– ANALYSE Le pouvoir syrien : essor du double ennemi et régénération sans fin des conflits
Hier à Beyrouth, aujourd’hui à Yarmouk, demain... de nouveau à Beyrouth ? Le régime Assad assoit son pouvoir sur la construction puis l’annihilation de ses ennemis à l’intérieur comme à l’extérieur, une logique qui porte en elle les germes de nouveaux conflits, en Syrie mais aussi au Liban.
Vingt-et-un mai 2018. Signe de la reconquête du pouvoir sur la Syrie, la ville de Yarmouk, ancien camp palestinien dans la banlieue sud de Damas, vient d’être totalement « libérée », après l’évacuation de 1400 combattants de l’État islamique (EI) convoyés vers la Badiya, aux confins de l’Irak et de la Jordanie. Là, ils se battront contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) ou contre les soldats syriens pro-régime comme à Boukamal, en menant une série d’attaques suicidaires. Peu importe, puisque tout se joue ici au coup par coup, au gré de la figure locale de l’ennemi. Pour la définir, le pouvoir sait désormais exploiter tous les acteurs de la guerre civile en jouant tour à tour le rapport ami-ennemi. De 2013 à 2018, Yarmouk fut le haut lieu du double ennemi intérieur : la guerre civile se déployait, d’une part, entre les milices rebelles, et, d’autre part, entre celles-ci et l’armée du régime, tandis que, depuis trois ans, l’EI avait pris le contrôle du centre de Yarmouk. Intégrée à Damas, la ville était devenue la capitale résidentielle de 160 000 Palestiniens. Assiégée par le Régime à partir de 2013, elle a été bombardée et soumise à la pire des famines. Aujourd’hui, tout est détruit, il ne reste qu’une centaine de Palestiniens et les portraits du président syrien à nouveau placardés.
Le génie syrien de l’ennemi
Le pouvoir s’approprie les ruines. Celles de Yarmouk comme celles des villes jetées à terre. Pour ce faire, la loi dite « décret no 10 » (avril 2018) autorise l’expropriation des quartiers détruits et ceci pour l’ensemble des centres et des périphéries bombardés. Les propriétaires ont trente jours pour faire valoir leur droit, à condition de ne pas être mêlés à la rébellion, ce qui exclut la majorité des ayant-droits et, bien sûr, toutes les constructions illégales. Cette expropriation de masse va permettre un vaste remembrement démographique lié à une redistribution du foncier au bénéfice des soutiens du régime, concomitamment à des opérations immobilières de grande ampleur (un processus similaire ayant déjà été expérimenté par la société Solidere, chargée de la reconstruction du centreville de Beyrouth après la fin de la guerre du Liban, en 1990). La soumission totale des territoires urbains qui s’étaient soulevés se trouve engagée : il en est ainsi à Alep-Est, à Douma dans la Ghouta et à Yarmouk. Par ailleurs, face au retour des exilés, l’administration a mis en place une « réconciliation » contrôlée : les demandes de retour lui sont soumises et, par exemple à Ersal (Bekaa, Liban), elles sont souvent rejetées pour les sunnites, ou bien accordées seulement pour les femmes, ce qui rend le retour impossible et assure la vacance des biens. Cette prise de terre potentielle permet au pouvoir une appropriation singulière de la Syrie au bénéfice de l’assabiyya (clan, famille) dominante et de ses affidés, suivant le mode communautaire analysé par Michel Seurat (1). En relation avec cet auteur, qui y a perdu la vie, nous savons que l’enjeu est ici le pouvoir pour le pouvoir et n’a jamais été la construction de l’État moderne, du moins si l’on admet que celui-ci a pour objet « l’unité du multiple et l’exclusion de l’ennemi intérieur » (2). En Syrie, le Pouvoir maintient au contraire l’ennemi au coeur de l’État, à travers le combat qu’il mène contre lui. C’est en transformant l’apocalypse qui en résulte – par le biais d’une appropriation généralisée des territoires, du bâti, des entreprises, des richesses... – en un « meilleur des mondes » discipliné et fidèle qu’il assoit sa puissance.
Depuis la prise de pouvoir des Assad en 1970, il faut se rappeler combien Hafez al-Assad et Bachar, son fils, se sont investis dans l’exploitation des différends et des divisions parallèlement à la réinvention d’un ennemi intérieur sans cesse relancé. Au milieu d’une grande instabilité et pour se maintenir, Hafez al-Assad prend appui sur les minorités et, en premier lieu, sur les Alaouites, tout en installant l’autorité centrale des Moukhabarat (services de renseignement et sécurité). Il n’a cessé ainsi de pourchasser adversaires et opposants en les identifiant tour à tour à des criminels, tandis que la Syrie combattait Israël et livrait deux guerres (1967 et 1973). Entre 1979 et 1982, les protestations soutenues par les Frères musulmans débouchent sur une répression des plus violentes – la ville de Hama est encerclée et bombardée pendant plusieurs jours – faisant 20 000 à 30 000 morts. La machine coercitive se met en place : l’adversaire intérieur n’est qu’un terroriste.
L’exploitation de la guerre civile libanaise
Au Liban, dès les premiers temps du conflit civil libanais (1975), c’est la dialectique tournante ami/ennemi (3) qui est affirmée et expérimentée. Dans ce pays qu’il revendiquait comme sien, le pouvoir syrien n’avait jamais cessé de monter les factions et les familles les unes contre les autres (4). Ainsi, Hafez al-Assad soutient tout d’abord l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui lui est nécessaire dans sa lutte contre Israël, auquel il avait livré la guerre d’Octobre (1973). Mais face aux risques d’une alliance entre chrétiens et Israéliens, le pouvoir syrien impose par la force le 1er juin 1976 un cessez-le-feu à l’OLP, bientôt suivi en 1978 d’un retournement : les Forces libanaises (chrétiennes) sont bombardées durant cent jours à Achrafieh par l’artillerie syrienne tandis qu’est renouée la collaboration avec les Palestiniens. Paradoxalement, ce sont l’invasion israélienne de 1982 et le siège de Beyrouth qui vont marquer une nouvelle rupture entre la direction syrienne et l’OLP : profitant de l’évacuation de Yasser Arafat et de ses fedayin (juin 1983), Hafez al-Assad espère briser l’OLP, trop indépendant. Il soutient alors les factions radicales dissidentes qui en 1985 vont assiéger Tripoli où Yasser Arafat et ses combattants venaient de revenir.
Dès 1982, les « petites guerres » qui éclatent sur l’ensemble du territoire libanais permettent à la Syrie de manipuler l’ennemi/ ami à son avantage tout en s’imposant de plus en plus comme incontournable. Par exemple, en 1987, c’est la guerre entre
Depuis la prise de pouvoir des Assad en 1970, il faut se rappeler combien Hafez alAssad et Bachar, son fils, se sont investis dans l’exploitation des différends et des divisions parallèlement à la réinvention d’un ennemi intérieur sans cesse relancé.
Amal et le Hezbollah (deux milices chiites) qui justifie l’envoi de l’armée syrienne, censée contenir la montée en puissance des islamistes révolutionnaires. Le 20 février, à la demande du Premier ministre libanais, 4000 soldats syriens entrent dans Beyrouth-Ouest (à dominante musulmane), avec l’aval de la communauté internationale, qui s’en remet à la médiation syrienne pour prévenir les extrémismes. La Syrie est ainsi confirmée dans son rôle d’arbitre et d’organisatrice du retour au calme. Surtout, l’intervention permet à Hafez al-Assad de garder la maîtrise du conflit avec Israël, tout en contrôlant le gouvernement libanais.
Ainsi, tout au long de sa présidence, Hafez al-Assad a été en recherche d’alliés qui, suivant la conjoncture, pouvaient être transformés en ennemi. La ruse politique (5) est à l’oeuvre et la force qui en résulte s’établit à travers la guerre civile au Liban et en Syrie : le pouvoir s’impose comme l’arbitre et le maître tandis que la société est détruite.
En 2000, après une période d’ouverture d’apparence libérale, Bachar al-Assad (il a 34 ans) poursuit la politique de son père défunt. En 2004, malgré l’hostilité des États-Unis et la résolution 1559 du Conseil de sécurité, il soutient la prolongation de trois ans du mandat présidentiel d’Emile Lahoud, un fidèle : celle-ci sera votée par le parlement libanais, y compris par le Premier ministre Rafic Hariri et son groupe. Soupçonné de contact avec le Conseil de sécurité, ce dernier sera exécuté dans un attentat spectaculaire le 14 février 2005. La scène met en évidence l’hubris du pouvoir qui emporte le président syrien et qui surgit dans ses décisions de plus en plus personnelles et solitaires (6). Le 14 mars 2005, soulevés par l’assassinat de leur Premier ministre, un million de Libanais convergent vers la place des Martyrs, appelant au départ de la Syrie, lequel sera effectif fin avril 2005. Mais la puissance de l’événement grégaire n’ébranle pas Bachar al-Assad. Il relance ses moukhabarat et à Beyrouth, les attentats à la voiture piégée se succèdent au long de l’année et dans les temps qui suivent ; ainsi disparaissent successivement deux des leaders de cette révolution du Cèdre : Samir Kassir et Gebrane Tueni.
Millénarisme et djihadisme salvateurs
La puissance politique fait face à la puissance sociale des foules, à laquelle elle s’oppose radicalement. Alors que le pouvoir ne va pas cesser de durcir sa stratégie du double ennemi, la guerre civile va tout emporter.
Les révoltes et révolutions arabes de 2011 qui renversèrent le mur de la peur étaient portées par un moteur grégaire et mystique (7). Il s’agissait là de foules sacrificielles entraînées par le martyr et plus exactement par le « chahid » arabo-musulman porteur d’une connotation sacrée. On sait que le suicide est interdit par le Coran. Mais le « chahid » n’est pas un kamikaze : il est avant tout témoin d’une affirmation radicale pour lui-même et la communauté. Ressenti comme tel au sein des foules sunnites majoritaires, l’acte est au coeur d’une émotion religieuse contagieuse, d’où une violence mimétique qui, chaque vendredi au sortir des mosquées, se confondait avec la révélation : la vérité s’affirmait, elle ordonnait un retour à la loi d’origine. Ce n’était plus le futur qui s’imposait mais le passé. Dans ce contexte, seul l’extrémisme religieux pouvait s’affirmer porteur de la vraie révolution. En Syrie, la protestation se transforma en combat et, pour partie, bascula dans le salafisme, qui en s’armant permit le recrutement djihadiste. Le martyr restaure le lien avec Dieu et impose un ordre divin qui implique le don de la vie : ce qui débouche sur l’autorité absolue de ceux qui se disent mandatés. C’est ainsi qu’Abou Bakr al-Baghdadi s’est investi du califat qui entend soumettre non seulement les croisés et les juifs, mais aussi tous les mécréants qui ne le reconnaissent pas. Mû par cette volonté, l’EI ne passe aucune alliance et multiplie ses ennemis, à commencer par les rebelles les plus proches. La toute-puissance qui l’inspire fait sa force et affirme son droit à combattre tous les tiers en vue de les subordonner à un ordre totalitaire.
La vision millénariste portée par les djihadistes a été rejouée par le pouvoir syrien comme facteur de division et motif de guerre. Dès les premiers mois du soulèvement, Bachar al-Assad proclame une amnistie et la libération des prisonniers ordinaires, parmi lesquels figurent un certain nombre de radicaux islamistes. Certains étaient des membres présumés d’Al-Qaïda, anciens du réseau « Zarkaoui », capturés par la CIA et secrètement livrés à la Syrie (8). Trop peu nombreux pour menacer le régime, leur présence dans les rangs des opposants
Ces trois figures – régime Assad, EI et milices islamistes, révolte syrienne – sont hostiles l’une à l’autre et créent la conjecture du double ennemi intérieur qui s’avère un puissant destructeur de la société, tout en s’offrant comme le domaine de la ruse et de la force du pouvoir.
donnait un caractère véridique aux dénonciations d’Assad qui assimilait la rébellion au terrorisme. Dès avril 2011, il lance ses troupes contre des civils non armés, tout en soutenant qu’il est engagé dans un combat contre les « takfiri » qui entendent libérer l’Islam de la mécréance et des apostats.
Parallèlement, révolte syrienne et répression induisent un contexte propice à la création de la milice islamiste Jabhat al-Nosra que rallièrent les terroristes libérés par Assad. Ce contexte servira d’incubateur pour le califat de Baghdadi (9) : soit l’instauration d’un règne islamiste sans frontière pour une charia radicale qui, au nom d’Allah, donnait droit au plus terrible excès du projet Zarkaoui… ce qui allait conférer une réalité aux accusations de Bachar al-Assad. Dès lors, entre les rebelles et l’armée, une troisième figure s’impose : l’ennemi radical instrumentalisé par la foi. Une interprétation apocalyptique de l’Islam prend corps au coeur d’une eschatologie qui fait de la fin du monde la promesse du paradis.
Ces trois figures – régime Assad, EI et milices islamistes, révolte syrienne – sont hostiles l’une à l’autre et créent la conjecture du double ennemi intérieur qui s’avère un puissant destructeur de la société, tout en s’offrant comme le domaine de la ruse et de la force du pouvoir.
Yarmouk, cimetière du double ennemi
Yarmouk, dont il ne reste plus qu’un mille-feuilles informe de ferrailles, de béton et de tôle, est témoin de cette hostilité radicale.
Les Palestiniens de Syrie jouissaient de conditions de vie meilleures que dans tous les autres pays arabes. Yarmouk était le symbole d’une intégration relativement réussie. Mais, en marge de l’ancien camp devenu ville, dès 2011, les plus pauvres manifestent contre le pouvoir syrien ; ils sont soutenus par le Hamas, qui s’oppose au Fatah prônant la neutralité. Le 16 décembre 2012 et à titre préventif, un MiG syrien bombarde l’ancien camp, causant la mort de dizaines de civils. Le lendemain, les brigades de l’Armée syrienne libre renversent les positions du FPLP-CG (palestinien pro-régime) et prennent le contrôlent de Yarmouk. D’où le siège et les bombardements par le régime, la famine, les pillages et l’exode de la population qui va suivre.
Avec l’aide d’Al-Nosra, l’EI pénètre dans Yarmouk, chasse l’Armée syrienne libre le 1er avril 2015, avant de se retourner contre son allié et de pourchasser toute opposition, tout en imposant une charia intransigeante. Enfin, entre le 19 avril et le 19 mai 2018, les bombardements et les combats acharnés menés par les troupes loyalistes achèvent de raser Yarmouk livrée au pillage. 1400 djihadistes de l’EI sont exfiltrés des ruines et embarqués par les bus du régime en direction de la Badiya. Yarmouk, à 7 km du palais présidentiel, est le lieu idéal pour une opération immobilière remarquable, alors que le retour des Palestiniens est impossible.
Ainsi, depuis les années 1970, le pouvoir syrien n’a eu de cesse de se renforcer en exploitant l’essor du double ennemi pour en tirer la force d’un nouveau pouvoir. Nous nous sommes montrés insensibles à cette construction singulière, tant notre culture démocratique réduit le plus souvent le politique à la conquête électorale du pouvoir et aux idéologies, sans porter d’attention à la préservation de l’espace public. Il n’est pas vu que celui-ci est la projection du politique dans le quotidien, ni que cet espace commun n’existe que si l’ennemi s’en trouve exclu, alors que la même loi s’impose à tous (10). Ni l’assabiyya des Assad identifiée comme capture du pouvoir et puissance d’exclusion, ni le millénarisme arabe en tant que piège de la politique (11), n’ont été perçus comme vecteurs de l’ennemi intérieur dont jouait le pouvoir syrien.
Faire renaître l’espace public
Alors que nous sommes en quête de la paix, il s’agit de comprendre combien l’État de barbarie décrit par Seurat est en fait une négation de l’État qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours. L’esprit de corps de l’assabiyya au pouvoir se façonne autour de l’ennemi intérieur, alors que l’État moderne s’est construit autour de la neutralisation et de l’exclusion de celui-ci. Le pouvoir syrien est mû par une dynamique de la puissance qui, paradoxalement, n’a pas cessé d’être renforcée par le culte djihadiste du malheur et de la mort, jusqu’à la destruction, ville après ville, de l’espace public. Le politique a peu à peu disparu derrière le militaire : une dynamique de la terreur s’est substituée à la dynamique conflictuelle propre à toute société. Déjà,
Le massacre de Hama, en février 1982, préfigure le sort de Bab Amr à Homs en 2012, ou celui d’Alep-Est, en 2016, voire encore des villes de la Ghouta orientale et de Yarmouk aujourd’hui, avant que ne soit frappée Idleb, dans le Nord-Ouest.
le 27 juin 1980, pour punir la tentative d’attentat qui avait visé son frère, Rifaat Assad fait massacrer plus de mille Frères musulmans dans la prison de Tadmor (Palmyre). Dans un éditorial du quotidien Tishrin, il se justifie ainsi : « Si nécessaire, pour construire la paix et l’amour, nous sommes prêts à engager cent batailles, à détruire mille citadelles et à sacrifier un million de martyrs… » (12) Le massacre de Hama, en février 1982, préfigure le sort de Bab Amr à Homs en 2012, ou celui d’AlepEst, en 2016, voire encore des villes de la Ghouta orientale et de Yarmouk aujourd’hui, avant que ne soit frappée Idleb, dans le Nord-Ouest, où se confrontent les dernières cohortes de l’EI et d’Al-Qaïda, les Kurdes et les Turcs, l’armée du régime et les restes de l’Armée syrienne libre, le Hezbollah et les Iraniens, les Russes et les Américains : un chaos belligène dont l’éradication légitime a priori l’intervention du pouvoir.
L’unité politique est produite par désintégration : chacun doit se sentir menacé. Ce qui conduit l’historien franco-syrien Farouk Mardam-Bey à conclure ainsi un entretien paru dans L’Orient-Le Jour le 15 mars 2018 : « Aucune des conditions requises de la paix civile et de la réconciliation nationale n’existe en Syrie. Au contraire, tout ce qui se passe est porteur de nouveaux malheurs dans un avenir proche ou lointain. » Il faut comprendre l’immense voile de deuil qui recouvre désormais le pays.
Pour une diplomatie faisant face au double ennemi
Cette situation encourage le maintien des rapports de force et de la ruse, une culture de l’inimitié qui se projettera à nouveau sur les pays voisins, en particulier le Liban, où elle ne peut manquer d’instiller la guerre entre le Hezbollah et Israël, et simultanément la lutte entre les clans.
Le Moyen-Orient se pose comme un espace où des affrontements secondaires sont en capacité de produire une ascension vers les extrêmes. D’où l’attention qu’il faudrait porter à la dynamique du double ennemi et à ses conséquences du point de vue diplomatique, en particulier dans le gouvernorat d’Idleb et sur la frontière sud du Liban. À l’heure de la reconquête de Deraa, où la révolution avait commencé, la reconstruction de la Syrie et le traitement des conflits intérieurs doivent nous conduire à porter notre attention sur la reconstruction de l’espace public syrien, et simultanément sur la préservation de l’espace public libanais. L’Europe devrait y consacrer ses efforts : notre avenir en dépend.
En parallèle à l’action militaire, notre diplomatie se doit de contribuer à la maîtrise du chaos : c’est-à-dire au dépassement des duels au profit d’alliances sollicitant le retour des tiers. Ainsi, en vue de l’édification d’une ville nouvelle, nous pourrions favoriser la mise en place d’une zone de sécurité le long de la frontière turco-syrienne, comme le demande Ankara. La Turquie accueille plus de deux millions de réfugiés syriens, c’est là une lourde charge qu’il convient d’alléger. Dans cette zone, refuge de trois millions de personnes dont un million d’enfants, traversée par les conflits entre Turcs, Kurdes, Syriens rebelles ou tribus pro-régime, voire encore entre groupuscules extrémistes puissants, le projet de ville nouvelle, avec l’aide de l’Europe, mobiliserait la force de travail des réfugiés et le Conseil de Sécurité de l’ONU le soutiendrait comme pôle de conversion de l’hostilité en concorde locale. C’est là un immense chantier qui relancerait notre diplomatie aujourd’hui paralysée dans les rets du double ennemi.
Une culture de l’inimitié se projettera à nouveau sur les pays voisins, en particulier le Liban, où elle ne peut manquer d’instiller la guerre entre le Hezbollah et Israël, et simultanément la lutte entre les clans.