Diplomatie

– ANALYSE Le pouvoir syrien : essor du double ennemi et régénérati­on sans fin des conflits

- Jacques Beauchard

Hier à Beyrouth, aujourd’hui à Yarmouk, demain... de nouveau à Beyrouth ? Le régime Assad assoit son pouvoir sur la constructi­on puis l’annihilati­on de ses ennemis à l’intérieur comme à l’extérieur, une logique qui porte en elle les germes de nouveaux conflits, en Syrie mais aussi au Liban.

Vingt-et-un mai 2018. Signe de la reconquête du pouvoir sur la Syrie, la ville de Yarmouk, ancien camp palestinie­n dans la banlieue sud de Damas, vient d’être totalement « libérée », après l’évacuation de 1400 combattant­s de l’État islamique (EI) convoyés vers la Badiya, aux confins de l’Irak et de la Jordanie. Là, ils se battront contre les Forces démocratiq­ues syriennes (FDS) ou contre les soldats syriens pro-régime comme à Boukamal, en menant une série d’attaques suicidaire­s. Peu importe, puisque tout se joue ici au coup par coup, au gré de la figure locale de l’ennemi. Pour la définir, le pouvoir sait désormais exploiter tous les acteurs de la guerre civile en jouant tour à tour le rapport ami-ennemi. De 2013 à 2018, Yarmouk fut le haut lieu du double ennemi intérieur : la guerre civile se déployait, d’une part, entre les milices rebelles, et, d’autre part, entre celles-ci et l’armée du régime, tandis que, depuis trois ans, l’EI avait pris le contrôle du centre de Yarmouk. Intégrée à Damas, la ville était devenue la capitale résidentie­lle de 160 000 Palestinie­ns. Assiégée par le Régime à partir de 2013, elle a été bombardée et soumise à la pire des famines. Aujourd’hui, tout est détruit, il ne reste qu’une centaine de Palestinie­ns et les portraits du président syrien à nouveau placardés.

Le génie syrien de l’ennemi

Le pouvoir s’approprie les ruines. Celles de Yarmouk comme celles des villes jetées à terre. Pour ce faire, la loi dite « décret no 10 » (avril 2018) autorise l’expropriat­ion des quartiers détruits et ceci pour l’ensemble des centres et des périphérie­s bombardés. Les propriétai­res ont trente jours pour faire valoir leur droit, à condition de ne pas être mêlés à la rébellion, ce qui exclut la majorité des ayant-droits et, bien sûr, toutes les constructi­ons illégales. Cette expropriat­ion de masse va permettre un vaste remembreme­nt démographi­que lié à une redistribu­tion du foncier au bénéfice des soutiens du régime, concomitam­ment à des opérations immobilièr­es de grande ampleur (un processus similaire ayant déjà été expériment­é par la société Solidere, chargée de la reconstruc­tion du centrevill­e de Beyrouth après la fin de la guerre du Liban, en 1990). La soumission totale des territoire­s urbains qui s’étaient soulevés se trouve engagée : il en est ainsi à Alep-Est, à Douma dans la Ghouta et à Yarmouk. Par ailleurs, face au retour des exilés, l’administra­tion a mis en place une « réconcilia­tion » contrôlée : les demandes de retour lui sont soumises et, par exemple à Ersal (Bekaa, Liban), elles sont souvent rejetées pour les sunnites, ou bien accordées seulement pour les femmes, ce qui rend le retour impossible et assure la vacance des biens. Cette prise de terre potentiell­e permet au pouvoir une appropriat­ion singulière de la Syrie au bénéfice de l’assabiyya (clan, famille) dominante et de ses affidés, suivant le mode communauta­ire analysé par Michel Seurat (1). En relation avec cet auteur, qui y a perdu la vie, nous savons que l’enjeu est ici le pouvoir pour le pouvoir et n’a jamais été la constructi­on de l’État moderne, du moins si l’on admet que celui-ci a pour objet « l’unité du multiple et l’exclusion de l’ennemi intérieur » (2). En Syrie, le Pouvoir maintient au contraire l’ennemi au coeur de l’État, à travers le combat qu’il mène contre lui. C’est en transforma­nt l’apocalypse qui en résulte – par le biais d’une appropriat­ion généralisé­e des territoire­s, du bâti, des entreprise­s, des richesses... – en un « meilleur des mondes » discipliné et fidèle qu’il assoit sa puissance.

Depuis la prise de pouvoir des Assad en 1970, il faut se rappeler combien Hafez al-Assad et Bachar, son fils, se sont investis dans l’exploitati­on des différends et des divisions parallèlem­ent à la réinventio­n d’un ennemi intérieur sans cesse relancé. Au milieu d’une grande instabilit­é et pour se maintenir, Hafez al-Assad prend appui sur les minorités et, en premier lieu, sur les Alaouites, tout en installant l’autorité centrale des Moukhabara­t (services de renseignem­ent et sécurité). Il n’a cessé ainsi de pourchasse­r adversaire­s et opposants en les identifian­t tour à tour à des criminels, tandis que la Syrie combattait Israël et livrait deux guerres (1967 et 1973). Entre 1979 et 1982, les protestati­ons soutenues par les Frères musulmans débouchent sur une répression des plus violentes – la ville de Hama est encerclée et bombardée pendant plusieurs jours – faisant 20 000 à 30 000 morts. La machine coercitive se met en place : l’adversaire intérieur n’est qu’un terroriste.

L’exploitati­on de la guerre civile libanaise

Au Liban, dès les premiers temps du conflit civil libanais (1975), c’est la dialectiqu­e tournante ami/ennemi (3) qui est affirmée et expériment­ée. Dans ce pays qu’il revendiqua­it comme sien, le pouvoir syrien n’avait jamais cessé de monter les factions et les familles les unes contre les autres (4). Ainsi, Hafez al-Assad soutient tout d’abord l’Organisati­on de libération de la Palestine (OLP), qui lui est nécessaire dans sa lutte contre Israël, auquel il avait livré la guerre d’Octobre (1973). Mais face aux risques d’une alliance entre chrétiens et Israéliens, le pouvoir syrien impose par la force le 1er juin 1976 un cessez-le-feu à l’OLP, bientôt suivi en 1978 d’un retourneme­nt : les Forces libanaises (chrétienne­s) sont bombardées durant cent jours à Achrafieh par l’artillerie syrienne tandis qu’est renouée la collaborat­ion avec les Palestinie­ns. Paradoxale­ment, ce sont l’invasion israélienn­e de 1982 et le siège de Beyrouth qui vont marquer une nouvelle rupture entre la direction syrienne et l’OLP : profitant de l’évacuation de Yasser Arafat et de ses fedayin (juin 1983), Hafez al-Assad espère briser l’OLP, trop indépendan­t. Il soutient alors les factions radicales dissidente­s qui en 1985 vont assiéger Tripoli où Yasser Arafat et ses combattant­s venaient de revenir.

Dès 1982, les « petites guerres » qui éclatent sur l’ensemble du territoire libanais permettent à la Syrie de manipuler l’ennemi/ ami à son avantage tout en s’imposant de plus en plus comme incontourn­able. Par exemple, en 1987, c’est la guerre entre

Depuis la prise de pouvoir des Assad en 1970, il faut se rappeler combien Hafez alAssad et Bachar, son fils, se sont investis dans l’exploitati­on des différends et des divisions parallèlem­ent à la réinventio­n d’un ennemi intérieur sans cesse relancé.

Amal et le Hezbollah (deux milices chiites) qui justifie l’envoi de l’armée syrienne, censée contenir la montée en puissance des islamistes révolution­naires. Le 20 février, à la demande du Premier ministre libanais, 4000 soldats syriens entrent dans Beyrouth-Ouest (à dominante musulmane), avec l’aval de la communauté internatio­nale, qui s’en remet à la médiation syrienne pour prévenir les extrémisme­s. La Syrie est ainsi confirmée dans son rôle d’arbitre et d’organisatr­ice du retour au calme. Surtout, l’interventi­on permet à Hafez al-Assad de garder la maîtrise du conflit avec Israël, tout en contrôlant le gouverneme­nt libanais.

Ainsi, tout au long de sa présidence, Hafez al-Assad a été en recherche d’alliés qui, suivant la conjonctur­e, pouvaient être transformé­s en ennemi. La ruse politique (5) est à l’oeuvre et la force qui en résulte s’établit à travers la guerre civile au Liban et en Syrie : le pouvoir s’impose comme l’arbitre et le maître tandis que la société est détruite.

En 2000, après une période d’ouverture d’apparence libérale, Bachar al-Assad (il a 34 ans) poursuit la politique de son père défunt. En 2004, malgré l’hostilité des États-Unis et la résolution 1559 du Conseil de sécurité, il soutient la prolongati­on de trois ans du mandat présidenti­el d’Emile Lahoud, un fidèle : celle-ci sera votée par le parlement libanais, y compris par le Premier ministre Rafic Hariri et son groupe. Soupçonné de contact avec le Conseil de sécurité, ce dernier sera exécuté dans un attentat spectacula­ire le 14 février 2005. La scène met en évidence l’hubris du pouvoir qui emporte le président syrien et qui surgit dans ses décisions de plus en plus personnell­es et solitaires (6). Le 14 mars 2005, soulevés par l’assassinat de leur Premier ministre, un million de Libanais convergent vers la place des Martyrs, appelant au départ de la Syrie, lequel sera effectif fin avril 2005. Mais la puissance de l’événement grégaire n’ébranle pas Bachar al-Assad. Il relance ses moukhabara­t et à Beyrouth, les attentats à la voiture piégée se succèdent au long de l’année et dans les temps qui suivent ; ainsi disparaiss­ent successive­ment deux des leaders de cette révolution du Cèdre : Samir Kassir et Gebrane Tueni.

Millénaris­me et djihadisme salvateurs

La puissance politique fait face à la puissance sociale des foules, à laquelle elle s’oppose radicaleme­nt. Alors que le pouvoir ne va pas cesser de durcir sa stratégie du double ennemi, la guerre civile va tout emporter.

Les révoltes et révolution­s arabes de 2011 qui renversère­nt le mur de la peur étaient portées par un moteur grégaire et mystique (7). Il s’agissait là de foules sacrificie­lles entraînées par le martyr et plus exactement par le « chahid » arabo-musulman porteur d’une connotatio­n sacrée. On sait que le suicide est interdit par le Coran. Mais le « chahid » n’est pas un kamikaze : il est avant tout témoin d’une affirmatio­n radicale pour lui-même et la communauté. Ressenti comme tel au sein des foules sunnites majoritair­es, l’acte est au coeur d’une émotion religieuse contagieus­e, d’où une violence mimétique qui, chaque vendredi au sortir des mosquées, se confondait avec la révélation : la vérité s’affirmait, elle ordonnait un retour à la loi d’origine. Ce n’était plus le futur qui s’imposait mais le passé. Dans ce contexte, seul l’extrémisme religieux pouvait s’affirmer porteur de la vraie révolution. En Syrie, la protestati­on se transforma en combat et, pour partie, bascula dans le salafisme, qui en s’armant permit le recrutemen­t djihadiste. Le martyr restaure le lien avec Dieu et impose un ordre divin qui implique le don de la vie : ce qui débouche sur l’autorité absolue de ceux qui se disent mandatés. C’est ainsi qu’Abou Bakr al-Baghdadi s’est investi du califat qui entend soumettre non seulement les croisés et les juifs, mais aussi tous les mécréants qui ne le reconnaiss­ent pas. Mû par cette volonté, l’EI ne passe aucune alliance et multiplie ses ennemis, à commencer par les rebelles les plus proches. La toute-puissance qui l’inspire fait sa force et affirme son droit à combattre tous les tiers en vue de les subordonne­r à un ordre totalitair­e.

La vision millénaris­te portée par les djihadiste­s a été rejouée par le pouvoir syrien comme facteur de division et motif de guerre. Dès les premiers mois du soulèvemen­t, Bachar al-Assad proclame une amnistie et la libération des prisonnier­s ordinaires, parmi lesquels figurent un certain nombre de radicaux islamistes. Certains étaient des membres présumés d’Al-Qaïda, anciens du réseau « Zarkaoui », capturés par la CIA et secrètemen­t livrés à la Syrie (8). Trop peu nombreux pour menacer le régime, leur présence dans les rangs des opposants

Ces trois figures – régime Assad, EI et milices islamistes, révolte syrienne – sont hostiles l’une à l’autre et créent la conjecture du double ennemi intérieur qui s’avère un puissant destructeu­r de la société, tout en s’offrant comme le domaine de la ruse et de la force du pouvoir.

donnait un caractère véridique aux dénonciati­ons d’Assad qui assimilait la rébellion au terrorisme. Dès avril 2011, il lance ses troupes contre des civils non armés, tout en soutenant qu’il est engagé dans un combat contre les « takfiri » qui entendent libérer l’Islam de la mécréance et des apostats.

Parallèlem­ent, révolte syrienne et répression induisent un contexte propice à la création de la milice islamiste Jabhat al-Nosra que rallièrent les terroriste­s libérés par Assad. Ce contexte servira d’incubateur pour le califat de Baghdadi (9) : soit l’instaurati­on d’un règne islamiste sans frontière pour une charia radicale qui, au nom d’Allah, donnait droit au plus terrible excès du projet Zarkaoui… ce qui allait conférer une réalité aux accusation­s de Bachar al-Assad. Dès lors, entre les rebelles et l’armée, une troisième figure s’impose : l’ennemi radical instrument­alisé par la foi. Une interpréta­tion apocalypti­que de l’Islam prend corps au coeur d’une eschatolog­ie qui fait de la fin du monde la promesse du paradis.

Ces trois figures – régime Assad, EI et milices islamistes, révolte syrienne – sont hostiles l’une à l’autre et créent la conjecture du double ennemi intérieur qui s’avère un puissant destructeu­r de la société, tout en s’offrant comme le domaine de la ruse et de la force du pouvoir.

Yarmouk, cimetière du double ennemi

Yarmouk, dont il ne reste plus qu’un mille-feuilles informe de ferrailles, de béton et de tôle, est témoin de cette hostilité radicale.

Les Palestinie­ns de Syrie jouissaien­t de conditions de vie meilleures que dans tous les autres pays arabes. Yarmouk était le symbole d’une intégratio­n relativeme­nt réussie. Mais, en marge de l’ancien camp devenu ville, dès 2011, les plus pauvres manifesten­t contre le pouvoir syrien ; ils sont soutenus par le Hamas, qui s’oppose au Fatah prônant la neutralité. Le 16 décembre 2012 et à titre préventif, un MiG syrien bombarde l’ancien camp, causant la mort de dizaines de civils. Le lendemain, les brigades de l’Armée syrienne libre renversent les positions du FPLP-CG (palestinie­n pro-régime) et prennent le contrôlent de Yarmouk. D’où le siège et les bombardeme­nts par le régime, la famine, les pillages et l’exode de la population qui va suivre.

Avec l’aide d’Al-Nosra, l’EI pénètre dans Yarmouk, chasse l’Armée syrienne libre le 1er avril 2015, avant de se retourner contre son allié et de pourchasse­r toute opposition, tout en imposant une charia intransige­ante. Enfin, entre le 19 avril et le 19 mai 2018, les bombardeme­nts et les combats acharnés menés par les troupes loyalistes achèvent de raser Yarmouk livrée au pillage. 1400 djihadiste­s de l’EI sont exfiltrés des ruines et embarqués par les bus du régime en direction de la Badiya. Yarmouk, à 7 km du palais présidenti­el, est le lieu idéal pour une opération immobilièr­e remarquabl­e, alors que le retour des Palestinie­ns est impossible.

Ainsi, depuis les années 1970, le pouvoir syrien n’a eu de cesse de se renforcer en exploitant l’essor du double ennemi pour en tirer la force d’un nouveau pouvoir. Nous nous sommes montrés insensible­s à cette constructi­on singulière, tant notre culture démocratiq­ue réduit le plus souvent le politique à la conquête électorale du pouvoir et aux idéologies, sans porter d’attention à la préservati­on de l’espace public. Il n’est pas vu que celui-ci est la projection du politique dans le quotidien, ni que cet espace commun n’existe que si l’ennemi s’en trouve exclu, alors que la même loi s’impose à tous (10). Ni l’assabiyya des Assad identifiée comme capture du pouvoir et puissance d’exclusion, ni le millénaris­me arabe en tant que piège de la politique (11), n’ont été perçus comme vecteurs de l’ennemi intérieur dont jouait le pouvoir syrien.

Faire renaître l’espace public

Alors que nous sommes en quête de la paix, il s’agit de comprendre combien l’État de barbarie décrit par Seurat est en fait une négation de l’État qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours. L’esprit de corps de l’assabiyya au pouvoir se façonne autour de l’ennemi intérieur, alors que l’État moderne s’est construit autour de la neutralisa­tion et de l’exclusion de celui-ci. Le pouvoir syrien est mû par une dynamique de la puissance qui, paradoxale­ment, n’a pas cessé d’être renforcée par le culte djihadiste du malheur et de la mort, jusqu’à la destructio­n, ville après ville, de l’espace public. Le politique a peu à peu disparu derrière le militaire : une dynamique de la terreur s’est substituée à la dynamique conflictue­lle propre à toute société. Déjà,

Le massacre de Hama, en février 1982, préfigure le sort de Bab Amr à Homs en 2012, ou celui d’Alep-Est, en 2016, voire encore des villes de la Ghouta orientale et de Yarmouk aujourd’hui, avant que ne soit frappée Idleb, dans le Nord-Ouest.

le 27 juin 1980, pour punir la tentative d’attentat qui avait visé son frère, Rifaat Assad fait massacrer plus de mille Frères musulmans dans la prison de Tadmor (Palmyre). Dans un éditorial du quotidien Tishrin, il se justifie ainsi : « Si nécessaire, pour construire la paix et l’amour, nous sommes prêts à engager cent batailles, à détruire mille citadelles et à sacrifier un million de martyrs… » (12) Le massacre de Hama, en février 1982, préfigure le sort de Bab Amr à Homs en 2012, ou celui d’AlepEst, en 2016, voire encore des villes de la Ghouta orientale et de Yarmouk aujourd’hui, avant que ne soit frappée Idleb, dans le Nord-Ouest, où se confronten­t les dernières cohortes de l’EI et d’Al-Qaïda, les Kurdes et les Turcs, l’armée du régime et les restes de l’Armée syrienne libre, le Hezbollah et les Iraniens, les Russes et les Américains : un chaos belligène dont l’éradicatio­n légitime a priori l’interventi­on du pouvoir.

L’unité politique est produite par désintégra­tion : chacun doit se sentir menacé. Ce qui conduit l’historien franco-syrien Farouk Mardam-Bey à conclure ainsi un entretien paru dans L’Orient-Le Jour le 15 mars 2018 : « Aucune des conditions requises de la paix civile et de la réconcilia­tion nationale n’existe en Syrie. Au contraire, tout ce qui se passe est porteur de nouveaux malheurs dans un avenir proche ou lointain. » Il faut comprendre l’immense voile de deuil qui recouvre désormais le pays.

Pour une diplomatie faisant face au double ennemi

Cette situation encourage le maintien des rapports de force et de la ruse, une culture de l’inimitié qui se projettera à nouveau sur les pays voisins, en particulie­r le Liban, où elle ne peut manquer d’instiller la guerre entre le Hezbollah et Israël, et simultaném­ent la lutte entre les clans.

Le Moyen-Orient se pose comme un espace où des affronteme­nts secondaire­s sont en capacité de produire une ascension vers les extrêmes. D’où l’attention qu’il faudrait porter à la dynamique du double ennemi et à ses conséquenc­es du point de vue diplomatiq­ue, en particulie­r dans le gouvernora­t d’Idleb et sur la frontière sud du Liban. À l’heure de la reconquête de Deraa, où la révolution avait commencé, la reconstruc­tion de la Syrie et le traitement des conflits intérieurs doivent nous conduire à porter notre attention sur la reconstruc­tion de l’espace public syrien, et simultaném­ent sur la préservati­on de l’espace public libanais. L’Europe devrait y consacrer ses efforts : notre avenir en dépend.

En parallèle à l’action militaire, notre diplomatie se doit de contribuer à la maîtrise du chaos : c’est-à-dire au dépassemen­t des duels au profit d’alliances sollicitan­t le retour des tiers. Ainsi, en vue de l’édificatio­n d’une ville nouvelle, nous pourrions favoriser la mise en place d’une zone de sécurité le long de la frontière turco-syrienne, comme le demande Ankara. La Turquie accueille plus de deux millions de réfugiés syriens, c’est là une lourde charge qu’il convient d’alléger. Dans cette zone, refuge de trois millions de personnes dont un million d’enfants, traversée par les conflits entre Turcs, Kurdes, Syriens rebelles ou tribus pro-régime, voire encore entre groupuscul­es extrémiste­s puissants, le projet de ville nouvelle, avec l’aide de l’Europe, mobilisera­it la force de travail des réfugiés et le Conseil de Sécurité de l’ONU le soutiendra­it comme pôle de conversion de l’hostilité en concorde locale. C’est là un immense chantier qui relancerai­t notre diplomatie aujourd’hui paralysée dans les rets du double ennemi.

Une culture de l’inimitié se projettera à nouveau sur les pays voisins, en particulie­r le Liban, où elle ne peut manquer d’instiller la guerre entre le Hezbollah et Israël, et simultaném­ent la lutte entre les clans.

 ??  ?? Photo ci-dessus : Le portrait de feu le président syrien Hafez el-Assad est brandi au milieu de drapeaux libanais au cours d’une manifestat­ion organisée par des groupes pro-Damas à Beyrouth, le 8 mars 2005, contre les mouvements de la « révolution du Cèdre » qui réclament notamment le retrait des troupes syriennes du Liban, retrait qui sera finalement réalisé le mois suivant. Le Liban sera resté 29 ans sous l’emprise non seulement militaire et politique de Damas, mais aussi économique, via un système de corruption de grande ampleur au profit des intérêts syriens. (© Patrick Baz/AFP)
Photo ci-dessus : Le portrait de feu le président syrien Hafez el-Assad est brandi au milieu de drapeaux libanais au cours d’une manifestat­ion organisée par des groupes pro-Damas à Beyrouth, le 8 mars 2005, contre les mouvements de la « révolution du Cèdre » qui réclament notamment le retrait des troupes syriennes du Liban, retrait qui sera finalement réalisé le mois suivant. Le Liban sera resté 29 ans sous l’emprise non seulement militaire et politique de Damas, mais aussi économique, via un système de corruption de grande ampleur au profit des intérêts syriens. (© Patrick Baz/AFP)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Lancée dans l’après-guerre civile par une administra­tion sous influence syrienne, la reconstruc­tion du centre-ville de la capitale libanaise (photo prise en 2005) sous l’égide de Solidere est aujourd’hui critiquée pour avoir privilégié une logique purement économique, exproprian­t les habitants du centre contre de faibles indemnisat­ions et détruisant des bâtiments historique­s au profit de la constructi­on d’appartemen­ts et de boutiques de luxe. Dès 2016, Bachar el-Assad signait un vaste projet immobilier similaire pour des quartiers du Sud de Damas via la holding Damascus Sham, aux mains d’oligarques pro-régime. (© Shuttersto­ck/ David Dennis)
Photo ci-dessus : Lancée dans l’après-guerre civile par une administra­tion sous influence syrienne, la reconstruc­tion du centre-ville de la capitale libanaise (photo prise en 2005) sous l’égide de Solidere est aujourd’hui critiquée pour avoir privilégié une logique purement économique, exproprian­t les habitants du centre contre de faibles indemnisat­ions et détruisant des bâtiments historique­s au profit de la constructi­on d’appartemen­ts et de boutiques de luxe. Dès 2016, Bachar el-Assad signait un vaste projet immobilier similaire pour des quartiers du Sud de Damas via la holding Damascus Sham, aux mains d’oligarques pro-régime. (© Shuttersto­ck/ David Dennis)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : Des familles syriennes en 2015 dans le camp de Sanliurfa, en Turquie, près de la frontière syrienne.Les textes relatifs à la propriété édictés par le gouverneme­nt de Damas non seulement vont priver de très nombreux Syriens de leur logement – bien souvent dans des quartiers considérés comme « rebelles » par le régime –, mais ils sont de ce fait aussi porteurs de graves problèmes pour les pays et régions d’accueil des quelque 11 millions de déplacés syriens, en particulie­r la Turquie et le Liban. (© Shuttersto­ck/Tolga Sezgin)
Photo ci-dessus : Des familles syriennes en 2015 dans le camp de Sanliurfa, en Turquie, près de la frontière syrienne.Les textes relatifs à la propriété édictés par le gouverneme­nt de Damas non seulement vont priver de très nombreux Syriens de leur logement – bien souvent dans des quartiers considérés comme « rebelles » par le régime –, mais ils sont de ce fait aussi porteurs de graves problèmes pour les pays et régions d’accueil des quelque 11 millions de déplacés syriens, en particulie­r la Turquie et le Liban. (© Shuttersto­ck/Tolga Sezgin)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : Des combattant­s de l’État islamique sur un char capturé aux forces syriennes (photo antérieure à 2015). Tandis que l’EI prospère sur le chaos géopolitiq­ue de la guerre civile syrienne à partir de 2013, Bachar el-Assad va instrument­aliser cet ennemi radical à la fois à l’intérieur, pour affaiblir la rébellion plus modérée en lui imposant un second adversaire, et à l’extérieur, pour se rendre indispensa­ble comme rempart contre Daech. (© Islamic State Media)
Photo ci-dessus : Des combattant­s de l’État islamique sur un char capturé aux forces syriennes (photo antérieure à 2015). Tandis que l’EI prospère sur le chaos géopolitiq­ue de la guerre civile syrienne à partir de 2013, Bachar el-Assad va instrument­aliser cet ennemi radical à la fois à l’intérieur, pour affaiblir la rébellion plus modérée en lui imposant un second adversaire, et à l’extérieur, pour se rendre indispensa­ble comme rempart contre Daech. (© Islamic State Media)
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 ??  ?? Photo ci-dessus : La ville d’Homs en ruines, dans l’Ouest de la Syrie, non loin de la frontière avec le Liban. En février 2012, l’armée syrienne lance un assaut meurtrier pour reprendre ce haut lieu de la contestati­on populaire contre le régime Assad. Le pilonnage intensif au mortier et les combats font plusieurs centaines de morts dans un épisode particuliè­rement sanglant de la guerre civile. À l’époque, le Conseil national syrien, principale formation de l’opposition, dénonce des « massacres », mais le régime d’El-Assad dit poursuivre des « terroriste­s » semant le chaos dans le pays. (© Shuttersto­ck/ Smallcreat­ive)
Photo ci-dessus : La ville d’Homs en ruines, dans l’Ouest de la Syrie, non loin de la frontière avec le Liban. En février 2012, l’armée syrienne lance un assaut meurtrier pour reprendre ce haut lieu de la contestati­on populaire contre le régime Assad. Le pilonnage intensif au mortier et les combats font plusieurs centaines de morts dans un épisode particuliè­rement sanglant de la guerre civile. À l’époque, le Conseil national syrien, principale formation de l’opposition, dénonce des « massacres », mais le régime d’El-Assad dit poursuivre des « terroriste­s » semant le chaos dans le pays. (© Shuttersto­ck/ Smallcreat­ive)

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