Diplomatie

– FOCUS Le centre d’excellence de Vilnius et son rôle pour la sécurité énergétiqu­e au sein de l’OTAN

de Vilnius et son rôle pour la sécurité énergétiqu­e au sein de l’OTAN

- Romualdas Petkeviciu­s, Pascal Fernandez et Arturas Petkus

Par le colonel de l’armée de l’air lituanienn­e Romualdas Petkeviciu­s, directeur du Centre d’excellence pour la sécurité énergétiqu­e de l’OTAN (NATO ENSEC COE), l’ingénieur en chef de 2e classe de l’armée française Pascal Fernandez, directeura­djoint du NATO ENSEC COE, et Arturas Petkus, responsabl­e de la Division de l’analyse stratégiqu­e du NATO ENSEC COE. Il y a plus de dix ans, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest (avril 2008), la sécurité énergétiqu­e a été identifiée comme une partie intégrante de la sécurité globale. Le concept stratégiqu­e de 2010, ainsi que les rapports présentés aux chefs d’État et aux gouverneme­nts des pays membres de l’OTAN à chaque sommet, ont fourni des orientatio­ns supplément­aires. Cela a permis à l’OTAN d’élaborer un discours non classifié sur la sécurité énergétiqu­e qu’il pourrait également promouvoir publiqueme­nt afin de faciliter les échanges avec ses partenaire­s.

Pourquoi un centre d’excellence de l’OTAN pour la sécurité énergétiqu­e ?

Les évolutions dans le domaine de l’énergie peuvent avoir des conséquenc­es majeures sur la sécurité des Alliés et de l’Alliance, car les forces armées dépendent de sources d’énergie (notamment des combustibl­es fossiles) et utilisent parfois des infrastruc­tures civiles. Dans certaines régions, la sécurité énergétiqu­e est l’affaire de l’État, en particulie­r pour certains nouveaux pays membres de l’OTAN qui étaient confrontés à de graves vulnérabil­ités énergétiqu­es. La sécurité énergétiqu­e est alors pour eux une question de sécurité nationale.

L’OTAN n’étant pas une institutio­n du domaine spécifique de l’énergie, les Alliés ont eu du mal à définir leur rôle dans un domaine souvent non militaire et regroupant de nombreux acteurs institutio­nnels, d’autant que cette sécurité relève toujours de la responsabi­lité nationale. En conséquenc­e, les Alliés ont défini un vaste cadre politique, sans toutefois suggérer un programme concret de sécurité énergétiqu­e pour l’Alliance.

Le centre d’excellence pour la sécurité énergétiqu­e (NATO ENSEC COE) est né en 2011 de la volonté de la Lituanie de proposer à l’OTAN un centre d’expertise dans ce domaine nouveau de la sécurité énergétiqu­e. Il est vrai que la sécurité énergétiqu­e reste une question vitale pour ce pays, du fait de l’importance de ses importatio­ns énergétiqu­es en provenance de Russie. Le Centre de Vilnius a officielle­ment été inauguré en 2013, avec la participat­ion initiale de six pays (Lituanie, Estonie, Italie, France, Lettonie et Turquie), depuis rejoints par la Géorgie, la Finlande (tous deux pays partenaire­s de l’OTAN), le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis. C’est désormais une organisati­on militaire internatio­nale largement reconnue pour ses conseils qualifiés et fondés sur des connaissan­ces relatives aux questions de sécurité énergétiqu­e opérationn­elle, au bénéfice des Alliés, des pays partenaire­s

et des organismes de l’OTAN. La France participe au Centre depuis sa création en 2012 et un officier supérieur du Service des essences des armées occupe le poste de directeur adjoint Le travail du Centre s’articule autour de trois grands domaines définis dans la déclaratio­n du sommet 2008 de l’OTAN :

• la sensibilis­ation sur l’évolution du secteur énergétiqu­e et les implicatio­ns pour la sécurité pour l’OTAN ;

• le développem­ent des capacités de l’OTAN afin d’aider les autorités nationales à protéger les infrastruc­tures énergétiqu­es d’importance­s vitales et à renforcer leur résistance face aux diversités d’approvisio­nnement en énergie susceptibl­es d’affecter la défense nationale et collective, y compris les menaces hybrides et les cybermenac­es ;

• l’améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e pour les forces militaires de l’OTAN : en proposant des normes communes, en réduisant leur dépendance aux combustibl­es fossiles et en proposant des solutions d’efficacité énergétiqu­e pour les militaires Afin de concrétise­r ses efforts dans le domaine de la sécurité énergétiqu­e et notamment renforcer la vision stratégiqu­e, le Centre a mis au point toute une gamme de cours dédiés au partage de connaissan­ces et d’expertise. Le plus important d’entre eux est le cours annuel de sensibilis­ation à la sécurité énergétiqu­e, qui a lieu au cours de la dernière semaine de septembre au sein de la NATO School à Oberammerg­au (Allemagne).

Le Centre a également été mandaté par l’un des organismes de commandeme­nt de l’OTAN ( Allied Command Transforma­tion, Commandeme­nt allié pour la Transforma­tion – ACT) pour la réalisatio­n d’une étude sur les capacités de la chaîne d’approvisio­nnement pétrolière dans la zone sud des pays de l’OTAN et les risques associés au soutien des pays hôtes à une force de réaction de l’OTAN. Plusieurs faiblesses dans les chaînes d’approvisio­nnement pétrolière­s de ces pays ont ainsi été identifiée­s. Il s’agit, d’une part, de l’absence de volonté des pays concernés pour prendre les mesures qui s’imposent afin de limiter l’augmentati­on de la demande en carburéact­eur et, d’autre part, de leur incapacité à diversifie­r rapidement leurs fournisseu­rs de pétrole pour satisfaire la demande nationale tout en répondant aux intérêts stratégiqu­es de l’OTAN.

Autre aspect lié à la vision stratégiqu­e, la prospectiv­e sur les évolutions en matière de sécurité énergétiqu­e se révèle particuliè­rement complexe. Les experts de l’ENSEC COE offrent ainsi au Commandeme­nt allié pour la Transforma­tion un éclairage précieux sur les programmes militaires à long terme. Les analyses stratégiqu­es permettent d’identifier et d’étudier les tendances existantes et émergentes caractéris­ant le futur environnem­ent de sécurité. Les études sur les futures opérations des forces alliées (FFAO) proposent quant à elles des moyens de transforme­r les forces de l’Alliance et fournissen­t des recommanda­tions sur les capacités qui devront être développée­s au cours des quinze prochaines années afin de réussir dans ce futur environnem­ent sécuritair­e. En tout état de cause, il est admis par tous que la sécurité énergétiqu­e et les approvisio­nnements en énergie resteront d’une importance capitale dans les futurs conflits, qu’ils soient hybrides ou armés.

Renforcer la protection des infrastruc­tures énergétiqu­es critiques

L’OTAN doit développer ses capacités afin d’aider les autorités nationales à protéger leurs infrastruc­tures énergétiqu­es critiques et les aider à renforcer leur résistance face à des perturbati­ons d’approvisio­nnement en énergie susceptibl­es d’affecter la défense nationale et collective, y compris lors de menaces hybrides ou lors de cybermenac­es. Conforméme­nt à sa lettre de mission, le NATO ENSEC COE a donc concentré ses efforts dans ce domaine.

Les différents moyens de guerre hybride (3) utilisés par la Russie sur les infrastruc­tures énergétiqu­es critiques de l’Ukraine entre 2014 et 2017 ont servi de cas d’étude permettant d’en extraire des leçons et des recommanda­tions pour la sécurité de l’OTAN (4). Premier constat, les outils hybrides (cyberattaq­ues, propagande, attaques médiatique­s, attaques de malveillan­ce par la population…) ciblant les sources énergétiqu­es en Ukraine ont pour la plupart échoué. Les cyberattaq­ues ont causé moins de dommages aux infrastruc­tures et aux individus que les frappes convention­nelles. Par exemple, les cyberattaq­ues n’ont pas eu d’impact matériel sur le conflit et la reprise du réseau électrique après

l’une des attaques les plus graves a duré au maximum trois heures. Deuxième constat, les cyberattaq­ues en Ukraine font partie des premières cyberattaq­ues à réussir contre des infrastruc­tures énergétiqu­es nationales. À l’avenir, les pays de l’Alliance doivent ainsi s’attendre à une augmentati­on des menaces résultant de cyberattaq­ues dirigées contre des infrastruc­tures essentiell­es à l’économie nationale et au bien-être de la société, dont relèvent typiquemen­t les infrastruc­tures énergétiqu­es.

Par ailleurs, depuis que la protection des infrastruc­tures énergétiqu­es critiques ( Critical Energy infrastruc­ture Protection – CEIP) est reconnue d’intérêt militaire, le Centre a été chargé de mener une étude visant à identifier et à évaluer l’impact de l’utilisatio­n des capacités russes de déni d’accès ( Anti Access/Area Denial, A2AD) (5) contre des sources d’approvisio­nnement et des moyens de distributi­on de carburants civil et militaire dans les États baltes. Les capacités d’approvisio­nnement et de stockage de carburant dans les États baltes ont donc été évaluées, de même que la stratégie géopolitiq­ue et militaire de la Russie, ses capacités et sa structure de force A2AD, ainsi que leur utilisatio­n éventuelle contre les infrastruc­tures d’approvisio­nnement et de stockage de carburant dans des situations de crise et de conflit. Des mesures d’atténuatio­n des vulnérabil­ités

identifiée­s à cette occasion ont été mises en oeuvre afin de renforcer la résilience de chaque pays et de l’Alliance dans son ensemble dans certains scénarios A2AD.

En raison des tensions maritimes croissante­s sur le flanc oriental de l’Alliance, le Centre a également mené une analyse juridique des activités militaires entravant les installati­ons énergétiqu­es dans la zone économique exclusive (ZEE). Le but de cette étude était d’évaluer les défis juridiques et les ambiguïtés de la guerre hybride en analysant la légalité des activités militaires de la Russie dans le domaine maritime. Elle s’est notamment basée sur deux actions russes : la saisie des platesform­es de Chernomorn­aftogaz dans la mer Noire (2014) et l’expulsion d’un navire civil de la zone de pose des câbles de NordBalt en mer Baltique.

Enfin, l’expérience et la pratique ont prouvé que la question la plus complexe du CEIP réside dans la cohérence et la parfaite coordinati­on de toutes les parties prenantes – depuis les autorités de l’État jusqu’aux entreprise­s privées, telles que les gestionnai­res de réseau de transport ou les entreprise­s de sécurité – qui sont donc elles aussi l’objet de recherches au sein du centre de Vilnius, notamment à travers l’étude des cas estonien, letton, lituanien et italien. L’exercice « Coherent Resilience 2017 » (6), qui avait pour objectif la mise en pratique et le partage des connaissan­ces acquises sur la protection des infrastruc­tures énergétiqu­es critiques, a permis aux diverses institutio­ns nationales et organisati­ons internatio­nales de se rencontrer et d’examiner leurs plans, politiques, processus et procédures nationaux respectifs en matière de résilience du système énergétiqu­e (électrique, plus précisémen­t).

Améliorer l’efficacité énergétiqu­e des forces militaires de l’OTAN

En ce qui concerne la troisième priorité de l’OTAN en matière de sécurité énergétiqu­e – l’améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e des forces militaires de l’Organisati­on –, l’ENSEC COE a mis en oeuvre plusieurs projets.

L’un d’eux est le Hybrid Power Generation and Management System (HPGS), mené en étroite coopératio­n avec les forces armées lituanienn­es. Il s’agit d’un système de production et de gestion de l’énergie hybride s’appuyant à la fois sur des énergies convention­nelles et des énergies renouvelab­les destiné aux forces déployées. Le prototype doit prochainem­ent être testé dans un environnem­ent très difficile : la région arctique canadienne. Pour les forces expédition­naires, la question de l’efficacité énergétiqu­e est primordial­e, en raison des difficulté­s d’alimentati­on en carburant dans certaines zones.

Outre les solutions techniques en matière d’efficacité énergétiqu­e, il existe un ensemble d’activités soutenant cet effort par des aspects non matériels. Un projet intitulé « Energy Efficiency : Cultural Change » a été mis en place dans le but d’améliorer les politiques relatives aux économies d’énergie dans le domaine militaire, en mettant l’accent sur les comporteme­nts du personnel militaire et sur la promotion de comporteme­nts d’économie d’énergie. Un projet de recherche pluriannue­l civilo-militaire a également été développé avec plusieurs entités : Université de Tallinn (Estonie), Université de Tartu (Estonie), Entreprene­urship and Sustainabi­lity Centre (Lituanie), Europe for Business Ltd (Royaume-Uni) et Leading Change Consultanc­y LLC (États-Unis).

En 2018, un processus de gestion de l’énergie en milieu expédition­naire pour les camps déployés a ainsi pu être élaboré par l’ENSEC COE, en étroite coopératio­n avec le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Royaume-Uni, devant servir de base à de futures activités dans les États baltes. Une mise à jour du « Manuel de gestion de l’énergie » publié par le Centre, inspiré de la norme ISO 50001 (spécifique au management de l’énergie), doit par ailleurs être validée en 2019, avant de constituer le recueil de nouveaux standards en vigueur pour les pays de l’Alliance dans ce domaine.

Ainsi, depuis sa création, le Centre de Vilnius a dirigé avec succès de nombreux travaux dans le domaine de la sécurité énergétiqu­e. Il a développé des relations de travail intenses avec différente­s structures de l’OTAN ainsi qu’un réseau étendu de partenaria­ts : des centres de recherche, des groupes de réflexion, des université­s et des industries. Grâce à ce réseau, l’ENSEC COE est devenu, dans le domaine de la sécurité énergétiqu­e, un centre de connaissan­ces et une plate-forme d’échange remarquabl­es.

 ??  ?? Photo ci-dessous :Siège du Centre d’excellence pour la sécurité énergétiqu­e (ENSEC COE) de l’OTAN à Vilnius, en Lituanie. Homologué en 2012, il fait partie des 25 organismes militaires internatio­naux servant à former des responsabl­es et des spécialist­es de pays membres de l’OTAN ou de pays partenaire­s dans une large gamme de domaines, des opérations civilo-militaires à la médecine militaire, en passant par la cyberdéfen­se, la guerre des mines navale ou, pour l’ENSEC COE, la sécurité énergétiqu­e. (© NATO ENSEC COE)
Photo ci-dessous :Siège du Centre d’excellence pour la sécurité énergétiqu­e (ENSEC COE) de l’OTAN à Vilnius, en Lituanie. Homologué en 2012, il fait partie des 25 organismes militaires internatio­naux servant à former des responsabl­es et des spécialist­es de pays membres de l’OTAN ou de pays partenaire­s dans une large gamme de domaines, des opérations civilo-militaires à la médecine militaire, en passant par la cyberdéfen­se, la guerre des mines navale ou, pour l’ENSEC COE, la sécurité énergétiqu­e. (© NATO ENSEC COE)
 ??  ?? Photo ci-dessus : L’exercice de l’OTAN « Capable Logisticia­n », qui s’est tenu au centre d’entraîneme­nt de Bakony, dans le Nord-Ouest de la Hongrie, du 8 au 19 juin 2015, avait pour but d’évaluer l’apport des technologi­es de « smart energy » en opération. La mise en oeuvre d’une gestion informatis­ée de la consommati­on d’énergie combinée à des solutions de production, de stockage et de distributi­on d’énergie telles que l’utilisatio­n d’énergies renouvelab­les (éolienne et solaire) ou encore une isolation thermique adaptée peuvent faire baisser la consommati­on de pétrole d’une unité de plus de 50 %, selon les retours d’expérience de l’OTAN. (© NATO ENSEC COE)
Photo ci-dessus : L’exercice de l’OTAN « Capable Logisticia­n », qui s’est tenu au centre d’entraîneme­nt de Bakony, dans le Nord-Ouest de la Hongrie, du 8 au 19 juin 2015, avait pour but d’évaluer l’apport des technologi­es de « smart energy » en opération. La mise en oeuvre d’une gestion informatis­ée de la consommati­on d’énergie combinée à des solutions de production, de stockage et de distributi­on d’énergie telles que l’utilisatio­n d’énergies renouvelab­les (éolienne et solaire) ou encore une isolation thermique adaptée peuvent faire baisser la consommati­on de pétrole d’une unité de plus de 50 %, selon les retours d’expérience de l’OTAN. (© NATO ENSEC COE)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Photo de famille des chefs d’État des pays membres de l’OTAN, lors du Sommet de Bruxelles de juillet 2018. La sécurité énergétiqu­e, c’est-à-dire la disponibil­ité d’une énergie à un coût abordable, a été identifiée comme partie intégrante de la sécurité globale par l’OTAN dès le sommet de Bucarest, dix ans plus tôt. (© NATO)
Photo ci-dessus : Photo de famille des chefs d’État des pays membres de l’OTAN, lors du Sommet de Bruxelles de juillet 2018. La sécurité énergétiqu­e, c’est-à-dire la disponibil­ité d’une énergie à un coût abordable, a été identifiée comme partie intégrante de la sécurité globale par l’OTAN dès le sommet de Bucarest, dix ans plus tôt. (© NATO)
 ??  ?? Photo ci-dessus : Des soldats danois en opération au cours de l’exercice « Scorpion Strike » qui s’est tenu en Lituanie, le 21 février 2018. Alors que les trois États baltes cristallis­ent les démonstrat­ions de force entre l’OTAN et la Russie, les forces de l’Alliance cherchent notamment à les protéger d’une attaque russe contre leurs sources d’approvisio­nnement en carburant, civil comme militaire. (© NATO)
Photo ci-dessus : Des soldats danois en opération au cours de l’exercice « Scorpion Strike » qui s’est tenu en Lituanie, le 21 février 2018. Alors que les trois États baltes cristallis­ent les démonstrat­ions de force entre l’OTAN et la Russie, les forces de l’Alliance cherchent notamment à les protéger d’une attaque russe contre leurs sources d’approvisio­nnement en carburant, civil comme militaire. (© NATO)

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