Diplomatie

/CARTOGRAPH­IE

- P. Langloit

La chute de Tripoli en août 2011, dans le contexte de la première guerre civile libyenne, a donné lieu à une concurrenc­e croissante entre groupes armés. Si les gouverneme­nts de transition ont cherché à inclure les plus puissants d’entre eux, les rivalités sont telles autour de la capitale libyenne que les affronteme­nts sont inévitable­s, comme ceux d’août 2018 ayant conduit à l’imposition de l’état d’urgence le 2 septembre, dans une situation d’effondreme­nt de l’État.

La cinématiqu­e du développem­ent des groupes armés à Tripoli est intéressan­te à plus d’un titre. Elle renvoie au concept de « ville férale » ou sauvage (1), montrant qu’en l’absence d’un gouverneme­nt unanimemen­t perçu comme légitime, des systèmes régaliens locaux peuvent se mettre en place. Ceux-ci tendent à stabiliser la situation sécuritair­e, voire à l’améliorer. Dans le cas de Tripoli, trois phases sont à distinguer. La première, d’août 2011 à juillet 2014, voit plusieurs groupes émerger. Leurs ancrages peuvent être locaux et leurs idéologies sont variables. Des tentatives de les regrouper au sein du Conseil militaire de Tripoli ou du Conseil suprême de sécurité (CSS) échouent. Une partie d’entre eux se trouve légitimée par son intégratio­n au CSS ou au ministère de la Défense, recevant fonds et équipement­s. L’enjeu est certes économique, mais également politique dès lors que certaines milices assiègent les ministères, réclamant que d’anciens dignitaire­s du régime de Mouammar Kadhafi (1969-2011) soient réintégrés.

Quelle unité nationale ? Comment désarmer les milices ?

Une deuxième période court de juillet 2014 à mars 2016. Le 13 juillet 2014, une coalition de groupes armés en partie venus de Misratah – l’Aube de la Libye – attaque les positions des milices de Zintan dans Tripoli. Les combats durent jusqu’à fin août avec la prise de l’aéroport internatio­nal. C’est la victoire de la coalition. Les groupes la composant vont reprendre les positions tenues auparavant par les milices issues de Zintan, mais aussi avoir une influence sur la compositio­n des institutio­ns locales et du gouverneme­nt Omar al-Hassi (septembre 2014-mars 2015). Toutefois, ce dernier ne parvient pas à gagner en légitimité sur le plan internatio­nal ni à mettre en oeuvre la politique de regroupeme­nt des milices, y compris par des incitation­s financière­s. Corrélativ­ement, au sein d’Aube de la Libye, les rivalités ne tardent pas à renaître. Si Al-Hassi est remplacé par Khalifa al-Ghowel (avril 2015-avril 2016), les tensions ne retombent pas, la ligne de fracture se situant autour de la question de l’unité nationale.

Finalement, la plupart des groupes refusent de rallier le Gouverneme­nt de salut national soutenu par l’ONU, le désarmemen­t des milices étant par ailleurs l’une des conditions posées à sa mise en place par toutes les parties. Les différente­s factions jouent donc un rôle clé dans la situation libyenne et l’arrivée à Tripoli de représenta­nts du Conseil présidenti­el du Gouverneme­nt d’union nationale (GNA), le 30 mars 2016, tend la situation. Commence alors la troisième période, qui voit le Conseil présidenti­el fonctionne­r depuis la base navale de Tripoli, tandis que la ville elle-même est toujours occupée par

plusieurs groupes. S’ils ont une fonction régalienne de facto, leurs divisions entre pro et anti-GNA sont renforcées par leur relation à l’islamisme ; mais aussi par la suspicion que certaines milices négocient avec le maréchal Khalifa Haftar, qui prendrait ainsi pied à Tripoli. Au surplus, rien n’est politiquem­ent acquis : des groupes initialeme­nt progouvern­ementaux ou ouverts à une adhésion peuvent faire évoluer leur position lorsque leur statut politique ou leur emprise territoria­le ou sur des infrastruc­tures et institutio­ns – les banques, en particulie­r – est remis en cause par d’autres mouvements progouvern­ementaux… Face aux querelles et aux retourneme­nts d’allégeance­s, le Comité présidenti­el reste peu actif. Pour autant, plusieurs groupes se sont ralliés, ce qui crée un phénomène de concentrat­ion dans un contexte de raréfactio­n des budgets alloués par les autorités.

Logique de cartels

S’ensuit une montée en puissance : si des regroupeme­nts ont lieu, plusieurs factions cherchent des moyens propres et recourent aux enlèvement­s, aux extorsions ou à la prise de banques, ce qui leur permet d’acheter du matériel et de l’armement, mais aussi d’engager d’anciens officiers, de renseignem­ent notamment. On retiendra par exemple la Septième brigade, Ghneiwa, la Brigade des révolution­naires de Tripoli et Nawasi, acteurs des affronteme­nts d’août 2018. Ils développen­t leurs activités de sécurité privée, au bénéfice des entreprise­s comme des citoyens, tout en continuant de tenir des positions stratégiqu­es dans Tripoli. Le système finit par se nourrir lui-même et la logique devient celle de cartels ne pouvant être contrebala­ncés par un gouverneme­nt à la fois trop faible, mais manquant surtout de légitimité (2). À voir donc si cette situation débouchera sur une nouvelle guerre, propre à Tripoli – mais en sachant que nombre de groupes gardent des liens avec Misratah, Benghazi ou Zintan – ou s’ils feront le choix de conserver une position qui a, pour eux, tout d’avantageux.

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