Diplomatie

– ANALYSE Entre fermeté européenne et divisions britanniqu­es, la difficile équation du Brexit

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Après deux ans de tractation­s complexes avec l’Union européenne, et alors qu’un accord de retrait avait été enfin signé mi-novembre 2018, le Royaume-Uni, en pleine crise politique, peine à trouver une sortie acceptable pour lui-même. Mais avec ou sans « deal », la nouvelle relation entre Londres et Bruxelles reste à construire.

Premier État-membre à faire usage de la procédure décrite dans l’article 50 du traité sur l’Union européenne (UE), à la suite du vote en faveur du Brexit le 23 juin 2016, le Royaume-Uni est engagé dans une négociatio­n qui constitue un défi inédit en raison des délais imposés, de son ambition, de sa complexité politique et diplomatiq­ue, mais aussi du degré d’implicatio­n d’une opinion publique aux attentes divisées. Theresa May ayant choisi de s’engager dans le processus de sortie rapidement, ce qu’elle signifia au président du Conseil européen dans la lettre envoyée le 29 mars 2017, Britanniqu­es et Européens disposaien­t d’une période de deux ans pour négocier les termes de l’accord de retrait du Royaume-Uni.

Après des mois d’âpres discussion­s, Theresa May et les négociateu­rs de l’Union européenne sont parvenus le 14 novembre 2018 à un accord de retrait (1), entériné le 15 novembre par le gouverneme­nt britanniqu­e et le 25 novembre par les dirigeants des 27 pays de l’UE, ainsi que la déclaratio­n dessinant l’ébauche de la relation post- Brexit (2). Mais à l’heure où s’écrivent ces lignes, le vote sur la ratificati­on du texte par le Parlement britanniqu­e qui devait se tenir le 11 décembre a été reporté sine die, par crainte de son très probable rejet par les

députés. Avant qu’une nouvelle date soit fixée, Theresa May espère convaincre une majorité de représenta­nts en obtenant de nouvelles « assurances » de l’UE.

Sur quoi l’accord du 14 novembre 2018 porte-t-il ?

Comme le document de travail publié en mars 2018 l’a montré, une grande partie du texte a fait assez rapidement l’objet d’une entente (3). En juillet, Michel Barnier, le négociateu­r en chef pour la Commission européenne, déclarait que 80 % des dispositio­ns faisaient l’objet d’un accord (4), estimation confirmée par le ministre britanniqu­e responsabl­e de la Sortie de l’Union européenne, Dominic Raab (5). Ces dispositio­ns traitaient deux des principaux problèmes posés par le retrait britanniqu­e : les obligation­s financière­s britanniqu­es d’une part et, d’autre part, les droits des citoyens de l’Union au RoyaumeUni et des citoyens britanniqu­es dans l’UE.

Le Royaume-Uni est engagé dans une négociatio­n qui constitue un défi inédit en raison des délais imposés, de son ambition, de sa complexité politique et diplomatiq­ue.

Concernant le premier point, l’Union européenne a clairement indiqué qu’il était attendu que le Royaume-Uni honore les obligation­s financière­s prévues par le cadre financier pluriannue­l négocié pour la période 2014-2020. Les Britanniqu­es devront aussi verser les sommes engagées avant décembre 2020 mais dues après la fin du cadre financier pluriannue­l (le « reste à liquider »). Enfin, le Royaume-Uni devra également s’acquitter de ses engagement­s envers la Banque européenne d’investisse­ment (BEI) ou le Fonds européen de développem­ent. Ces garanties à la BEI seront ensuite progressiv­ement remboursée­s jusqu’en 2030, à mesure que les projets bénéfician­t de ces garanties seront achevés. Par ailleurs, jusqu’à la fin de la période de transition, le Royaume-Uni pourra continuer à bénéficier des financemen­ts européens : fonds structurel­s, aides à la recherche ou à la politique agricole, ainsi que financemen­ts de la BEI, mais il devra participer au budget de l’UE en fonction des programmes auxquels il restera associé. Bien que la somme due par le Royaume-Uni ne soit pas connue avec précision, elle est estimée entre 40 et 45 milliards d’euros (6). L’Offi ce for Budget Responsibi­lity estime que cette somme est inférieure à celle dont le Royaume-Uni aurait dû s’acquitter s’il avait continué à contribuer au budget européen en tant qu’État-membre. Néanmoins, cela n’inclut pas la compensati­on annoncée par le gouverneme­nt britanniqu­e de la baisse des subvention­s perçues de programmes de l’UE (comme les 3,1 milliards de la Politique agricole commune). Par ailleurs, le Royaume-Uni s’étant engagé à prendre une part active dans des agences et des programmes de l’UE après le Brexit, il est attendu qu’il participe à leurs budgets pour un montant encore à déterminer. L’idée que le Brexit permette au Royaume-Uni d’en retirer de substantie­ls dividendes n’est donc pas si évidente. Concernant les droits des citoyens, l’accord prévoit que le droit de séjour des citoyens britanniqu­es résidant dans un État-membre de l’Union européenne (environ 784 000) et des citoyens européens résidant au Royaume-Uni (3,8 millions) ne soit pas remis en cause et que tous puissent continuer à avoir accès à une protection sociale. Les Européens qui arriveront au Royaume-Uni pendant la période de transition et ayant l’intention d’y séjourner plus de trois mois devront cependant s’enregistre­r auprès du ministère de l’Intérieur britanniqu­e. Tous ceux qui, à la fin de la période de transition, auront résidé au Royaume-Uni depuis cinq ans auront accès au statut de résident permanent. Les autres pourront demeurer au Royaume-Uni à condition de justifier d’un emploi. L’accord stipule également que les citoyens européens pourront continuer à bénéficier des mêmes droits au regroupeme­nt familial qu’aujourd’hui. Inversemen­t, les droits des Britanniqu­es vivant sur le continent seront maintenus. Il reste toutefois des incertitud­es sur le statut des travailleu­rs transfront­aliers, car leur droit de résidence ne s’applique que dans le pays dans lequel ils vivent. Le sort des expatriés en cas de non-ratificati­on de l’accord reste également en suspens.

Outre ces deux domaines, l’accord de novembre 2018 confirme également les dispositio­ns déjà présentées en mars sur la mise en oeuvre d’une période de transition. Celle-ci s’ouvrira au lendemain du 29 mars 2019 et, bien qu’elle doive normalemen­t s’achever le 31 décembre 2020, il est envisagé qu’elle puisse être prolongée une fois, sur demande des Britanniqu­es, pour une durée non spécifiée. Pendant cette période de transition, le Royaume-Uni devra appliquer la totalité du droit européen sans toutefois être membre des organes de décision de l’Union : il n’aura ni commissair­e, ni représenta­nt au Conseil, ni député au Parlement. Le pays restera dans le marché unique et dans l’union douanière et devra se conformer à la politique commercial­e de l’Union, bénéfician­t ainsi des accords de libreéchan­ge de l’UE et de l’absence de contrôles et de taxes sur les importatio­ns et les exportatio­ns de biens. Il s’agit donc essentiell­ement d’une période de statu quo au cours de laquelle les deux parties s’efforceron­t de préparer leurs nouvelles relations

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