La Corse à l’avant-garde des révolutions libérales et nationales (1729-1804)
Soixante ans avant la Révolution française, la Révolution corse démarrait comme un mouvement dirigé contre la domination de la République de Gênes. Souvent oubliée, cette période a fait de la Corse un véritable laboratoire politique et a permis de développer la conscience nationale du peuple insulaire.
Dans son ouvrage intitulé La Méditerranée, Fernand Braudel voyait la Corse comme faisant partie des « continents en miniature ». Avantageusement positionnée en Méditerranée, l’île n’enfanta jamais un peuple expansionniste. Le Corse, comme la plupart des insulaires d’ici ou d’ailleurs, est un terrien plutôt qu’un marin. La mer, environnent indomptable, est perçue comme source de dangers. Letizia Bonaparte, mère de Napoléon, n’aura de cesse de déconseiller à ce dernier le choix de la marine de guerre. Pourtant, quand des insulaires décident de dominer les mers, l’avènement de la thalassocratie ne connaît plus de limites, et les puissances continentales seront bientôt victimes de leur hybris. L’Angleterre offre un bel exemple. C’est pour cela que Voltaire écrit : « C’était plutôt aux Corses à conquérir Pise et Gênes qu’à Gênes et Pise de subjuguer les Corses. Car ces insulaires étaient plus robustes et plus braves que leurs dominateurs (1) ». Au coeur du Mare nostrum, l’île ne cessa jamais d’attirer la convoitise des puissances. « Il faut bien que le terrain n’en soit pas aussi ingrat, ni la possession aussi inutile qu’on le disait, puisque tous ses voisins en ont toujours recherché la domination (2) », constate encore Voltaire. En effet se succèdent Phocéens, Carthaginois, Romains, Vandales,
Romains d’Orient, Barbaresques, et autres Pisans et Génois, sans oublier le prospère intermède milanais où la Corse était sous l’autorité des Sforza. Felipe VI, actuel souverain espagnol, ne porte-t-il toujours pas le titre symbolique de « roi de Corse » ? Les Athéniens firent de la possession des îles le fondement de leur impérialisme, qui se manifesta avec splendeur lors du célèbre dialogue entre les Athéniens et les
Méliens relaté par Thucydide (3). L’attrait de l’île est d’autant plus grand que la réalité est éloignée de l’image sauvage et barbare livrée par le géographe grec Strabon. Corsica, comme l’appelèrent les Romains, fut considérée comme une des plus belles parties du territoire gouverné par Rome, ce qui participe de son attrait. César y séjourna pendant un mois. Le Grec Diodore de Sicile, qui est venu sur place, écrivait à propos des Corses : « Ils vivent ensemble selon les règles de la justice et de la mesure, contrairement aux moeurs de presque tous les autres barbares. » Il souligne également que « Les prisonniers de guerre kyrniens [Corses] semblent se distinguer des autres esclaves à cause de leur nature, cette nature qui leur est propre ».
Le royaume républicain de Corse (1729-1769)
En 1729, l’île appartient à la sérénissime république de Gênes. Jadis incarnation de puissance et source de richesse et de progrès, la thalassocratie ligure est en déclin. Le phénomène est global. L’équilibre du monde achève son basculement de l’espace latin, terre du politique, vers le Nord de l’Europe que le capitalisme destine à devenir le nouveau centre de puissance. Une simple révolte fiscale dans une localité du Nord embrase toute l’île en quelques années. C’est le début d’une révolution politique de quarante années qui plaça la Corse au coeur du XVIIIe, un siècle qui détourna un millénaire. En 1731, un congrès d’éminents théologiens corses réuni pour se prononcer sur la légalité de la révolte proclame : « La Nation doit rester unie ». La Nation, en tant que communauté de sentiments et de destin, est née. À ce titre, les chefs corses sont élus avec le grade de « général de la Nation ». Les théologiens affirment également : « Si la République [de Gênes] s’obstine à rejeter les requêtes [des Corses], il faut soutenir la guerre et, à plus forte raison, si elle vient, à force ouverte, opprimer les peuples ». Quelques années plus tard seulement, face à l’impossibilité de fonder un nouveau pacte social avec Gênes, et à contre-courant de la philosophie politique alors en vigueur, la déchéance du Prince est prononcée par les insulaires qui proclament que les peuples sont réputés libres de se choisir un nouveau souverain. Luigi Giaferri, l’un des chefs de la révolte déclare : « L’exemple du peuple corse doit apprendre aux souverains à ne point opprimer leurs sujets, mais à se souvenir que, partageant avec eux la qualité d’hommes mortels, ils sont originairement égaux ». En 1736, Théodore von Neuhoff (1694-1756), un baron westphalien, est acclamé par le peuple des citoyens comme le chef de la Nation. Dans cette conception du politique qui se poursuivra en Corse avec Pasquale Paoli (1725-1807) et Napoléon, le chef n’est pas un trait d’union entre le pouvoir céleste et le pouvoir temporel, comme le fut, entre autres, Louis XIV. Le chef est le princeps civitatis, et il gouverne primus inter pares. Bien avant
Louis XVI, et surtout Louis-Philippe, Théodore est fait roi « des Corses » et non « de Corse », tout comme Napoléon sera fait empereur « des Français » par le Sénat et l’armée. Rappelons qu’Alexandre le Grand n’était pas roi « de Macédoine », mais « des Macédoniens » (4). Cet aspect est fondamental, car il nous renseigne sur l’existence d’une communauté politique à l’intérieur de laquelle le débat existe. Son pouvoir tire sa légitimité de l’acceptation de la cité, et repose donc sur la capacité à convaincre le peuple des citoyens. Le chef politique est condamné à être maître de rhétorique.
L’avènement de Théodore au trône de Corse permit la proclamation de la première Constitution écrite et libérale de l’histoire, qui instaure un contrat entre le roi et la Nation. Cette monarchie est parlementaire, car une diète limite les pouvoirs du souverain. Le texte constitutionnel de 1736 est explicite : le roi « ne pourra prendre aucune décision sans le consentement de la Diète » et trois de ses membres « devront toujours résider à la cour » afin d’assurer un contrôle du législatif (art. V). De même, elle a l’initiative de ses réunions, ce qui participe à instaurer un équilibre des pouvoirs. Ainsi, le roi des Corses « a beaucoup de pouvoir pour faire du bien et aucune autorité pour faire du mal », selon le marquis d’Argens, proche de Voltaire. En cela, rapprocher Théodore, ou Pasquale Paoli plus
Une simple révolte fiscale dans une localité du Nord embrase toute l’île en quelques années. C’est le début d’une révolution politique de quarante années qui plaça la Corse au coeur du XVIIIe, un siècle qui détourna un millénaire.
tard, du « despotisme éclairé » n’est pas pertinent. Le « despote éclairé », certes, est acquis aux idées nouvelles, mais la source de son autorité et les modalités de son exercice restent fondamentalement inchangées. Ici, le pouvoir du chef politique « n’est qu’une délégation de souveraineté », voire un « mandat temporaire », comme le dira Paoli. Les insulaires, héritiers des Grecs et des Romains, sont prédisposés à cette gouvernance par une mentalité prédémocratique notamment due à la disparition précoce — dès le Moyen Âge — de la féodalité. Raison pour laquelle l’ordre de noblesse que crée Théodore à Sartène n’est pas féodal, mais politique et guerrier. Le roi des Corses souhaite une noblesse « rappelée à l’objet de son institution », un ordre de bellatores. Il en sera de même pour la noblesse d’Empire, que créera Napoléon.
En Corse, la Nation précède l’État. Un État républicain au sens romain du terme. Il s’agit de ce régime vanté par Polybe et Cicéron comme étant triple et mixte, fondé sur deux piliers : Libertas et Aequitas. Le roi Théodore avait dit son plan visant à associer « la prérogative royale absolue » avec « la douceur du gouvernement républicain ». Théodore, qui a discuté de droit avec Sebastiano Costa, grand juriste corse, condamne l’ancien droit qui était coutumier, local et non écrit. Il avoue, dans son Testament politique, qu’il désirait l’avènement d’« un code qui devait seul régler les magistrats », son objectif étant « d’assujettir tous les tribunaux à une forme invariable et de les arrêter à des lois fixes ». Un autre Corse fit de même, bien plus tard… Sur sa conception du droit et de l’humain, le roi Théodore écrit, toujours dans son Testament politique : « J’ai toujours regardé la peine de mort comme un sacrifice que la nature humaine a été obligée de faire à la nature humaine ». Il poursuit : « Dans l’origine du droit, il est impossible de regarder la puissance de vie ou de mort comme légitime. »
Sur le plan économique, le monarque des Corses se tourne vers ce qui apparaît comme une habile synthèse de physiocratie* et de colbertisme. Il concilie le « laisser faire, laisser passer » avec le « protéger pour développer ». S’il dote le royaume insulaire d’une monnaie, il est en revanche convaincu que « la vraie richesse n’est pas dans l’or, elle est dans l’industrie », s’opposant ainsi
L’avènement de Théodore au trône de Corse permit la proclamation de la première Constitution écrite et libérale de l’histoire, qui instaure un contrat entre le roi et la Nation.
au bullionisme* espagnol, doctrine dont il avait prédit l’échec. Même sa vision de l’impôt est résolument moderne : « L’impôt n’est réellement dû que par les riches. Vous ne pourrez pas demander à un pâtre une partie du pain qu’il gagne. » Point d’assistanat, le dessein est bien d’aider chacun à s’enrichir. « Ce n’est pas sur le pauvre qu’il faut imposer une taxe ; il faut, en le faisant travailler, lui faire espérer d’être un jour assez heureux pour payer des taxes. » Nous touchons là à l’essence même du véritable libéralisme. Enfin, en matière religieuse, sa royauté proclame la tolérance. Théodore, entouré de personnages brillants tels Giacinto Paoli — le père de Pasquale Paoli — règne de facto seulement quelques mois, même si les Corses réaffirment sa régence de longues années encore. La brièveté de son règne est imputable à la géopolitique continentale qui l’empêche de trouver des alliés et le force à quitter l’île et à parcourir l’Europe à la recherche de subsides pour soutenir la cause corse. Il mourra une vingtaine d’années plus tard, ruiné, à Londres. Voltaire lui fit croiser Candide, dans son roman philosophique du même nom, qui le sauvera de l’indigence. « Tout le monde ne s’entretient presque plus aujourd’hui que de la Corse et de son Roi Théodore », peut-on lire dans l’ouvrage Histoire des révolutions de l’île de Corse, de 1738.
Avec le temps, faute d’avoir atteint son objectif, le personnage fut oublié alors qu’il fut probablement l’un des premiers monarques libéraux de l’histoire. Si Théodore et les chefs corses, par manque de moyens, ne parvinrent pas à renverser définitivement la situation en leur faveur, du côté génois, la situation militaire n’était guère meilleure. Gênes, parfois aidée par les armées de Louis XV, ne réussit jamais à reprendre véritablement le contrôle du territoire insulaire, sa suzeraineté se limitant, de fait, aux présides portuaires.
Le 14 juillet 1755 marque une nouvelle étape. Pasquale Paoli (5), petit-fils de meunier, est élu par l’assemblée du peuple « général de la Nation ». Son généralat durera quatorze ans. Son accession au pouvoir permet la proclamation de la deuxième Constitution écrite que connaîtra le royaume républicain de
Corse. La Corse, sous blocus génois, n’a que peu de ressources pour remporter une guerre conventionnelle longue. À défaut, la fortune lui donne du temps, ce qui lui permet de mener à bien nombre de projets essentiels. Paoli est héritier des Grecs et des Latins, du républicanisme machiavélien et des Lumières italiennes, mais il sera aussi influencé par l’expérience du roi Théodore qu’il a connu. Napoléon, son héritier, parce qu’il est corse, est bien un surgissement de l’Antiquité dans la Modernité. Le généralat voit la centralisation du pouvoir à Corte, qui devient la capitale du Royaume de Corse (6). Ce choix est salué par Rousseau et Nietzsche. Pour ce dernier, « C’est là [à Corte] que Pascal Paoli a été proclamé maître de l’île — l’homme le plus accompli du siècle dernier ; c’est le lieu de très grandes conceptions (Napoléon y fut conçu en 1768 — à Ajaccio, il n’a fait que naître) (7) ». On comprend que, dans l’esprit de Nietzsche, Corte s’oppose dialectiquement à Ajaccio dans le sens où l’intérieur des terres s’oppose au port qui est, par nécessité, lié au négoce et à l’univers des marchands déjà condamné par Platon. Paoli et Napoléon appartiennent au premier monde. Nous sommes au coeur de la dialectique terre/ mer.
La ville est donc logiquement choisie pour accueillir l’université que Paoli fonde, et qui comptera près de 300 étudiants (dont Carlo, le père de Napoléon), comme le prévoyait déjà l’article XV de la Constitution théodorienne. Il fonde également les Ragguagli, dont le rôle peut être rapproché de celui de notre actuel Journal officiel, mais assurant aussi une mission d’information et de propagande. Pour l’économie, il met en place une politique dirigiste et crée une monnaie nouvelle.
Sur le plan militaire, il met sur pied une marine de guerre qui remplit sa mission en enlevant l’île stratégique de Capraia aux Génois en 1767. L’oeuvre de Paoli est considérable, mais l’aspect le plus notable est la naissance de la conception moderne de l’État, avec ses pouvoirs régaliens. Paoli a dit : « Nous sommes les exécutants de la loi dont nous sommes les sujets », ce qui nous évoque cette phrase de Cicéron dans le De Republica : « Nous sommes tous les esclaves des lois afin de pouvoir être libres ». Certes, l’élection par le peuple des citoyens est une autorisation à détenir un pouvoir immense, et procure au chef une autorité redoutable. Mais il ne doit jamais oublier qu’il dirige des hommes libres, et est, lui plus que quiconque, soumis à la loi de la cité, seul vrai souverain. Ainsi, si le chef outrepasse ses pouvoirs, il viole et donc détruit instantanément le contrat en vertu duquel le peuple lui obéissait, et il sera alors déchu. On pense au Démarate d’Hérodote, qui dit à Xerxes, à propos des Spartiates : « La Loi est pour eux un maître absolu ».
Conséquences et héritages : le triomphe du libéralisme latin
Tout cela fit dire à Rousseau, dans son Contrat social (1762) : « Il est encore en Europe un pays capable de législation ; c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette île étonnera l’Europe ». Rousseau fut probablement le plus enthousiaste des philosophes pour la cause corse. Il ira jusqu’à envisager de tout quitter pour s’installer sur l’île. Catherine II (8) elle aussi est au nombre des admirateurs du chef d’État insulaire. Elle écrit « Je fais tous les matins une prière : mon Dieu, sauvez les Corses des mains des coquins de Français ! » ou encore « Dieu, donnez la santé à mon ami Paoli ». Elle finit même par faire l’acquisition d’un portrait du général corse à qui elle écrit. De son côté, Paoli accepte de faire de l’île un port d’attache pour la flotte de guerre russe. La défaite décisive de Ponte-Novo en 1769, face à l’armée de Louis XV, entraîne la fin de la Corse souveraine, et empêche donc la réalisation du plan. Frédéric II, lui, envoie au général corse une épée frappée de la devise « Pugna pro patria » (« Combats pour la patrie ! »). Pour Joseph II d’Autriche, Paoli est le « Thémistocle de notre siècle ». Goethe, dans son ouvrage autobiographique Poésie et Vérité, nous renseigne : « La Corse était restée longtemps le point de mire de tous les yeux. Lorsque Paoli, hors d’état de
L’oeuvre de Paoli est considérable, mais l’aspect le plus notable est la naissance de la conception moderne de l’État, avec ses pouvoirs régaliens. Paoli a dit : « Nous sommes les exécutants de la loi dont nous sommes les sujets ».
poursuivre sa patriotique entreprise [en 1769], traversa l’Allemagne pour se rendre en Angleterre, il gagna tous les coeurs. » Chateaubriand confirme cela dans ses Mémoires d’outre-tombe [p. 126, tome VI, 1851] : « Les deux Paoli, Hyacinthe et surtout Pascal, avaient rempli l’Europe du bruit de leur nom. » Voltaire, lui, constate simplement : « Toute l’Europe est corse ».
Après vingt ans d’exil en Angleterre où il fut pensionné par le roi, Paoli voit la société d’Ancien régime qu’il a combattue balayée par la Révolution française. Le 30 novembre 1789, l’Assemblée nationale, sur demande des Corses, proclame l’incorporation de l’île au royaume de France, enterrant ainsi définitivement la tutelle génoise. Il écrit dans une lettre à son ami Nobili-Savelli, le 23 décembre 1789 : « Je peux vous donner la nouvelle que notre peuple rompt ses chaînes. L’union avec la libre nation française n’est pas servitude mais participation de droit. » Rappelé de son exil par les révolutionnaires qui l’acclament en précurseur de la Liberté, Paoli arrive à Paris en avril 1790. Il est reçu par tous les grands noms de la Révolution, Robespierre et Mirabeau notamment, ainsi que par Louis XVI. Paoli adhère sans réserve à la Révolution dans sa phase libérale, cette dernière reprenant les grands principes auxquels il a toujours été attaché. Pour cette même raison, il ne peut accepter le tournant de la Terreur. En 1793, la Corse rompt avec la Convention et se tourne vers l’Angleterre. Ce sera la parenthèse du royaume dit « anglo-corse » (1794-1796), permettant ainsi la rencontre inédite entre libéralismes latin et anglo-saxon. Restauré, le Royaume de Corse connut sa troisième et dernière Constitution écrite et libérale qui donne la couronne de Corse à George III, au sein d’une double monarchie. Fin 1796, Bonaparte, alors général de l’armée d’Italie, force les Anglais à évacuer l’île, qui réintègre définitivement la République. Guizot, dans son Histoire de France racontée à mes petits-enfants, écrit à propos de la vie de Paoli, qu’elle a été « ballottée à travers les révolutions de son pays natal, de l’Angleterre à la France et de la France à l’Angleterre, jusqu’au jour où la Corse, fière d’avoir donné un maître à la France et à la Révolution, devint définitivement française avec Napoléon ». La renommée de la Révolution corse a gagné même l’Amérique, où Jefferson écrivait que les Corses pouvaient être battus, mais que leur combat marquerait l’histoire. On ne compte pas le nombre de toasts que les Insurgents américains, en guerre contre le royaume de Grande-Bretagne, portèrent au général Paoli et à la Corse en lutte. Pourtant, le principal héritage de cette révolution semble bien être Napoléon luimême. C’est en tout cas l’avis de Chateaubriand qui, lorsqu’il évoque l’Empereur et la Révolution corse, écrit dans Mémoires d’outre-tombe, qu’il fut, « élevé à cette école primaire des révolutions ». Jusqu’en 1789, Bonaparte se définit uniquement comme paoliste. La gouvernance impériale porte la marque de ce libéralisme latin dont Napoléon est le continuateur. Libéralisme, mais dirigisme. Libéralisme économique, là encore productif et national dans une période similaire : soutenir la guerre, seul contre tous. Libéralisme permettant de soutenir la réalisation de grands projets, mais cependant encadré par l’État. Pas de « laisser faire, laisser passer » : « Le commerce [selon Napoléon] a abusé de la liberté ; il a besoin maintenant que le gouvernement veille sur lui. (9) » Si Paoli est le chef de tous sans distinction, il est prioritairement celui du parti populaire et enrage contre ce « vil argent » et les riches « fainéants » qui, pour partie, ne participent pas au bien public. Dans une lettre du 15 juillet 1764, il énonce que « Les républiques disparaissent lorsqu’on y trouve des particuliers si riches qu’ils imposent à la multitude au mépris du mérite et des lois ». Cette philosophie de gouvernance prend racine dans les populares de Rome aux IIe-Ier siècles av. J.-C., dont César est la figure majeure. Jules César, héros de la Plèbe, ne cessera d’en défendre les intérêts contre les optimates (partisans de la noblesse), ce que souligne plusieurs fois Napoléon lui-même. L’héritage césarien est clairement assumé. « Je suis sorti des rangs du peuple ; aucun des actes de ma vie n’a trahi mon origine (10) », écrivait l’Empereur. Théodore, Paoli et Napoléon furent les inventeurs d’une res publica nouvelle. (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10)