– ENTRETIEN Mondes agricoles : des ressources stratégiques sous tension
Les différentes agences compétentes des Nations Unies n’ont cessé d’alerter au fil de l’année 2020 sur la menace de crise alimentaire planétaire que fait peser la pandémie de COVID-19. Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté le secteur agricole à l’échelle mondiale ? A-t-elle provoqué des pénuries de certaines ressources ou denrées ?
S. Abis : Avec la pandémie de COVID-19 et les mesures de confinement décrétées un peu partout, le monde a été mis à l’arrêt. Malgré cela, certaines activités considérées comme stratégiques ont été plus sollicitées que jamais, comme la fabrication de matériel médical, mais aussi la production agricole et la transformation agroalimentaire. Le maîtremot dans toutes les filières et dans l’ensemble de la chaîne alimentaire était « s’adapter » : aux fluctuations des marchés, aux transformations des modes de consommation, aux attentes sociétales… pour offrir l’alimentation et les produits agricoles nécessaires à toutes les populations. La pandémie a ainsi remis l’agriculture au rang des activités essentielles et nous sommes aujourd’hui plus nombreux qu’hier à considérer cette activité comme vitale. D’ailleurs, soulignons-le, les agriculteurs et les employés de l’agro-industrie n’ont pas été confinés : ils se sont mobilisés comme toujours pour garantir une sécurité alimentaire au plus grand nombre. Eux aussi sont en « première ligne ».
M. Brun : Sur le plan alimentaire et agricole, il faut noter que cette crise sanitaire a éclaté dans un contexte plutôt favorable. Globalement, l’année 2019 n’a pas été marquée par de mauvaises récoltes ni par des accidents climatiques trop violents. Cependant, même si les récoltes étaient au rendez-vous, il y avait encore 820 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire en 2020, dont une grande partie se trouvent en Afrique subsaharienne, dans des territoires déficitaires en production agricole exposés à des séries de crises multiformes (politiques, alimentaire, climatique et maintenant sanitaire). Là-bas, les mesures de lutte contre l’épidémie de COVID-19 ont eu des répercussions négatives sur les agricultures, surtout vivrières. Avec les restrictions de déplacement et la fermeture de certains marchés, il était à la fois difficile d’écouler les surplus et de produire, en raison du manque de main-d’oeuvre et d’accès aux intrants comme les semences. Les contraintes d’accès aux circuits d’échanges, formels ou informels, représentent d’ailleurs un risque majeur pour les campagnes agricoles à venir, mais aussi pour les ménages urbains, notamment les plus précaires. Ces mesures ont également eu un impact fort sur les transhumances et les flux de bétails, exposant les communautés pastorales à de grandes difficultés pour nourrir les troupeaux, d’autant plus que les prix de l’alimentation animale ont fortement augmenté. L’impossibilité de se déplacer, dans des
contextes marqués par l’aridité, a pu accentuer des tensions préexistantes entre les communautés pastorales et paysannes. Il y a là un risque très fort d’instabilité politique et sociale, qui découle de la situation économique et sanitaire. Il faut aussi penser aux pays importateurs de denrées alimentaires qui dépendent de rentes pour acheter leur alimentation, comme l’Égypte avec le tourisme, le Soudan avec le pétrole ou encore le Kenya avec la production de fleurs. L’effondrement des exportations de produits horticoles a ainsi fragilisé les capacités des travailleurs à se nourrir et celles de l’État à se procurer grâce aux devises étrangères du riz et des céréales.
S. A. : Les systèmes agricoles sont très différents à travers la planète et les effets de la pandémie n’en sont que plus contrastés. Les territoires excédentaires en termes de production agricole n’ont pas connu de pénuries. Certes, en Europe, on a pu voir de temps à autre des rayons de supermarché vides, mais cela tient plus à des questions de logistique qu’à des problèmes de production, voire à la crainte exagérée des consommateurs qui ont acheté plus que de besoin pour stocker à domicile. L’organisation efficiente, en temps normal, des filières agricoles et alimentaires a ainsi permis de continuer, même dans un contexte extraordinaire, à produire des denrées essentielles comme les céréales, les oléagineux, la betterave ou la pomme de terre. Cependant, d’autres filières ont pâti de la pandémie, notamment la production de fruits et légumes. Le maraîchage est en effet tributaire de la mobilité de sa main-d’oeuvre mobilisable sur des temps très courts. On oublie trop souvent l’importance des travailleurs invisibles, les 50 000 à 100 000 saisonniers en France, dont 40 % sont des travailleurs étrangers, qui permettent à chacun d’accéder à une alimentation de qualité et peu chère. Certains produits n’ont pas pu être correctement et complètement récoltés, comme les asperges en Allemagne. Pour d’autres filières, les changements de consommation, de la cantine ou du restaurant au domicile, ont eu des conséquences négatives ; pensons par exemple aux poissons frais ou à certaines pièces de viande qui n’ont plus trouvé preneurs, mais aussi à la filière brassicole. On peut stocker du vin pour le vendre plus tard, mais pas la bière, produit très en vogue depuis plusieurs années.
La COVID-19 a démontré brutalement l’importance de l’agriculture nationale pour l’autonomie d’un pays. Or, au même titre que le secteur des nouvelles technologies, la production agricole est dépendante de certaines matières premières dites « critiques ». Vous vous intéressez notamment, dans la dernière édition du (2021), au cas des phosphates…
M. B. : Les phosphates jouent en effet un rôle clé dans la production agricole. Ils sont considérés comme l’un des « six piliers de la vie » à côté de l’oxygène ou du carbone. Transformés en acide phosphorique, 90 % des volumes extraits servent à la fabrication d’engrais et de fertilisants. L’enjeu que constituent les phosphates n’est pas seulement agronomique, il est aussi et surtout géopolitique, car le phosphate disponible se trouve concentré dans un nombre limité de pays. Le Maroc détient à lui seul 72 % des ressources qui peuvent être techniquement et économiquement exploitées. Au-delà, les enjeux stratégiques se retrouvent dans l’ensemble de la chaîne de valeur qui doit être stabilisée pour valoriser le minerai en engrais. Le Maroc, mais aussi la Tunisie par exemple, a mis en place ces dernières décennies une stratégie efficace de remontée de la chaîne de valeur, développant la production d’engrais en plus de la simple exportation de minerai. La Chine a connu une trajectoire similaire : restriction de ses exportations de phosphate brut à partir des années 2000 afin de favoriser une industrie de transformation chinoise, aujourd’hui en plein essor. Ce pays représente actuellement 30 % du marché mondial des engrais. Le concurrent américain voit par conséquent sa position sur les marchés internationaux fortement s’éroder. Ces stratégies montrent le grand intérêt que portent de nombreuses puissances au phosphate : dépendre de ses importations signifie exposer son agriculture ; développer son industrie permet au contraire de peser dans les marchés internationaux.
S. A. : Aujourd’hui, deux sujets balisent le débat autour du phosphate. Premièrement, l’augmentation de la demande d’engrais,
Il y avait encore
820 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire en 2020, dont une grande partie se trouvent en Afrique subsaharienne, dans des territoires déficitaires en production agricole exposés à des séries de crises multiformes (politiques, alimentaire, climatique et maintenant sanitaire).
notamment en Afrique, concentre toutes les attentions. Si aucune pénurie matérielle de phosphate n’est à craindre, les capacités d’échanges et les chaînes de valeur seront mises au défi par cette hausse de la demande. Deuxièmement, les enjeux environnementaux font s’interroger sur la soutenabilité du secteur. L’Union européenne se veut exemplaire à ce sujet : une décision de 2019 impose des limites à la présence de cadmium dans les engrais (1), ce métal étant accusé de polluer les sols. Cette décision risque cependant de provoquer une augmentation des prix et de fragiliser l’approvisionnement européen en engrais. Concilier intérêts stratégiques et enjeux environnementaux n’est pas aisé. En outre, la Russie cherche à changer certaines dynamiques géoéconomiques au détriment du phosphate marocain, pour mieux fournir le marché européen. La ressource phosphate illustre aussi comment des puissances exploitent le champ de la sécurité alimentaire pour accroître leur influence.
Une nouvelle dimension de la valorisation du bois est particulièrement mise en avant dans le cadre du Green Deal européen : le stockage carbone. Aujourd’hui, l’équivalent de 11 % des émissions européennes est absorbé par les forêts du continent.
Autre ressource au croisement des enjeux stratégiques et environnementaux, le bois, qui pourrait, dites-vous, être l’une des clés du « » européen (« Pacte vert » présenté par la Commission installée fin 2019, ayant pour objectif de rendre l’économie de l’Union européenne durable). Pourquoi ?
S. A. : Le bois est une ressource naturelle stratégique et son exploitation revêt une importance particulière pour l’économie, l’industrie, les territoires et les politiques énergétiques. Les forêts occupent aujourd’hui une surface de quatre milliards d’hectares, soit 31 % des terres émergées du globe. Le domaine tropical compte la plus grande part de forêts du monde (45 %), suivi des domaines boréal, tempéré et sous-tropical. Cinq pays regroupent à eux seuls plus de la moitié des forêts du monde : la Russie, le Brésil, le Canada, les États-Unis et enfin la Chine. Ces trois derniers pays sont les plus gros consommateurs de bois au niveau mondial, devant l’Inde. L’Union européenne a importé en 2019 pour 20 milliards d’euros de bois, un chiffre qui pourrait d’ailleurs évoluer avec le Brexit, le Royaume-Uni étant de loin le premier importateur au sein de l’UE (25 % des volumes importés). Le marché est aujourd’hui globalisé et la demande mondiale est en constante évolution. Si le commerce mondial des bois bruts s’élève à près de 200 millions de mètres cubes, soit 5 % de la consommation totale de bois, le commerce de ce matériau et de ses produits dérivés représente quant à lui 900 millions de mètres cubes, ce qui fait du bois transformé l’un des principaux produits vendus dans le monde.
M. B. : À première vue, il est difficile de s’intéresser au bois sur le plan géopolitique. Et pourtant, c’est passionnant et riche d’enseignements stratégiques. Au sein de l’Union européenne, relevons tout d’abord un paradoxe : le bois est une ressource abondante — qui couvre 43 % du territoire —, mais qui demeure sous-utilisée. La moitié seulement de la production biologique est récoltée et valorisée par un réseau d’entreprises du bois largement sous-dimensionné par rapport au niveau de la demande, qui ne cesse de croître. Le reste est ainsi laissé sur pied en forêt, au risque d’être détruit par les maladies ou les tempêtes au lieu d’être économiquement et durablement exploité. La récente prise de conscience européenne ne fait donc que constater le formidable potentiel forestier, doublé du réel engouement pour le bois. Il s’agit pourtant d’un secteur offrant de nombreuses opportunités, notamment en matière environnementale. La construction en bois fait ainsi florès, tant dans les logements individuels que dans l’habitat collectif, ou en isolation. De même, le bois constitue la première énergie renouvelable européenne, principalement en génération de chaleur. C’est d’ailleurs une nouvelle dimension de la valorisation du bois qui est particulièrement mise en avant dans le cadre du Green Deal européen : le stockage carbone. La forêt fonctionne en effet comme une pompe à carbone, d’autant plus efficace qu’elle est entretenue dans cet objectif. Aujourd’hui, l’équivalent de 11 % des émissions européennes est absorbé par les forêts du continent ; demain, une politique volontariste pourrait exploiter pleinement cette opportunité et intégrer la forêt à la politique de compensation volontaire des émissions promue par le Green Deal.
Entre 2015 et 2050, la production agricole devra augmenter de 60 % à l’échelle mondiale — et de près de 100 % dans les pays en développement — pour répondre à la demande alimentaire humaine, selon la FAO (2). Les terres et les sols disponibles pour l’agriculture sont donc essentiels, or ils sont largement dégradés au niveau mondial et font
l’objet d’une compétition stratégique : allons-nous vers une guerre des sols ?
S. A. : La compétition pour les sols existe depuis toujours : souvenons-nous, entre autres, de la colonisation, qui fut aussi une course au foncier mondial et aux ressources indispensables pour produire ! Mais ne parlons pas de « guerre ». Évoquons surtout des conflictualités entre usagers et des jeux de puissance pour y accéder. Les sols sont une ressource absolument vitale pour la sécurité alimentaire mondiale : 95 % de ce que nous mangeons à travers le globe pousse sur des sols de plus en plus dégradés. Leur qualité est un enjeu majeur, souvent sousestimée, d’autant plus qu’en y regardant de plus près, ils sont une ressource déjà très rare : 50 % des terres sont des déserts ou sont couverts de glaces ou encore bétonnés par les villes. Si l’on enlève les espaces forestiers, eux aussi cruciaux pour les équilibres environnementaux, et les prairies, il reste à peine 4 % des sols pour l’agriculture. Or ils ne sont pas renouvelables et constituent des réserves immenses de biodiversité qu’il faut protéger. Plus de la moitié des sols cultivés sont dégradés, dans toutes les régions du monde, et cela limite nos capacités à produire aujourd’hui et demain; 3 milliards de personnes sont concernées par cette dégradation alors même qu’une grande partie tire ses revenus de l’exploitation de ces terres. La protection des sols est donc un enjeu de la lutte contre la pauvreté et, de fait, une problématique de sécurité mondiale. La question qui se pose est de savoir si demain, à l’horizon 2050, nous disposerons de suffisamment de sols pour répondre aux besoins croissants des quelque 9 à 10 milliards d’êtres humains.
M. B. : En raison de l’augmentation des besoins, l’agriculture devra produire encore plus et, si possible, mieux d’un point de vue nutritionnel, sur des surfaces qui devraient peu augmenter, voire se réduire à cause des nombreux autres usages dévolus aux sols. En effet, près de 400 millions d’hectares consacrés en 2020 à la production alimentaire pourraient être amenés à disparaître d’ici à 2050. En cause : la dégradation des sols (érosion, acidification et pollution), l’urbanisation, la production d’énergie (biodiésel issu du soja, bioéthanol du maïs ou de canne à sucre), mais aussi la concurrence avec la production d’aliments pour l’élevage. Au cours des soixante dernières années, nous sommes parvenus à augmenter la production agricole pour répondre à la hausse de la demande, mais cette forte augmentation doit plus aux gains de productivité qu’à l’expansion mondiale des terres cultivées. Mais cette intensification, qui participe à la dégradation des sols et à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, a montré ses limites. Des transitions agricoles vers des modes de gestion plus durable des sols sont déjà à l’oeuvre, grâce à des innovations agroécologiques, technologiques et numériques. Elles doivent assurer des gains de productivité des sols ainsi que le maintien, voire l’amélioration, de leurs autres fonctions. Ces nouvelles pratiques devront s’adapter au contexte, loin de tout dogmatisme. Elles devraient s’appuyer sur la combinaison de savoirs locaux, de pratiques anciennes et d’une agriculture de précision, grâce — pour celles et ceux qui peuvent y accéder — à la multiplication des capteurs bon marché, aux outils numériques, à la modélisation, à l’intelligence artificielle, aux robots et aux drones. Il faut en effet prendre en compte les différences d’une parcelle à l’autre et évaluer la qualité des sols comme le fait par exemple au niveau mondial et avec le Big Data, la start-up française Greenback. Il faut rester optimiste : des initiatives existent et se multiplient, comme les actions de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification ou les ambitions de la mission « Santé des sols et alimentation pour 2030 » de l’UE, qui vise la zéro artificialisation nette des sols (3) et fixe des objectifs de restauration des terres dégradées. Il est urgent de prendre conscience de ce bien commun et des services essentiels que les sols procurent à l’humanité, d’autant plus qu’ils font l’objet de spéculation et d’une financiarisation croissante. Avec la hausse des prix alimentaires, celui des terres augmente aussi : il a été multiplié par six en moyenne depuis le début des années 2000. À cela s’ajoute la volonté d’investisseurs de plus en plus nombreux et hétérogènes (entreprises publiques ou privées, fonds d’investissement, fonds souverains, etc.) d’acquérir ou de louer des terres dans des pays étrangers pour produire
Près de 400 millions d’hectares consacrés en 2020 à la production alimentaire pourraient être amenés à disparaître d’ici à 2050. En cause : la dégradation des sols (érosion, acidification et pollution), l’urbanisation, la production d’énergie, mais aussi la concurrence avec la production d’aliments pour l’élevage.
des agrocarburants, sécuriser des filières alimentaires ou bénéficier de crédits carbone. Il s’agit assez souvent de transactions opaques, dans des contextes où les régimes fonciers sont informels, et qui se font au détriment des agriculteurs locaux, dont les droits ne sont pas légalement garantis.
La donnée numérique est désormais, dans le secteur primaire aussi, l’objet de toutes les convoitises. Que recouvre le « » agricole ?
S. A. : Parmi les ressources associées à la production alimentaire, on pense en effet assez peu à la data agricole, c’est-àdire l’ensemble des données produites et utilisées dans le cadre de la production agricole, mais aussi de la transformation, jusqu’à la consommation. Pourtant, le numérique et la donnée sont partout : météo, traite des vaches, plantation de semences et récoltes, irrigation, suivi de la santé animale en élevage. Cela va au-delà de la ferme connectée, certaines données parcourant toute la chaîne alimentaire comme les prix, la qualité, les stocks, l’origine, etc. Pourtant, au sein même de la chaîne de valeur, la donnée agricole est largement sous-utilisée. Contrairement à d’autres secteurs, tel que l’aérien, qui a fait son aggiornamento numérique il y a déjà quelques dizaines d’années, l’agriculture reste à la traîne avec peu d’avancées récentes : l’open data est inexistant, les données d’amont sont protégées par les opérateurs et demeurent inaccessibles, les échanges de données sont réduits au minimum vital. L’atomicité des acteurs, l’absence de vocabulaire commun entre les différentes filières, la difficulté à évaluer la valeur réelle des différentes données peuvent expliquer cette sousvalorisation. Seuls les transformateurs primaires, notamment en filière courte (lait, sucre) ou les banques et centres de gestion semblent tirer profit de ces données. Les possibilités qu’elles offrent pour optimiser le fonctionnement des différentes filières agricoles et répondre aux enjeux sociaux et environnementaux sont pourtant immenses. La donnée et son utilisation collaborative peuvent se révéler utiles sur l’ensemble de la chaîne, et notamment en matière d’aide à la décision agricole (faire le bon choix au bon moment en fonction de la météo, de la parcelle, etc.) ou de traçabilité, jusqu’au consommateur, avec la mise en place de la technologie de la blockchain. En France comme en Europe, des initiatives se mettent en place pour placer l’agriculture et l’alimentation au coeur des stratégies de souveraineté numérique et économique. Il faut insister sur un point vraiment important : rares sont les secteurs qui génèrent autant de données que l’agriculture et l’alimentation, acte que nous faisons tous au quotidien. C’est une mine d’informations sur nos vies, nos attentes, nos cultures. Sans surprise, cela suscite d’immenses convoitises. M. B. : Comme pour la santé, l’accès à la donnée agricole est précieux. De nombreux opérateurs bien connus, GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple,
Microsoft) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en tête, ont compris le caractère stratégique de la numérisation de l’agriculture : ils investissent dans des start-up et se rapprochent des constructeurs d’agroéquipements. Répondre à la demande alimentaire et en produits agricoles restera un invariant des sociétés demain. Face à la baisse du nombre d’agriculteurs à travers la planète, le Big Data agricole ouvre un champ des possibles immense. En l’utilisant, on pourrait produire à distance, piloter des exploitations avec une précision accrue. Bien sûr, la data ne remplacera pas l’agriculteur, mais elle va bouleverser son métier et ses pratiques. Il y a donc, face à l’investissement des géants du numérique dans le secteur, un enjeu crucial à conserver la maîtrise de ces données ou, en d’autres termes, la souveraineté sur leur production (et la rémunération qui en découle). L’Union européenne s’intéresse de près à cette question dans le cadre d’un projet porté par le couple franco-allemand : Gaïa-X. Face à un marché dominé par quelques grandes entreprises (Microsoft, Google, Amazon, Alibaba), l’enjeu de cette initiative est de protéger les fournisseurs et utilisateurs de data en leur offrant un cadre européen sécurisé, respectant quelques principes fondamentaux tels que le consentement des utilisateurs et visant à créer un environnement concurrentiel. Cette organisation du secteur doit servir une meilleure coordination entre acteurs, grâce à l’interopérabilité par exemple. Les porteurs du projet ont défini huit secteurs concernés, parmi lesquels l’agriculture tient une place importante, en particulier à l’heure où la stratégie européenne « De la ferme à la table » (incluse dans le « Pacte vert ») vise à accompagner la transformation du modèle agricole vers une agriculture innovante et connectée. (1) (2) (3)