– ANALYSE Un Royaume fragmenté, plongé dans de multiples incertitudes
Si le Royaume-Uni peut apparaître comme un pays divisé entre partisans et opposants du Brexit, les clivages sont beaucoup plus complexes que cette simple dualité.
Ils sont à la fois socio-économiques, identitaires, territoriaux, politiques, géopolitiques… et exacerbés par les incertitudes afférentes au Brexit.
La campagne et les résultats du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne (UE) du 23 juin 2016 ont été les révélateurs de profonds clivages dans le pays. Ces divisions internes se poursuivent au fur et à mesure des négociations sur le processus de retrait de l’UE. Les analyses des résultats opposent souvent deux camps, celui du Remain (rester dans l’UE) et celui du Leave (quitter l’UE) : d’un côté, ceux qui apparaissent comme les gagnants de la mondialisation, des échanges internationaux – les classes supérieures, la petite bourgeoisie intellectuelle, vivant essentiellement dans les grandes villes ou dans les villes universitaires – ; de l’autre, ceux qui apparaissent comme les perdants de la mondialisation – les petites classes moyennes ou classes populaires, qui se sentent délaissées ou méprisées par les décideurs, victimes des directives européennes, et vivant essentiellement dans des espaces périurbains lointains, en milieu rural, dans les vieux territoires industriels ou dans de petites villes. Le Royaume-Uni serait donc un pays coupé en deux, comme la France serait fracturée entre ses métropoles et la « France périphérique » (1) ou comme les États-Unis entre partisans et opposants farouches à Donald Trump.
Une analyse qu’il convient de nuancer, le vote pour le Leave s’inscrivant dans un contexte de progression des votes protestataires au Royaume-Uni depuis la fin des années 2000. Plusieurs phénomènes électoraux démontrent en effet une contestation grandissante des courants politiques majoritaires des grands partis de gouvernement, dans un contexte d’austérité budgétaire très forte à la suite de la crise de 2008 (2). À gauche, l’élection de Jeremy Corbyn à la tête des travaillistes s’inscrit dans cette dynamique : la base militante a choisi ce candidat au discours très à gauche, plutôt que les candidats préférés de l’état-major du parti, centristes héritiers du blairisme. À droite, la progression du United Kingdom Independence Party (UKIP) (3), parti europhobe, assumant un discours populiste et clairement xénophobe, a fortement inquiété les dirigeants conservateurs, au point que David Cameron a promis en 2015 l’organisation du référendum sur le Brexit pour essayer de freiner la fuite des électeurs à la droite de son parti. La suite est connue.
Le vote Leave : une géographie du mécontentement
S’il traduit une certaine géographie du mécontentement, aux origines multifactorielles, le vote Leave exprime aussi un vote identitaire.
La géographie des résultats du référendum sur le Brexit est riche d’enseignements. Elle ne reproduit pas les clivages électoraux classiques entre un Nord essentiellement travailliste et un Sud essentiellement conservateur, d’ailleurs les deux grands partis étaient – et sont toujours – profondément divisés sur la question. Elle concorde certes avec des fractures socio-économiques, mais pas totalement.
En effet, les études sociologiques de l’électorat du Leave (comme celles de l’électorat du UKIP) montrent une surreprésentation de retraités aux pensions modestes, des plus de 45 ans, de personnes avec peu de qualifications et issues de foyers aux revenus très modestes. Le Leave a d’ailleurs fait de très bons résultats dans des territoires confrontés à de graves difficultés économiques, ayant fortement subi les effets de la crise économique et de la politique d’austérité du gouvernement Cameron (certaines petites villes ou villes moyennes du littoral est, certaines anciennes villes ou vallées industrielles du Nord anglais, comme Hartlepool, Barnsley, Wigan ou Stoke, les anciennes vallées minières du pays de Galles, ou certaines localités de banlieue ou périurbaines pauvres de l’Est de Londres). À l’inverse, en Angleterre, le Remain a réalisé de très bons scores dans des territoires qui votent très peu pour le UKIP, essentiellement des espaces urbains centraux où se concentrent les activités de service à haut rendement, comme les secteurs de la finance ou du commerce international, et les universités (le coeur de Londres, de Manchester, de Cardiff ou de Newcastle, ou les villes universitaires comme Cambridge, Oxford ou York), c’est-à-dire des territoires dont les populations sont moins sensibles aux mesures d’austérité.
La relation entre le vote Leave, le vote UKIP et la situation sociale peut ainsi apparaître évidente, et expliquer sociologiquement un vote protestataire, révélant un sentiment de