– ANALYSE Les enjeux de la lutte contre les faux médicaments
Un seul chiffre résume l’ampleur d’un phénomène exponentiel et dangereux pour la santé de tous, contre lequel les autorités internationales peinent encore à s’organiser : la vente de faux médicaments, moins risquée et plus rentable que tout autre trafic, génèrerait un chiffre d’affaires annuel mondial de 200 milliards de dollars !
La prolifération des faux médicaments constitue une source d’inquiétude croissante à l’échelle de la planète. Le président de la République française, Emmanuel Macron, a mentionné sa préoccupation à ce sujet notamment lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, fin août 2018, ou un mois plus tard lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Ce problème n’est considéré que depuis une période récente et les données disponibles sont relativement éparses – le système mondial de surveillance et de suivi sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) n’a été lancé qu’en 2013. Aujourd’hui, des centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes seraient victimes de la cupidité de criminels organisés en réseaux. Selon les groupements de professionnels du marché, le chiffre d’affaires mondial du trafic de médicaments serait passé de 45 milliards de dollars en 2006 à 75 milliards en 2010 (2) ; le chiffre de 200 milliards est avancé aujourd’hui, soit un cinquième du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique mondiale en 2017 – qui croît lui aussi, mais à une vitesse bien moindre. Le versant illégal aurait explosé depuis dix ans, notamment grâce aux débouchés multiples qu’offre Internet.
Médicaments contrefaits, falsifiés et sous-standards
Il est usuel de parler de médicaments « contrefaits », un terme qui renvoie à l’utilisation d’une marque sans autorisation des ayants droit.
En réalité, le problème le plus courant met en scène des médicaments pour l’essentiel falsifiés, c’est-à-dire faisant l’objet d’une fausse représentation de leur identité, leur contenu, leur source ou leur historique. Les médicaments falsifiés sont des produits très dangereux, dans la mesure où ils se répartissent dans des proportions variables entre médicaments sans aucun principe actif, médicaments faiblement dosés en ingrédients et médicaments contenant des produits toxiques.
L’autre phénomène en pleine croissance, ce sont les médicaments sous-standards. Ces derniers, malgré une fabrication conforme aux règles, sont devenus impropres à l’usage à la suite notamment d’un accident de parcours, exposition par exemple à une température élevée en cours de transport ou stockage. De ce fait, ils sont devenus inefficaces et éventuellement dangereux. Le sous-standard représente une réalité trop souvent négligée alors que son utilisation contribue à aggraver le développement de résistances de bactéries, au même titre que l’abus dénoncé du recours aux antibiotiques dans le monde. De grandes confusions existent entre ces trois catégories et les discussions n’en finissent pas en raison notamment du choix erroné de beaucoup d’États de ne faire référence qu’à la contrefaçon. Cela tient au fait qu’historiquement, la focalisation s’est opérée sur ce seul concept en relation avec le droit de la propriété intellectuelle. Le corollaire en a été, par le passé et encore aujourd’hui dans beaucoup de pays, la définition imprécise d’infractions et l’adoption d’échelles de peines faibles qui ne prennent pas en compte la gravité des effets sur la santé des médicaments falsifiés.
Mécanismes et facteurs de développement du phénomène
Les trafiquants de faux médicaments ont un avantage en termes de ciblage marketing sur les trafiquants de drogue : alors que les gens qui se droguent ne représentent qu’une faible proportion de la population, l’ensemble des humains et même des animaux domestiques peuvent avoir des problèmes de santé. Les criminels ciblent les classes thérapeutiques en fonction de l’importance de la population concernée : traitements du paludisme, du diabète, des hépatites, de la tuberculose, du sida. Mais aussi antibiotiques, vaccins, traitements anti-cancéreux et même produits vétérinaires. Par ailleurs, à côté des médicaments, ils s’intéressent également aux « dispositifs médicaux », c’est-à-dire à tout instrument, équipement, outil, machine, appareil, implant, matériel utilisé pour la prévention, le diagnostic, le traitement des maladies. À titre
Le problème le plus courant met en scène des médicaments pour l’essentiel falsifiés, c’est-àdire faisant l’objet d’une fausse représentation de leur identité, leur contenu, leur source ou leur historique.
d’exemple, plusieurs affaires récentes ont porté sur des préservatifs et des roulettes de dentistes.
Les trafiquants visent tous types de besoins médicamenteux : les vitaux comme ceux qui procèdent du maintien du bien-être, les pays pauvres comme les pays riches. La problématique des pays pauvres porte sur l’ensemble des classes médicamenteuses. L’auteur de ces lignes a pu ainsi rencontrer au Cambodge des victimes lucides et résignées lui disant ne pas avoir les moyens d’acheter autre chose : « Nous sommes pauvres et n’avons pas le choix. Ce que nous espérons, c’est que ces produits ne nous fassent pas de mal mais un peu de bien. » Les patients des pays riches, eux, passent plutôt par la case faux médicaments en commandant sur Internet des médicaments de confort, des produits qu’il est gênant de demander à son médecin (traitements des troubles de l’érection, produits amaigrissants, anabolisants pour la musculation, traitements dermatologiques pour blanchir la peau), produits éventuellement illégaux et de surcroît souvent coûteux. Internet évite précisément la rencontre personnelle vécue comme gênante. Il faut également noter le cas spécifique de certains pays riches dans lesquels les médicaments sont généralement très chers et la couverture assurance santé défaillante. Ainsi, nombre de patients américains atteints de cancers et autres maladies dont le traitement est coûteux se tournent vers les médicaments vendus sur Internet, au risque du faux et de l’aggravation de leur état de santé.
Il existe plusieurs facteurs « facilitateurs » déterminants dans le développement du phénomène. Il est évident que des liens significatifs existent entre faux médicaments et pauvreté, faux médicaments et gêne du patient face au médecin, faux médicaments et contournement de la loi, faux médicaments et évitement de la prescription obligatoire. Par ailleurs, le cadre existant des marchés de rue où se vendaient gris-gris et produits pseudo-magiques des sorciers d’antan a été mis à profit par les trafiquants internationaux pour y distribuer de faux médicaments en entretenant habilement la confusion entre
« magie » et « soins ». Les faux médicaments profitent également du prix élevé des médicaments résultant dans certains cas des politiques et stratégies tarifaires des laboratoires. Rappelons que le traitement mis au point récemment aux ÉtatsUnis et capable de guérir l’hépatite C était facturé à sa sortie 90 000 dollars.
Le crime organisé et les faux médicaments Une activité lucrative
La production et le trafic de faux médicaments constituent pour le crime organisé une activité particulièrement attractive (3). Elle est en effet à la fois dépourvue de risques – au Sénégal par exemple, le trafic de faux médicaments est puni de 6 à 60 jours d’emprisonnement – et très rentable (10 à 20 fois plus que le trafic de drogue selon les estimations).
Plusieurs types d’organisations criminelles très hétérogènes coexistent. Mais elles sont plutôt multicartes et mènent en général de front des activités criminelles variables en fonction de la conjoncture, des liens tissés, des opportunités nouvelles. Le trafic des faux médicaments, c’est donc également un crime organisé allant du groupe traditionnel à l’opportuniste agissant quasiment seul. En Chine, ce sont souvent des blouses blanches qui greffent une activité illicite sur une production licite. Le crime local développe des activités criminelles compartimentées, les unes à usage interne en Chine, les autres pour le marché international. Le crime organisé indien, lui, est capable d’utiliser des installations industrielles comme de se livrer à des bricolages d’arrière-boutiques dans des conditions d’hygiène déplorables. Le crime organisé italien, notamment napolitain, procède de manière beaucoup plus rationalisée pour maximiser la rentabilité. Dans tous les cas, nous sommes en présence d’un crime organisé audacieux et très imaginatif en termes d’itinéraires et de méthodes.
La responsabilité des États et celle de la communauté internationale doivent être soulignées dans l’attractivité des faux médicaments pour le crime organisé. L’inaction des États, leur absence de stratégie ou le recours à des stratégies et des législations inappropriées constituent souvent de véritables pousse-au-crime. Sans oublier la frilosité des systèmes judiciaires nationaux et leur méconnaissance de la matière dans beaucoup de pays. Le crime organisé a de beaux jours devant lui si l’on considère la lenteur des États à ratifier la convention Médicrime du Conseil de l’Europe (4), ou la non-utilisation (5) de la convention des Nations Unies dite Convention de Palerme entrée en vigueur en 2003, pourtant ratifiée par 147 États pour faciliter la coopération internationale dans la lutte contre les activités transnationales du crime organisé. Le crime organisé met ainsi assez facilement à profit tous les avantages de la mondialisation : ayant la planète entière comme terrain d’action, il y opère rapidement tout en étant d’autant plus difficile à identifier, poursuivre et neutraliser. De manière générale, les réseaux criminels sont doués d’une grande réactivité pour s’adapter aux opportunités du moment. Lors de la grande épidémie de fièvre Ebola en 2014 en Afrique de l’Ouest, par exemple, de nombreux produits censés guérir de la maladie sont apparus et ont été commercialisés par des circuits illégaux, alors qu’aucun traitement efficace n’est à ce jour connu.
On a même vu le crime organisé convaincre les protagonistes des récents conflits au Moyen-Orient de l’intérêt stratégique du commerce des faux médicaments pour financer la guerre (6).
Les méthodes déployées
• Le trafic par containers : L’Organisation mondiale de la Santé estime que plus de 50 % des médicaments contrefaits proviennent d’Inde et de Chine. Le trafic par containers vers l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Amérique latine s’est beaucoup développé. Il permet d’acheminer de très fortes quantités sans grands risque d’interception. Le manque de moyens et d’expertise a un effet catastrophique dans les ports. Comment contrôler 9000 containers à décharger en 24 heures, dans un port africain où il n’y a que quelques douaniers dépourvus de moyens de détection, sans parler de l’interférence fréquente de la corruption et de l’absence de coopération internationale ? Des résultats, pourtant, sont possibles. L’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM) a aidé l’Organisation mondiale des douanes (OMD) à monter quatre cycles d’opérations de 15 jours ces dernières années, ce qui a permis l’interception de 850 millions de faux médicaments (7).
La production et le trafic de faux médicaments constituent pour le crime organisé une activité particulièrement attractive à la fois dépourvue de risques et très rentable (10 à 20 fois plus que le trafic de drogue).
Les routes des faux médicaments se diversifient et se multiplient. Au Moyen-Orient, les faux médicaments en provenance des ports asiatiques transitent par Dubaï, pour atteindre ensuite la Jordanie, la Turquie, l’Irak, la Syrie avant la crise, le Liban et l’Égypte. En tout état de cause, beaucoup de ces routes partent de l’empire du Milieu. La Chine est en effet devenue le principal fournisseur de matière première saine pour les grands laboratoires du monde entier. Les filiales et sous-traitants qui gravitent autour des grosses firmes dans les provinces sont le point de départ de diversions d’ingrédients utilisés pour fabriquer des faux médicaments sous-dosés.
• Le trafic par Internet : Le Darknet a une place considérable dans le trafic des faux médicaments. Aussi bien dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud, l’attractivité d’Internet porte principalement sur le contournement de la prescription médicale obligatoire et permet d’obtenir en toute illégalité certains médicaments. La présence de « pharmacies » sur la toile donne un faux sentiment de sécurité. Or, l’OMS estime que 50 % des médicaments vendus sur Internet par des sites illégaux (qui dissimulent leur adresse physique, se prétendent indûment aptes à vendre des médicaments prescrits sur ordonnance, etc.) sont des faux, sachant que plus de 95 % des sites de vente en ligne de médicaments seraient frauduleux – un chiffre avancé par plusieurs associations professionnelles à propos du marché américano-canadien et australien ainsi que du marché européen (8).
L’achat via Internet est rapide, discret et sans grand danger, ce qui rassure l’acheteur mais tend aussi à renforcer l’intérêt de ce type d’activité criminelle. Des millions de paquets circulent tous les jours dans le monde via les sociétés de distribution express et les blisters de moins de 20 g (le plus souvent utilisés) ne sont pas contrôlés par les douaniers saturés.
•Le repackaging/ reconditionnement: En Amérique du Nord, certains distributeurs n’hésitent pas à envoyer des médicaments périmés à des complices, notamment en Amérique centrale, pour qu’il soit procédé àunre conditionnement, en changeant la date de péremption. Et c’est ainsi que nombre de produits falsifiés, des pilules contraceptives par exemple, sont acheminés vers l’Amérique du Sud.
• L’utilisation des importations parallèles en détournant la directive de l’Union européenne : Depuis quelque temps, des médicaments falsifiés ont pénétré le système de distribution de pays insoupçonnables tels que l’Allemagne. Pour ce faire, le crime organisé, notamment la mafia italienne, met à profit le système des importations parallèles créé à l’initiative de la Commission européenne pour laquelle « l’importation parallèle d’un médicament consiste à importer puis distribuer le médicament d’un État membre dans un autre État membre, en dehors du réseau de distribution mis en place par le fabricant ou son distributeur agréé » (9).
Cette pratique commerciale a cours légalement au sein du marché communautaire en vertu du principe de libre circulation des marchandises. L’accord préalable du fabricant n’est pas nécessaire. Les grossistes importateurs voient dans cette pratique en marge des filières d’approvisionnement officielles un moyen de profiter des différences de prix qui varient au gré des gouvernements d’un pays à l’autre au sein de l’UE. Achetés à bas prix dans un État, des médicaments sont ainsi revendus dans un autre pays où la marge est plus attractive. Les prix peuvent ainsi varier de 20 à 50 % d’un pays à l’autre selon les politiques publiques en vigueur. Or, la lutte contre les médicaments falsifiés s’en trouve compliquée, du fait de la multiplication artificielle des intermédiaires qui fragilise la sécurité de la chaîne de distribution et décuple les possibilités pour les contrefacteurs d’y introduire leurs marchandises falsifiées.
Ce type de filière impose en particulier un reconditionnement afin d’adapter le produit à la législation nationale du pays d’importation, notamment en matière linguistique, une étape de production idéale pour substituer aux médicaments authentiques des médicaments falsifiés. Et c’est ainsi qu’en 2014, de l’Herceptin (un anticancéreux) falsifié a été retrouvé en Allemagne, au Royaume-Uni et en Finlande. Volés dans des hôpitaux ou des camions en Italie, les lots concernés avaient été reconditionnés (pour certains altérés ou avec de fausses dates de péremption) et réintroduits sur le marché via un grossiste italien légal.
L’inaction des États, leur absence de stratégie ou le recours à des stratégies et des législations inappropriées constituent souvent de véritables pousse-au-crime. Sans oublier la frilosité des systèmes judiciaires nationaux.
Conséquences sanitaires
Le phénomène des faux médicaments a des effets catastrophiques à l’échelle de la planète entière. Il en résulte un grand nombre de décès, l’aggravation de maladies dans de nombreux cas, des retards préjudiciables dans la mise en oeuvre de traitements réellement efficaces ayant prise sur la maladie, sans parler des effets à tout le moins sournois avec la création de nouvelles résistances. Sur un million de décès annuels dus au paludisme, 200 000 auraient pu être évités si les malades étaient soignés avec de vrais médicaments (OMS). On constate un impact global important sur la stagnation de la santé publique dans de nombreux pays où le phénomène contribue à empêcher les améliorations qu’on serait en droit d’y attendre. Les faux médicaments ont, enfin, des conséquences sur l’économie nationale (moindre création de revenus et d’emplois légaux) ainsi que sur l’État de droit : le crime organisé corrompt. Il s’impose par l’argent ainsi acquis et menace la démocratie.
Pour une action véritablement holistique
En 2018, peu est fait dans le monde pour lutter contre ce fléau et une grande partie de l’action menée a jusqu’ici été inefficace. Au Nord comme au Sud, les États sont peu mobilisés, voire pas du tout, et dépourvus de stratégie. La priorité doit être l’élaboration de stratégies cohérentes prenant en compte les carences législatives, ainsi que le soulignait, pour la première fois, l’appel de Cotonou (Bénin), lancé le 12 octobre 2009 par le président Jacques Chirac et plusieurs chefs d’État africains. Des législations nationales désuètes se focalisant sur la seule propriété intellectuelle prévoient des peines très faibles, de surcroît rarement prononcées par des institutions judiciaires minées par la corruption et incapables de traiter l’aspect international des dossiers. Mener des actions policières dans des pays dépourvus de loi appropriée aboutit souvent à des impasses – la plupart du temps, seuls les lampistes sont arrêtés et les filières ne sont pas remontées.
L’action opérationnelle systématique est peu développée dans les pays pauvres. Les douaniers sont souvent surtout préoccupés de percevoir les taxes à l’importation et ils ne tiennent pas à ralentir la vitesse de rotation des containers. Ces États sont peu équipés pour détecter les faux médicaments, les analyser, remonter les filières et coopérer avec les autorités des pays d’origine. Rien n’est fait en général pour tracer l’argent du trafic, le localiser et le geler. Enfin, n’oublions pas la nécessité de pouvoir détruire rapidement et écologiquement les faux médicaments saisis si on ne veut pas les voir réapparaître rapidement dans les circuits d’approvisionnement. S’il est difficile de contrôler les containers, la surveillance du trafic qui sévit sur Internet relève de l’impossible, faute de moyens et de méthode. Spécifiquement dirigées vers les ventes en ligne, les opérations « Pangea » régulièrement montées par Interpol sont révélatrices de l’ampleur de ce trafic. En 2015 (« Pangea VIII ») par exemple, 115 pays ont participé. Un nombre record de 20,7 millions de faux médicaments ont été saisis (traitements contre l’hypertension, les troubles de l’érection, anticancéreux et suppléments nutritionnels), pour une valeur estimée à 81 millions de dollars. Et 2410 sites ont été mis hors ligne.
Globalement, la mise en oeuvre d’une action efficace implique donc d’abord une approche holistique cohérente et hiérarchisant les priorités. La définition de stratégies gouvernementales est la pierre angulaire de l’action. Il faut aussi que ces stratégies prennent en compte les aspects économiques et, pour cela, baisser le prix des médicaments, augmenter le recours aux médicaments génériques, mettre en place progressivement des systèmes efficaces de sécurité sociale.
Arsenal législatif
Les États doivent être incités à ratifier la Convention Médicrime du Conseil de l’Europe qui offre de bonnes bases à l’action à mener et favorise l’harmonisation des lois et des pratiques.
Chaque État doit disposer d’une législation moderne, complète et dissuasive facilitant la coopération internationale. La loi doit couvrir aussi bien les médicaments que les dispositifs médicaux. Il faut renforcer les textes régissant la distribution de médicaments, limiter le nombre de distributeurs, combattre effectivement et sévèrement le marché de rue, et le recours aux prête-noms dans les pharmacies, développer les services d’inspection des pharmacies et le rythme des inspections.
Action opérationnelle
Il faut que les États se dotent de réels moyens d’intercepter les faux médicaments à leur entrée sur le territoire au quotidien. Cela implique une formation des douaniers et des policiers au ciblage et à l’interception de containers. Une formation spécialisée doit aussi bénéficier aux juges et procureurs, afin d’améliorer leur efficacité. Dans ce domaine, les choses commencent à bouger. Ainsi, en octobre 2018, la Côte d’Ivoire annonçait à
Les faux médicaments constituent une problématique récente à croissance exponentielle. Toutefois, on constate une prise de conscience, et un début d’action est en train de prendre forme.
l’occasion d’une campagne d’information contre l’utilisation de faux médicaments, avoir saisi près de 400 tonnes de faux médicaments au cours des deux dernières années, notamment à Abidjan, la capitale, qui abrite le plus grand marché de produits illicites d’Afrique de l’Ouest. Le pays ambitionne par ailleurs de créer une autorité de régulation du médicament chargée de la traçabilité, avec l’aide de la France dont elle est partenaire dans ce domaine (10).
Communication, information, prévention
L’action holistique doit tout autant viser à la réduction de l’offre et de la demande. Il faut développer l’éducation de la population à la prise de médicaments et concevoir une véritable politique nationale de prévention, basée sur l’information des patients et de l’opinion publique, laquelle peut en partie passer désormais par les réseaux sociaux (11).
Il faut inciter les patients à se fournir exclusivement en pharmacie et à rejeter le recours au marché de rue. En Afrique, où les trafiquants chinois par exemple envoient des médicaments avec des notices en français comportant de nombreuses fautes d’orthographe, il peut être efficace de jumeler programmes de prévention et de lutte contre l’analphabétisme. Des campagnes de sensibilisation doivent être menées dans les écoles.
Recherche
Le « chiffre noir », la part inconnue du phénomène – tout trafic étant par nature difficile à quantifier – est sans doute considérable pour tous ses aspects, ce qui nécessite un effort important d’approfondissement de la connaissance (rapports et études).
Les perspectives
En résumé, les faux médicaments constituent une problématique récente à croissance exponentielle. Toutefois, on constate une prise de conscience, et un début d’action est en train de prendre forme. En 2017, l’assemblée générale de l’OMS est parvenue à un consensus sur une définition inspirée de la directive européenne « Médicaments falsifiés » (2011/62/UE) : « Les produits médicaux “falsifiés” sont des produits dont l’identité, la composition ou la source est représentée de façon trompeuse, que ce soit délibérément ou frauduleusement. » (12)
Par ailleurs, l’IRACM a impulsé deux processus très prometteurs. En Afrique francophone, sept États – Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, République centrafricaine, Tchad – joignent désormais leurs efforts pour mettre en place des législations adaptées et harmonisées. En Asie du Sud-Est (13), les cinq États du Mékong viennent de se réunir pour la première fois et ont décidé de travailler ensemble pour endiguer le fléau. Tout cela est encourageant.