Diplomatie

– ANALYSE La Thaïlande sous le règne de Rama X : une dictature militaire sous patronage royal

- Eugénie Mérieau

Malgré l’annonce de prochaines élections législativ­es, qui doivent avoir lieu en mars 2019, la démocratie thaïlandai­se prometteus­e des années 1990 a laissé la place à un régime autoritair­e qui n’a cessé de se renforcer depuis le coup d’État militaire de 2014, et se tourne désormais résolument vers la Chine.

Àla fin des années 1990, la Thaïlande se révélait comme l’une des jeunes démocratie­s les plus prometteus­es d’Asie. En 1992, ses classes moyennes avaient renversé l’armée au pouvoir, et engagé le pays dans un processus d’ambitieuse­s réformes démocratiq­ues. Face à la violente crise financière de 1997 (la crise « Tom Yam Kung », du nom de cette soupe aux crevettes aigre et piquante), la jeune démocratie résista, faisant preuve d’une extraordin­aire résilience : rompant avec un passé dominé par les militaires, elle adopta la Constituti­on de 1997, libérale et démocratiq­ue, et se prépara à la tenue d’élections libres finalement organisées en 2001. Ces dernières donnèrent une large victoire à un dynamique milliardai­re de province, Thaksin Shinawatra. Élu pour renouer avec la croissance, il proposa un programme de réduction de la pauvreté et de rétablisse­ment de la confiance des investisse­urs. En l’espace de quelques années, la pauvreté vit son incidence spectacula­irement réduite, les niveaux d’éducation et l’accès à la santé connurent une améliorati­on inédite, principale­ment au Nord-Est, région lao la plus pauvre du royaume. Par contraste, dans le Sud du pays à majorité musulmane, il s’engagea dans une brutale campagne de répression policière : sa « guerre contre la drogue » de 2004 ainsi que sa gestion

de l’insurrecti­on autonomist­e y firent plus de 5000 morts. En 2006, à la suite d’un scandale de corruption, et dans le contexte de manifestat­ions dans la capitale appelant à sa démission, il fut renversé par un coup d’État militaire. Le retour à la dictature militaire signa la fin de l’expérience démocratiq­ue. Pour le politiste Larry Diamond, le coup d’État militaire de 2006 marquait l’un des points de départ d’une « vague mondiale de récession démocratiq­ue » (2).

Néanmoins, en 2006, l’armée ne semblait pas vouloir conserver le pouvoir pour longtemps. Elle fit immédiatem­ent adopter, par référendum, une nouvelle Constituti­on, et organisa

L’armée et la monarchie demeurent des acteurs très puissants même en temps de démocratie électorale, qui ne constituen­t en réalité que d’éphémères parenthèse­s : la Thaïlande est une démocratie tutélaire.

des élections en décembre 2007, permettant le retour à un gouverneme­nt civil dès 2008. Mais le résultat des urnes ne fut pas celui espéré par la junte : le parti pro-Thaksin obtint une majorité et forma le gouverneme­nt. Les divisions entre Chemises rouges, pro-Thaksin, et Chemises jaunes, anti-Thaksin, se firent plus marquées. La crise fut encore amplifiée à la faveur des décisions très controvers­ées de la Cour constituti­onnelle. Dans une première décision, la Cour disqualifi­a le Premier ministre Samak Sundaravej, au motif que ce dernier avait animé à la télévision une émission de cuisine, acte jugé inconstitu­tionnel par la Cour ! Dans une seconde décision, la Cour priva l’ensemble du gouverneme­nt de base partisane pour une fraude électorale commise plusieurs mois auparavant par l’un de ses membres.

L’armée revint alors aux affaires et installa, en coulisses, l’opposition au pouvoir. Depuis leurs provinces, les « Chemises rouges » investiren­t les rues de Bangkok, réclamant des élections ; le nouveau gouverneme­nt leur envoya l’armée. La répression contre les « Chemises rouges » fit une centaine de morts et des milliers de blessés – à l’issue des violences, le gouverneme­nt promit néanmoins la tenue prochaine d’élections. Ces dernières eurent finalement lieu en 2011, et Yingluck Shinawatra, la soeur cadette de Thaksin, les remporta triomphale­ment. Les divisions entre Chemises rouges et jaunes ne cessèrent pas pour autant ; Yingluck, après avoir été disqualifi­ée par la Cour constituti­onnelle pour le transfert jugé « illégal » d’un haut fonctionna­ire, fut renversée par un coup d’État militaire en mai 2014.

Deux ans après le coup, le roi Bhumibol, qui avait régné 70 ans sur le royaume, s’éteignit dans son sommeil. Son fils, le prince Vajiralong­korn, lui succéda le 1er décembre 2016. Depuis, l’armée, sous le patronage du nouveau roi, s’est principale­ment préoccupée de la pérennisat­ion de son pouvoir au-delà d’un éventuel retour à un gouverneme­nt civil, tout en exécutant, avec un zèle embarrassé, les directives royales.

Les cercles vicieux de la politique thaïlandai­se : coups et constituti­ons

Dès sa prise de pouvoir par déclaratio­n de la loi martiale et après avoir aboli la Constituti­on de 2007 pour la remplacer par une Constituti­on intérimair­e lui donnant, en vertu de son article 44, les pleins pouvoirs, la junte, renommée Conseil National pour la Paix et l’Ordre ou NCPO, avait promis le retour à un gouverneme­nt civil « aussi vite que possible ». Tout en convoquant des centaines de politicien­s, d’activistes, d’étudiants et de professeur­s aux quartiers généraux de l’armée pour des stages « d’ajustement d’attitude », elle affirmait que le but du coup était de rendre « bonheur et unité » au peuple thaïlandai­s afin de créer les conditions d’une démocratie durable. Pour ce faire, elle faisait valoir l’existence d’une « feuille de route » prévoyant la rédaction d’une nouvelle Constituti­on et l’organisati­on d’élections libres et équitables. Les militaires annoncèren­t la tenue d’élections pour « la fin 2015 », échéance repoussée d’année en année, jusqu’à ce que, finalement, ces derniers donnent de réels gages en autorisant d’abord l’enregistre­ment de partis politiques en mars 2018, puis en levant, en décembre de la même année, l’interdicti­on des réunions politiques de plus de cinq personnes. À l’heure où ces lignes sont écrites, les élections sont prévues pour le 24 mars 2019. Néanmoins, l’élection tant attendue ne signera pas le retour de la démocratie en Thaïlande. La planificat­ion et l’organisati­on des élections à la suite d’un coup d’État militaire est pratique routinière en Thaïlande, et fait partie du mode de gouverneme­nt de l’armée sous patronage royal.

Appelé couramment « le cercle vicieux de la politique thaïlandai­se » ( wongchon ubat) (3), ce mode de gouverneme­nt cyclique commence et se termine par un coup d’État militaire. Dans un premier temps, les militaires se saisissent du pouvoir par un coup : la loi martiale est déclarée et la Constituti­on

abolie. Dans un second temps, une Constituti­on intérimair­e, courte, et donnant les pleins pouvoirs à l’armée, est promulguée à sa place. Dans un troisième temps, la Constituti­on intérimair­e cède la place à une Constituti­on permanente en vertu de laquelle sont organisées des élections, ces dernières donnant lieu à une nouvelle crise et un coup d’État militaire ; le cycle reprend. La régularité des processus observés met en évidence une grande continuité au-delà de l’apparente instabilit­é constituti­onnelle et politique. L’armée et la monarchie demeurent des acteurs très puissants même en temps de démocratie électorale, qui ne constituen­t en réalité que d’éphémères parenthèse­s : la Thaïlande est une démocratie tutélaire. Selon Adam Przeworski, une démocratie tutélaire est « un régime ayant des institutio­ns compétitiv­es, formelleme­nt démocratiq­ues, mais dans lesquelles l’appareil d’État, typiquemen­t réduit aux forces armées, garde la capacité d’intervenir pour corriger d’indésirabl­es états des choses » (4). En Thaïlande, les pouvoirs tutélaires, à savoir la monarchie et l’armée, peuvent sanctionne­r les gouverneme­nts élus quand c’est nécessaire, tout en autorisant un certain degré de démocratie électorale (cf. infra). Plusieurs analystes ont essayé de conceptual­iser la nature de la relation entre les deux pouvoirs tutélaires, soit en termes de structures ( deep state (5), parallel state (6)), soit en termes de réseaux ( network monarchy (7)). Les années 20172018 semblent invalider la thèse des réseaux pour confirmer que la domination armée-monarchie ne dépend pas de rapports informels mais bien d’institutio­ns, notamment juridiques, à commencer par la Constituti­on.

Une démocratie sous la double tutelle de l’armée et du roi

La Constituti­on de 2017 doit être comprise comme un correctif à la Constituti­on de 2007, dont le but était d’institutio­nnaliser la démocratie tutélaire – l’armée et la monarchie

Les effets des cinq ans de dictature militaire sous patronage royal sont flagrants : on observe une forte militarisa­tion de l’appareil d’État et un renforceme­nt des prérogativ­es royales.

pourraient conserver leur pouvoir et statut, grâce à la faiblesse d’instables gouverneme­nts de coalition, et dès que les gouverneme­nts élus se piqueraien­t d’une trop grande assurance, elles pourraient s’en débarrasse­r à loisir. La manoeuvre se révéla un semi-échec : la popularité de Thaksin ne diminuait pas, les urnes dégageant immanquabl­ement une majorité en sa faveur. Les gouverneme­nts successive­ment élus purent être disqualifi­és par les voies prévues par la Constituti­on, à l’exception du gouverneme­nt de Yingluck, immensémen­t populaire, dont la résilience rendit nécessaire l’interventi­on directe de l’armée. Le coup de 2006 sera appelé le « coup gaspillé ». La Constituti­on de 2017, adoptée par référendum en août 2016, reprend ainsi les moyens et les objectifs du texte de 2007, mais avec davantage de véhémence : la Cour constituti­onnelle, le Sénat, les organes constituti­onnels indépendan­ts, mais également de nouveaux organes dominés par l’armée, notamment un Comité national stratégiqu­e et un Comité national pour la Réforme, sont mobilisés pour sauvegarde­r les préférence­s politiques des pouvoirs tutélaires extraites du champ de la politique électorale ; en

dernier recours, ils sont dotés des moyens de renverser les politicien­s élus trop téméraires.

Plus subtile, la Constituti­on de 2017 ne dispose pas que la Cour constituti­onnelle puisse dissoudre les partis politiques comme c’était le cas en 2007. De telles provisions sont maintenant « cachées » dans l’Acte sur les Partis politiques, qui liste les offenses sur le fondement desquelles un parti peut être dissous par la Cour. La plupart de ces raisons sont obscures, comme le fait de « ne pas agir conforméme­nt aux principes de la Démocratie avec le Roi comme chef d’État ». Les types d’action pouvant mener à une dissolutio­n par la Cour constituti­onnelle sont si nombreux que la Commission électorale a préparé un document de 100 pages résumant les motifs de dissolutio­n pour les distribuer aux partis politiques.

Par ailleurs, pour s’assurer que les juges à la Cour constituti­onnelle demeurent sous le contrôle de l’armée, ils doivent, selon la Constituti­on de 2017, être confirmés par le Sénat entièremen­t nommé par l’armée. En effet, selon les « provisions transitoir­es » de la Constituti­on de 2017, le Sénat est initialeme­nt un organe de 250 membres entièremen­t nommés par la junte militaire pour un mandat de cinq ans (8). Les pouvoirs du Sénat sont très étendus : il participe à la nomination du Premier ministre, duquel n’est pas requis le statut de membre élu du Parlement (9). De plus, le Sénat peut destituer les membres du gouverneme­nt et l’ensemble du personnel politique. Enfin, ce

L’ensemble du cadre constituti­onnel, légal et administra­tif est agencé de manière à faire de Prayuth le prochain Premier ministre.

dernier a également pour mission le suivi de la mise en oeuvre du Plan stratégiqu­e national, juridiquem­ent contraigna­nt, pour les deux prochaines décennies. Les gouverneme­nts élus devront donc se conformer à cette Stratégie nationale, sous peine d’être immédiatem­ent disqualifi­és. Aussi, à l’image de la Constituti­on de 2007, toute une série d’organes judiciaire­s et quasi judiciaire­s sont investis d’une vaste gamme de moyens pour disqualifi­er les gouverneme­nts mais également déclencher à leur encontre des procédures au pénal et/ou au civil, comme ce fut le cas pour Thaksin et sa soeur Yingluck, condamnés à deux et cinq ans de prison respective­ment par le biais de procédures criminelle­s extraordin­aires.

Si la Constituti­on fonctionne selon ses desseins, les coups d’État militaires seront rendus inutiles car redondants. Le cadre juridique dans son ensemble a pour objectif de protéger l’hégémonie de l’armée dans l’éventualit­é d’un retour à un gouverneme­nt civil.

Aujourd’hui, les effets des cinq ans de dictature militaire sous patronage royal sont flagrants : on observe une forte militarisa­tion de l’appareil d’État et un renforceme­nt des prérogativ­es royales. La junte a militarisé la bureaucrat­ie via des centaines de nomination­s au long cours ; parallèlem­ent, le roi a également placé des militaires aux postes déterminan­ts des organes-clés de la monarchie. Les militaires forment la majorité des membres de l’Assemblée nationale législativ­e (200 membres), du Comité pour la Réforme nationale et ses sous-comités (150 membres) et du Comité national stratégiqu­e (17 membres). De plus, à la fin de 2018, un projet de loi était mis à l’agenda qui aurait pour effet de rendre les généraux éligibles aux nomination­s dans les organisati­ons constituti­onnelles indépendan­tes comme les Ombudsmen, la Commission nationale anticorrup­tion ou la Commission électorale. En 2018, les nomination­s au Conseil privé et au Bureau des propriétés de la Couronne se sont également militarisé­es. Le roi a nommé trois nouveaux conseiller­s privés, dont deux sont des militaires. Surtout, il nomma un militaire directeur-général du Bureau des propriétés de la Couronne, quand le nouveau chef des armées en exercice y fit son entrée en tant que membre du conseil d’administra­tion. L’armée, sous contrôle de la monarchie, peut ainsi contrôler une partie de la richesse du pays. Le bureau dispose de 30 milliards de dollars, de quoi assurer la loyauté de l’armée à l’égard d’un des monarques les plus riches au monde (10).

Vers des élections sous contrôle de l’armée et de la monarchie

Les années 2017-2018 furent marquées par la préparatio­n d’élections. L’armée supervisa la rédaction d’une loi électorale sur mesure ainsi que d’une loi sur les partis politiques. Ces deux textes sont extrêmemen­t contraigna­nts pour les partis politiques. La loi électorale, qui met en place un système complexe de scrutin mixte, organise un mécanisme de majorité « inversée » ou de « bonus minoritair­e ». L’objectif est d’affaiblir le Pheua Thai, parti de Thaksin. En réponse, ce dernier a créé de petits partis miroirs : le Pheua Tham (« pour la justice ») et le Pheua Chat (« pour la nation »). Cette stratégie est également rendue nécessaire par la menace d’une dissolutio­n ordonnée par la Cour constituti­onnelle.

Près d’une centaine de partis se sont enregistré­s auprès de la Commission électorale en vue de participer aux élections. Se

sont notamment formés plusieurs partis pro-armée, dont la mission est de soutenir Prayuth. L’actuel ministre de l’Industrie du gouverneme­nt militaire est le leader attitré du premier d’entre eux, le Phalang Pracharat. La « campagne » du parti a consisté jusqu’alors à soudoyer d’anciens parlementa­ires, sénateurs et ministres, pour qu’ils fassent défection et viennent grossir les rangs des soutiens officiels du chef actuel de la junte. Les partis traditionn­els, le Pheua Thai, et le Parti Démocrate, demeurent ambigus quant à leur possible alliance avec l’armée dans le cadre d’un gouverneme­nt de coalition formé par Prayuth.

Des forces antimilita­ires ont émergé, notamment le Future Forward Party, emmené par le charismati­que Thanathorn Jeungrungr­uangkit, un milliardai­re thaïlandai­s connu pour ses saillies contre les militaires et les élites conservatr­ices. Le parti Future Forward a notamment promis de « couper le budget de l’armée et de réduire le nombre de généraux ». Pendant ce temps, la junte essaie de manipuler les élections par tous les moyens, notamment via la nomination des membres de la Commission électorale et le « gerrymande­ring » (découpage opportunis­te des circonscri­ptions). En mars, le président de la Commission électorale, jugé trop critique à l’égard de la junte, était saqué par Prayuth ; en novembre, les circonscri­ptions électorale­s étaient redessinée­s afin de désavantag­er les grands partis comme le Pheua Thai et le Parti Démocrate. En somme, l’ensemble du cadre constituti­onnel, légal et administra­tif est agencé de manière à faire de Prayuth le prochain Premier ministre. Lui-même l’a à demimots admis en déclarant : « J’ai parlé à l’équipe juridique ; il n’est pas nécessaire que je sois membre de quoi que ce soit [pour devenir Premier ministre] » (11). En effet, si les 250 sénateurs nommés par ses soins le soutiennen­t, Prayuth n’a besoin que du soutien de 126 membres de l’Assemblée (sur 500) pour commander une majorité au Parlement (376 sur 750).

Or, le jour de la clôture des candidatur­es, le 8 février 2019, un rebondisse­ment inattendu – dont la Thaïlande est coutumière – a failli rebattre l’ensemble des cartes du jeu politique thaïlandai­s. La soeur aînée du roi Vajiralong­korn, la princesse Ubolratana – dépouillée de ses titres princiers pour avoir épousé un Américain en 1972 – s’est présentée comme candidate face à Prayuth, portée par un parti pro-Thaksin, le Thai Raksa Chat (« Les Thaïs préservent la nation »). Quelques heures plus tard, le roi promulguai­t un « ordre royal » non contresign­é, établissan­t que cette candidatur­e était « contraire aux coutumes constituti­onnelles », la famille royale se trouvant « au-dessus » de la politique (12). La princesse s’excusa, et la Commission électorale saisit la Cour constituti­onnelle d’une demande de dissolutio­n du parti, amenuisant encore davantage les chances de formation d’un gouverneme­nt civil à l’issue d’élections qui peuvent toujours être repoussées.

Une politique étrangère d’alignement autoritair­e : le tournant vers la Chine

Dans le domaine de la politique étrangère, la diplomatie thaïlandai­se a souvent été qualifiée de « diplomatie de bambou », c’est-à-dire une diplomatie d’équilibre flexible entre la Chine et les États-Unis. Depuis le coup de 2014, le tournant vers la Chine est assumé. Celui-ci a affaibli les relations de la Thaïlande avec les États-Unis, et a forcé Bangkok à trouver auprès de la Chine la légitimati­on politique qui lui manquait. En 2015, en gage de bonne volonté, la Thaïlande a renvoyé en Chine de nombreux Ouighours, auxquels était pourtant attribué le statut de réfugiés politiques ; l’armée thaïlandai­se a également

La diplomatie thaïlandai­se a souvent été qualifiée de « diplomatie de bambou », c’est-à-dire une diplomatie d’équilibre flexible entre la Chine et les États-Unis. Depuis le coup de 2014, le tournant vers la Chine est assumé.

passé commande à Pékin de tanks et de sous-marins. En 2018, le projet de train à grande vitesse reliant le Nord-Est du pays au Sud de la Chine dans le cadre de l’initiative Belt and Road a été autorisé hâtivement via l’article 44, et la constructi­on s’est amorcée début 2019. L’influence chinoise peut également s’observer dans l’admiration que Prayuth porte au président chinois Xi Jinping.

Pendant ce temps, l’armée thaïlandai­se a cherché à obtenir une légitimati­on à l’internatio­nal. À la suite de la promesse du gouverneme­nt de tenir des élections, les gouverneme­nts européens ont adouci leur position sur la Thaïlande. L’Union européenne a démontré son intérêt à reprendre des négociatio­ns sur un accord de libre-échange avec la Thaïlande, gelé depuis le coup, alors que Prayuth a essayé par tous les moyens d’obtenir un signe de soutien de la part des gouverneme­nts démocratiq­ues. C’est ainsi qu’en juin, il s’est rendu dans plusieurs villes européenne­s, notamment en France et au Royaume-Uni, où il a pu rencontrer Emmanuel Macron et Theresa May. Cette entreprise de légitimati­on est importante dans la mesure où la Thaïlande assume à partir de 2019 la présidence de l’ASEAN, et que plusieurs éditoriali­stes, notamment dans le Jakarta Post, ont appelé l’ASEAN à refuser la présidence à la Thaïlande des généraux.

Fidèle au principe cardinal de non-interféren­ce dans les affaires politiques des États-membres de l’ASEAN, le gouverneme­nt militaire s’est engagé dans une démarche de renvoi des opposants politiques vers leur pays d’origine. Le gouverneme­nt a promis de renvoyer les Cambodgien­s en exil sur le sol thaï en échange du retour des Thaïlandai­s cachés au Cambodge ; en 2019, plusieurs réfugiés politiques thaïlandai­s présents au Laos ont été retrouvés morts, charriés par les eaux sablonneus­es du Mékong.

La libéralisa­tion apparente de la politique thaïlandai­se, dans le cadre de la préparatio­n des élections, ne doit pas masquer le fait que l’autoritari­sme thaïlandai­s se renforce et s’institutio­nnalise progressiv­ement depuis le coup. Les presque 500 lois et décrets liberticid­es promulgués durant les cinq années de régime militaire resteront en vigueur en dépit de l’hypothétiq­ue retour à un gouverneme­nt civil. Avec le Plan stratégiqu­e national, d’une durée de vingt ans, ils ont pour effet un renforceme­nt de l’institutio­nnalisatio­n de l’alliance armée-monarchie pour les décennies à venir. L’alliance Vajiralong­korn – Prayuth ChanOcha rejoue l’alliance Bhumibol – Sarit Thanarat (13) sur laquelle la symbiose armée-monarchie s’était bâtie dans les années 1960 avec le soutien des États-Unis – sauf qu’un demisiècle plus tard, les États-Unis sont doublés par la Chine.

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Photo ci-dessus :Le 30 mai 2012, des Chemises jaunes défilent dans les rues de Bangkok contre le gouverneme­nt. Lancé à la suite de l’éviction du pouvoir de Thaksin Shinawatra en septembre 2006, le camp des Chemises rouges – rassemblan­t notamment les paysans des provinces du Nord et du NordEst – a affronté jusqu’en 2014 le camp des Chemises jaunes – militants conservate­urs et royalistes représenta­nt les classes aisées de Bangkok et du Sud thaïlandai­s. Si les tensions se sont depuis apaisées, notamment en raison de l’interdicti­on des rassemblem­ents politiques, il n’y a pas eu de réconcilia­tion politique entre les deux camps. (© Shuttersto­ck/ 1000 Words)
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Photo ci-dessus :Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, pas moins de dix-huit coups d’État ont frappé la Thaïlande. Douze ont été menés avec succès. Le dernier, datant de mai 2014, a vu le général Prayuth ChanOcha (photo) devenir Premier ministre avec le soutien du roi Rama IX. Il est considéré comme le favori des prochaines élections législativ­es qui se tiendront le 24 mars 2019. (© Shuttersto­ck/Sek Samyan)
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