Parti national religieux). Son ambition est de coloniser et à terme d’annexer ce que ses partisans nomment la Judée-Samarie ; une terre qui, selon eux, leur a été promise par la Bible. Cette mouvance a pris une place de plus en plus importante sur l’échiquier politique, au point de constituer aujourd’hui un aspect de la droitisation du spectre politique israélien.
Côté palestinien : la montée en puissance du Hamas
Du côté palestinien, si les premières résistances des années 1930 n’étaient pas dénuées de référence à l’islam, il s’agissait avant tout d’une volonté politique de s’opposer aux ambitions du sionisme et à l’occupation britannique. Plus récemment, dès les années 1960, les mouvements de résistance palestinienne comme le Fatah et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) puis l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) rassemblent chrétiens et musulmans et s’inscrivent résolument dans une démarche nationaliste laïque. Et il ne faut pas oublier les combats politiques menés dans les années 1950/1960 par les Palestiniens citoyens d’Israël pour la défense de leurs droits et de leurs terres confisquées : beaucoup étaient proches du parti communiste, et leur mouvement, Al Ard (La Terre), n’avait pas la moindre connotation religieuse.
Ce n’est que bien plus tard qu’une fraction des Palestiniens se tourne vers un acteur aux référents religieux avec le Hamas, créé par les Frères musulmans en 1987, au moment de la première Intifada. Sa Charte, adoptée en 1988, est imprégnée de références à l’islam, avec de surcroît une tonalité antisémite supprimée par la suite dans leur programme de 2006 et dans leur Charte révisée en 2017, notamment en ces termes : « Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste et non pas aux Juifs en raison de leur religion. » Le rapport à l’islam y demeure inchangé : « La Palestine est la Terre sainte qu’Allah a bénie pour l’humanité. »
Ainsi, d’un côté comme de l’autre, on a vu la montée en puissance de ces formations politiques arcboutées sur leur interprétation de textes sacrés. Pour les partisans du Rav Kook, la Palestine est un don de Dieu, tandis que pour le Hamas, cette terre appartient aux musulmans. Et pour ces deux mouvances, Jérusalem est au centre de leurs revendications : elle ne peut être que juive pour les premiers et musulmane pour les seconds…
Minoritaires, mais déterminants
Au sein de la Knesset, ce sionisme d’inspiration religieuse, représenté surtout par Le Foyer juif issu en partie de la dissolution du PNR en 2008, est minoritaire (8 députés sur 120 aux élections de 2015). Mais ses représentants sont au gouvernement à des postes clés, à commencer par son leader, Naftali Bennett, pour qui tout est dans la Bible. Ils participent donc activement au gouvernement des droites nationalistes et laïques pour refuser toute négociation sur Jérusalem, exclure toute possibilité de retour des réfugiés, développer une intense colonisation et rejeter l’idée même d’un État palestinien, sauf s’il ne s’agit que d’une entité politique dépourvue de souveraineté et de continuité territoriale.
Du côté palestinien, les deux principaux partis, le Hamas et le Fatah, en constante concurrence politique, sont incapables de trouver le chemin d’un gouvernement d’union nationale. S’ils se rejoignent pour exiger le retour des réfugiés et revendiquer Jérusalem-Est comme capitale de leur État, ils divergent sur l’étendue des concessions territoriales même si, sur ce point essentiel, les positions du Hamas ont évolué puisqu’il semble accepter désormais le principe des frontières de 1967.
En définitive, il s’agit donc bien d’abord d’un conflit politique opposant pour un même territoire deux nationalismes, même si leurs composantes religieuses ont pris une place importante qu’elles n’avaient pas il y a encore quelques années.