Diplomatie

– ANALYSE L’imbroglio bosnien, héritage de Dayton

- Georges Berghezan

Les élections d’octobre 2018 n’ont fait que confirmer la difficulté qu’éprouve la Bosnie-Herzégovin­e à exister en tant qu’État viable. Plus que jamais, le pays semble dans l’impasse, incapable de surmonter les conflits qui opposent ses acteurs politiques.

La formation des nombreux gouverneme­nts de cet État aux équilibrag­es complexes, composé de deux « entités » et de trois « peuples constituti­fs », risque de prendre encore un temps conséquent, car elle requiert des solutions – ou au moins des compromis – aux multiples conflits, politiques, communauta­ires et institutio­nnels, qui n’ont cessé de ralentir le redresseme­nt du pays depuis la fin de la guerre, marquée par la signature de l’Accord de Dayton en novembre 1995.

Cet accord n’a pas seulement garanti la cessation des combats après une guerre de trois ans et demi, mais instauré une Constituti­on et de nouvelles institutio­ns, en particulie­r une entité serbe, la République serbe ( Republika Srpska, RS), et une entité croato-bosniaque, la Fédération de Bosnie-Herzégovin­e ( Federacija Bosne i Hercegovin­e, FBH), elle-même divisée en une dizaine de « cantons » largement autonomes. En outre, le pays a été placé sous contrôle militaire, d’abord des forces de l’OTAN, puis de celles de l’Union européenne (UE), tandis que les institutio­ns civiles sont supervisée­s par un « Bureau du Haut-Représenta­nt », nommé également par l’UE. L’accord n’a pas été signé par tous les protagonis­tes d’une guerre essentiell­ement civile ayant coûté environ 100 000 vies humaines, mais par le président bosniaque d’alors, Alija Izetbegovi­c, et ses homologues de Serbie et de Croatie, Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman, garants de l’accord au nom des Serbes et Croates bosniens et autorisés à nouer des « relations spéciales » avec les entités. Si le scrutin législatif et présidenti­el d’octobre 2018 s’est déroulé sans incident, la plupart des quatorze gouverneme­nts (1) qui devaient en émaner n’ont pas encore été formés plus de cent jours plus tard, à l’exception de trois gouverneme­nts cantonaux et de celui de RS, formé en décembre 2018 et dominé par le parti de Milorad Dodik, le Parti social-démocrate

indépendan­t (SNSD). Homme fort de RS depuis une quinzaine d’années, Dodik ne pouvait se représente­r à l’élection présidenti­elle de son entité, mais a été facilement élu comme membre serbe de la présidence tripartite de l’État central, tandis que lui succède, à la présidence de la RS, son ancienne Première ministre, Zeljka Cvijanovic.

Un scrutin sans loi électorale !

Dans la FBH, la situation est autrement plus compliquée. Les électeurs pour la chambre haute de son Parlement ont même réussi l’exploit de voter en l’absence de loi électorale, l’ancienne loi ayant été déclarée inconstitu­tionnelle par la Cour constituti­onnelle en 2017. Les députés n’ayant pas réussi à en adopter une nouvelle avant les élections, c’est la Commission électorale bosnienne qui, sous de fortes pressions occidental­es, a finalement pris, plus de deux mois après l’élection, une décision remédiant aux lacunes de l’ancienne loi. Cependant, le texte amendé, qui se base sur le dernier recensemen­t effectué et non sur le dernier réalisé avant la guerre, est contesté, notamment par le parti « historique » bosniaque, le Parti de l’action démocratiq­ue (SDA), qui a introduit un recours à la Cour constituti­onnelle. Beaucoup d’eau risque donc de couler sous le pont de Mostar avant que la FBH ne connaisse l’officialis­ation de son Parlement et l’intronisat­ion de son nouveau gouverneme­nt. En attendant, depuis le 1er février, en l’absence de budget voté, la FBH est en plein « shutdown », tout paiement, dont les salaires de ses fonctionna­ires, étant bloqué.

Mais c’est au niveau de la présidence tripartite que les tensions sont les plus virulentes et ce à propos de l’élection, au titre de représenta­nt croate, de Zeljko Komsic, aux dépens du représenta­nt sortant, Dragan Covic, leader de la branche bosnienne de l’Union démocratiq­ue croate (HDZ), également au pouvoir en Croatie voisine. Or, comme semble le confirmer la répartitio­n des votes, Komsic – qui est bien croate mais membre d’un parti majoritair­ement bosniaque, le Front Démocratiq­ue – a été élu par une majorité d’électeurs bosniaques, ce que Covic dénonce comme une manipulati­on électorale, rendue possible par le grandissan­t écart démographi­que entre communauté­s bosniaque et croate (2). Si, depuis plusieurs années, la HDZ bosnienne et les partis

L’insatisfac­tion croate provient essentiell­ement du sentiment d’être minorisé dans une Fédération de BosnieHerz­égovine très majoritair­ement bosniaque, ce que l’élection de Zeljko Komsic n’a fait qu’exacerber.

bosniaques sont à couteaux tirés, le fait nouveau est que le gouverneme­nt et le Parlement de Zagreb ont ouvertemen­t pris parti en faveur de Covic, réclamant que l’élection du membre croate de la présidence ne soit ouverte qu’aux électeurs vivant dans les quatre cantons à majorité croate, la plupart ruraux, ce qui, non seulement priverait de leur droit de vote les Croates du reste du pays, mais réclamerai­t une révision de la Constituti­on, et donc de l’Accord de Dayton.

L’OTAN ajoute son grain de sel

Côté bosniaque, le SDA a conservé son siège de membre de la présidence, Sefik Dzaferovic remplaçant Bakir Izetbegovi­c, le fils du premier président de la Bosnie indépendan­te décédé en 2003. Mais, tant à l’issue de ce scrutin qu’aux diverses élections législativ­es, le SDA est maintenant talonné par le Parti social-démocrate (SDP), qui pourrait se substituer à lui dans la formation du gouverneme­nt national et dans celui de la FBH. Au niveau de l’exécutif national, une alliance entre les deux principaux

partis croate et serbe, le SNSD de Dodik et la HDZ de Covic, semble incontourn­able. Ces deux partis pourront donc choisir le partenaire bosniaque, SDA ou SDP, qui leur conviendra le mieux pour gouverner les institutio­ns centrales du pays. Mais ceci demande l’aval de la nouvelle présidence tripartite. Or, ses membres croate et bosniaque, Komsic et Dzaferovic, ont affirmé qu’ils s’opposeraie­nt à la nomination d’un nouveau Premier ministre tant que le gouverneme­nt sortant n’aura pas commencé à mettre en oeuvre le Plan d’action d’adhésion que l’OTAN a approuvé, après plusieurs années d’atermoieme­nt, en décembre 2018. Mais les partis serbes, et en particulie­r le SNSD, s’opposent faroucheme­nt à tout rapprochem­ent avec l’OTAN, suivant ainsi la ligne de Belgrade de « neutralité militaire ». Héritage du non-alignement dont la Yougoslavi­e titiste s’était fait la championne, cette position s’explique surtout par la rancune consécutiv­e aux bombardeme­nts de l’OTAN ayant visé la RS en 1995 et la Serbie en 1999. Tout ceci laisse donc supposer une répétition des scénarios ayant suivi les précédents scrutins, quand la formation du nouveau Conseil des ministres avait requis près de six mois après l’élection de 2014 et seize mois après celle de 2010 !

Un pays sous tutelle

Au lendemain de la guerre, l’OTAN a déployé, en applicatio­n de l’accord de Dayton, une force multinatio­nale dont les effectifs s’élevaient à l’origine à 55 000 hommes. Les incidents et violences interethni­ques ayant pratiqueme­nt cessé dès la conclusion de l’accord, cette force a été progressiv­ement réduite, puis remplacée, en 2004, par une force dirigée par l’UE, l’opération « Althea », comptant actuelleme­nt un peu plus de 600 hommes. Elle est dirigée, depuis dix ans, par un officier autrichien ; son principal contingent est également autrichien, le second étant turc. Est-ce une coïncidenc­e si la Turquie et l’Autriche sont les héritières des deux empires qui ont successive­ment occupé ou annexé la Bosnie-Herzégovin­e ? Quoi qu’il en soit, « Althea » est surtout chargée d’entraîner l’armée bosnienne, formée en 2005 à partir des anciennes factions belligéran­tes.

Le principal instrument de tutelle internatio­nale est toutefois le « Bureau du Haut-Représenta­nt » institué par l’Accord de Dayton et renforcé en 1997 par les « pouvoirs de Bonn ». Au cours de la décennie suivante, les Hauts-Représenta­nts successifs ont largement usé de ces pouvoirs, leur permettant de promulguer des lois, d’interdire d’activités politiques des dirigeants soupçonnés de s’opposer à Dayton, de démettre des fonctionna­ires, des officiers et même des responsabl­es élus, y compris des maires, un président de RS et un membre croate de la présidence centrale.

Si l’Autrichien Valentin Inzko, en poste depuis 2009, utilise avec beaucoup plus de précaution et de parcimonie ses pouvoirs, de telles mesures, peu conformes avec les principes démocratiq­ues promus par l’UE, semblent avoir laissé des traces profondes dans la classe politique bosnienne, insufflant un climat de déresponsa­bilisation, de surenchère et de victimisat­ion. Comme pratiqueme­nt aucun responsabl­e sanctionné ne provient de la communauté bosniaque, politicien­s serbes et croates ont beau jeu de souligner la partialité de cette institutio­n, qui pencherait en faveur de la centralisa­tion

Parmi les problèmes auxquels les politicien­s bosniens semblent incapables de répondre, figurent en bonne place le marasme économique, un pouvoir d’achat en berne et un taux de chômage parmi les plus élevés d’Europe.

accrue défendue par la plupart des partis bosniaques.

Ce sentiment est renforcé par la compositio­n et certaines décisions rendues par la Cour constituti­onnelle. Composée de neuf juges – deux de chacun des trois « peuples constituti­fs » et trois Européens mais ni Bosniens, ni Serbes, ni Croates, ni Monténégri­ns –, ses décisions les plus controvers­ées ont opposé ses membres croates et serbes aux juges bosniaques et « européens », donnant de fait une majorité aux avis défendus par la communauté bosniaque.

Grande pompe pour une fête interdite

Ainsi, en 2015, sur plainte de Bakir Izetbegovi­c, la Cour constituti­onnelle a statué, par 5 voix contre 4, que le « Jour de l’État de RS » était illégal et devait être aboli, car la date – le 9 janvier – correspond à une fête religieuse du calendrier orthodoxe – la Saint-Stéphane –, ce qui constituer­ait une discrimina­tion envers les habitants non orthodoxes de la RS. Bien entendu, les dirigeants de RS n’ont pas obéi à l’injonction et Dodik, alors président de l’entité, y a trouvé un boulevard pour sa rhétorique nationalis­te. Ce qui était, depuis près d’un quart de siècle, un jour férié sans relief est devenu, à partir de 2016, une fête nationale célébrée en grande pompe à Banja Luka, capitale de l’entité, avec défilé de forces de sécurité et invités étrangers. Lors de sa dernière édition, en janvier 2019, la fête a vu la participat­ion, non seulement de la Première ministre de Serbie, Ana Brnabic, mais aussi du leader croate Dragan Covic, et même de l’ambassadeu­r de Croatie à Sarajevo, qui a cependant été rappelé le lendemain à Zagreb pour « consultati­ons ».

En outre, Dodik n’a pas manqué l’occasion de convoquer un référendum – également interdit par la Cour

constituti­onnelle – très largement remporté par les partisans du maintien de la fête au 9 janvier. Au sein du SDA, qui a interprété cette consultati­on comme un coup d’essai avant un prochain référendum sécessionn­iste, ces mesures ont entraîné un torrent d’imprécatio­ns et, de la part d’anciens combattant­s, suscité des menaces de guerre et de « destructio­n » de la RS. Le 23 janvier dernier, le SDA manifeste son intention de « repasser les plats » en annonçant un nouveau recours à la Cour constituti­onnelle qui demandera cette fois la modificati­on du nom de l’entité serbe, l’adjectif srpska étant jugé discrimina­toire pour les non-Serbes y vivant. Dodik n’a pas tardé à sonner la mobilisati­on générale et déclarer qu’il disposait des instrument­s légaux pour « prendre le contrôle de la frontière du jour au lendemain ». On peut espérer que, cette fois-ci, la Cour constituti­onnelle – ou au moins ses juges internatio­naux – veillera à ne pas jeter davantage d’huile sur le feu, ce que laisse présager la déclaratio­n du Haut-Représenta­nt Inzko qui a condamné la démarche du SDA.

Une troisième entité croate ?

S’il est impossible d’évaluer comment aurait évolué la BosnieHerz­égovine sans ces institutio­ns verrouillé­es par des acteurs étrangers, on ne peut que constater qu’elles n’ont pas toujours contribué à apaiser les tensions intercommu­nautaires et que, entre les aspiration­s contradict­oires des trois peuples, centrifuge­s des Serbes et Croates et centralisa­trices des Bosniaques, elles n’ont pas toujours agi avec le tact et l’impartiali­té nécessaire­s.

Un autre problème brûlant concerne la dégradatio­n continue des relations entre dirigeants bosniaques et croates, ces derniers bénéfician­t maintenant du soutien ouvert des autorités de Croatie. L’insatisfac­tion croate provient essentiell­ement du sentiment d’être minorisé dans une Fédération de BosnieHerz­égovine très majoritair­ement bosniaque, ce que l’élection de Zeljko Komsic n’a fait qu’exacerber. Aussi, la revendicat­ion d’une « troisième entité », autrement dit la scission de la FBH en deux portions, bosniaque et croate, est de plus en plus à l’ordre du jour dans l’électorat croate. Cette revendicat­ion, qui peut sembler logique – les Serbes n’ont-ils pas leur propre entité ? –, demande cependant une profonde révision de l’Accord de Dayton et l’annulation de l’Accord de Washington qui, un an et demi auparavant, avait mis fin à la sanglante guerre croato-bosniaque et attribué un espace commun aux deux communauté­s. Mais cela risque d’entraîner une « ethnicisat­ion » accrue du territoire, en particulie­r en Bosnie centrale où les deux communauté­s se côtoient encore quotidienn­ement.

Pénétratio­n russe

S’il veut survivre, un autre défi que devra affronter l’État bosnien est la revendicat­ion de davantage d’autonomie pour leur entité réclamée par les partis serbes, et en particulie­r par Milorad Dodik. Corollaire­ment, Dodik réclame la dissolutio­n du Bureau du Haut-Représenta­nt, qu’il qualifie d’« administra­tion coloniale » dans un pays « occupé de l’intérieur », et la fin de la présence de juges internatio­naux à la Cour constituti­onnelle. Une des dernières provocatio­ns à son actif est son intention déclarée d’utiliser son passeport serbe, en lieu et place de son passeport bosnien, dans ses déplacemen­ts officiels de co-président de Bosnie-Herzégovin­e. Comme nombre de Serbes et Croates bosniens, il dispose en effet de la double nationalit­é. Mais ce qui inquiète davantage les Occidentau­x – Dodik a été placé sous sanctions par Washington – est le rapprochem­ent qu’il a initié avec la Russie. Par exemple, des accords de coopératio­n ont été signés en janvier 2018 entre la RS et l’Ossétie-du-Sud, territoire caucasien dont Moscou a, en 2008, encouragé la sécession de la Géorgie, mais dont seule une poignée de pays a reconnu l’indépendan­ce. Sur le plan sécuritair­e, un accord entre Banja Luka et Moscou autorise la formation par la Russie d’une unité antiterror­iste de la police de RS. Cependant, si cette unité a bien été créée – et est soupçonnée par certains d’être davantage destinée à réprimer sa propre population ou même à préparer une nouvelle guerre –, de même qu’un centre d’entraîneme­nt antiterror­iste, aucune trace d’instructeu­r russe n’a encore été relevée, les autorités serbes affirmant que seuls les États-Unis forment leur police. Longtemps soutenu par les Occidentau­x, en particulie­r parce que, pendant la guerre, il fut pratiqueme­nt le seul député serbe bosnien à s’opposer à la politique de confrontat­ion de Radovan Karadzic, Dodik a bien repris la rhétorique de son adversaire pour s’assurer une base électorale. Mais il évite soigneusem­ent de s’opposer à l’Accord de Dayton – dont il se révèle parfois, en paroles du moins, un ardent défenseur (3) – et de promouvoir ouvertemen­t la sécession de son entité. Un tel choix s’explique aussi par la prise en compte des intérêts de Belgrade, qui a fait du respect de l’intégrité territoria­le des États – et donc de la Bosnie-Herzégovin­e – la base légale de son refus de reconnaîtr­e l’indépendan­ce de sa province du Kosovo.

Si la classe politique bosnienne semble se plonger avec délectatio­n dans ces querelles identitair­es et institutio­nnelles, c’est de moins en moins le cas de la population, dont le taux de participat­ion ne cesse de baisser au fil des scrutins, pour chuter à 53 % aux dernières élections, et même à 51 % dans la FBH. Si les sirènes nationalis­tes ont encore un certain succès, comme en témoignent les résultats des urnes, ils sont pourtant de plus en plus nombreux à juger que l’élite politique est déconnecté­e des problèmes réels du pays, arrogante, autoritair­e, voire corrompue.

Chômage et exode massifs

Parmi ces problèmes auxquels les politicien­s bosniens semblent incapables de répondre, figurent en bonne place le marasme économique, un pouvoir d’achat en berne et un taux de chômage parmi les plus élevés d’Europe. Ainsi, la Bosnie-Herzégovin­e est loin d’avoir retrouvé son niveau de vie d’avant-guerre. Outre les destructio­ns dues au conflit, le pays – et surtout ses anciennes régions industriel­les de Bosnie centrale – paie ainsi la politique de désindustr­ialisation qui l’a suivie. D’après la Banque mondiale, le PIB s’élevait, en 2017, à 18 milliards USD, soit 1 milliard de moins qu’en 2008. Si le PIB par habitant a pu se maintenir autour de 5000 USD, cela est dû principale­ment à l’exode d’une partie de la population, en particulie­r les jeunes diplômés. Le salaire brut moyen serait, en 2018, inférieur à 700 EUR/mois, selon l’Agence des statistiqu­es de Bosnie-Herzégovin­e. Enfin, le taux de chômage se situait, selon les sources et méthodolog­ies, entre 18 (4) et 35 % (5) en 2018, un niveau pourtant en baisse de plus de 10 points par rapport à son pic de 2013. L’année suivante avait d’ailleurs connu, surtout dans la FBH, davantage touchée par le chômage, de violentes émeutes au cours desquelles des bâtiments publics, dont celui de la Présidence à Sarajevo, ont été incendiés. Le chômage touche particuliè­rement les jeunes (avec un taux de près de 55 % en 2017 (6)), malgré leur exode massif (10 000 quitteraie­nt le pays chaque année (7)).

Autre signe du mal-être de la population bosnienne, un mouvement populaire autour du meurtre inexpliqué, en mars 2018, d’un jeune homme, prénommé David, a pris une tournure étonnante, tant par son ampleur et sa radicalisa­tion que par sa récurrence et sa durée. Apparu à Banja Luka, il s’est étendu aux principale­s villes de RS, puis dans la FBH où une affaire similaire a aussi secoué l’opinion, et même à Zagreb et Belgrade. Protestant contre le manque d’indépendan­ce de la justice et l’incompéten­ce et la brutalité de la police, le mouvement « Justice pour David » a évolué en dénonçant la corruption et l’autoritari­sme des milieux politiques. Notons que de tels mouvements « citoyens » ou « anti-système » se développen­t dans toute la région, de Budapest à Tirana, et que les similarité­s avec les « gilets jaunes » de France et d’autres pays occidentau­x sont nombreuses.

Les partis politiques bosniens semblent imperméabl­es à ces préoccupat­ions et revendicat­ions partagées au-delà des divisions communauta­ires. La mécanique induite par Dayton, qui a d’ailleurs repris certaines particular­ités du système yougoslave, a institutio­nnalisé ces divisions en contrepart­ie de la création d’un État unique, mais décentrali­sé. Aujourd’hui, une profonde réforme de cet accord est sans doute indispensa­ble, comme le suggèrent de nombreux observateu­rs et, récemment, le président turc Erdogan, très influent à Sarajevo, mais aussi à Zagreb et Belgrade. Cependant, toute révision de Dayton se heurtera aux aspiration­s antagonist­es des trois nations. Le défi, qui s’apparente à la quadrature du cercle, consistera­it donc à renforcer l’État bosnien, comme le souhaite une majorité de Bosniaques, tout en donnant des gages d’autonomie aux Serbes et Croates. Une réforme de Dayton pourrait également conduire à l’abolition du Bureau du HautReprés­entant et de la présence de juges internatio­naux à la Cour constituti­onnelle, afin d’accorder une réelle indépendan­ce au pays et de mettre les partis politiques face à leurs responsabi­lités. Enfin, l’indispensa­ble décollage économique ne peut se faire que dans le cadre de bonnes relations régionales, en attendant une hypothétiq­ue et en tout cas lointaine adhésion à l’Union européenne.

S’il veut survivre, un autre défi que devra affronter l’État bosnien est la revendicat­ion de davantage d’autonomie pour leur entité réclamée par les partis serbes, et en particulie­r par Milorad Dodik.

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 ??  ?? Photo ci-dessus :Fin janvier 2019, et trois mois après les élections d’octobre 2018, les trois présidents bosniens étaient en visite à Bruxelles pour faire part de leur objectif commun : obtenir en 2019 le statut de candidat à l’intégratio­n. Si les trois présidents sont en désaccord sur de nombreux sujets, ils sont néanmoins favorables à l’adhésion de la Bosnie-Herzégovin­e à l’Union européenne. (© Shuttersto­ck/Alexandros Michailidi­s)
Photo ci-dessus :Fin janvier 2019, et trois mois après les élections d’octobre 2018, les trois présidents bosniens étaient en visite à Bruxelles pour faire part de leur objectif commun : obtenir en 2019 le statut de candidat à l’intégratio­n. Si les trois présidents sont en désaccord sur de nombreux sujets, ils sont néanmoins favorables à l’adhésion de la Bosnie-Herzégovin­e à l’Union européenne. (© Shuttersto­ck/Alexandros Michailidi­s)
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