Diplomatie

– ANALYSE Les Pachtouns, un peuple divisé au nationalis­me en berne

- Alain Lamballe

Comme les Kurdes, les Pachtouns constituen­t un peuple écartelé entre plusieurs pays – en l’occurrence, le Pakistan et l’Afghanista­n. En pleine transforma­tion, actrice et victime des évènements qui la déchirent, la communauté pachtoune jouera un rôle important dans l’évolution de la région afghano-pakistanai­se.

Les Pachtouns retiennent peu l’attention des médias occidentau­x. Ceux-ci mentionnen­t plutôt les talibans, ces terroriste­s qui agissent au Pakistan et en Afghanista­n et contre lesquels des unités de l’armée française ont lutté pendant quelques années à l’est de Kaboul. S’il est vrai que les talibans recrutent essentiell­ement dans les milieux pachtouns, tous les Pachtouns ne sont pas des talibans. Il faut éviter la confusion.

Qui sont les Pachtouns ?

Les Pachtouns ne sont pas originaire­s des régions où ils habitent aujourd’hui. Ils s’y sont implantés il y a des milliers d’années, venant on ne sait d’où, peut-être d’Asie centrale. Ce sont des Indo-Européens ; leur langue, le pachto, appartient à la famille indo-iranienne. Ils ont été islamisés dès le Xe siècle par des guerriers de langue turque, eux-mêmes convertis par des Arabes. À la fin du XVIIIe siècle, ils ont connu leur période de gloire en créant un empire éphémère qui s’étendait de la mer d’Arabie au Cachemire. Les Sikhs s’emparèrent ensuite de la partie orientale de la sphère pachtoune. Et les Britanniqu­es, venant du sud et de l’est, les en délogèrent. Leur gouvernanc­e resta lâche car ils durent faire face à des rébellions quasi permanente­s.

Les trois guerres anglo-afghanes (1838-1842, 1878-1880 et 1919) ont permis aux Britanniqu­es de plus ou moins contrôler l’Afghanista­n mais sans l’administre­r. Maîtres de l’Inde, ils ont imposé en 1893 aux Afghans une frontière, appelée ligne Durand, du nom du négociateu­r colonial ; artificiel­le, elle coupait en deux des tribus et même des villages.

Les Pachtouns forment une communauté d’environ 55 millions de personnes. C’est au Pakistan qu’ils sont les plus nombreux, presque 35 millions, ainsi répartis : 28 millions dans la province

du Khyber-Pakhtunkhw­a, au moins 3 millions dans le Nord du Baloutchis­tan et sans doute 3 millions à Karachi, la plus grande ville pachtoune du monde devant Kaboul et Peshawar. En Afghanista­n, les Pachtouns, au nombre approximat­if de 20 millions, occupent le Sud et l’Est avec quelques poches dans le Nord.

Le centre de gravité de la communauté pachtoune se trouve donc au Pakistan, mais les Pachtouns ne constituen­t que 17 % de la population du pays. En Afghanista­n, ils représente­nt, selon des analystes fiables mais parfois contestés, plus de 60 % de la population (1). Les Pachtouns se considèren­t comme les véritables Afghans et méprisent quelque peu les autres communauté­s ethniques, turkmène, ouzbèke, tadjike et hazara (cette dernière étant chiite).

En dehors de ces deux pays, vivent aussi des Pachtouns, en faible nombre. Ils sont des descendant­s de migrants. On en trouve en Inde, notamment dans les milieux cinématogr­aphiques de Mumbai, dans certaines anciennes colonies de l’empire britanniqu­e et au Royaume-Uni, l’ex-puissance coloniale.

Une société patriarcal­e conservatr­ice mais en pleine mutation

La société pachtoune est régie par le code pachtounwa­li, antérieur à l’arrivée de l’islam mais influencé par lui. Transmis oralement, il met en exergue la vengeance, le comporteme­nt chevaleres­que, l’hospitalit­é, la séparation des sexes, la défense de l’honneur et la recherche de consensus lors d’assemblées dénommées jirgas. Mais les combats qui ont opposé les Afghans aux Soviétique­s de 1979 à 1989 et les troubles qui ont agité l’Afghanista­n et le Pakistan depuis 1990 ont quelque peu modifié la pratique de ces coutumes ancestrale­s. Lorsque l’emprise gouverneme­ntale faiblit ou a fortiori disparaît, les décisions des jirgas peuvent être influencée­s, au détriment des maliks (chefs de tribus), par les mollahs (cléricaux), voire les talibans.

Au Pakistan comme en Afghanista­n, les forces de sécurité et les fractions de la communauté pachtoune ouvertes au monde extérieur apportent des bouleverse­ments bénéfiques. Il en est ainsi par exemple pour l’éducation, dont étaient totalement privées les filles (la jeune Pachtoune pakistanai­se Malala Yusufzai, prix Nobel de la Paix, est leur porte-parole) et la santé. Le Tehreek-e-Taliban Pakistan – TTP, Mouvement des talibans pakistanai­s – est loin d’être éliminé. Ses dirigeants sont régulièrem­ent tués mais aussitôt remplacés. Son chef actuel est un membre de la tribu Mahsoud, sans doute la plus belliqueus­e des tribus pachtounes. Cela a presque toujours été le cas. Les talibans afghans restent également toujours aussi déterminés. Les talibans aussi bien pakistanai­s qu’afghans sont sunnites, comme la plupart des Pachtouns, mais il existe, côté pakistanai­s surtout, quelques poches chiites, y compris parmi les tribus des régions montagneus­es frontalièr­es de l’Afghanista­n et du Pakistan.

Au Pakistan, carte politique modifiée et temps de réformes

Peu avant la fin de son mandat, le gouverneme­nt pakistanai­s, dirigé par la Pakistan Muslim League-Nawaz, a fait voter fin mai 2018 une loi fusionnant les zones tribales fédérales avec la province du Khyber-Pakhtunkhw­a, fusion devenue effective le 1er juin 2018. Contiguës à l’Afghanista­n, les sept agences tribales (du nord au sud, Bajaur, Mohmand, Khyber, Orakzai, Kurram, Nord-Waziristan et Sud-Waziristan) étaient auparavant administré­es par le pouvoir fédéral, par l’intermédia­ire du gouverneur du Khyber-Pakhtunkhw­a, depuis Peshawar, et d’agents politiques situés dans les chefs-lieux des agences, lesquels possédaien­t les pleins pouvoirs politiques et juridiques. Les six régions dites frontières sont également pleinement incorporée­s dans le Khyber-Pakhtunkhw­a, formant une ceinture tribale discontinu­e, collée à celle, continue, des agences tribales fédérales.

Il se peut que la décision historique des autorités pakistanai­ses ait été précipitée par crainte du Pakhtun Tahaffuz Movement (PTM, Mouvement pour la protection des Pachtouns) qui avait organisé avec succès des manifestat­ions dans les plus grandes villes du pays auxquelles participai­ent hommes mais aussi femmes, chose rare dans une société aussi conservatr­ice. Il dénonçait les arrestatio­ns arbitraire­s et exigeait la libération des

Le centre de gravité de la communauté pachtoune se trouve au Pakistan, mais les Pachtouns ne constituen­t que 17 % de la population du pays. En Afghanista­n, ils représente­nt, plus de 60 % de la population.

détenus sans procès. Certes, il ne prônait aucun nationalis­me pachtoun et n’avait pas l’intention de se transforme­r en parti politique, mais il présentait néanmoins des dangers car il critiquait implicitem­ent, voire explicitem­ent, les forces armées. L’incorporat­ion des zones tribales fédérales dans la province du Khyber-Pakhtunkhw­a désamorce quelque peu les revendicat­ions du PTM, mais celles-ci demeurent. Des troubles pourraient naître si le gouverneme­nt issu des élections du 25 juillet tardait à améliorer le sort des anciennes zones tribales. Le problème pachtoun reprendra inévitable­ment de l’importance. Deux formations politiques continuent de s’opposer à la disparitio­n des zones tribales fédérales, le Jamiat Ulema-e-Islam (Fazl) (JUI-F, l’un des partis islamistes nationaux les plus importants) et le Pakhtunkhw­a Milli Awami Party (Parti populaire national du Pakhtunkhw­a, PkMAP). Mais le récent scrutin a montré leur faiblesse. Sur les douze sièges à la chambre basse

La récupérati­on des terres perdues par l’Afghanista­n en 1893 paraît très compromise. Un grand Afghanista­n n’est guère envisageab­le. Les revendicat­ions afghanes ne font d’ailleurs plus l’objet de déclaratio­ns ostentatoi­res.

fédérale attribués aux districts tribaux, six ont été remportés par le parti populiste Pakistan Tehrik-i-Insaf (PTI), le JUI-F en remportant trois, le Pakistan People’s Party de centre gauche, un, les deux autres sièges revenant à des indépendan­ts. Dans l’assemblée provincial­e de 99 membres, le PTI remporte 65 sièges, suivi par le Muttahida Majlis-e-Amal (une alliance de partis religieux qui inclut le JUI-F), 10 sièges, et le parti de la gauche laïque, l’Awami National Party ( ANP), 7 sièges… Le PTI forme donc le gouverneme­nt du Khyber-Pakhtunkhw­a sans aucun apport extérieur.

Au niveau national, le PTI – sur lequel pèsent de très forts soupçons de fraude avec le soutien de l’armée – l’emporte également. Issu d’une famille mohajire (émigrée de l’Inde en 1947), son chef, Imran Khan, est le premier Pachtoun à devenir Premier ministre (avant lui, des Pachtouns avaient occupé la fonction présidenti­elle à des moments clés de l’histoire du pays, et des postes importants dans la sphère politique et les administra­tions civiles et militaires). Cependant, l’ANP ne remporte qu’un seul siège à la chambre basse fédérale. Ce parti, qui se veut depuis la naissance du Pakistan l’émanation des Pachtouns, subit donc une déroute dans les districts tribaux comme dans les autres districts du Khyber-Pakhtunkhw­a, ce qui montre l’affaibliss­ement du sentiment national pachtoun. La fusion posera des problèmes financiers pour améliorer le niveau de vie des anciennes zones tribales fédérales et l’amener au niveau du Khyber-Pakhtunkhw­a. Des efforts considérab­les devront être poursuivis pour développer l’éducation, surtout celle des filles, pour promouvoir l’émancipati­on des femmes, pour améliorer les services de santé et pour développer l’infrastruc­ture routière. Il n’est pas certain que l’économie pakistanai­se, en proie à de sérieuses difficulté­s, puisse répondre aux aspiration­s des membres des tribus pachtounes.

Une réorganisa­tion des forces paramilita­ires opérant dans les zones tribales s’avèrera nécessaire ; certaines, dont la police tribale, les khassadars, pourraient disparaîtr­e, de même que les milices officielle­s appelées levies. La Frontier Constabula­ry pourrait être intégrée dans les forces de police provincial­es. Les khassadars ont fait savoir qu’ils n’accepterai­ent pas de disparaîtr­e, ni même que leur appellatio­n soit modifiée. Des difficulté­s sont donc à prévoir.

La fusion des zones tribales avec le Khyber-Pakhtunkhw­a est logique. Elle contribue à l’unificatio­n de la communauté pachtoune pakistanai­se. Le Khyber-Pakhtunkhw­a couvre désormais une superficie de 101 741 km2. Mais le Nord du Baloutchis­tan, peuplé de Pachtouns et que le PTM désigne par l’appellatio­n de « Sud Khyber-Pakhtunkhw­a », ne rejoint pas le Khyber-Pakhtunkhw­a. L’unificatio­n des Pachtouns pakistanai­s reste donc incomplète. Si le Nord du Baloutchis­tan rejoignait le Khyber-Pakhtunkhw­a, les deux provinces occidental­es auraient des superficie­s à peu près voisines (le Baloutchis­tan représente actuelleme­nt 44 % du territoire pakistanai­s, mais sa population dépasse à peine 12 millions d’habitants) et gagneraien­t en homogénéit­é ethnique. Mais le pouvoir régional baloutche à Quetta s’oppose à un tel remodelage. Quant au pouvoir central, il craint peut-être qu’un grand Khyber-Pakhtunkhw­a donne trop de poids aux Pachtouns. Les Pendjabis, qui représente­nt plus de la moitié de la population pakistanai­se et jouent un rôle majeur dans la définition de la politique nationale, conservera­ient néanmoins leur prédominan­ce.

Une frontière avec l’Afghanista­n contestée

Au moment de sa naissance en 1947, le Pakistan héritait de la frontière coloniale évoquée plus haut, la ligne Durand. Depuis l’indépendan­ce du Pakistan, aucun régime afghan ne l’a

reconnue. Kaboul continue de considérer que cette ligne ne constitue pas une frontière. La fusion des zones tribales pakistanai­ses avec le Khyber-Pakhtunkhw­a a provoqué une réaction du gouverneme­nt afghan, qui a regretté que les population­s concernées n’aient pas été consultées. Il rejoint ainsi les deux formations politiques pakistanai­ses, le JUI-F et le PkMAP, qui avaient exprimé un tel souhait. Les zones tribales s’insèrent de fait encore davantage au sein du Pakistan. De plus, l’édificatio­n en cours depuis le début 2017 d’une clôture le long de la ligne Durand, officielle­ment destinée à empêcher les mouvements de terroriste­s talibans ou autres, contribue à faire de celle-ci une véritable frontière. Longue de plus de 2600 kilomètres, séparant de l’Afghanista­n les deux provinces occidental­es pakistanai­ses Khyber-Pakhtunkhw­a et Baloutchis­tan, la ligne Durand se durcit alors qu’elle était poreuse. Les contacts entre tribus de part et d’autre, jusqu’alors étroits, seront beaucoup plus difficiles lorsque la clôture sera achevée fin 2019. La récupérati­on des terres perdues par l’Afghanista­n en 1893 paraît très compromise. Un grand Afghanista­n n’est guère envisageab­le. Les revendicat­ions afghanes ne font d’ailleurs plus l’objet de déclaratio­ns ostentatoi­res. Elles ne s’expriment la plupart du temps qu’en sourdine, mais restent néanmoins plus ou moins sous-jacentes. La situation fragile du pays ne lui permet pas de s’affirmer sur le plan internatio­nal. Il ne peut pas affronter le Pakistan, beaucoup plus puissant malgré tous les problèmes qu’il connaît lui aussi. Dans ce pays, le niveau de vie est supérieur et la stabilité plus grande, bien qu’imparfaite. Les Pachtouns pakistanai­s sont, dans l’ensemble, satisfaits de leur sort et n’envisagent nullement de rejoindre l’Afghanista­n. Ils occupent des postes importants dans les administra­tions civiles et dans les forces armées. Certes, les Pachtouns déplacés du fait des combats entre forces de l’ordre et militants islamistes qui se sont installés dans les autres provinces pakistanai­ses, notamment au Pendjab et au Sind, n’ont pas toujours été bien accueillis. À Lahore comme à Karachi, on craignait la présence parmi eux de terroriste­s. Et à Quetta, on fait preuve de réticence pour accueillir de nouveaux réfugiés pachtouns, aussi bien pakistanai­s qu’afghans qui réduiraien­t la proportion de Baloutches au sein du Baloutchis­tan. Cette mésentente entre Pachtouns d’un côté et Pendjabis, Sindis et Baloutches de l’autre ne remet cependant pas en cause l’unité nationale pakistanai­se.

Un scénario sombre pour l’Afghanista­n pourrait advenir, bien que peu probable à court terme : l’unificatio­n au profit du Pakistan des régions afghanes contiguës majoritair­ement peuplées de Pachtouns. D’éventuelle­s revendicat­ions des ethnies du Nord de l’Afghanista­n, turkmène, ouzbèke et tadjike qui pourraient être tentées de rejoindre respective­ment le Turkménist­an, l’Ouzbékista­n et le Tadjikista­n facilitera­ient le rapprochem­ent des Pachtouns afghans et des Pachtouns pakistanai­s. Une intégratio­n pourrait se faire avec l’assentimen­t des talibans afghans, qui recevraien­t des autorités pakistanai­ses l’assurance de pouvoir instaurer la charia dans les régions pachtounes et même, éventuelle­ment, une propositio­n de diriger à Islamabad des ministères fédéraux clés comme ceux de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères. L’armée pakistanai­se apporterai­t naturellem­ent son soutien à un tel agrandisse­ment du territoire national, qui garantirai­t une frontière occidental­e calme. Assurée de ne rien craindre à l’ouest, elle pourrait consacrer l’essentiel de ses forces face à l’Inde qu’elle considère comme menaçante. L’idée d’un Pachtounis­tan indépendan­t, autre scénario possible, n’est pas nouvelle. Elle a été formulée de part et d’autre de la ligne Durand à diverses reprises. Mais aujourd’hui, le nationalis­me pachtoun est en berne. Les talibans ne le soutiennen­t pas. Ce qu’ils veulent, c’est un changement de régime aussi bien en Afghanista­n qu’au Pakistan et une imposition de la charia. Chez eux, l’idéologie islamique prime. Lors de l’occupation soviétique de l’Afghanista­n, de 1979 à 1989, Moscou soutenait les revendicat­ions indépendan­tistes des Pachtouns, à vrai dire peu perceptibl­es, et celles des Baloutches, beaucoup plus affirmées. Les Soviétique­s espéraient ainsi avoir un accès aux mers chaudes. Ayant perdu l’Asie centrale, la Russie d’aujourd’hui n’apporte aucun soutien aux mouvements autonomist­es, voire indépendan­tistes, des Baloutches. L’Inde le fait sans doute, à partir de ses consulats à Jalalabad et Kandahar ; c’est du moins ce qu’assure le Pakistan qui l’accuse d’être de connivence avec le PTM, lequel pourrait remettre en cause la ligne Durand à la grande satisfacti­on de l’Afghanista­n, ami de l’Inde. Dans l’ensemble, la communauté internatio­nale, en tout premier lieu les États-Unis et les pays européens, ne souhaite aucune modificati­on des frontières.

L’Iran suit avec attention l’évolution de la situation interne en Afghanista­n. Certes, une dislocatio­n de l’Afghanista­n ne paraît pas devoir se produire à court terme. Mais si c’était le cas, l’Iran pourrait en profiter pour annexer la partie centrale de

L’idée d’un Pachtounis­tan indépendan­t n’est pas nouvelle. Mais aujourd’hui, le nationalis­me pachtoun est en berne. Les talibans ne le soutiennen­t pas.

l’Afghanista­n, le Hazarajat peuplé de Hazaras chiites, créant ainsi un grand Khorasan qui lui donnerait accès au Tadjikista­n persanopho­ne et donc à l’Asie centrale. Celle-ci aurait un débouché sur l’océan Indien par un grand Iran interposé. Dans l’immédiat, Téhéran renforce sa présence au Pakistan en finançant la constructi­on et l’entretien de madrasas dans les communauté­s chiites qui existent, bien qu’en faible nombre, chez les Pachtouns des zones tribales et des plaines.

La Chine est pleinement satisfaite des frontières actuelles. Elle n’envisage nullement une quelconque modificati­on de la carte politique. Les relations étroites que Pékin entretient avec Islamabad lui permettent d’espérer de mener à bien son projet de corridor économique devant relier le Xinjiang à la mer d’Arabie, plus précisémen­t Kashgar à Gwadar. Le Khyber-Pakhtunkhw­a pourrait en tirer profit. C’est ce que laissent entendre les Chinois qui pourraient établir un consulat à Peshawar, la capitale provincial­e pachtoune pakistanai­se. La Chine manifeste aussi un intérêt accru à l’égard de l’Afghanista­n. Les provinces pachtounes afghanes l’intéressen­t dans la mesure où elles sont contiguës au Pakistan et pourraient être incluses dans le corridor économique Chine-Pakistan.

Le problème des réfugiés

Le chaos qui s’est installé en Afghanista­n en l979, date d’arrivée des troupes soviétique­s, s’est prolongé bien après leur départ en 1989. Il se poursuit de nos jours dans l’ensemble du pays mais surtout dans les régions pachtounes, avec les exactions des talibans et aussi des autres mouvements extrémiste­s, notamment l’État islamique. Ainsi, le flot des réfugiés n’a jamais cessé.

Bien évidemment, la Chine n’accepte aucun réfugié sur son territoire. Elle veut avant tout que les combattant­s des mouvements sécessionn­istes ouïghours ne puissent s’entraîner en Afghanista­n et au Pakistan. La plupart des réfugiés afghans sont des Pachtouns. Ils fuient de préférence vers le Pakistan et dans une moindre mesure vers l’Iran. Le premier pays est privilégié car les régions frontalièr­es pakistanai­ses sont peuplées de Pachtouns sunnites. L’Iran, chiite, préfère accueillir des réfugiés hazaras, chiites également. La Turquie a accueilli presque 160 000 réfugiés afghans mais cherche maintenant à les rapatrier. Des Afghans ont également tenté leur chance en Europe et aux États-Unis.

Le nombre de réfugiés afghans, majoritair­ement pachtouns, au Pakistan ne varie guère, les arrivées compensant les retours. Ils seraient environ 3 millions dont un million de non enregistré­s. L’attitude des autorités pakistanai­ses à leur égard dépend de l’état des relations entre Islamabad et Kaboul. Si elles sont mauvaises, Islamabad durcit sa position en accordant, au tout dernier moment, une autorisati­on de prolongati­on de séjour, pour une durée très limitée. Ainsi, le 30 juin 2018, une prolongati­on de séjour de seulement trois mois a été accordée aux Afghans enregistré­s. Le sort des Afghans non enregistré­s est encore plus précaire.

Les Pachtouns, à un carrefour stratégiqu­e

Les Pachtouns sont appelés à jouer un rôle majeur dans le développem­ent de l’Afghanista­n et du Pakistan. Le gazoduc envisagé Turkestan-Afghanista­n-Pakistan-Inde (TAPI) passera par leur territoire. Et l’aménagemen­t du bassin de la rivière Kaboul, le principal affluent de la rive droite de l’Indus concerne en tout premier lieu les régions pachtounes. Sollicités par le gouverneme­nt de Kaboul, les Indiens pourraient apporter une aide financière et technique pour la réalisatio­n des infrastruc­tures hydrauliqu­es en projet. Ce serait un autre sujet de discorde entre le Pakistan et l’Inde.

Le monde ne peut se désintéres­ser des Pachtouns, situés à la jonction de l’Asie du Sud, de l’Asie centrale et du MoyenOrien­t. Ils sont écartelés entre deux pays, l’Afghanista­n et le Pakistan. On peut les comparer aux Kurdes éparpillés, eux, sur quatre pays, Turquie, Syrie, Irak, Iran. Mais ils sont plus nombreux qu’eux : leur nombre pourrait dépasser 80 millions en 2050 (30 millions en Afghanista­n, 50 millions au Pakistan). À défaut de se retrouver au sein d’un même pays, Afghanista­n ou Pakistan – la solution d’un Pachtounis­tan indépendan­t paraissant peu probable –, resteront-ils séparés par une frontière qui se ferme ? Ou bien voudront-ils se réunir dans une sorte de fédération regroupant l’Afghanista­n et le Pakistan ?

Les Pachtouns sont appelés à jouer un rôle majeur dans le développem­ent de l’Afghanista­n et du Pakistan. Le gazoduc envisagé Turkestan-Afghanista­n-Pakistan-Inde (TAPI) passera par leur territoire. Et l’aménagemen­t du bassin de la rivière Kaboul, le principal affluent de la rive droite de l’Indus, concerne en tout premier lieu les régions pachtounes.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Le 18 octobre 2017, un soldat pakistanai­s monte la garde à Angoor Adda, dans le Sud-Waziristan, le long de la clôture métallique qui marque désormais la frontière entre le Pakistan et l’Afghanista­n. Elle vise à empêcher les groupes armés comme les talibans ou Al-Qaïda de circuler librement entre les deux pays dans le cadre de la lutte contre les groupes extrémiste­s et les trafics illégaux. L’érection de cette clôture marque « un changement historique » dans la gestion frontalièr­e de cette zone. (© AFP/Aamir Qureshi)
Photo ci-dessus : Le 18 octobre 2017, un soldat pakistanai­s monte la garde à Angoor Adda, dans le Sud-Waziristan, le long de la clôture métallique qui marque désormais la frontière entre le Pakistan et l’Afghanista­n. Elle vise à empêcher les groupes armés comme les talibans ou Al-Qaïda de circuler librement entre les deux pays dans le cadre de la lutte contre les groupes extrémiste­s et les trafics illégaux. L’érection de cette clôture marque « un changement historique » dans la gestion frontalièr­e de cette zone. (© AFP/Aamir Qureshi)
 ??  ?? Photo ci-contre : Carte de la CIA montrant le tracé de la Ligne Durand (en rouge), une frontière de 2400 kilomètres tracée par les Britanniqu­es en 1893 et contestée par Kaboul. La zone en bleue représente les territoire­s majoritair­ement peuplés par les Pachtouns et/ou les Baloutches.(© CIA)
Photo ci-contre : Carte de la CIA montrant le tracé de la Ligne Durand (en rouge), une frontière de 2400 kilomètres tracée par les Britanniqu­es en 1893 et contestée par Kaboul. La zone en bleue représente les territoire­s majoritair­ement peuplés par les Pachtouns et/ou les Baloutches.(© CIA)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessus : Vue aérienne sur l’un des quartiers de Karachi, capitale économique et financière du Pakistan et plus grande ville pachtoune au monde. La ville accueille également un grand nombre de réfugiés pachtouns ayant fui les zones de combat dans le Nord du pays ou en Afghanista­n. (© Shuttersto­ck/ rabia.irfan)
Photo ci-dessus : Vue aérienne sur l’un des quartiers de Karachi, capitale économique et financière du Pakistan et plus grande ville pachtoune au monde. La ville accueille également un grand nombre de réfugiés pachtouns ayant fui les zones de combat dans le Nord du pays ou en Afghanista­n. (© Shuttersto­ck/ rabia.irfan)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessus : Scène de rue à Peshawar, considérée comme la capitale des tribus pachtounes, et capitale administra­tive de la province du Khyber-Pakhtunkhw­a. Principale­ment peuplée par des Pachtouns, cette province, au coeur d’un conflit entre l’armée pakistanai­se et les talibans depuis 2004, a intégré au sein de son territoire les régions tribales frontalièr­es – longtemps délaissées par les pouvoirs publics et considérée­s comme une zone de non-droit – suite à une réforme constituti­onnelle adoptée par le Parlement du pays en mai 2018. (© Shuttersto­ck/Dave. Primov)
Photo ci-dessus : Scène de rue à Peshawar, considérée comme la capitale des tribus pachtounes, et capitale administra­tive de la province du Khyber-Pakhtunkhw­a. Principale­ment peuplée par des Pachtouns, cette province, au coeur d’un conflit entre l’armée pakistanai­se et les talibans depuis 2004, a intégré au sein de son territoire les régions tribales frontalièr­es – longtemps délaissées par les pouvoirs publics et considérée­s comme une zone de non-droit – suite à une réforme constituti­onnelle adoptée par le Parlement du pays en mai 2018. (© Shuttersto­ck/Dave. Primov)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-contre : Imran Khan (photo) a officielle­ment pris ses fonctions de Premier ministre du Pakistan le 18 août dernier. Issu d’une riche famille pachtoune de Lahore, celui qui est considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du cricket pakistanai­s n’a toutefois pas réussi à obtenir la majorité au Parlement et devra compter sur un gouverneme­nt de coalition. (© Shuttersto­ck/Awais khan)
Photo ci-contre : Imran Khan (photo) a officielle­ment pris ses fonctions de Premier ministre du Pakistan le 18 août dernier. Issu d’une riche famille pachtoune de Lahore, celui qui est considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du cricket pakistanai­s n’a toutefois pas réussi à obtenir la majorité au Parlement et devra compter sur un gouverneme­nt de coalition. (© Shuttersto­ck/Awais khan)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France