éditorial
L’Europe traverse une crise de légitimité et d’identité sans précédent. Entre la dynamique de mondialisation financière, commerciale, économique et culturelle, qui semble tout submerger et la renaissance des particularismes nationaux, ethniques et religieux, les nationalismes s’y développent partout. Il n’y a en effet pas eu d’élections récentes en Europe qui n’aient enregistré, hormis en France, des poussées nationalistes et antieuropéistes. Aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie, en Autriche, en République tchèque ou encore en Slovénie, les partis nationalistes se développent et font leur entrée au sein des parlements nationaux ou des gouvernements. Même en Suède, la vague nationaliste se confirme suite aux législatives de septembre 2018. Quant aux partis au pouvoir en Hongrie et en Pologne, leur popularité est loin de décroître.
Ces dynamiques nationalistes, dans une Europe qui se croyait immunisée face à de tels mouvements, se doublent d’une recrudescence des tensions sécessionnistes (Flandre, Catalogne, Irlande du Nord, Écosse), lesquelles témoignent de la profonde crise identitaire que traverse notre continent.
Les causes à l’origine de ces poussées électorales sont multiples. Les nationalismes du Nord s’affirment en réaction à la pression migratoire, sur fond d’islamophobie. En Norvège, au Danemark, en Suède, en Autriche, en Finlande, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne, les sentiments anti-européens ne sont pas motivés par une détérioration des conditions économiques, mais découlent d’un sentiment d’insécurité culturelle généré par des flux migratoires perçus comme imposés et incontrôlés. Quant aux nationalismes du Sud, ils puisent davantage leurs racines dans une crise économique prolongée, bien que là encore exacerbée par l’afflux de migrants en provenance d’Afrique principalement. Quant aux populismes d’Europe centrale, ils sont porteurs d’une réaction conservatrice et souverainiste contre ce qu’ils considèrent être la promotion par l’Union européenne d’un libéralisme sociétal et culturel qui vise à la dissolution des valeurs traditionnelles (la famille, la nation, l’Église) et craignent la remise en cause d’une souveraineté récemment reconquise face au communisme.
Ces nationalismes distincts, bien que se rejoignant notamment sur la question migratoire, préfigurent une Europe éclatée ou à la carte, bien loin du modèle d’intégration, de réconciliation des peuples et de dépassement de l’État-nation promu par l’UE depuis plusieurs décennies. Un processus désormais largement décrié par une part importante de la population européenne, car perçu comme insuffisamment démocratique, et donc pour partie illégitime. S’il est difficile d’anticiper l’avenir de ces mouvements, force est de reconnaître qu’ils bénéficient largement du fort développement des réseaux sociaux et de l’usage désormais massif de sources d’informations « alternatives », souvent complotistes, auxquels il est difficile d’opposer un discours de raison. Une situation qui explique sans doute pourquoi ce phénomène dépasse le seul cadre européen et apparaît désormais planétaire, touchant de grandes démocraties comme les États-Unis, l’Inde ou encore le Brésil.