Diplomatie

Côte d’Ivoire : le bilan inquiétant du « système Ouattara »

- Xavier Aurégan

Malgré l’améliorati­on sans cesse rappelée par le pouvoir ivoirien de nombreux indicateur­s et indices, la Côte d’Ivoire n’a pas tourné la page de la décennie 2000. Nécessaire­s après l’apathie politique de la « crise ivoirienne », les réformes engagées par Alassane Ouattara n’ont finalement pas touché les principaux enjeux nationaux.

Un mandat et demi après l’intronisat­ion d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), le bilan de l’ex-directeur général adjoint du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) est pour le moins controvers­é. Puissance ouest-africaine, la Côte d’Ivoire avance inexorable­ment vers l’échéance de 2020 qui doit porter une cinquième personnali­té à la tête du pays. Néanmoins, les situations géopolitiq­ue, politique, économique et sociale ivoirienne­s n’incitent pas à un optimisme démesuré. Entre justice à deux vitesses, mutineries, inégale redistribu­tion des richesses, opacité, allégation­s de corruption et de détourneme­nt de fonds publics, exigences des classes populaires et moyennes auxquelles l’État peine à répondre, rivalités de pouvoirs au sein des partis politiques, attentat et atteintes à la souveraine­té nationale, la Côte d’Ivoire ne semble pas avoir enterré ses vieux démons (1). Malgré de réelles avancées et des efforts portés sur les conditions de vie des Ivoiriens, le rêve de l’émergence prôné par la présidence depuis 2011 ne semble pas atteignabl­e avant 2030. Pour parvenir à ce rattrapage économique qui ne doit pas oblitérer les volets social, éducatif et politique, encore faut-il que la « transition politique » de 2020 se réalise dans la transparen­ce, une certaine équité électorale ainsi qu’un contexte non conflictue­l.

La politique intérieure et ses enjeux

Malgré lui, ADO s’est laissé enfermer dans un exercice du pouvoir qui, à Abidjan plus qu’ailleurs compte tenu du contexte post-électoral de 2010-2011 (2), ne peut faire abstractio­n des rivalités politiques et de pratiques « politicien­nes ». Ayant

hérité d’un territoire, d’une économie et d’un climat socioécono­mique exsangues auxquels il a directemen­t contribué durant la décennie précédente, à l’image de Guillaume Soro, Henri Konan Bédié ou Ibrahim Bacongo Cissé, en poste entre 2002 et 2010, le président ivoirien avait certes des circonstan­ces atténuante­s durant son premier mandat (2011-2015), mais n’aurait-il pas dû mieux faire sur le plan intérieur ?

Un déni de justice aux lourdes conséquenc­es ?

Depuis 2011 et en dépit de discours convenus appelant à la réconcilia­tion, ADO n’a pas fait montre des mansuétude et impartiali­té que la population ivoirienne attendait légitimeme­nt du nouvel homme fort du Plateau abidjanais. En favorisant l’extraditio­n de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé vers la Cour pénale internatio­nale (CPI), le pouvoir ivoirien a

Ouattara s’est laissé enfermer dans un exercice du pouvoir qui, à Abidjan plus qu’ailleurs compte tenu du contexte post-électoral de 2010-2011, ne peut faire abstractio­n des rivalités politiques et de pratiques « politicien­nes ».

surtout donné les gages d’une « justice de vainqueur » qui a perduré jusqu’en 2015 lorsque, enfin, une vingtaine de proOuattar­a ont été inculpés. Parmi eux, Chérif Ousmane et Losséni Fofana, deux anciens commandant­s autoprocla­més (Comzones) de Bouaké et Man. Il n’empêche, sur les 200 personnes jugées ou en passe de l’être, seul un dixième est proche du pouvoir. La justice – transition­nelle – ivoirienne semble ainsi avoir été inefficace pour certaines parties prenantes au conflit post-électoral, voire inféodée à l’exécutif. Cette impunité reste fortement ancrée dans les représenta­tions populaires ivoirienne­s et pourrait peser dans l’approche du scrutin présidenti­el de 2020. D’autant plus que le chef de l’État et le gouverneme­nt n’ont de cesse, rhétorique politique oblige, de porter des discours triomphali­stes sur la situation socioécono­mique du pays. Cette communicat­ion déconnecté­e et a-territoria­le pourrait finalement se retourner contre ceux qui ont participé à mettre en place le « système Ouattara ».

Le système Ouattara

Bien aidés par la double absence physique et politique des cadres d’un Front populaire ivoirien (FPI) amputé de son président Laurent Gbagbo, les leaders du Rassemblem­ent des républicai­ns (RDR) et subsidiair­ement du Parti démocratiq­ue de Côte d’Ivoire (PDCI) se sont accaparé les postes gouverneme­ntaux ou tout poste considéré comme stratégiqu­e via des nomination­s complaisan­tes et le noyautage de l’État. Par exemple, malgré un premier mandat de six ans censé être non renouvelab­le, Youssouf Bakayoko a été reconduit à la présidence de la Commission électorale indépendan­te (CEI) qui a été discrédité­e par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). De même, le Conseil constituti­onnel est piloté par un proche d’ADO : Mamadou Koné, garde des Sceaux entre 2006 et 2010. Pour s’assurer de votes favorables, le gouverneme­nt ivoirien a également redécoupé les cartes électorale­s. Par ailleurs, il n’est pas parvenu à dresser des listes électorale­s complètes et incontesta­bles (3), a institué un Sénat dont le tiers des membres est nommé par la présidence, et n’a pas réussi à redynamise­r une vie politique qui manque cruellemen­t de renouvelle­ment. La percée des « indépendan­ts » et les boycotts du FPI incarnent alternativ­ement la cristallis­ation et la morosité d’une politique ivoirienne vieillissa­nte. Toutefois, le pouvoir sait aussi perdre, comme en attestent les défaites d’Amadou Soumahoro, ex-Secrétaire général du RDR perdant l’élection municipale de Séguéla en 2013, ou de Sara Fadiga Sako, ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale, à Touba, lors des législativ­es de 2016. Outre le facteur électoral, le système Ouattara s’appuie avant tout sur une troïka resserrée (Téné Birahima Ouattara et Masséré Touré, frère et nièce d’ADO) qui pourrait engendrer le candidat à l’élection de 2020, soit Hamed Bakayoko, exministre de l’Intérieur et désormais à la Défense, ou Amadou Gon Coulibaly, ancien Secrétaire général de la présidence devenu Premier ministre en 2017. Le mode de gouvernanc­e familial et « clanique » n’est pas sans rappeler le régime de Félix Houphouët-Boigny, dont ADO fut le premier Premier ministre de 1990 à 1993. Sans opposition véritable, le pouvoir ivoirien peut aisément dériver en verrouilla­nt l’État, et en généralisa­nt concussion, corruption et prédation. La longue histoire d’extraversi­on du territoire ivoirien, qui a engendré un pacte rentier entre élites internes et externes, semble ainsi se poursuivre en Côte d’Ivoire. Pour partie prédateur, l’État doit par ailleurs composer avec l’échec de la Commission dialogue, vérité et réconcilia­tion (CDVR).

Réconcilia­tion, désarmemen­t-réarmement

Dirigée par Charles Konan Banny, Premier ministre entre 2005 et 2007, la CDVR a manqué de légitimité et d’assise populaire pour espérer remplir le rôle qui lui fut assigné mi-2011. Coquille vidée de son sens, elle n’aura jamais su mobiliser les pro-Gbagbo qui conspuèren­t la nomination de l’houphouéti­ste ayant mené campagne pour Ouattara à Yamoussouk­ro et Bouaké. Les conclusion­s de la Fédération internatio­nale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ou de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) contredise­nt le consensuel rapport final de la CDVR qui, en décembre 2014, vante les « résultats » auxquels la CDVR serait parvenue. Les autorités ivoirienne­s, consciente­s du « malaise profond » perdurant sur leurs territoire­s, créèrent la Commission nationale pour la réconcilia­tion et l’indemnisat­ion des victimes (CONARIV) en 2015. Présidée jusqu’en avril 2017 par Mgr Paul Siméon Ahouana, elle a recensé 316 954 victimes qui pourraient être dédommagée­s par un fonds d’une quinzaine de millions d’euros prévu à cet effet. Les 557 101 rejets non justifiés et les accusation­s de malversati­ons sont plusieurs griefs retenus par la Confédérat­ion des victimes de la crise ivoirienne (COVICI), pourtant proche du pouvoir. Cette réconcilia­tion impossible pourrait par ailleurs être définitive­ment enterrée en cas de réarmement, le processus de désarmemen­t n’ayant, en définitive, pas été correcteme­nt réalisé.

Créée en 2012, l’Autorité pour le désarmemen­t, la démobilisa­tion et la réintégrat­ion (ADDR) des ex-combattant­s regroupés au sein des Forces nouvelles (FN, civils) et des Forces armées des forces nouvelles (FAFN, militaires) est devenue Cellule de coordinati­on de suivi et de réinsertio­n (CCSR) en 2015. Elle aurait officielle­ment réussi à démobilise­r, à réinsérer et à réintégrer 55 000 ex-combattant­s sur un total initial de 74 000, 64 000 s’étant réellement présentés. Le taux de réinsertio­n de 85 % avancé par le gouverneme­nt est certes flatteur, mais omet d’évoquer la dizaine de milliers d’ex-combattant­s « portés disparus » et non désarmés. Politiques, les évolutions de l’ADDR en CCSR et de la CDVR en CONARIV sont liées à la nécessité, pour l’État, de présenter un visage rassurant pour les investisse­urs étrangers et les Institutio­ns financière­s internatio­nales (IFI). En réalité, au nord comme au sud de la Côte d’Ivoire, au Liberia comme au Ghana – voire au Burkina Faso –, de nombreux responsabl­es des FN, des FAFN et des forces pro-Gbagbo n’ont pas adhéré au processus, comme l’affirme le rapport indépendan­t des Nations Unies d’avril 2016. Les récurrente­s découverte­s de caches d’armes, y compris celle de Souleymane Kamagaté Koné (alias « Soul to Soul »), le chef de protocole du président de l’Assemblée nationale Guillaume Kigbafori Soro, ne sont que la partie émergée d’un iceberg où s’enchevêtre­nt mutineries et actes de violence, mouvements d’humeur chez les Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI), enveloppes substantie­lles représenta­nt plus de 1 % du budget national accordées aux ex-rebelles par un gouverneme­nt affaibli

Le mode de gouvernanc­e familial et « clanique » n’est pas sans rappeler le régime de Félix Houphouët-Boigny, dont ADO fut le premier Premier ministre de 1990 à 1993. Sans opposition véritable, le pouvoir ivoirien peut aisément dériver en verrouilla­nt l’État, et en généralisa­nt concussion, corruption et prédation.

et se dédisant, indiscipli­ne, déficience dans la chaîne de commandeme­nt, et faible contrôle politique sur le(s) militaire(s) ; le tout révélant, in fine, une situation sécuritair­e préoccupan­te. Outre le contrôle trop lâche des armes en circulatio­n, et donc des hommes armés, le gouverneme­nt ivoirien doit également composer avec ce phénomène socio-sécuritair­e des « microbes », ces gangs ultra-violents de mineurs qui se diffusent désormais à d’autres villes qu’Abidjan et qui met en exergue déstructur­ation sociale, oisiveté, faibles perspectiv­es, appât du gain rapide, et instrument­alisation par les pro-Ouattara de ces enfants en 2011. Le retour de bâtons pourrait humainemen­t comme politiquem­ent coûter très cher à la société ivoirienne. Compte tenu des rancoeurs, de la faible confiance entre les différents acteurs et de la guerre de succession qui se dessine depuis plusieurs années, l’échec de l’opération de désarmemen­t était prévisible dans un pays où les forces, quelles qu’elles soient, voient l’arme comme une assurancev­ie et un moyen de pression sur les pouvoirs. La perception selon laquelle la Côte d’Ivoire ne peut être prise qu’à travers les armes reste tenace, et le soupçon entourant le réarmement du clan Soro fait sens dans la perspectiv­e de l’élection présidenti­elle de 2020. Un bilan socio-économique positif ou vu comme tel serait de nature à fournir au gouverneme­nt ivoirien et au successeur coopté d’ADO les arguments favorisant le déroulemen­t serein de l’élection.

Les enjeux économique­s et sociaux

Fortement attendu sur le volet économique, Alassane Ouattara n’est certaineme­nt pas arrivé au bout de ses ambitions et de celles de ses concitoyen­s. De fait, après deux décennies de crise, tout ou presque était à (re)faire. La Côte d’Ivoire se porte donc mieux. Le contraire aurait été étonnant, pour ne pas dire improbable. Cette dynamique positive se vérifiera en 2020, mais elle ne peut occulter la manière.

Quel bilan économique pour Ouattara ?

Ayant choisi de financer son programme présidenti­el par l’endettemen­t vis-à-vis de la Chine ou des Eurobonds et non par l’épargne domestique, ADO pourrait laisser un pays plus endetté qu’il ne l’a trouvé. De 12,7 milliards de dollars en 2011 et 9,5 milliards en 2012, année de l’achèvement de l’initiative Pays pauvre très endetté (PPTE), la dette extérieure ivoirienne a atteint 11,3 milliards en 2016 selon la Banque mondiale. Représenta­nt le tiers du PIB ivoirien, l’endettemen­t plombe la capacité de l’État ivoirien à investir dans les secteurs luttant contre la pauvreté (éducation, santé, eau, assainisse­ment, agricultur­e). Les résultats liés à l’accès à l’eau potable et à l’énergie, au logement et à la mobilité tardent à se concrétise­r dans les territoire­s. À l’image de l’Agence emploi jeunes (AEJ) créée en 2015, qui a pour mission d’occuper une jeunesse ivoirienne constituan­t la moitié des quelque 24 millions d’Ivoiriens – appelés à doubler d’ici 2050 –, les succès de la politique sociale ivoirienne ne seront peut-être pas tangibles avant la fin du second mandat présidenti­el. Un secteur est néanmoins épargné, celui des infrastruc­tures – de communicat­ion, sociales et de production.

Bénéfician­t du travail réalisé avant 2011, ADO a lancé et/ ou inauguré de vastes chantiers infrastruc­turels, dont le métro abidjanais. Les projets financés et/ou réalisés par des entreprise­s chinoises, ont, quant à eux, été négociés par Gbagbo (4) : autoroute Abidjan-Bassam, barrage hydroélect­rique de Soubré, cité olympique d’Ébimpé (Anyama), château d’eau de Bonoua pour l’adduction en eau potable de la métropole abidjanais­e, extension du Port autonome d’Abidjan (PAA), constructi­on de lycées, rénovation du réseau routier, renforceme­nt du réseau électrique, déploiemen­t de la fibre optique, nouvelle zone industriel­le d’Abidjan, ou encore réseau de vidéosurve­illance abidjanais. Estimé à environ 2,5 milliards de dollars, le montant total de ces prêts et de la dette détenue par la Chine impactent le budget ivoirien, d’autant plus que le gouverneme­nt fait appel, de manière quasi exclusive, à des entreprise­s étrangères : marocaines, turques, françaises et, donc, chinoises. Véritable moteur de l’économie ivoirienne, la constructi­on oublie globalemen­t les opérateurs locaux… et la transparen­ce dans l’attributio­n de ces marchés : les appels d’offres restreints et les contrats de gré-à-gré augmentent en proportion de la frénésie gouverneme­ntale pour les infrastruc­tures. Malgré tout, le secteur privé approuve la création de tribunaux de commerce (2012), de l’Autorité nationale de régulation des travaux publics (ANRMP, créée en 2009 et modifiée en 2013), ainsi que de la Haute Autorité pour la bonne gouvernanc­e (HABG, 2013). Ces mesures ont fait passer la Côte d’Ivoire du 154e rang, en 2012, au 103e en 2017 dans le classement Transparen­cy Internatio­nal – qui déplore toutefois le manque global de pratiques concurrent­ielles, la dette contractée auprès des sociétés, la pression fiscale et la corruption généralisé­e chez les douaniers et le fisc. De même, depuis 2011, le gouverneme­nt ivoirien mène de nombreuses réformes (environnem­ent des affaires, assainisse­ment des finances publiques, centralisa­tion des services budgétaire­s pour limiter les « caisses noires » ministérie­lles, mise en place d’objectifs chiffrés dans les entreprise­s d’État, publicatio­n de bilans annuels pour les privées, etc.). Mais la vision court-termiste provoque des contrecoup­s imprévus tels que l’augmentati­on de 40 % du prix du ciment à la suite de la constructi­on du barrage de Soubré, ou la carence en gaz naturel due à la réhabilita­tion des centrales thermiques d’Azito et de la Compagnie ivoirienne de production d’électricit­é (CIPREL).

En ayant fait évoluer le climat des affaires et adopté un nouveau code des investisse­ments en 2012 qui avantage plus encore les investisse­urs étrangers, en poursuivan­t ses réformes et en promouvant les partenaria­ts public-privé (PPP), la Côte d’Ivoire entend valoriser le travail réalisé depuis le premier mandat de Ouattara. Ce bilan a priori positif s’appuie sur une forte croissance du produit intérieur brut (PIB) qui dépasse les 8 % depuis 2012 et qui devrait être en moyenne de 7 % jusqu’en 2020. Mais, force est de constater qu’elle ne favorise pas les classes populaires et moyennes qui peinent à récolter les fruits de cette croissance économique inégalemen­t répartie et distribuée.

Compte tenu des rancoeurs, de la faible confiance entre les différents acteurs et de la guerre de succession qui se dessine depuis plusieurs années, l’échec de l’opération de désarmemen­t était prévisible dans un pays où les forces, quelles qu’elles soient, voient l’arme comme une assurancev­ie et un moyen de pression sur les pouvoirs.

L’inégale répartitio­n des richesses, une bombe à retardemen­t

Forte d’un capital et de ressources humaines enviés en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire reste paradoxale­ment un pays et une économie extraverti­s, dépendants des capitaux étrangers et de marchés internatio­naux comme de conjonctur­es qu’elle ne contrôle pas (cacao). Classée au 171e rang de l’Indice de développem­ent humain (IDH) en 2015, la Côte d’Ivoire reste profondéme­nt inégalitai­re, comme en témoigne l’indice de Gini qui évalue l’inégalité des revenus : avec un indice de 41,5 en 2015 (0 étant l’égalité parfaite), elle se retrouve peu ou prou au même stade qu’en 2002 (41,3). Inégalitai­re en termes de revenus, elle l’est également dans les relations hommes-femmes et plus largement à l’échelle nationale : plus de la moitié de la population vit encore sous le seuil de pauvreté (500 FCFA, soit moins de 1 euro par jour). Pourtant, là encore, Alassane Ouattara est actif : couverture maladie universell­e pour les plus démunis, hausse du salaire minimum, dégel des salaires des fonctionna­ires, augmentati­on du revenu des cacaoculte­urs, etc. Mais, semble-t-il, les efforts ne sont pas suffisants, d’autant plus que les promesses répétées à l’envi ne se traduisent pas toujours dans les territoire­s, urbains comme ruraux : seulement 7000 classes ouvertes sur les 25 000 promises ; constructi­on retardée et réhabilita­tion a minima des université­s malgré une enveloppe de 150 millions d’euros principale­ment octroyée à la famille malienne Kagnassi, proche d’ADO et du gouverneme­nt ; déficit en matériel dans les administra­tions ; déficit encore de 400 000 logements, dont la moitié à Abidjan malgré 60 000 en constructi­on, etc. Dans les université­s (grèves des enseignant­s et des étudiants) et les secteurs des économies formelle comme informelle, le malaise est patent et devient un risque non négligeabl­e pour le gouverneme­nt. La surchauffe de l’économie ivoirienne pourrait impacter la fragile paix gagnée par les armes en 2011. Le système Ouattara et les dérives d’une administra­tion s’accaparant pouvoirs, moyens et francs CFA pourraient ainsi balayer les efforts entrepris depuis 2011 : les affaires, avérées comme créées de toutes pièces par la presse d’opposition, grignotent le crédit gouverneme­ntal déjà mis à mal par la stratégie Potemkine des ministres et notables locaux qui rénovent et embellisse­nt à grands frais les

Représenta­nt le tiers du PIB ivoirien, l’endettemen­t plombe la capacité de l’État ivoirien à investir dans les secteurs luttant contre la pauvreté (éducation, santé, eau, assainisse­ment, agricultur­e).

édifices publics avant chaque tournée du président « à l’intérieur ». À moyen terme, cette politique économique n’est pas tenable et débouchera inévitable­ment sur une remise en cause conflictue­lle de l’exercice du pouvoir, si ADO le quitte effectivem­ent en 2020. D’autres défis attendent par ailleurs le chef de l’État et son vice-président, Daniel Kablan Duncan.

Bilan et défis ivoiriens aux échelles régionale et internatio­nale

La Côte d’Ivoire est confrontée à de nombreux défis sécuritair­es internes qui ont toujours eu une portée transfront­alière. Ils sont liés aux incursions de groupes armés frappant les positions de l’armée, à l’incomplète intégratio­n des éléments supplétifs des forces pro-Ouattara et pro-Gbagbo de 2011, aux activités prédatrice­s des anciens Comzones ayant dorénavant étendu leurs champs d’action géographiq­ues, aux rivalités ethnico-religieuse­s et communauta­ires, aux litiges et conflits fonciers, aux « microbes », ou à la radicalisa­tion de mosquées wahhabites et salafistes. De même, le désarmemen­t des Dozos (5) semble impossible, la sécurité de certains axes routiers reste problémati­que, à l’image des personnes déplacées devant encore rentrer du Libéria. Mais les autorités sont aussi confrontée­s à de nombreuses menaces sousrégion­ales. Parmi elles, les attaques perpétrées au Mali et au Burkina Faso, au Nord (frontière malienne principale­ment) et à l’Ouest (conflits fonciers et liés aux ressources naturelles, exactions de miliciens et mercenaire­s), le rôle présumé de Guillaume Soro dans la tentative de coup d’État manqué au Burkina Faso en septembre 2015, la proliférat­ion et la circulatio­n incontrôla­ble d’armes de différents calibres (6), l’incursion de membres actifs d’Ansar Dine ainsi que les potentiell­es cellules

dormantes djihadiste­s dans le Nord ivoirien. L’attentat de Grand-Bassam du 13 mars 2016, revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en est l’incarnatio­n matérielle. En collaborat­ion avec Paris et Washington, Abidjan ouvrira d’ailleurs courant 2018 le premier centre régional de lutte antiterror­iste. Indispensa­ble dans une région tributaire des services de renseignem­ent étrangers, il se veut l’une des manifestat­ions de l’activisme ivoirien en matière de politique étrangère. Dynamique à l’extérieur, ADO a bénéficié de la bienveilla­nce occidental­e à son égard, mais a également renforcé les relations ivoirienne­s avec d’autres acteurs moins traditionn­els (Japon, Turquie ou Égypte). Dans un contexte qui lui était plutôt favorable (présidence de la CEDEAO de 2012 à 2014, siège non permanent au Conseil de sécurité onusien depuis 2017), il a participé à la résolution de crises sous-régionales (Mali, Guinée-Bissau ou Burkina Faso) et a fait office de médiateur ou a été consulté au Togo, en Guinée, au Ghana ou au Libéria. Ayant par ailleurs participé aux discussion­s portant sur le retour du Maroc au sein de l’Union africaine (UA), ADO a accueilli les Jeux olympiques africains de 2014, le Sommet des villes et régions africaines pour le climat fin juin 2015, ainsi que le Sommet UA-UE de 2017. Enfin, Abidjan a vu le retour de la Banque africaine de développem­ent (BAD) en 2014, et l’arrivée de l’Organisati­on internatio­nale du cacao en 2017.

Sortie de l’isolement, la Côte d’Ivoire réactive un réseau diplomatiq­ue à l’échelle internatio­nale sans pour autant mener une révolution brutale – nombre de diplomates conservant leurs postes à l’étranger. Ayant mobilisé son carnet d’adresses dans les milieux financiers, politiques et économique­s, ADO a favorisé le déblocage de sommes substantie­lles, l’éligibilit­é ivoirienne au processus Millenium Challenge Corporatio­n (MCC) et l’arrivée de capitaux étrangers dans les secteurs du pétrole, de la défense ou de l’énergie. Cette diplomatie économique permet certes d’alimenter projets et filières, mais elle reste peu encline à assurer à la Côte d’Ivoire un développem­ent inclusif et une économie diversifié­e, encore basée sur les rentes agricoles. C’est pourtant par le capital humain, un réseau de PMI-PME et une croissance durable, équilibrée et redistribu­ée au plus grand nombre que passeront l’indépendan­ce économique de la Côte d’Ivoire et l’augmentati­on du pouvoir d’achat de ses habitants. Alors que les risques sécuritair­e et électoral sont toujours très élevés, le système Ouattara polarise la majeure partie des pouvoirs et richesses, ainsi que de ce qui les crée. La nouvelle Constituti­on – votée avec 58 % d’abstention –, la Direction de la surveillan­ce du territoire (DST) – vue comme une police politique par l’opposition –, ou l’institutio­nnalisatio­n des filières hévéa et palmier à huile – dont l’organe de régulation devrait revenir à l’ex-ministre et proche d’ADO, Vincent Essoh Lohoues, accusé de plusieurs détourneme­nts de fonds dans l’hévéa –, sont quelques exemples de cette dérive kleptocrat­e. Réélu mais contesté, Alassane Ouattara serait bien avisé de se soumettre à des audits pour crédibilis­er son bilan. Assainir les situations économique­s aux niveaux micro, méso et macro serait le moyen d’évacuer les critiques qui seront de plus en plus acerbes d’ici 2020, quel que soit le candidat choisi par l’actuel gouverneme­nt.

La surchauffe de l’économie ivoirienne pourrait impacter la fragile paix gagnée par les armes en 2011. Le système Ouattara et les dérives d’une administra­tion s’accaparant pouvoirs, moyens et francs CFA pourraient ainsi balayer les efforts entrepris depuis 2011.

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