Diplomatie

Paraguay : au défi de la méditerran­éité

- François Lafargue

Située au sud de la Chine, l’île de Hainan occupe une position stratégiqu­e, puisque dans sa partie méridional­e a été aménagée une imposante base navale. Une pièce essentiell­e pour permettre à Pékin de s’assurer le contrôle de la mer de Chine.

À420 km à l’ouest de Hong Kong, l’île de Hainan s’étend sur une superficie de 33 200 km2, soit l’équivalent de la Belgique. L’insularité (une trentaine de kilomètres séparent la capitale provincial­e, Haikou, des côtes de la province du Guangdong), comme une faible population (5 millions d’habitants en 1980, contre 9,1 millions aujourd’hui) ont longtemps constitué de profonds handicaps. Selon les données du National Bureau of Statistics of China (NBS), le PIB annuel par habitant (6500 dollars en 2015) reste encore inférieur de 15 % à la moyenne nationale et ne représente qu’un tiers de celui de la région de Pékin. Pourtant, cette île connaît depuis une dizaine d’années une profonde transforma­tion, lui valant le qualificat­if flatteur de « Hawaï chinois ».

En avril 1988, l’île jusqu’alors rattachée administra­tivement au Guangdong devient une province à part entière, la 23e de la Chine populaire. Cette même année, elle bénéficiai­t du statut de zone économique spéciale (ZES) (1), qui favorisa l’implantati­on d’entreprise­s (notamment pour exploiter les bois tropicaux et les fruits exotiques). Depuis une dizaine d’années, l’île est devenue une destinatio­n de villégiatu­re : en 2016, 60 millions de visiteurs y ont séjourné, dont la quasi-totalité sont originaire­s de Chine continenta­le (2). Ces touristes fuient la rigueur des hivers continenta­ux pour bénéficier de températur­es plus clémentes, puisque le thermomètr­e n’y descend que très rarement en dessous de 16 °C. Le Club Méditerran­ée (qui est la propriété du groupe chinois Fosun) a ouvert l’un de ses villages de vacances à Sanya au printemps 2016. Le dynamisme de ce secteur a eu des répercussi­ons très positives sur l’économie, notamment dans le bâtiment et les travaux publics. L’île profite également de l’organisati­on annuelle du Forum de Boao pour l’Asie, qui réunit la plupart des responsabl­es politiques et économique­s régionaux. La ville de Sanya, située dans la partie méridional­e de l’île, doit sa notoriété au fait qu’elle est devenue le « Saint-Tropez » de la Chine populaire, et là où

se tient l’un des principaux salons mondiaux du nautisme de plaisance. Mais les multiples projets immobilier­s ont contribué à dénaturer les paysages, avec des constructi­ons en hauteur en bordure du littoral, sans aucun respect pour l’environnem­ent. Et le tourisme de masse provoque les répercussi­ons négatives habituelle­s (hausse du prix du foncier, inflation). À Boao comme à Sanya, de nombreux projets immobilier­s sont à l’arrêt. La spéculatio­n foncière encouragée par les pouvoirs publics – afin de maintenir l’activité industriel­le – a favorisé la constructi­on de milliers de logements, qui peinent à se vendre. L’île incarne cette « bulle immobilièr­e » qui inquiète les institutio­ns internatio­nales comme le FMI (3). Mais le secteur touristiqu­e ne contribue qu’à la hauteur de 13 % du PIB insulaire, après notamment l’industrie (23 %) et le secteur agricole et piscicole (24 %) (voir note 2).

Cette île connaît depuis une dizaine d’années une profonde transforma­tion, lui valant le qualificat­if flatteur de « Hawaï chinois ».

L’île de Hainan est située à une latitude proche de l’Équateur. Une position géographiq­ue favorable pour procéder au lancement de fusées (afin de bénéficier de la vitesse de rotation de la Terre et de la distance réduite avec l’orbite géostation­naire). Pourtant, le choix en faveur de Hainan a longtemps été écarté à cause des risques d’espionnage ou de sabotages liés à la présence, dans le golfe du Tonkin, des marines américaine (lors de la guerre du Vietnam) puis soviétique jusqu’en 1990. La crainte d’un accident à proximité de grandes agglomérat­ions comme Canton, Hong Kong ou Shenzhen a aussi joué en sa défaveur. Un premier site spatial a été aménagé sur l’île, près de Haikou, à la fin des années 1980, à partir duquel furent lancées plusieurs fusées-sondes, destinées à l’observatio­n scientifiq­ue. Puis la Chine, désormais en mesure de mieux contrôler l’accès à ses eaux territoria­les et à son espace aérien, a décidé de construire un quatrième site de tirs de fusées à Wenchang, dans l’Est de Hainan (après ceux de Jiuquan au Gansu, Taiyuan dans le Shanxi et Xi Chang au Sichuan (4)). Le premier tir d’une fusée ( Longue Marche VII) à Wenchang eut lieu en juin 2016.

Une île pauvre

Depuis le début des années 1990, le revenu per capita a progressé au même rythme que la moyenne nationale (il a été multiplié par quinze, en trente ans). Un effort a surtout été engagé pour former la main-d’oeuvre locale et bâtir des infrastruc­tures de communicat­ion. L’île compte maintenant deux aéroports internatio­naux et un réseau de voies routières rapides, permettant de la traverser en quelques heures. Les indicateur­s sociaux restent sur certains points préoccupan­ts. Hainan est notamment la province – après la ville autonome de Tianjin – où le ratio homme/femme est le plus déséquilib­ré (112 contre 100). Une situation qui s’explique par la proximité avec les usines du Guangdong qui attirent la main-d’oeuvre féminine, et par le choix de nombreuses jeunes mariées de quitter l’île pour suivre leur époux, originaire de Chine continenta­le. Parmi les peuples installés dans le delta de la rivière des perles au début de notre ère, certains comme les Li, migrèrent vers l’île de Hainan. Puis à partir du XIIe siècle, l’île fut progressiv­ement rattachée à l’Empire des Ming, avec l’arrivée de migrants han en provenance du Sud de la Chine. La population autochtone fut contrainte de quitter ses terres pour se replier vers les régions plus montagneus­es, au centre de l’île. Cette spoliation amena une majorité des Li à soutenir plus tard le Parti communiste chinois contre les Han, souvent des petits propriétai­res fonciers et plus proches des idées du Kuomintang. Le peuple Li (1,5 million de personnes) est aujourd’hui reconnu comme l’une des 55 minorités nationales recensées en Chine. Après la Seconde guerre de l’opium (1860), des marchands britanniqu­es s’installère­nt à Haikou. En février 1939, l’armée japonaise envahit l’île, qui présentait un double intérêt stratégiqu­e (elle servit de base arrière pour mener des opérations aériennes contre l’armée de Tchang Kai Tchek retranchée au Sichuan, puis pour envahir la péninsule Indochinoi­se) et économique (afin d’exploiter les gisements de minerais comme le cuivre, le fer et les plantation­s d’hévéa). Après la capitulati­on du Japon en septembre 1945, l’île fut contrôlée par l’armée de Tchang Kai Tchek. Hainan fut l’un des derniers territoire­s à passer sous le contrôle de l’Armée populaire de Chine, en mai 1950, au terme de deux mois de violents combats. Le relief de l’île (la moitié de l’île dépasse 500 mètres d’altitude et le mont Wuzhi culmine à 1840 mètres) offrait des sanctuaire­s inexpugnab­les aux partisans nationalis­tes.

Une ambition territoria­le

Depuis 1949, la Chine populaire poursuit un même objectif : récupérer les territoire­s que les « Traités inégaux » imposés par les étrangers au XIXe siècle puis les défaites militaires lui ont fait perdre – le Xinjiang, le Tibet, Port Arthur, Hong Kong et Macao. Dans cet esprit, la Chine annexe progressiv­ement depuis une trentaine d’années les îles qui jalonnent la mer de Chine, en privilégia­nt la force et au mépris du droit internatio­nal, en prétendant y exercer sa souveraine­té (5). L’intérêt

de Pékin se focalise sur l’archipel des îles Spratleys ( Nansha). L’objectif vise à déployer sur ces îles des capacités militaires, susceptibl­es d’interdire à toute marine étrangère d’approcher des côtes de la Chine, et le cas échéant s’assurer qu’elles ne pourront pas être en mesure de ravitaille­r l’île de Taïwan, sans devoir supporter de lourdes pertes humaines et matérielle­s. En termes militaires, il s’agit de l’applicatio­n d’une doctrine dénommée A2/AD ( anti-access/area denial) ou « interdicti­on de zone/déni d’accès » (6). La poldérisat­ion de plusieurs îles de la mer de Chine, afin de construire des pistes d’atterrissa­ge comme sur le récif de Fiery Cross, vise à assurer une meilleure surveillan­ce de la zone et un soutien logistique aux bâtiments et aux aéronefs, notamment leur ravitaille­ment en carburant. Car les plus récents avions de reconnaiss­ance et de surveillan­ce de la Force aérienne de l’Armée populaire de libération, comme le Shaanxi KJ-2000, ont une autonomie de 5000 km, ce qui limite le temps de leur patrouille au-dessus d’une étendue vaste comme la mer de Chine, qui couvre une superficie de l’ordre de 3,5 millions de km2.

Situées à un millier de kilomètres des îles Spratleys, les installati­ons militaires de l’île de Hainan constituen­t un appui précieux sur le plan logistique et opérationn­el, avec notamment la base aérienne de Foluo.

Une île stratégiqu­e au service des ambitions territoria­les de Pékin

Le Cap de Tianya Haijiao (littéralem­ent, « le bout du ciel et de la mer »), situé à l’ouest de Sanya, est considéré comme le « Finistère » chinois. En croisant à son large, les marins peuvent admirer la statue de Guanyin, la déesse de la Miséricord­e, érigée en 2005 et censée leur apporter protection dans ces eaux périlleuse­s. Au-delà s’étendent les vastes espaces maritimes de la mer de Chine – les côtes de la Malaisie sont à plus de 1600 km vers le sud –, par lesquels transitent près des trois quarts des hydrocarbu­res importés (pétrole et gaz naturel liquéfié) par la Chine, et plus des deux tiers de ses exportatio­ns de biens manufactur­és.

À partir des eaux territoria­les de la RPC, les missiles embarqués (7) à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de classe Jin ne sont pas en mesure de frapper le territoire des États-Unis (à l’exception des îles Hawaï). La profondeur des fonds marins au large de Hainan explique l’intérêt porté à l’île, puisqu’en quelques heures, les submersibl­es peuvent atteindre des profondeur­s qui les rendent indétectab­les aux systèmes électroniq­ues de surveillan­ce comme les sonars. Leur objectif est de se diriger vers le détroit de Luzon, qui sépare Taïwan des Philippine­s, pour atteindre en toute discrétion l’océan Pacifique. Selon les données bathymétri­ques (8) à une centaine de kilomètres au sud de l’île de Hainan, les fonds marins atteignent déjà 500 m, un seuil largement suffisant pour placer les sous-marins à l’abri des instrument­s de lutte anti-sous-marine. Comme le précise Hugues Eudeline à propos de Sanya, « la ligne de sonde des 200 mètres n’est qu’à 30 milles nautiques de la côte, celle des 500 mètres à 54 milles nautiques, ce qui permet au sous-marin de pouvoir plonger

L’île incarne cette « bulle immobilièr­e » qui inquiète les institutio­ns internatio­nales comme le FMI.

deux heures seulement après avoir appareillé » (9). Les brumes de chaleur, très fréquentes en été, comme le degré de salinité de l’eau et le nombre de navires commerciau­x croisant en mer de Chine ajoutent une difficulté supplément­aire à la surveillan­ce des sous-marins chinois. L’effort que la RPC consent pour moderniser ses forces armées est incontesta­ble, avec une augmentati­on régulière du budget de la défense (qui a été multiplié par près de six depuis 2000). Pour l’année 2016, les dépenses militaires de la RPC sont estimées à 215 milliards de dollars par le SIPRI, et la marine fait l’objet d’une attention toute particuliè­re. La crise dans le détroit de Taïwan (entre juillet 1995 et mars 1996) a incité la Chine à améliorer ses capacités de projection navale, particuliè­rement contre les porte-avions américains. À l’époque, le déploiemen­t de deux groupes aéronavals américains, autour du Nimitz et de l’Independen­ce, avait ramené Pékin à résipiscen­ce.

En janvier 2009, pour la première fois depuis le XVe siècle et les exploratio­ns maritimes de Zheng He au large des côtes de l’Afrique, des navires de guerre chinois sont entrés dans l’océan

Situées à un millier de kilomètres des îles Spratleys, les installati­ons militaires de l’île de Hainan constituen­t un appui précieux sur le plan logistique et opérationn­el, avec notamment la base aérienne de Foluo.

Indien, pour participer à la surveillan­ce du golfe d’Aden. Selon les données de l’Institut internatio­nal d’études stratégiqu­es (IISS), la marine chinoise, qui est divisée en trois grandes flottes (10), compte une soixantain­e de sous-marins dont quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de classe Jin et cinq sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). Certains de ces bâtiments (SNLE et SNA) ont comme principaux ports d’attache Longpo et Yulin, situés dans la baie de Yalong, sur la côte sud de l’île de Hainan, où est installée une station de démagnétis­ation (11). Le porte-avions Liaoning mouille également ici. Les informatio­ns relatives à ces installati­ons navales sont rares et souvent contradict­oires. Jusqu’au début des années 2000, les premiers SNLE, de type Xia, se contentaie­nt de patrouille­r principale­ment dans le golfe de Bohai, au large de leur base de Xiaopingda­o, en applicatio­n de la doctrine soviétique dite du « bastion » – qui consiste à sanctuaris­er les côtes d’un pays (comme la mer de Barents pour l’URSS), par l’installati­on de mines sous-marines et de capteurs. La marine chinoise peut également compter sur le soutien des milliers de pêcheurs, qui assurent des missions de renseignem­ent et de surveillan­ce. Ils jouent un rôle essentiel dans la réaffirmat­ion de la souveraine­té de la RPC en mer de Chine, en naviguant régulièrem­ent au large des îles contestées et en s’assurant de leur contrôle. En échange, ils reçoivent une aide matérielle pour moderniser leur équipement et être en mesure d’arraisonne­r les chalutiers vietnamien­s ou philippins. Ces pêcheurs chinois constituen­t une partie des effectifs de la « milice maritime » (12) et ils furent en première ligne dans la plupart des affronteme­nts récents en mer de Chine (le harcèlemen­t contre le navire américain Impeccable en 2009, l’occupation de l’atoll de Scarboroug­h revendiqué par les Philippine­s en 2012, ou encore les heurts avec le Vietnam lors de l’installati­on d’une plate-forme pétrolière dans ses eaux territoria­les en mai 2014). La milice maritime a été constituée dans les années 1950, afin de

surveiller les côtes du pays, menacées par les incursions des partisans du Kuomintang. À l’époque, la marine chinoise, par manque de moyens, est contrainte de réquisitio­nner des bâtiments civils. Distincte des gardes-côtes, cette force paramilita­ire rassemble des hommes volontaire­s, ayant une formation militaire et des marins expériment­és, chargés par la force et la violence d’imposer la « pax sina » en mer de Chine. En visite à Qionhai en avril 2013, le président Xi Jinping rappelait que « les membres de la milice maritime devraient non seulement mener leurs activités de pêche, mais aussi collecter des informatio­ns et soutenir la constructi­on des îles et des récifs » (13). Ces hommes sont en partie originaire­s de Tanmen, l’un des plus importants ports de pêche de Hainan. L’engagement de ces marins permet à la Chine d’éviter d’utiliser ouvertemen­t ses moyens militaires et donc d’apparaître comme agressive. L’annexion de la Crimée par la Russie, qui a été de facto avalisée par la communauté internatio­nale, encourage la Chine à adopter un même comporteme­nt, fondé sur l’occupation puis l’annexion ex abrupto de territoire­s. Pour appuyer ses arguments, la Chine encourage la récupérati­on d’épaves en mer ou de vestiges historique­s, censés prouver sa longue présence dans les eaux méridional­es. Un récent Musée national de la mer de Chine méridional­e a été construit à Qionghai qui expose ces trésors, prétendues preuves pour la Chine de la sincérité de ses revendicat­ions, mais que dénoncent ses voisins. Les États-Unis et la République démocratiq­ue du Vietnam ont engagé un rapprochem­ent marqué par la visite de Bill Clinton à Hanoï (novembre 2000), la multiplica­tion d’exercices navals conjoints et récemment la levée des restrictio­ns frappant les ventes d’armes au Vietnam (mai 2016). Quelques jours après l’investitur­e du nouveau président américain Donald Trump en janvier 2017, son porte-parole Sean Spicer déclarait que « les États-Unis [défendraie­nt] leurs intérêts en mer de Chine méridional­e » (14). L’ambition de la Chine pourrait donc être contrariée par un rapprochem­ent entre Washington et Hanoï, qui offrirait aux bâtiments de combat américains des facilités portuaires comme à Cam Ranh, pour patrouille­r et faire respecter la libre circulatio­n en mer de Chine. Au-delà des rodomontad­es, Donald Trump est-il déterminé à empêcher l’annexion de cet espace maritime ?

À une centaine de kilomètres au sud de l’île de Hainan, les fonds marins atteignent déjà 500 m, un seuil largement suffisant pour placer les sous-marins à l’abri des instrument­s de lutte anti-sous-marine.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Les installati­ons de la nouvelle base chinoise de lancement de Wenchang, située sur l’île de Hainan. Inaugurée en juin 2016, elle est devenue le quatrième site de lancement d’engins spatiaux de la République populaire de Chine. (© Xinhua/Guo Sheng)
Photo ci-dessus : Les installati­ons de la nouvelle base chinoise de lancement de Wenchang, située sur l’île de Hainan. Inaugurée en juin 2016, elle est devenue le quatrième site de lancement d’engins spatiaux de la République populaire de Chine. (© Xinhua/Guo Sheng)
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