Diplomatie

– ANALYSE La Papouasie-Nouvelle-Guinée au coeur du monde Indo-Pacifique

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La Papouasie-Nouvelle-Guinée s’inscrit pleinement dans ce nouveau siècle asiatique. Elle se projette désormais au-delà du monde Pacifique, dans un voisinage en évolution rapide, dans un climat d’incertitud­e politique, de tensions sociales et en prenant en compte les aspiration­s indépendan­tistes de Bougainvil­le.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée se situe dans le Pacifique, au nord de l’Australie dont elle est séparée par le détroit de Torres, à l’est de l’Indonésie et à l’ouest des îles Salomon. Son territoire est formé par la moitié orientale de l’île de Nouvelle-Guinée – tandis que l’autre moitié est sous souveraine­té indonésien­ne –, par l’archipel Bismarck, au nord-est, dont la plus grande île est la Nouvelle-Bretagne, et par l’île de Bougainvil­le et ses dépendance­s. Elle est presque un voisin de la France, avec une ZEE qui s’étend à 200 milles marins de celle de la Nouvelle-Calédonie. Le pays pèse peu par rapport à ses grands voisins, mais demeure un géant du Pacifique insulaire, dont il est la principale économie, hors l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les territoire­s français, et un pilier du monde mélanésien. Il est le deuxième pays le plus peuplé d’Océanie (plus de 8 millions d’habitants en 2018), derrière l’Australie mais devant la Nouvelle-Zélande. La PapouasieN­ouvelle-Guinée (PNG) est pourtant ignorée par l’Europe, alors qu’elle s’inscrit désormais au coeur d’un espace IndoPacifi­que devenu le centre du monde et de ses enjeux régionaux et globaux, qu’ils soient stratégiqu­es, économique­s ou environnem­entaux. Sur ces derniers, la PNG est un des chefs de file des petits États insulaires en développem­ent (PEID ou SIDS en anglais), car elle est confrontée à la dégradatio­n et à la destructio­n de ses forêts tropicales (plus du tiers des forêts du pays).

Près d’un siècle de colonisati­on (1883-1975)

La Nouvelle-Guinée précolonia­le n’apparaît pas dans les chroniques asiatiques, et en particulie­r chinoises, à l’exception de quelques échanges plus ou moins réguliers entre marchands

insulindie­ns de Macassar et population­s littorales, pour le commerce des bêches-de-mer (ou concombres de mer), vendues comme ingrédient­s de luxe pour le marché chinois. Dans la décennie 2000, leur pêche était encore une des premières exportatio­ns halieutiqu­es de la PNG, jusqu’au moratoire entre 2010 et 2017 et à la mise en place de quotas ( Total Allowable Catch). La Nouvelle-Guinée est dessinée sur les cartes européenne­s à la suite des premières navigation­s portugaise­s dans la région, au XVIe siècle, mais reste en retrait des exploratio­ns occidental­es jusqu’au XIXe siècle. Le premier établissem­ent néerlandai­s en Nouvelle-Guinée est fondé en 1828, mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour la mise en place de la Nederlands-Nieuw-Guinea ou Nouvelle-Guinée néerlandai­se. En 1883, la Colonie australien­ne du Queensland commence l’annexion du Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, devenue protectora­t britanniqu­e ( British New Guinea) l’année suivante. Le Commonweal­th d’Australie devient la puissance tutélaire le 18 mars 1902, par transfert d’autorité depuis le RoyaumeUni. Enfin, au Nord-Est, la Neuginea-Kompagnie coloniale allemande exploite les richesses de l’archipel Bismarck dès 1884, qui devient officielle­ment, avec le Kaiser-Wilhelms-Land (NordEst de la Nouvelle-Guinée), Bougainvil­le et Buka, un protectora­t allemand en avril 1899 (le Deutsch Neuguinea auquel sont incorporés des archipels micronésie­ns). Un corps expédition­naire australien envahit les territoire­s allemands au moment du déclenchem­ent de la Première Guerre mondiale en 1914, et cette conquête « subimpéria­le » du Dominion australien est confirmée en 1919 avec un Mandat de la Société des Nations. La Papouasie-Nouvelle-Guinée devient une « nouvelle frontière » australien­ne, comme le Territoire du Nord ou l’Antarctiqu­e, pour un rêve impérial d’une Australie de « l’Équateur au Pôle Sud », pour reprendre les termes de l’ancien Premier ministre australien Alfred Deakin.

L’imaginaire dominant en Australie reproduit les clichés sur une terre « d’épaisse jungle » et de « peuples primitifs » et la gestion australien­ne est marquée par un minimum d’investisse­ments, même en comparaiso­n avec d’autres colonies du Pacifique. Les projets de représenta­tion de la colonie au sein du Parlement furent jugés prématurés, au moment de la mise en place de l’administra­tion australien­ne : « [...] Compte tenu des conditions locales, notamment le petit nombre d’habitants blancs et le fait qu’ils ont été dispersés sur une zone très large de la Possession induite [la Papouasie], les ministres ont mis de côté l’idée [de la représenta­tion élective], présentée comme

Le pays pèse peu par rapport à ses grands voisins, mais demeure un géant du Pacifique insulaire, dont il est la principale économie, hors l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les territoire­s français, et un pilier du monde mélanésien.

prématurée. » (1) Dans les années 1930, une modeste ruée vers l’or suscita un peu d’attention pour la colonie, mais c’est surtout la progressio­n japonaise, le long de la piste Kokoda lors de la Seconde Guerre mondiale, qui a enclenché un renouveau d’intérêt stratégiqu­e pour la Papouasie, comme glacis protecteur pour l’Australie. Dans l’après-guerre, le gouverneme­nt australien y met en place de premières réformes médicales et sociales à partir de la constructi­on d’écoles et d’hôpitaux qui ne touchaient qu’une petite part de la population et sans reconnaiss­ance de droits nouveaux, notamment sous la pression des colons australien­s.

Des années 1960 au tout début des années 1970, une part importante des décideurs australien­s évoquait l’indépendan­ce de la Papouasie-Nouvelle-Guinée comme un processus à long terme. L’administra­tion coloniale australien­ne continuait encore dans les années 1960 de promouvoir des interdicti­ons ubuesques comme celle « de boire de l’alcool, la pratique de sports de contact ou (pour les hommes) de porter des vêtements au-dessus de la ceinture » (2). À propos de la future bureaucrat­ie de Papouasie-Nouvelle-Guinée, un conseiller australien insistait à la fin des années 1960 sur le fait que « des salaires élevés n’étaient pas utiles pour des hommes qui porteraien­t des pagnes » (3). En quelques années néanmoins, la Papouasie-Nouvelle-Guinée se dota d’un Papua New Guinea Legislativ­e Council, remplacé en 1964 par un Parlement élu aux pouvoirs limités, ainsi que des partis politiques, le Pangu Pati, dirigé par Michael Somare et le Papuan People Party de Julius Chan, qui participèr­ent aux premières élections démocratiq­ues en 1972. À partir de cette date, le Premier ministre travaillis­te australien, Gough Whitlam (1972-1975), accéléra le processus pour une indépendan­ce effective en 1975, avec Michael Somare au pouvoir.

L’Australie, un voisin ambivalent et encombrant ?

Plus de 40 ans après cette indépendan­ce tardive, l’ancienne puissance coloniale est toujours très présente. L’Australie reste un partenaire économique et stratégiqu­e majeur. Après la Joint Declaratio­n of Principles de 1987 qui assurait un parapluie australien pour la sécurité de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les deux pays ont signé de nombreux accords commerciau­x, dont le PNG-Australia Trade and Commercial Relations Agreement (PATCRA II) en 1991 et le Treaty on Developmen­t Cooperatio­n de 1992. L’Australie participe directemen­t au budget de l’État, même si la part de cette aide n’est plus aussi importante

 ??  ?? Photo ci-dessus : Vue aérienne de Port Moresby, capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. De nombreux Papouasien­s y sont arrivés à la recherche d’un emploi depuis le début des années 2000, faisant passer la population au-delà des 400 000 habitants (installés principale­ment à quelques kilomètres de la côte). Avec un taux d’homicides annuel estimé au-delà des 33 pour100 000 habitants en 2010, c’est l’une des villes les plus violentes au monde. (© Ian Geraint Jones/Shuttersto­ck)
Photo ci-dessus : Vue aérienne de Port Moresby, capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. De nombreux Papouasien­s y sont arrivés à la recherche d’un emploi depuis le début des années 2000, faisant passer la population au-delà des 400 000 habitants (installés principale­ment à quelques kilomètres de la côte). Avec un taux d’homicides annuel estimé au-delà des 33 pour100 000 habitants en 2010, c’est l’une des villes les plus violentes au monde. (© Ian Geraint Jones/Shuttersto­ck)
 ??  ?? Photo ci-contre : Pendant la guerre du Pacifique, le général américain Douglas MacArthur (à gauche sur la photo), commandant suprême des forces alliées dans le Pacifique Sud-Ouest, se rend pour la première fois en Nouvelle-Guinée, le 3 octobre 1942. De juillet à novembre 1942, les Alliés et les Japonais s’y sont affrontés pour gagner le contrôle de l’île, qui constituai­t un relais stratégiqu­e dans la zone. Cette campagne dite « de la piste Kokoda » mobilisa également, pour un camp ou pour l’autre, environ 18 000 indigènes. (© George Silk/dva.gov.au)
Photo ci-contre : Pendant la guerre du Pacifique, le général américain Douglas MacArthur (à gauche sur la photo), commandant suprême des forces alliées dans le Pacifique Sud-Ouest, se rend pour la première fois en Nouvelle-Guinée, le 3 octobre 1942. De juillet à novembre 1942, les Alliés et les Japonais s’y sont affrontés pour gagner le contrôle de l’île, qui constituai­t un relais stratégiqu­e dans la zone. Cette campagne dite « de la piste Kokoda » mobilisa également, pour un camp ou pour l’autre, environ 18 000 indigènes. (© George Silk/dva.gov.au)
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Photo ci-dessous : C’est l’officier de marine britanniqu­e et explorateu­r John Moresby (1830-1922, photo prise en 1883) qui découvrit le site de l’actuelle capitale de la PNG, sur la côte sud de la Nouvelle-Guinée, en 1873 et lui donna son nom. (Maull & Fox/via BNF)
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