éditorial
Lors de sa récente tournée en Europe centrale, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’est posé en défenseur de la sécurité énergétique européenne en s’opposant à la construction du gazoduc sous-marin Nord Stream 2. Celui-ci devrait permettre de doubler les capacités du premier gazoduc Nord Stream, lequel transporte du gaz de la côte Baltique de la Russie jusqu’à l’Allemagne. Un vecteur d’influence, voire de domination énergétique de la Russie sur l’Allemagne et une partie de l’Europe, selon l’Administration américaine. Un point de vue partagé par le ministre polonais des Affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, qui le décrit à cette occasion « comme un projet raté, voire préjudiciable à la sécurité énergétique sur le continent ». Déjà, lors du sommet de l’OTAN du 11 juillet 2018 à Bruxelles, le président américain Donald Trump mettait en cause l’Allemagne « prisonnière » de la Russie à cause du projet de gazoduc Nord Stream 2 et exigeait son abandon, sous peine de lourdes sanctions financières. Même en Allemagne, malgré la validation en grande pompe du plan de financement de ce projet en 2017 (9,5 milliards d’euros) en compagnie de l’ex-chancelier allemand Gerhard Schroeder – qui dirige le conseil de surveillance du consortium chargé de construire ce gazoduc –, le sujet fait polémique. Une situation qui a conduit Angela Merkel à admettre du bout des lèvres que Nord Stream 2 avait une portée « politique et stratégique », notamment pour l’Ukraine (qui voit sa situation marginalisée alors que le pays constituait jusqu’à présent la principale voie d’accès du gaz russe vers l’Europe avec plus de 40 % des flux).
Cela est d’autant plus vrai que la Russie couvre déjà près de 40 % de la consommation gazière de l’Union européenne. Un poids que certains en Europe trouvent démesuré, telle la France qui se montrait jusqu’à présent plus que réservée sur ce projet, mais qui a finalement décidé il y a quelques jours de ne pas affaiblir la position allemande face à Washington (en préservant du même coup les intérêts du géant énergétique français Engie, dont 20 % du gaz vient de Russie). Un soutien de dernière minute au détriment sans doute de l’autonomie énergétique européenne et de sa capacité à peser sur la politique étrangère de Vladimir Poutine. Nord Stream 2 constitue, on le voit, un parfait exemple de la forte dimension stratégique de l’énergie dans les relations internationales, à l’heure où ce secteur connaît de profonds bouleversements avec la montée en puissance des énergies renouvelables, l’avenir incertain de l’OPEP, la volatilité du prix du baril de brut ou encore l’émergence de nouveaux acteurs économiques, comme la Chine dans le secteur photovoltaïque et nucléaire.
Une situation qui ne doit pas nous faire oublier qu’un tiers des habitants de la planète n’a toujours pas accès à une source d’énergie. L’un des grands enjeux pour les années à venir sera d’en réduire le nombre, alors même qu’au cours des vingt-cinq prochaines années, on prévoit que la population mondiale devrait s’accroître de près de 2 milliards de personnes, principalement en Afrique et en Asie. Un défi majeur en matière énergétique qui conditionnera le développement économique d’une part croissante de l’humanité.