J.O. de Paris : Construire l’après-2024
Vous êtes délégué ministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Quelle est votre mission ? T. Terret : En 2017, lorsque, à Lima, le Comité international olympique a désigné les villes pour accueillir les Jeux en 2024 (Paris) et en 2028 (Los Angeles), le gouvernement français a demandé à chaque ministre de désigner un référent sur le dossier Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de façon que chaque ministère puisse laisser à ces personnes le soin de soutenir et porter les mesures, de les dynamiser et de les coordonner dans un cadre interministériel.
À cette époque, j’étais recteur de l’académie de Rennes. Antérieurement à mes mandats de recteur, j’avais dirigé un centre de recherche et d’innovation sur le sport à l’université Lyon-I. J’étais un universitaire, historien du sport et de l’olympisme. Et le recoupement de ces deux logiques, l’une relevant de la haute fonction publique et l’autre de la recherche dans le domaine du sport, m’a amené assez naturellement à occuper cette fonction de délégué ministériel. L’essentiel de ma mission consiste à construire l’après-2024.
Alors, comment ? À la fois par des mesures symboliques de reconnaissance et de soutien de ce que font les établissements scolaires et universitaires. Je pense ici au label « Génération 2024 » qui consiste à reconnaître les politiques d’établissements, allant de l’école élémentaire jusqu’aux universités, en faveur du sport et de l’olympisme. Cela passe aussi par le suivi de mesures propres à la pratique sportive à l’école, en plus de l’éducation physique et sportive obligatoire, par exemple comme lorsque le ministre a annoncé, en 2017, l’ouverture de 1000 nouveaux dispositifs de type « section sportive scolaire ». Dans la pratique, ce sont 20 à 25 mesures qu’il me revient de porter et de valoriser avec les autres ministères.
Les acteurs olympiques français aiment à répéter que les Jeux modernes sont issus du travail de Pierre de Coubertin qui, à la fin du XIXe siècle, avait été à l’origine de la renaissance de l’olympisme en créant l’ancêtre du Comité international olympique à Paris, avant de le déplacer en Suisse pour des raisons avant tout diplomatiques. Pouvez-vous revenir sur l’histoire des Jeux et sur le rapport entre Paris et l’olympisme moderne ? C’est une longue histoire qui commence à la fin du XIXe siècle, même s’il y a eu, avant les initiatives de Coubertin, des précédents en France, mais aussi ailleurs en Europe et aux États-Unis, pour
faire émerger des compétitions ou des rencontres, qualifiées d’olympiques ou d’olympiades, selon les cas, mais qui n’ont pas connu le succès de celle qui prend son essor en 1896 à Athènes, à la suite d’une véritable campagne de conviction menée par le baron Pierre de Coubertin. Campagne de conviction qui l’amène d’abord à un premier échec, mais un échec qu’il dépasse. Puis à une réussite qui se déroule en France, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où il a invité des représentants du monde entier, du monde sportif, mais aussi du monde diplomatique. Il parvient ainsi à valider l’idée de restaurer les Jeux de l’Antiquité.
Ces Jeux se dérouleront presque sans discontinuité jusqu’à nos jours. Presque, parce que pendant les deux guerres mondiales, ils n’ont pas eu lieu. Et aujourd’hui, Tokyo a dû aussi reporter ses Jeux d’un an en raison du contexte de pandémie.
On voit ainsi que les Jeux sont dépendants de contextes qui les dépassent. Et c’est aussi la raison pour laquelle ces Jeux n’ont jamais été neutres. Ils sont traversés par des enjeux politiques, économiques, industriels, touristiques, et pas simplement par des enjeux sportifs.
Le nom de la ville hôte désigne toujours la ville majeure, mais efface, en quelque sorte, les autres municipalités accueillant des épreuves. Pourquoi l’image des Jeux est-elle aussi peu associée à ces territoires limitrophes de Paris alors qu’ils sont au coeur du projet urbain olympique de 2024 ? Par le passé, la Seine-Saint-Denis avait porté une candidature propre pour une Exposition universelle. La ville de Milan accueillera les Jeux d’hiver en 2026 en partageant son nom avec la station de sport d’hiver voisine : Milano-Cortina 2026.
Dans le football, lorsque l’équipe nationale joue au Stade de France, ou lors du dernier Euro, le nom de Saint-Denis est associé. Ce manque de reconnaissance de la banlieue est un problème qui n’est pas nouveau ; il est particulièrement aigu dans le cas de la Seine-Saint-Denis, qui connaît un déficit d’image auprès du grand public. Dans ce contexte, il semble important de s’interroger sur les modalités de promotion de Paris 2024 à l’aune de la compétition des territoires.
Quelle conséquence auront, selon vous, les Jeux de Paris sur l’image de Saint-Denis et de la Seine-Saint-Denis en général ?
Les Jeux ont souvent été organisés à côté de la ville hôte. C’est même presque la règle pour les Jeux d’hiver. On pense
Les Jeux sont dépendants de contextes qui les dépassent. Et c’est aussi la raison pour laquelle ils n’ont jamais été neutres. Ils sont traversés par des enjeux politiques, économiques, industriels, touristiques, et pas simplement par des enjeux sportifs.
à Vancouver, par exemple : quand on est à Vancouver, on est très, très loin des pistes !
Mais les Jeux d’été n’échappent pas à la règle. Et puisque nous discutons de Paris, prenons les Jeux de 1924, les seconds pour Paris après l’expérience de 1900. L’essentiel des Jeux de 1924 s’est déroulé à Colombes, pour des raisons qui étaient politiques, financières et de développement territorial. Il n’en reste pas moins que cela est devenu une quasi-norme et que Paris 2024 n’y échappe pas. D’ailleurs, le CIO lui-même a fait évoluer sa doctrine.
Si on lit avec attention la charte olympique, et notamment son article 32, on y trouve que désormais, — je cite — « l’honneur et la responsabilité d’accueillir les Jeux olympiques sont confiés par le CIO, en principe, à une ville qui est élue hôte des Jeux olympiques. Lorsque cela est jugé approprié, le CIO peut désigner plusieurs villes, ou d’autres entités, tels que des régions, États, ou pays en tant qu’hôte des Jeux olympiques ».
Le CIO reconnaît donc la possibilité d’un élargissement de la candidature d’une ville à sa région, voire à son pays. Rien n’interdit en tout cas à un territoire plus vaste qu’une seule ville de candidater, mais il faut donner des garanties, qui doivent être à la fois financières, hôtelières, logistiques, sécuritaires… sans compter les garanties d’accessibilité, des garanties juridiques, des garanties, je dirais aussi, d’image, qui réduisent, de fait, les options possibles.
D’autant que l’article 34 de la charte olympique précise que — je cite encore — « priorité doit être donné à l’utilisation de sites et d’infrastructures existantes, ou temporaires ». Cela réduit d’autant les possibilités. Dès lors, dans la compétition qui oppose les villes candidates, il est en général attendu de mettre en avant une ville-phare, car elle possède déjà une reconnaissance et donc des garanties que n’offre pas une ville moyenne. C’est le cas de Paris.
Rien n’aurait interdit de déposer la candidature de SaintDenis ou de Saint-Ouen, mais le socle des votes favorables au CIO aurait été initialement très faible, parce que Saint-Denis n’était pas connu. La stratégie consistant à afficher la villephare avec des satellites — où l’effet héritage, à ce momentlà, joue à plein — est sans doute, dans le contexte actuel et au regard des attentes des membres du CIO, la meilleure des stratégies.
On peut évidemment comprendre la frustration d’organiser la moitié des Jeux sans être la ville qui restera dans les mémoires, mais ce serait oublier que l’héritage ne se réduit pas à une image. En 1968, Grenoble s’est imposée sur les cartes du monde entier, c’est vrai, mais Autrans, qui est un petit village de montagne, est devenu un haut lieu du ski nordique pour plusieurs décennies, quand bien même le village est resté dans l’ombre de Grenoble lors des Jeux d’hiver.
Le choix d’une entité régionale aurait certes été possible, dans les Alpes en 1968, comme aujourd’hui en Île-de-France. Pour revenir à 2024, cela aurait pu donner lieu à une affiche associée à la mise en avant de l’entité « Paris-Île-de-France », pourquoi pas… Un tel choix aurait été d’ailleurs peut-être plus judicieux, plus réaliste aussi, au regard de la territorialisation du dossier, d’autant que l’appellation Paris-Île-de-France inclut le terme « France », et que l’ensemble aurait bénéficié de solides atouts en termes de rayonnement à l’international.
Le choix a été fait de se concentrer sur la ville-phare, parce que Paris est peut-être la ville la plus connue au monde, et que c’était une manière de tirer profit de cette image en s’assurant, dès le départ, d’un socle de votes favorables de certains membres du CIO.
La question patrimoniale est très importante dans la constitution de la candidature de Paris, en mettant l’accent sur ses monuments et de ses icônes. Comment intégrer des éléments patrimoniaux aussi importants dans un projet olympique ? Et comment installe-t-on des structures éphémères au pied de ces bâtiments pour mettre en valeur la culture parisienne et le centre de la capitale ?
Le legs architectural le plus important sera sans conteste le nouveau quartier de la Plaine Saint-Denis, construit pour être le village olympique et rendu ensuite à la population. Cela représente tout de même quelque 2200 logements familiaux, 900 logements spécifiques, un parc, des voies de mobilité douce, 120000 mètres carrés de bureaux et de services. C’est considérable.
Cela l’est d’autant plus que des choix techniques et urbanistiques, a priori assez stimulants quand on les lit de l’extérieur, sont à l’oeuvre, qui reposent notamment sur des tentatives innovantes de réponse à des défis environnementaux et d’accessibilité et à un défi tout à fait inédit de revalorisation des espaces fluviaux, parce que la Seine traverse le site. Donc tout cela est extrêmement séduisant et intéressant.
Mais, Paris-ville, Paris intra-muros, est un espace déjà saturé, où les opportunités foncières sont quasi inexistantes et où l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques doit cibler d’autres priorités que la plus-value patrimoniale stricto sensu.
Dans le programme « héritage » de la ville qui a été dévoilé en 2019, l’ambition d’embellir la capitale est certes explicite, mais en dehors de l’Arena II et du quartier de la porte de la Chapelle, les choix de la municipalité passent par d’autres leviers que le legs architectural proprement dit.
Concernant l’approche environnementale, pensez-vous que Paris 2024 sera en rupture par rapport aux précédentes éditions ?
Cette question s’est invitée à la table olympique depuis l’époque des Jeux de Sydney en 2000, avec des hauts et des bas lors des Jeux qui ont suivi. Mais une étape a été franchie lorsque le CIO a décidé de placer ces questions en haut de son agenda, parmi ses priorités. D’abord, en 2013, dans un document de référence sur l’héritage olympique, puis l’année suivante, en 2014, lors de la définition de son agenda 2020. Ajouté à la COP21, cet impératif environnemental s’est imposé à toutes les villes qui candidataient à cette époque, ce qui explique l’importance du dossier pour les cas japonais et français de 2020 et 2024. Peut-on pour autant parler d’un véritable tournant historique du point de vue environnemental avec Tokyo et Paris ? Il est évidemment trop tôt pour en juger parce que c’est en observant réellement l’organisation des Jeux, tels qu’ils seront, que l’on pourra sans doute mieux estimer ce qui a été fait dans ce sens.
Pour l’instant, on observe un accroissement de la vigilance sur cette question environnementale d’une olympiade à une autre, et Paris sera, sur ce point-là, un peu plus exemplaire que les villes hôtes précédentes, avec un projet de suppression ou de réduction des postes d’émission de carbone et de compensation des émissions résiduelles sur environ un million et demi de tonnes de CO .
Mais pour ce qui est du virage historique proprement dit, il a été pris bien avant, il y a une dizaine d’années.