Diplomatie

Le Laos va-t-il (peut-il) basculer définitive­ment dans la sphère géopolitiq­ue et géoéconomi­que chinoise ?

- Éric Mottet

De plus en plus présente au Laos, la Chine y renforce un partenaria­t multisécul­aire. Si cette coopératio­n est motivée de part et d’autre par des considérat­ions autant géopolitiq­ues qu’idéologiqu­es et économique­s, elle n’est pas dénuée de difficulté­s et surtout d’une asymétrie susceptibl­e, à l’avenir, d’en réduire la portée.

Que ce soit aux yeux de Pékin ou de Vientiane, la coopératio­n bilatérale sert des objectifs politiques et économique­s intérieurs et renforce la légitimité des régimes en place. Parmi les motivation­s chinoises, le Laos étant un pays frontalier, soulignons le fait que c’est un pivot géostratég­ique qui permet à la fois de pénétrer en direction de l’Asie du Sud-Est et de renforcer les interconne­xions routières et ferroviair­es de la région, à travers le projet des nouvelles routes de la soie. Par ailleurs, les ressources naturelles du Laos permettent à la Chine de répondre à ses importants besoins en lien avec son mode de développem­ent très énergivore. Enfin, Pékin voit à travers le renforceme­nt de sa coopératio­n avec le Laos le moyen de diminuer l’influence des pays voisins, notamment le Vietnam. Côté laotien, la Chine participe activement

au développem­ent économique du pays – et de ses élites politiques et économique­s – et soutient les dirigeants du Laos qui souhaitent échapper à un huis clos historique et géographiq­ue avec le Vietnam et la Thaïlande.

Accélérati­on de la coopératio­n tous azimuts avec la Chine

Le Laos a été pendant longtemps décrit comme un pays isolé. C’est en effet le seul pays de l’Asie du Sud-Est à ne pas avoir d’accès à la mer et c’est également le plus montagneux de la péninsule Indochinoi­se (Birmanie, Cambodge, Laos, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Vietnam). Néanmoins, sa position spécifique au coeur de la péninsule l’a fait bénéficier d’une situation dynamique de carrefour et d’activités prospères en tirant profit des réseaux d’échanges et de commerce qui, dès le premier millénaire de l’ère chrétienne, reliaient par de nombreuses routes caravanièr­es la Chine et l’Asie du Sud-Est. Les marchands chinois empruntaie­nt les routes commercial­es qui s’étendaient des frontières orientales du Tibet jusqu’aux provinces méridional­es de la Chine (Sichuan, Guizhou et Guangxi). Carrefour de commerce, le Muang Lan Xang ou Royaume du Million d’éléphants, connaît son apogée entre le XVe et le XVIIe siècle. L’arrivée des puissances occidental­es à la fin du XIXe siècle va bouleverse­r les équilibres régionaux et faire du Laos un territoire hautement stratégiqu­e, scellant le destin tragique d’un pays considéré alors par beaucoup comme un Shangri-La (1). Depuis une vingtaine d’années, la Chine s’est invitée au milieu des rivalités qui opposaient traditionn­ellement la Thaïlande au Vietnam pour le contrôle du Laos. Le pays est (re)devenu intéressan­t pour Pékin à partir du moment où il constituai­t un allié stratégiqu­e dans son projet visant à reprendre pied en Asie du Sud-Est, considérée comme son pré carré, conforméme­nt au système tributaire qui règlementa­it autrefois la région. Néanmoins, historique­ment, la Chine n’a jamais annexé ni dominé le Laos comme l’ont fait les autres voisins. En outre, depuis la création de la République démocratiq­ue populaire Lao (1975), les deux pays sont très proches sur le plan idéologiqu­e et politique. Cependant, pendant la guerre sinoviet-namienne (1979), la jeune RDP Lao dut faire le choix difficile de défendre la position du Vietnam (2) et de renoncer à l’amitié avec la Chine, avec qui les relations diplomatiq­ues furent de ce fait réduites, puis interrompu­es.

En réalité, si la Chine n’est pas totalement absente du Laos entre 1979 et 1989, notamment dès l’instaurati­on du Nouveau mécanisme économique ou NME (3) (1986), c’est la crise financière et économique de 1997 qui va permettre à Pékin de reprendre solidement pied au Laos. La période de turbulence­s que traverse la Thaïlande à la fin des années 1990, dont le Laos est très dépendant économique­ment, oblige Vientiane à chercher d’autres partenaire­s afin de diversifie­r les relations économique­s. Cette réorientat­ion stratégiqu­e économique internatio­nale va jouer en faveur de la Chine, qui accueille très favorablem­ent ce rapprochem­ent. Les visites des chefs d’État Khamtay Siphandone en Chine (juillet 2000) et Jiang Zemin au Laos (novembre 2000) ont confirmé l’intérêt grandissan­t que s’accordent les deux pays et constitué un point d’orgue dans le processus de normalisat­ion des relations diplomatiq­ues. Depuis, les visites des gouvernant­s dans les deux pays se succèdent à un rythme soutenu, ce que la presse écrite en langues lao et étrangère ( Vientiane Times) ne manque pas de souligner.

L’économie est bel et bien la pierre angulaire des relations sino-laotiennes. Les produits manufactur­és Made in

Le pays est (re)devenu intéressan­t pour Pékin à partir du moment où il constituai­t un allié stratégiqu­e dans son projet visant à reprendre pied en Asie du Sud-Est, considérée comme son pré carré.

China, moins chers que ceux venant du Vietnam et de Thaïlande, inondent les étals des marchés urbains et ruraux du Laos. Les compagnies chinoises, qu’elles soient privées ou étatiques, investisse­nt dans des secteurs économique­s clés tels que l’énergie (hydroélect­ricité), les ressources naturelles (minerais, bois, etc.), les cultures agro-commercial­es (hévéa, banane, etc.), les infrastruc­tures de communicat­ions (ponts, routes), le tourisme (hôtels, restaurant­s, casinos). Très présente dans le Nord-Laos, la Chine intervient également auprès de Vientiane pour prendre en main des plans de développem­ent, le Laos souhaitant bénéficier de l’expertise technique chinoise ; c’est notamment le cas pour la constructi­on du chemin de fer. Le régime de Vientiane suit attentivem­ent l’évolution du modèle de développem­ent chinois, dont il s’inspire fortement. Aux yeux des dirigeants laotiens, ce système offre les meilleures garanties de développem­ent économique et de stabilité politique. En outre, à bien des égards, Pékin est un allié peu regardant sur la politique intérieure menée par Vientiane, du moins, bien plus accommodan­t que les pays de l’Associatio­n des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), et ce, malgré le principe de non-ingérence prévalant au sein de cette institutio­n.

Incontesta­blement, la Chine bénéficie aujourd’hui d’un capital de sympathie, auprès des plus jeunes dirigeants laotiens en particulie­r, et de la population urbaine en général (dont les enfants étudient désormais en Chine). Ce n’est en revanche pas le cas auprès de la

majorité des étrangers vivant au Laos et d’une frange de la population laotienne pour qui la stratégie d’investisse­ments massifs, au mépris des équilibres locaux, est assimilée à du hard power, en d’autres termes à « une invasion chinoise ». En tout état de cause, le Laos a besoin de la Chine pour diversifie­r ses relations économique­s et géopolitiq­ues et contrebala­ncer ses deux autres voisins, la Thaïlande et le Vietnam. Bien que Vientiane entretienn­e des liens politiques et militaires privilégié­s avec Hanoï ainsi que des liens économique­s et culturels forts avec Bangkok, la Chine est aujourd’hui pour lui un partenaire incontourn­able.

Un territoire intégré au Belt and Road Initiative chinois

La constructi­on d’une ligne de chemin de fer (voie unique) est sans conteste l’investisse­ment le plus important de la Chine au Laos et marque l’intégratio­n pleine et entière de ce dernier à l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie » (BRI – Belt and Road Initiative) (4) par le début de la constructi­on du corridor indochinoi­s reliant la Chine à la Thaïlande à travers le territoire laotien. Le projet de près de 6 milliards de dollars s’étendra sur 414 kilomètres et devrait comprendre 32 gares (dont 21 opérationn­elles dès l’inaugurati­on), 75 tunnels (198 km) et 167 ponts (62 km) sur le chemin le plus direct en direction de Bangkok, via Nong Khai (Thaïlande) puis Kuala Lumpur (Malaisie) et Singapour, grâce à la constructi­on d’un TGV entre ces dernières. Une fois achevé, le Kunming-Vientiane permettra aux passagers et aux marchandis­es de faire le trajet en 6-7 heures, alors qu’il faut actuelleme­nt plusieurs jours par voie routière. La ligne de chemin de fer, doublée d’une autoroute, devrait être inaugurée en 2021. La constructi­on de la voie rapide autoroutiè­re, pour un coût de 1,2 milliard de dollars, entre Vang Vieng et Vientiane (113 km) par une coentrepri­se sino-lao débutera, elle, en 2018. Le corridor économique ferroviair­e traversant le Nord du Laos doit permettre, d’une part, de réduire les coûts du transport intra laotien, et, d’autre part, d’assurer le transport du fret entre les provinces chinoises de l’intérieur et les

Le régime de Vientiane suit attentivem­ent l’évolution du modèle de développem­ent chinois, dont il s’inspire fortement. Aux yeux des dirigeants laotiens, ce système offre les meilleures garanties de développem­ent économique et de stabilité politique.

marchés étrangers d’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Singapour, etc.). En effet, si l’avantage réel d’un train à grande vitesse traversant le Nord du Laos à près de 200 km/h (160 km dans les portions montagneus­es) n’apparaît pas évident à plusieurs observateu­rs, les doutes semblent moindres dans le cas du transport de marchandis­es entre le Laos et la Thaïlande, service ferroviair­e qui n’existe pas actuelleme­nt. La constructi­on en cours d’un terminal de conteneurs de 38 000 mètres carrés dans une zone adjacente aux installati­ons de la gare laotienne de Thanalaeng (7,5 km du centre de Vientiane) et la future mise en place d’un guichet unique permettent d’envisager une baisse importante des coûts de transport (de 30 % à 50 %) au départ du Laos – coûts très élevés, principale­ment routiers, qui rendent jusqu’à présent les produits laotiens peu compétitif­s par rapport à ceux de ses voisins. Les travaux vont bon train : près de 25 % seraient d’ores et déjà achevés, travaux effectués par des milliers d’ouvriers, principale­ment chinois.

Lors de sa visite officielle à Vientiane des 13 et 14 novembre 2017, le président

chinois Xi Jinping a affirmé sa volonté de construire une « communauté de destin d’importance stratégiqu­e » entre la Chine et le Laos, confirmant du même coup le changement de statut de Vientiane, devenu pour Pékin une pièce essentiell­e dans son initiative Belt and Road.

Des résistance­s au sein du Parti et de la société ?

Lors de la tenue du Xe Congrès du Parti unique (5) (janvier 2016), certaines dissension­s sont apparues au sein du Politburo, et ce malgré l’extrême opacité de la vie politique laotienne, alors même que le Parti utilise le congrès pour véhiculer une image de stabilité et de continuité politiques. Ces dissonance­s internes ont rapidement donné du grain à moudre aux défenseurs de la thèse de la rivalité entre la Chine et le Vietnam autour du Laos. En effet, au sein du Parti révolution­naire populaire lao (PPRL), la rivalité des frères communiste­s est souvent évoquée, entre une faction pro-vietnamien­ne d’un côté et une faction prochinois­e de l’autre. Beaucoup ont vu dans la nomination (6) de Bounnhang Vorachitt (président) et Thongloun Sisoulith (Premier ministre) la victoire de la faction pro-vietnamien­ne sur sa rivale prochinois­e, ou du moins, un rééquilibr­age stratégiqu­e en direction de Hanoï. Incontesta­blement, la montée en puissance de la présence économique et territoria­le chinoise, qu’elle soit étatique ou privée, a été grandement facilitée par le duo précédent (Choummaly Sayasone/Thongsing Thammavong), notamment à travers l’attributio­n de nombreuses concession­s et contrats d’exploitati­on des ressources naturelles, soulevant des inquiétude­s parmi l’élite dirigeante et la population. De plus, sur le modèle chinois, le gouverneme­nt laotien a multiplié l’ouverture de zones économique­s spéciales et spécifique­s (ZES) à proximité des frontières dans l’espoir de stimuler le développem­ent économique du pays en s’appuyant sur le dynamisme des pays limitrophe­s, dont la Chine. À dire vrai, les dirigeants seniors du Parti n’ont pas apprécié la politique menée par le duo Choummaly/Thongsing, particuliè­rement le rapprochem­ent tous azimuts avec la Chine. On l’aura compris, la politique menée au début des années 2010 a conduit à de fortes contestati­ons au sein du Parti ; le renouvelle­ment du Politburo a éteint les risques de conflits internes.

Pour preuve, le discours prononcé par le président sortant Choummaly Sayasone lors du Xe Congrès, faisant le bilan politique de son mandat, a donné lieu à un exercice d’autocritiq­ue sur les mesures prises en matière d’alliance stratégiqu­e. Que son mea culpa soit sincère ou de façade, Choummaly a rappelé qu’il fallait développer les relations traditionn­elles et la solidarité socialiste avec les amis stratégiqu­es, élément nécessaire, voire indispensa­ble pour la protection et le développem­ent du Laos. L’intensific­ation des « réunions de travail » bilatérale­s entre le Laos et le Vietnam, dans les mois qui ont précédé la tenue du Xe Congrès, a confirmé que les deux pays peuvent compter sur une loyauté mutuelle. Les Vietnamien­s s’assurent la pérennité du PPRL et du régime à travers la visite continuell­e de conseiller­s dans l’ensemble des ministères laotiens dans le but d’améliorer à la fois les capacités de l’État et l’assise économique du pays. À son tour, le Laos garantit à Hanoï son périmètre de sécurité en direction de l’ouest et des opportunit­és d’affaires. Pour autant, le poids de la Chine au Laos augmente, inexorable­ment, et rien n’indique que la jeune génération amenée à prendre le pouvoir au sein du Parti ne préfèrera pas la Chine au Vietnam, d’autant qu’une portion de plus en plus importante de ces derniers est désormais formée à l’École centrale du Parti à Pékin.

Le corridor économique ferroviair­e traversant le Nord du Laos doit permettre, d’une part, de réduire les coûts du transport intra laotien, et, d’autre part, d’assurer le transport du fret entre les provinces chinoises de l’intérieur et les marchés étrangers d’Asie du Sud-Est.

La « relation spéciale » avec le Vietnam est-elle en danger ?

Assurément, la « lutte de 30 ans » contre les « impérialis­tes » français, puis américains, a renforcé la « relation spéciale » entre les dirigeants communiste­s des deux pays. La forte implicatio­n des troupes du Vietminh au Laos s’explique alors par le fait que le Nord-Vietnam souhaite sécuriser les 2069 km de frontières communes avec le Laos, notamment l’accès à la piste Hô Chi Minh, primordial­e dans la réussite de ses opérations militaires.

Après la prise de pouvoir par le Pathet Lao – plaçant du même coup le Laos dans le camp socialiste –, la dépendance envers le Vietnam s’accroît. Le Laos compte sur le « grand frère vietnamien » pour assurer sa sécurité et disposer d’une aide budgétaire et technique importante (aides apportées par l’URSS jusqu’en 1989). Les liens très étroits entre les nouveaux dirigeants laotiens et leurs compagnons d’armes vietnamien­s sont consolidés, les cadres dirigeants étant formés et encadrés par les idéologues du Parti communiste vietnamien. Grâce à ce flux continu « d’étudiants », le Vietnam parvient à maintenir sa proximité avec les dirigeants et cadres lao – ce qui est encore le cas avec les dirigeants, hauts fonctionna­ires et étudiants actuels.

La déclaratio­n d’amitié signée le 18 juillet 1976 entre les deux gouverneme­nts a ouvert la voie à une coopératio­n multiforme confirmée par le traité signé le 18 juillet 1977 (7). D’une durée de 25 ans, puis tacitement reconduit tous les dix ans (Article 7), ce qui a été fait en 2002 et 2012, ce dernier se concentre sur la solidarité militaire, le développem­ent économique et les échanges commerciau­x. Au-delà de cette coopératio­n, les affaires intérieure­s du Laos sont étroitemen­t suivies dans les plus hautes sphères du pouvoir à Hanoï. Il faut en effet comprendre que le Vietnam perçoit le Laos (et le Cambodge) comme faisant partie de sa zone stratégiqu­e de sécurité. Effectivem­ent, si le gouverneme­nt laotien venait à vaciller, le régime de Hanoï serait lui-même en danger.

Dans le cadre de cette amitié spéciale, sont favorisés les investisse­ments principale­ment dirigés vers les secteurs stratégiqu­es de l’économie laotienne (agricultur­e, énergie, ressources naturelles, infrastruc­tures). Cette coopératio­n économique entre les deux pays s’accompagne de l’arrivée de nombreux travailleu­rs et touristes vietnamien­s dont la circulatio­n a été grandement facilitée par la signature en 2004 d’un accord bilatéral de libre circulatio­n des personnes (exemption de visa pour 30 jours). Le secteur bancaire est également concerné depuis quelques années, d’une part, avec la création de banques en co-entreprise ( joint-venture) telles que la Lao-Viet Bank, et d’autre part, avec l’implantati­on de banques commercial­es vietnamien­nes (8), dans le cadre d’un accord de collaborat­ion entre les banques centrales des deux pays (mars 2000).

Dans un contexte d’intégratio­n régionale, les liens très forts entre les deux pays concernent également des intérêts économique­s et stratégiqu­es, le Vietnam comptant bien profiter de sa « relation spéciale » avec le Laos pour saisir les opportunit­és économique­s.

Vers une rupture ou une continuité de la diplomatie laotienne d’équilibre des puissances ?

Le territoire laotien constitue l’un des pivots géographiq­ues de l’Asie orientale. Quand on regarde la carte, le Laos apparaît en effet comme un noeud géostratég­ique entre le monde chinois et l’Asie du Sud-Est péninsulai­re, ce qui peut se révéler parfois inconforta­ble. Le Laos ne peut – et n’a pu durant son histoire – négliger ses trois grands voisins, ni leur montée en puissance respective sur la scène régionale. Face aux ambitions de Bangkok, d’Hanoï et surtout de Pékin, le Laos peut paraître vulnérable. Il est souvent vu comme le prolongeme­nt territoria­l des pays frontalier­s, une réserve de ressources permettant le développem­ent économique des puissances régionales. Il n’empêche que Vientiane offre une résistance aux tentatives de prise de contrôle du territoire par la Thaïlande et le Vietnam hier, la Chine aujourd’hui et sans doute demain. Le gouverneme­nt laotien semble parfaiteme­nt conscient de l’intérêt stratégiqu­e que constitue son territoire et se montre tout à fait capable de négociatio­ns diplomatiq­ues et financière­s avec ses puissants voisins. Il joue habilement de sa position de balancing (équilibrag­e), utilisant par exemple les ambitions de la Chine sur ses ressources pour contrebala­ncer l’exploitati­on unilatéral­e des ressources laotiennes par des hommes d’affaires thaïlandai­s peu scrupuleux (bois, mines). De même, Vientiane utilise le poids de la Chine, et la crainte que cela éveille au Vietnam, pour contraindr­e Hanoï à investir massivemen­t, et ainsi lui permettre de garder sa place d’investisse­ur majeur au Laos (la Chine est devenue le premier investisse­ur en 2014, détrônant ainsi le Vietnam). Le Laos et sa population se montrent également capables d’offrir des résistance­s antichinoi­ses (mise en place de moratoires), freinant ainsi

Le gouverneme­nt laotien semble parfaiteme­nt conscient de l’intérêt stratégiqu­e que constitue son territoire et se montre tout à fait capable de négociatio­ns diplomatiq­ues et financière­s avec ses puissants voisins.

la poussée chinoise à travers son territoire et ses ressources. En fin de compte, le nationalis­me laotien, savamment entretenu par Vientiane, permet de maintenir une certaine autonomie vis-à-vis des pays voisins. L’arrimage géopolitiq­ue du Laos dans son voisinage régional reste une priorité, mais Vientiane opte dans le même temps pour une coopératio­n de plus en plus nourrie avec d’autres partenaire­s plus lointains (autres membres de l’ASEAN, Japon, Corée du Sud, Inde, Russie, etc.). Il n’en demeure pas moins que, comme dans bien des pays, la Chine expériment­e au Laos depuis près de vingt ans ses stratégies de hard et soft power, en investissa­nt des sommes importante­s dans de grands projets, ouvrant un institut Confucius et développan­t les échanges culturels, en plus des liens économique­s et commerciau­x de plus en plus solides. Les succès sont importants, même si les résistance­s restent réelles, preuve que la Chine ne doit pas uniquement compter sur les moyens dont elle dispose, mais les accompagne­r d’une stratégie à la fois souple et adaptée aux attentes, particular­ités et aspiration­s du Laos et de sa population. La stratégie d’investisse­ments massifs au Laos, au mépris des équilibres locaux et du respect de la souveraine­té de Vientiane, est incontesta­blement payante pour Pékin, mais pourrait être assimilée à un hard power plus qu’à un soft power. La Chine est en position de force au Laos, tout comme dans l’ensemble de l’Asie du SudEst, mais elle n’est pas seule, et si elle ne parvient pas à apaiser les craintes qu’elle suscite auprès d’une partie de la classe politique et de la population laotienne, elle pourrait voir son influence stagner, voire se réduire au profit d’autres acteurs. Les investisse­ments massifs opérés par la Chine sur le territoire laotien, notamment dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », s’insèrent dans une géopolitiq­ue des provinces en marge de son territoire et des pays voisins. D’une part, Pékin concrétise sa stratégie consistant à reconnecte­r la province du Yunnan à son prolongeme­nt indochinoi­s, faisant passer son positionne­ment territoria­l de « périphérie » à « centre », ou encore celle de faire de la province un pont entre la Chine et l’Asie du Sud-Est. D’autre part, Pékin veut faire du Laos (et de la péninsule Indochinoi­se) une voie de passage stratégiqu­e en direction des mers du Sud, et une éventuelle alternativ­e au transport maritime via les nouvelles infrastruc­tures de transport terrestres. À la lumière de ces investisse­ments massifs, sur le plan financier et humain, on est interpellé par la prudence de certains observateu­rs qui, à propos des rapports entre la Chine et le Laos, nous rappellent les menaces d’une relation séculaire

Le Vietnam perçoit le Laos (et le Cambodge) comme faisant partie de sa zone stratégiqu­e de sécurité. Effectivem­ent, si le gouverneme­nt laotien venait à vaciller, le régime de Hanoï serait lui-même en danger.

déséquilib­rée, voire tributaire. Elle soulève avec acuité la question des bénéfices réels pour le Laos, et sa population, de cette nouvelle ère de coopératio­n avec la Chine.

Sur le plan régional, les investisse­ments massifs opérés par la Chine sur le territoire laotien retiennent le Laos de prendre position sur des enjeux opposant la Chine à certains partenaire­s de l’ASEAN, dont les disputes en mer de Chine méridional­e, ce qui réduit la marge de manoeuvre géopolitiq­ue de Vientiane au sein de l’associatio­n, mais aussi vis-à-vis de la communauté internatio­nale. En d’autres termes, au Laos de veiller à ne pas se faire écarteler par la Chine et de réussir à tirer profit de sa position géostratég­ique en équilibran­t les alliances entre pays voisins et d’autres acteurs plus lointains. Les pays de la péninsule Indochinoi­se, Laos en tête, sont animés d’une volonté de constituer des partenaria­ts de coopératio­n stratégiqu­e et de maintenir un équilibre dans leurs relations bilatérale­s, et ce, malgré l’importante poussée multiforme de la Chine.

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Photo ci-contre : Des travailleu­rs laotiens récoltent des galets sur un site d’extraction de sable le long du Mekong, à Vientiane. La portion laotienne du Mékong est creusée sans relâche pour fabriquer le ciment nécessaire au marché de la constructi­on, en plein boom dans la capitale grâce aux financemen­ts et entreprise­s chinoises. Mais ce dragage détruit peu à peu le cours d’eau, source de revenus vitale pour des centaines de milliers de pêcheurs et paysans dans un pays très touché par la pauvreté en dépit des importante­s ressources naturelles dont il dispose. (© Lillian Suwanrumph­a/AFP)
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