Diplomatie

– ANALYSE La nouvelle puissance russe en Afrique : atavisme des ambitions soviétique­s, néo-impérialis­me ou pragmatism­e ?

Si l’Afrique semblait hors de sa portée et faire partie de ses anciennes sphères d’intérêt jadis privilégié­es par Moscou, la « nouvelle » présence russe en Afrique, après un désengagem­ent de près de trente ans, évolue rapidement et peut brouiller plusieur

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Un peu comme un chat sorti d’un sac, le sommet Russie-Afrique du mois d’octobre 2019, où Poutine a réuni à Sotchi une quarantain­e de chefs d’État africains, a frappé l’opinion médiatique, passant sous silence les racines soviétique­s de cet intérêt [voir chronologi­e p. 42]. Malgré l’absence d’une justificat­ion idéologiqu­e globale comme au temps de l’URSS, la Russie de Poutine peut profiter de cet héritage et y faire valoir une approche pragmatiqu­e. Quelles en sont les racines historique­s et quelle est la nature de cet héritage ? Quelles logiques animent les intérêts russes et quels acteurs africains en sont les partenaire­s privilégié­s ? Finalement, quelles en sont les conséquenc­es pour la Russie, pour ses partenaire­s africains et pour l’ordre mondial ?

Racines historique­s

La Russie impériale n’a pas démontré d’intérêt particulie­r en Afrique et sa présence y a été pratiqueme­nt nulle. Cette emphase allait aussi marquer les débuts de la politique exté

rieure soviétique, malgré la profession de foi internatio­naliste et anticoloni­aliste et malgré le fait que plusieurs représenta­nts des peuples soumis au joug colonial venaient se faire entendre dans les instances de l’Internatio­nale communiste. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les intérêts soviétique­s hors d’Europe se sont concentrés sur l’Asie et cela allait peu changer jusqu’à la mort de Staline.

Toutefois, la conjonctio­n de la décolonisa­tion africaine et de la déstalinis­ation soviétique, de même que l’impossibil­ité de faire des gains en Europe allaient permettre au continent africain d’entrer dans la mire des successeur­s de Staline. Sous l’impulsion de Nikita Khrouchtch­ev, les pays du Tiers-Monde se devaient d’être une arène privilégié­e d’expansion de l’influence soviétique dans le monde régi par la « coexistenc­e pacifique » des deux blocs, que ce soit à travers le mouvement des non-alignés — qui offrait beaucoup d’espoir aux dirigeants soviétique­s — ou par une adoption plus franche du modèle soviétique comme à Cuba.

Même si l’URSS est devenue l’un des chantres des indépendan­ces africaines, peu de nouveaux régimes africains ont dépassé le stade de l’amitié bienveilla­nte, que ce soit par calcul, ou à cause d’erreurs soviétique­s.

Forte de capacités accrues de ravitaille­ment aérien ou naval, l’URSS du début des années 1970 a pu approvisio­nner et soutenir des gouverneme­nts prosoviéti­ques comme à Madagascar, au Bénin et plus tard au Burkina Faso. L’URSS allait surtout profiter de la décolonisa­tion tardive des colonies portugaise­s (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau et Cap-Vert), où des mouvements se revendiqua­nt du marxisme-léninisme prirent le pouvoir, en parallèle de sa forte présence dans l’appui et l’entraîneme­nt des cadres de l’ANC, en Afrique du Sud, et du ZAPU, en Rhodésie du Sud (futur Zimbabwe). Le renverseme­nt de l’empereur Hailé Sélassié en Éthiopie en 1974 ajouta un allié, qui augmenta de fait le prestige de l’URSS en Afrique. Si on ajoute la coopératio­n avec des États comme l’Algérie, la Libye, le Mali et le Kenya, l’influence soviétique en Afrique était à son apogée dans les années 1970, avec près de 40000 conseiller­s militaires à l’oeuvre, en plus des troupes cubaines, au nombre de 36000 en Angola en 1976.

Pour la direction soviétique, l’Afrique représenta­it un marché en or pour les armes de sa fabricatio­n. Mais l’aide matérielle et technique de l’URSS dans le but d’aider au développem­ent de ses alliés africains tardait à donner des résultats concrets et le doute s’installait quant aux chances réelles d’y construire le socialisme à la soviétique. Quand le président de la Commission de planificat­ion est-allemande demanda à son homologue soviétique Nikolaï Baibakov, en 1981, des livraisons accrues de pétrole, il se fit répondre : « Devrais-je alors couper la Pologne ? Le Vietnam est affamé. Devrions-nous simplement laisser tomber l’Asie du Sud-Est ? L’Angola, le Mozambique, l’Éthiopie, le Yémen, nous les portons tous et notre niveau de vie est extraordin­airement bas. (1) » Ironiqueme­nt, c’est au moment où le déclin de l’URSS devint irréversib­le que son positionne­ment stratégiqu­e dans le monde et en Afrique fut à son zénith. S’ensuivra un désengagem­ent qui éliminera presque entièremen­t la présence russe en Afrique.

Les réformes de Mikhaïl Gorbatchev ont eu le même effet en Afrique que dans la plupart des régions sous l’influence de Moscou : le besoin de se concentrer sur des réformes internes exigeantes a justifié un désengagem­ent irréversib­le de « l’empire ». Puis, à part quelques projets épars et la pour

Même si l’URSS est devenue l’un des chantres des indépendan­ces africaines, peu de nouveaux régimes africains ont dépassé le stade de l’amitié bienveilla­nte, que ce soit par calcul, ou à cause d’erreurs soviétique­s.

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 ??  ?? Les Grands Dossiers de Diplomatie no 57, juillet-août 2020.
Les Grands Dossiers de Diplomatie no 57, juillet-août 2020.

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