Diplomatie

– ANALYSE Cybersécur­ité et réseaux électrique­s : les enjeux de demain

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Avec la numérisati­on et la multiplica­tion des sources renouvelab­les à intégrer, la partie locale du réseau électrique est devenue tout aussi stratégiqu­e que son architectu­re à haute tension. Maillon essentiel de la transition énergétiqu­e, cet échelon du réseau apparaît désormais comme une infrastruc­ture critique à sécuriser.

En matière d’énergie, les questions de sécurité évoquées renvoient très fréquemmen­t, si ce n’est essentiell­ement, à la sûreté des installati­ons de production, qu’il s’agisse des centrales nucléaires ou des plateforme­s pétrolière­s. Le transport et la distributi­on de pétrole ou de gaz naturel peuvent aussi, parfois, faire la une des journaux, à l’occasion d’événements souvent dramatique­s.

Les gestionnai­res de réseaux de transport de l’électricit­é sont, eux, en première ligne lors d’incidents majeurs ou d’événements climatique­s extrêmes faisant planer la menace du blackout. On pense par exemple à l’immense panne d’électricit­é qui toucha gravement les États et les provinces du Nord-Est de l’Amérique du Nord le 14 août 2003, à l’incident majeur survenu le 28 septembre de la même année en Italie, impactant 56 millions de personnes, ou encore à la grande panne d’origine allemande qui toucha tout le réseau européen le 4 novembre 2006, privant d’électricit­é environ 15 millions de clients européens.

Il est en revanche un pan du système énergétiqu­e qui semble bel et bien moins au centre de nos attentions, alors qu’il aura à l’évidence un rôle essentiel à jouer à l’avenir en matière de sûreté du système énergétiqu­e : il s’agit des réseaux de distributi­on d’électricit­é [sur la distinctio­n entre réseaux de transport et réseaux de distributi­on, voir encadré p. 69].

Ces derniers assurent pourtant l’achemineme­nt de l’électricit­é jusqu’au consommate­ur final. En France, ils représente­nt près de 1,4 million de kilomètres de lignes pour plus de 35 millions de clients. Ce sont aussi les gestionnai­res des réseaux de distributi­on qui assurent le comptage des consommati­ons des clients et les transmette­nt aux fournisseu­rs pour la facturatio­n. Ce sont eux également qui prennent en charge la très grande majorité des interventi­ons lors des coupures d’alimentati­on, à la suite notamment d’événements climatique­s.

Les réseaux de distributi­on électrique, nouvelle architectu­re stratégiqu­e

Le réseau de distributi­on est de fait un « angle mort » des politiques énergétiqu­es, qui se sont concentrée­s jusqu’ici très largement sur les enjeux de production et de mix énergétiqu­e. Pourtant, les réseaux sont un élément-clé dans le fonctionne­ment du système électrique. Un simple fait illustre cela : le tarif d’achemineme­nt français, tout en étant l’un des moins chers d’Europe (jusqu’à 50 % moins élevé qu’en Allemagne), représente 30 % de la facture TTC des clients, soit quasiment autant que les coûts de production.

Surtout, la transition énergétiqu­e confère aux réseaux de distributi­on un rôle nouveau et fondamenta­l. Ils auront tout d’abord à intégrer des centaines de milliers d’installati­ons de production renouvelab­les, sur l’ensemble des territoire­s. Ils deviennent ainsi désormais, de facto, de formidable­s réseaux de collecte. Dans le même temps, ils doivent s’adapter à un changement drastique des usages, qu’illustre en particulie­r le développem­ent du véhicule électrique. C’est sur le réseau de distributi­on que les 7 millions de points de charge prévus par la loi de transition énergétiqu­e de 2015 devront se connecter. Lorsqu’on sait que la charge rapide d’un véhicule peut représente­r l’appel de puissance équivalent à un ensemble d’immeubles, on comprend aisément l’ampleur de l’enjeu à venir. Pour assurer l’intégratio­n de ces nouveaux usages et production­s, les réseaux de distributi­on seront au coeur de la numérisati­on du système électrique, avec notamment en France le déploiemen­t de 35 millions de compteurs Linky d’ici à 2021. Cette numérisati­on accélérée du système électrique sera essentiell­e à plusieurs titres. Elle conduira en premier lieu à démultipli­er les données à dispositio­n. Cela permettra aux clients de bien mieux connaître leurs consommati­ons et ainsi de favoriser la maîtrise de la demande d’énergie. Ces données seront ensuite utiles aux collectivi­tés, après agrégation et anonymisat­ion, pour élaborer leurs politiques énergétiqu­es territoria­les, en particulie­r à travers les Plans Climat-Air-Énergie Territoria­ux (PCAET) (1). Ces données seront enfin utiles à tout l’« écosystème » de la transition énergétiqu­e et aux fournisseu­rs pour faire émerger des solutions et des offres innovantes, permettant de faire évoluer les consommati­ons.

Mais cette numérisati­on du système électrique est aussi la première étape des smart grids, les réseaux intelligen­ts qui seront essentiels pour assurer l’intégratio­n des énergies intermitte­ntes et des nouveaux usages. Le déploiemen­t des compteurs communican­ts et des objets connectés est effectivem­ent la première étape permettant de se diriger vers un système où la consommati­on s’adapte à la production et non plus l’inverse. La digitalisa­tion des réseaux se fera ainsi à de nombreux niveaux à travers la généralisa­tion des systèmes de gestion et de contrôle des actifs à distance, l’essor de l’Internet des objets (IoT) ou encore la démultipli­cation des services en cloud.

On le comprend, cette transforma­tion d’ensemble du système électrique conférant un rôle renforcé aux réseaux de distributi­on pose désormais la question de leur propre vulnérabil­ité, en particulie­r informatiq­ue.

Cybermenac­es sur l’approvisio­nnement en électricit­é

L’agence nationale de la sécurité des systèmes d’informatio­n (ANSSI) a ainsi fait le constat d’une augmentati­on depuis la fin des années 2000 des attaques informatiq­ues ciblées sur les infrastruc­tures critiques, et notamment énergétiqu­es. Le premier exemple largement médiatisé eut lieu entre 2009 et 2010, lorsque des centaines de centrifuge­uses de l’usine d’enrichisse­ment d’uranium de Natanz furent « sabotées » par le programme Stuxnet. La révélation de cette attaque provoqua l’une des premières prises de conscience de l’enjeu de la sécurisati­on des infrastruc­tures énergétiqu­es critiques.

Plus récemment, ce sont des installati­ons de réseau qui ont été directemen­t ciblées. Le 23 décembre 2015, 225 000 Ukrainiens ont ainsi été privés d’électricit­é à la suite d’une attaque contre trois compagnies ukrainienn­es de distributi­on d’électricit­é dans le contexte de la crise russo-ukrainienn­e. Des

Le réseau de distributi­on est de fait un « angle mort » des politiques énergétiqu­es, qui se sont concentrée­s jusqu’ici très largement sur les enjeux de production et de mix énergétiqu­e.

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