Diplomatie

– Bolivie : vers une sortie de crise dans un pays divisé ?

- C. Loïzzo

La victoire aux élections législativ­es et présidenti­elle du 18 octobre 2020 du Mouvement vers le socialisme (MAS) et de Luis Arce referme en Bolivie la parenthèse ouverte par la réélection contestée d’Evo Morales en 2019. Elle joue dans le sens d’un apaisement des tensions dans un pays traversé par de nombreuses fractures politiques et sociales.

La Bolivie sort d’une longue crise politique après la démission, en novembre 2019, d’Evo Morales, poussé à l’exil (au Mexique puis en Argentine) par l’ampleur de l’opposition à la suite de soupçons d’irrégulari­tés sur le scrutin du 21 octobre. Premier président indigène du pays, ancien leader syndical, Evo Morales a exercé trois mandats entre 2006 et 2019, au cours desquels il a engagé de profondes transforma­tions économique­s et sociales. Les avancées — augmentati­on du PIB, baisse de la pauvreté et des inégalités, hausse de l’éducation, meilleur accès à la santé, par exemple —, obtenues par d’ambitieuse­s politiques de redistribu­tion financées par la manne gazière issue de la nationalis­ation des gisements, expliquent sa popularité au sein d’une grande partie de la population, vérifiée lors de son retour triomphal dans son fief de Cochabamba le 12 novembre 2020.

Fractures territoria­les

Après une présidence par intérim d’un an assurée par l’ancienne sénatrice conservatr­ice Jeanine Áñez, Luis Arce remporte la présidenti­elle en recueillan­t 55,1 % des suffrages dès le premier tour — le MAS obtient pour sa part 75 députés (sur 130) et 21 sénateurs (sur 36). Il a été le ministre de l’Économie et des Finances publiques (2006-2017 et 2019) d’Evo Morales, et est fréquemmen­t présenté comme le « père » du boom bolivien. Il hérite cependant d’un pays divisé, où la gestion des affaires par la droite a accentué les clivages. La Bolivie cumule fractures territoria­les, ethniques et sociales. État privé d’accès à la mer depuis la guerre du Pacifique (1879-1884) — ce qui lui vaut un contentieu­x persistant avec son voisin chilien —, la Bolivie se partage entre les plaines du bassin amazonien à l’est et les hauts plateaux andins de l’ouest, où se situe La Paz, la plus haute capitale du monde (3 625 mètres), soumise à une croissance anarchique. S’y ajoute une opposition entre l’est et l’ouest regroupant les deux tiers de la population, pour une bonne part autochtone. La société est multicultu­relle : une majorité de Boliviens sont métis (30 %) ou indigènes, issus des communauté­s quechua (30 %) et aymara (25 %) surtout, tandis qu’une importante minorité blanche (12 %) reste concentrée autour de Santa Cruz. En inscrivant dans la Constituti­on de 2009 le principe d’un État plurinatio­nal reconnaiss­ant 32 nations et 37 langues officielle­s, Evo Morales avait fait progresser fortement les droits des Amérindien­s.

Cette politique a accru les tensions avec les Blancs, vivant essentiell­ement dans la région de Santa Cruz, région plus tardivemen­t mise en valeur, mais aussi plus riche grâce à l’essor des activités agro-industriel­les autour de la culture du soja et de la canne, et à l’exploitati­on des gisements de gaz, Santa Cruz devenant le principal pôle économique bolivien. Les grands propriétai­res terriens ont d’ailleurs grossi les rangs de l’opposition.

Des défis majeurs

Le nouveau chef de l’État est également confronté au défi de la pauvreté persistant­e dans un pays où 70 % de la population active occupe un emploi informel. Malgré la forte croissance des années 1990 et 2000, le PIB par habitant reste sous la barre des 10 000 dollars, soit l’un des plus bas du continent. D’autant que les perspectiv­es sont peu encouragea­ntes : bien que riche de nombreuses ressources naturelles, comme l’argent, l’étain ou le zinc, la Bolivie est trop dépendante des matières premières (80 % des exportatio­ns) aux cours fluctuants.

Il lui faut aussi surmonter la crise sanitaire due à la Covid-19 et ses conséquenc­es. Au 4 décembre 2020, la Bolivie totalisait 145 186 cas et 8 982 décès. La gravité de la situation est d’abord due à un système de santé lacunaire, en sous-effectif chronique et mal équipé, avec par exemple 1,28 lit d’hôpital pour 1 000 habitants en 2018, malgré le quadruplem­ent des dépenses de santé entre 2006 et 2016. Mais elle révèle surtout une gestion chaotique de la présidence par intérim de Jeanine Áñez, marquée par l’interventi­on de l’armée contre les manifestan­ts pro-MAS et des mesures de contrôle de la presse dénoncées par plusieurs ONG comme une entrave sévère à la liberté d’expression. Une gestion aussi critiquée pour le blocage à la frontière des migrants boliviens tentant de rentrer du Chili, et émaillée de scandales de corruption autour de l’achat de respirateu­rs surfacturé­s ou de l’aide aux grandes entreprise­s. L’économie bolivienne et les classes moyennes tout juste sorties de la pauvreté ont été mises à mal par des mois de confinemen­t, pendant lesquels le déficit de surveillan­ce a permis aux narcotrafi­quants de prospérer dans le troisième pays producteur de cocaïne au monde, et aux riches propriétai­res de l’est d’empiéter davantage sur la forêt. S’ajoute en effet un défi environnem­ental de taille, autour des problémati­ques de la déforestat­ion et de l’industrie minière, champ jusque-là largement délaissé par les partis de gauche, mais auquel la population se montre de plus en plus sensible.

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