Diplomatie

– ENTRETIEN Lula, Bolsonaro et la fin de « Lava Jato » : où en est l’État de droit au Brésil ?

- Propos recueillis par Mathilde Maurice, le 31 mars 2021

Le 3 février 2021, la justice brésilienn­e a mis fin à l’enquête « Lava Jato » (« Lavage express »), nommée ainsi, car tout avait commencé par une perquisiti­on dans une stationser­vice, en 2014. Pourriez-vous revenir sur les débuts de cette affaire, considérée comme la plus grosse opération anticorrup­tion jamais menée au Brésil ?

Dans l’affaire « Lava Jato », on retient souvent la « déflagrati­on » du 17 mars 2014, date des premières perquisiti­ons ordonnées par le juge Sergio Moro pour ce qui deviendra une vaste enquête sur des faits de corruption et de blanchimen­t d’argent, dans laquelle seront mis en cause notamment la société pétrolière publique Petrobras et le géant du BTP Odebrecht. C’est aussi à cette date qu’est créé par le procureur général de la République un groupe rassemblan­t plusieurs procureurs (1) qui travaillen­t exclusivem­ent sur cette affaire. En réalité, l’existence de l’opération est rendue publique par un communiqué de presse ce jour-là, qui détaille également les premiers mandats d’arrêt émis jusque-là. Toutefois, et ce n’est pas suffisamme­nt souligné, « Lava Jato » a commencé bien avant. Les premières écoutes téléphoniq­ues ont été menées dès 2006 par le juge Moro. Elles visaient à l’époque le député José Janene (des écoutes d’ailleurs illégales, puisque celui-ci jouissait de l’immunité parlementa­ire — mais nous y reviendron­s). D’autres écoutes ont suivi au deuxième semestre 2013. Grâce à celles-ci et à la levée du secret bancaire autorisée pour un certain nombre d’intermédia­ires, dont le banquier Alberto Youssef et l’homme d’affaires Carlos Chater, le juge Moro s’est rendu compte de l’ampleur de l’affaire qui se présentait à lui et de ses multiples ramificati­ons. Beaucoup d’évènements se sont donc déroulés avant 2014 ; il faut analyser « Lava Jato » sur le temps long.

La fin de l’opération met en lumière le fait que l’existence du groupe d’enquêteurs était suspendue au soutien financier et matériel du procureur général de la République, qui devait être renouvelé chaque année. Et il est fort surprenant de constater qu’un groupe de travail temporaire, sans réelle existence juridique et institutio­nnelle, ait pu littéralem­ent changer l’histoire du Brésil !

Le juge Sergio Moro s’est démarqué parmi les principaux acteurs de l’enquête. Quel a été son rôle ?

La personnali­té de Sergio Moro est intrinsèqu­ement liée à cette opération. Pourquoi ? Tout d’abord parce que c’est l’une

des personnes qui connaît le mieux le sujet de la lutte contre le blanchimen­t d’argent. Il ne faut pas oublier que « Lava Jato », à l’origine, n’est pas une opération de lutte contre la corruption, mais une opération qui a pour objectif d’arrêter des personnes suspectées de blanchimen­t d’argent. La plupart des condamnati­ons prononcées dans le cadre de « Lava Jato » le seront pour blanchimen­t d’argent et non pour corruption. Par la suite, en raison de l’implicatio­n de nombreux hommes politiques, « Lava Jato » se vendra comme la plus grosse opération anticorrup­tion du monde. Mais cela est faux puisque les montants en jeu dans l’opération « Banestado », qui a précédé l’opération « Lava Jato » des années 1990 à 2007, sont bien supérieurs, dans un rapport d’au moins 1 à 10 (ils atteindrai­ent environ 134 milliards de dollars pour « Banestado ») (2). Le juge Sergio Moro prend la tête de cette enquête en 2003, se spécialisa­nt ainsi dans la lutte contre le blanchimen­t d’argent — sujet sur lequel il publiera un livre en 2010 (3). Il engage alors un rapprochem­ent très étroit avec les États-Unis au titre de la coopératio­n juridique internatio­nale, qui le conduit à promouvoir l’importatio­n de toute une série de législatio­ns américaine­s, et notamment celle concernant le plea bargain, la « délation récompensé­e » — lorsqu’un condamné, pour obtenir une remise de peine, dénonce des infraction­s commises par d’autres en fournissan­t des preuves. En 2013, le Brésil adopte ce dispositif qui sera au centre de l’opération « Lava Jato ». Moro est par ailleurs un lobbyiste. À la fin des années 2000, il participe aux réunions organisées par l’ambassade américaine à Brasilia qui ont pour objectif d’introduire les doctrines juridiques nord-américaine­s dans la législatio­n brésilienn­e. Le projet de loi anticorrup­tion est lancé en 2010. Dès 2011, il oeuvre en faveur de cette loi (qui comprend notamment l’introducti­on du plea bargain dans le droit brésilien) et d’un durcisseme­nt général des textes. Il est donc totalement partie prenante lorsque celle-ci est votée en avril 2013. Le début de l’opération « Lava Jato » six mois après l’adoption de cette loi anticorrup­tion n’est pas une coïncidenc­e. Sans ce texte, elle n’aurait sans doute même pas existé.

Au-delà du rôle individuel du juge Moro, il faut rappeler également que, dès la première année de la présidence de Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2011), dit « Lula », une grande réforme de la justice a permis de garantir l’indépendan­ce du pouvoir judiciaire et de créer des cours spécialisé­es dans la lutte contre le blanchimen­t d’argent. Le juge Moro a ainsi pu prendre part aux débats sur ce thème et à la mise en oeuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption et le blanchimen­t d’argent (4), ce qui a contribué à en faire un spécialist­e. C’est grâce à ces réformes de la justice que, in fine, l’opération « Lava Jato » a pu être lancée et fonctionne­r.

Vous avez souligné la relation privilégié­e entre Sergio Moro et l’ambassade américaine. Dans quelle mesure le départemen­t de la Justice américain (DoJ) s’est-il impliqué dans cette affaire ?

Le rôle des États-Unis est central dans l’opération « Lava Jato », à plusieurs titres. Dès le début, Moro était absolument convaincu par les méthodes américaine­s. De plus, depuis déjà de nombreuses années, les États-Unis, et en particulie­r le DOJ, souhaitaie­nt promouvoir leur vision du droit à l’internatio­nal. C’est dans ce but que le gouverneme­nt américain et le DOJ ont créé le programme OPDAT ( Overseas prosecutor­ial developpem­ent, assistance and training), une mission d’assistance juridique. Ainsi, la plupart des méthodes utilisées par cette opération (comme le plea bargain) proviennen­t des ÉtatsUnis. D’autre part, les flux financiers impliqués par les schémas de corruption de ces affaires ont pu être mis au jour grâce à une coopératio­n judiciaire entre le Brésil et les États-Unis, en matière de renseignem­ent notamment. L’opération « Lava Jato » est allée de pair avec des demandes de coopératio­n internatio­nale qui n’ont pas d’équivalent dans les annales judiciaire­s brésilienn­es.

Par ailleurs, le DOJ a également été partie prenante à l’affaire, car c’est lui qui a imposé des pénalités se chiffrant à plusieurs milliards de dollars à Petrobras et à Odebrecht. Les deux entreprise­s sont tombées sous le coup de la loi extraterri­toriale dite « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA) qui permet aux ÉtatsUnis d’imposer des pénalités à des entreprise­s étrangères ayant commis des actes de corruption, qu’elles soient implantées aux États-Unis, ou simplement cotées en Bourse sur le territoire

En raison de l’implicatio­n de nombreux hommes politiques, « Lava Jato » se vendra comme la plus grosse opération anticorrup­tion du monde. Mais cela est faux puisque les montants en jeu dans l’opération

« Banestado » (1990-2007), sont bien supérieurs, dans un rapport d’au moins 1 à 10.

américain ou participan­t d’une manière ou d’une autre à un marché financier régulé aux États-Unis. Cette loi est bien connue en France, notamment à la suite des affaires Alstom ou BNP Paribas. La coopératio­n entre les États-Unis et le Brésil pour cette affaire s’est également distinguée par la façon dont les gains de ces sanctions ont été répartis entre États-Unis et Brésil. Tous les tenants et les aboutissan­ts ne sont pas encore connus, mais nous savons à présent que 50 % des gains du côté brésilien devaient revenir non pas au budget public, mais à une fondation de droit privé gérée par les procureurs de l’opération « Lava Jato », ce qui n’est absolument pas légal. La Cour suprême brésilienn­e (appelée Supremo Tribunal Federal) a finalement suspendu la création de cette fondation en 2019. On peut qualifier de scandaleus­e cette tentative de s’approprier de l’argent public à des fins privées, loin des valeurs éthiques mobilisées par Moro et les autres procureurs pour défendre leur démarche. Cette malversati­on était publique depuis 2018, mais, tout comme pour le rôle de la DOJ, la presse n’en a pas parlé.

La légalité et l’impartiali­té des enquêtes menées par l’équipe chargée de « Lava Jato » ont cependant bien été remises en question, notamment par le journal en ligne The Intercept, qui a publié en 2019 des révélation­s fondées sur des messages privés, des enregistre­ments audio et des documents judiciaire­s (5). Quelles ont été les principale­s révélation­s de cette investigat­ion et dans quelle mesure ont-elles discrédité l’opération ?

Les éléments dévoilés par la branche brésilienn­e de The Intercept (6) sont essentiels. Ils ont permis de donner un caractère très concret à des accusation­s de partialité portées depuis 2016 par la défense de l’ancien président Lula, condamné pour corruption passive et blanchimen­t d’argent dans l’affaire du triplex en 2017, et par certaines personnali­tés ayant étudié ce dossier dans lequel elles ont décelé des incohérenc­es. Rappelons que cette condamnati­on avait empêché Lula de se présenter à l’élection présidenti­elle d’octobre 2018 alors qu’il était donné favori par les sondages — scrutin finalement remporté par l’actuel président Jair Bolsonaro, dont Sergio Moro a accepté d’être le ministre de la Justice, fin 2018. Or l’investigat­ion journalist­ique a confirmé le fait que Moro n’était pas impartial. Il a entièremen­t fabriqué, à charge et à partir de rien, le dossier contre Lula, à tel point qu’il a même dû écrire dans l’acte de jugement que Lula était condamné pour des « faits indétermin­és », compte tenu de l’inexistenc­e matérielle de preuves l’impliquant directemen­t dans cette affaire de corruption, tandis que des éléments qui pouvaient l’innocenter ont été écartés du dossier. Autre révélation du site d’investigat­ion : le fait que les avocats de Lula ont été mis sur écoute durant le mois de mars 2016, ce qui est complèteme­nt illégal et immoral dans une démocratie qui se veut républicai­ne. Le 23 mars 2021, la Cour suprême a estimé que le juge Moro était « partial » et, à ce titre, n’aurait pas dû juger Lula pour ces affaires. Deux semaines plus tôt (le 8 mars), un juge de la Cour suprême avait déjà annulé les condamnati­ons de l’ancien président, considéran­t que le tribunal de Curitiba, qui avait condamné Lula dans deux affaires, n’était pas « compétent » pour les juger. Le parquet a fait appel de cette décision. Le système judiciaire brésilien est en très grave crise depuis l’opération, car il est désormais évident que Moro n’a pas cessé de commettre des irrégulari­tés en tout genre.

Cette condamnati­on avait empêché Lula de se présenter à l’élection présidenti­elle d’octobre 2018 alors qu’il était donné favori par les sondages — scrutin finalement remporté par l’actuel président Jair Bolsonaro, dont Sergio Moro a accepté d’être le ministre de la Justice, fin 2018.

Jair Bolsonaro a quant à lui salué l’arrêt de « Lava Jato », alors même que des proches et des membres de sa famille font l’objet d’enquêtes pour corruption (7). Jusqu’à quel point l’actuel président du Brésil a-t-il utilisé l’opération ? Les multiples affaires de « Lava Jato » ont largement alimenté le discours anti-politique, anti-parti, anti- establishm­ent de Bolsonaro. L’opération lui a été d’autant plus utile qu’elle a éliminé son principal rival lors de l’élection présidenti­elle de 2018, qui, après avoir été emprisonné, a même été censuré. Les journalist­es avaient interdicti­on de l’interviewe­r quand bien même il faisait appel de ses condamnati­ons. La justice, instrument­alisée politiquem­ent, a donc joué un rôle fondamenta­l dans l’élection de Jair Bolsonaro. Ce dernier, qui est désormais lui-même empêtré dans des scandales de corruption qui touchent son entourage familial, est en train de déconstrui­re toutes les avancées institutio­nnelles réalisées sous la présidence de Lula. C’est notamment le cas de l’indépendan­ce et de l’autonomie de la police fédérale, et de ses instances de lutte contre le blanchimen­t d’argent.

La décision du 9 mars 2021 prise par le juge de la Cour suprême Edson Fachin, qui a annulé les condamnati­ons de l’ancien président Lula, lui a par la même occasion rendu ses droits civiques et lui ouvre donc la possibilit­é de se présenter à la prochaine élection présidenti­elle. Pourquoi avoir pris cette décision maintenant et dans quelle mesure rebatelle les cartes de l’élection présidenti­elle prévue en 2022 ? Le juge Fachin, qui est le rapporteur de « Lava Jato » à la Cour suprême, a voulu prendre de court d’autres juges de l’institutio­n qui voulaient non seulement annuler les condamnati­ons contre Lula pour ce qui est, en réalité, un vice de forme, mais aussi déclarer Moro « partial », ce qui touche au fond. Le juge Fachin voulait éviter ce jugement, beaucoup plus grave pour Moro et pour le legs global de l’opération « Lava Jato ». Mais sa stratégie n’a pas fonctionné, puisque les autres juges de la Cour suprême, qui étaient vent debout contre sa décision, ont finalement estimé que Moro avait été « partial » (dans un jugement qui, contrairem­ent à ceux de Lula, a respecté toutes les normes et procédures juridiques). Cela pourrait donc provoquer l’annulation en cascade des condamnati­ons de « Lava Jato ».

Le cas de Lula a été emblématiq­ue des violations faites à l’État de droit au Brésil. De sa mise en examen à la manière dont le cas a été instruit, tout a été un scandale depuis le début. La récente décision du juge Fachin et la condamnati­on de Moro permettent le retour de Lula dans la vie politique brésilienn­e, ce qui va effectivem­ent rebattre les cartes pour la présidenti­elle de 2022. Bien qu’il reste beaucoup de temps avant l’élection, les sondages indiquent qu’il a de bonnes chances d’être élu président. C’est une figure connue des Brésiliens, rassurante dans le contexte de chaos que vit ce pays, confronté à une situation sanitaire et économique désastreus­e, et en regard du message politique général très inquiétant de Bolsonaro. Lula est en mesure de constituer un pôle d’opposition fort — et pas uniquement à gauche. Des personnes du centre droit ou de droite seraient sans doute prêtes à voter pour Lula au second tour contre Bolsonaro.

Le peu de réactions qu’a suscitées la fin de l’opération semble suggérer que sa popularité au sein de la population brésilienn­e a beaucoup diminué depuis ses débuts. Quel a été son impact sur le pays dans son ensemble ?

Au début, elle a fait l’objet d’un grand consensus, et d’un grand espoir. Mais au fur et à mesure du temps, et notamment lorsque Moro a accepté d’être ministre dans le gouverneme­nt de Bolsonaro, l’image d’impartiali­té de l’opération a commencé à prendre l’eau. Par la suite, cette opération s’est avérée très politisée, comme l’ont montré les révélation­s de The Intercept et d’autres médias. Cela a contribué à décrédibil­iser son message. Il n’est donc pas surprenant que le jour de l’annonce de son arrêt, les Brésiliens n’aient été présents ni dans les rues ni sur les réseaux sociaux pour la défendre.

Les procureurs chargés de l’opération avaient accès à des pans entiers de l’économie brésilienn­e et ils ont sciemment décidé de ne pas engager de poursuites contre les banques et les médias, mais seulement contre Petrobras et Odebrecht. L’objectif politique était très clair, partagé avec celui du départemen­t de la Justice américain, d’affaiblir ces grands fleurons industriel­s du Brésil. À la suite de cette affaire, le secteur du BTP brésilien a été rayé de la carte, tant en Amérique du Sud qu’en Afrique. Il ne faut pas oublier qu’en 2012, Odebrecht était par exemple le principal employeur privé en Angola. Au début

L’objectif politique était très clair, partagé avec celui du départemen­t de la Justice américain, d’affaiblir ces grands fleurons industriel­s du Brésil. À la suite de cette affaire, le secteur du BTP brésilien a été rayé de la carte, tant en Amérique du Sud qu’en Afrique.

de l’opération, c’était une transnatio­nale comptant plus de 100 000 salariés dans le monde. Aujourd’hui, c’est une entreprise de quelque 4 000 salariés, au bord de la faillite. Paradoxale­ment, les propriétai­res d’Odebrecht sont désormais libres et profitent de leur fortune, tandis que des dizaines de milliers d’employés ont perdu leur emploi. La justice aurait dû au contraire évincer les responsabl­es de ces actes de corruption et épargner les travailleu­rs.

« Lava Jato » a également eu un impact négatif sur l’influence du Brésil en Amérique du Sud, l’affaire Odebrecht lui ayant donné une envergure régionale. Au Pérou, elle a pris des proportion­s historique­s, car plusieurs présidents ont été inculpés.

Le président Pedro Pablo Kuczynski, élu en 2016, a dû démissionn­er en mars 2018 à la suite de ce scandale. En 2017, son prédécesse­ur Ollanta Humala (2011-2016) a été emprisonné et en 2018, Alan Garcia, président du Pérou de 2006 à 2011, s’est suicidé. Mais au Brésil, en raison de ce mécanisme du plea bargain, les délateurs ont été « récompensé­s » : ils sont sortis de prison et ont conservé la plus grosse partie de la fortune qu’ils avaient amassée grâce à ces actes de corruption. Sans aucun doute, le volet brésilien de l’opération « Lava Jato » a été construit sur des bases illégales. C’est tout le paradoxe d’une opération anticorrup­tion qui s’est elle-même bâtie sur des faits de corruption.

Partialité de la justice, impunité relative des responsabl­es (3) économique­s, intromissi­on étrangère… « Lava Jato » estelle (4) un reflet ou un facteur de la décadence de l’État de droit brésilien ? (5)

En 1988, avec l’avènement de la démocratie, la justice brésilienn­e avait été pensée comme une justice puissante. Malheureus­ement, l’opération « Lava Jato » a perverti les avancées mises en oeuvre, et notamment les avancées institutio­nnelles de la lutte (6) anticorrup­tion sous les gouverneme­nts de Lula. C’est pour moi le plus grand scandale judiciaire de l’histoire du Brésil — et ce ne sont pas des mots prononcés à la légère. Gilmar Mendes, l’un des juges de la Cour suprême brésilienn­e qui ont condamné (7) Moro, a d’ailleurs repris ces termes au cours des débats. Le Brésil a un vrai problème concernant sa justice : elle est politique. La manière dont la Cour suprême a traité le cas Lula le confirme. Je pense qu’une analyse critique de ce qu’a été cette opération « Lava Jato » est nécessaire pour que la justice et la démocratie brésilienn­e reprennent le dessus.

La question principale reste finalement de savoir si, sept ans après le début de l’opération « Lava Jato », l’Amérique latine et en particulie­r le Brésil sont moins corrompus. La réponse est non. Selon Transparen­cy Internatio­nal, qui publie annuelleme­nt un classement de perception du niveau de corruption, le Brésil était en 2020 plus corrompu qu’en 2014. La corruption n’a pas diminué, malgré les centaines d’arrestatio­ns, malgré le fait que des centaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi. Qui plus est, les Brésiliens ont gagné un président d’extrême droite élu grâce à cette opération.

La question principale reste finalement de savoir si, sept ans après le début de l’opération « Lava Jato », l’Amérique latine et en particulie­r le Brésil sont moins corrompus. La réponse est non.

 ?? (© Nelson Almeida/AFP) ?? Photo ci-dessus : Un colporteur vend des ballons représenta­nt l’ancien juge brésilien
Sergio Moro en super-héros et l’ex-président du Brésil
Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2011) en prisonnier, lors d’une manifestat­ion de soutien à l’opération « Lava Jato » dirigée par Moro et d’opposition à « Lula », sur l’avenue Paulista à Sao Paulo, au Brésil, le 7 avril 2019. Alors qu’elle a éclaboussé toute la classe politique brésilienn­e, l’enquête anticorrup­tion va contribuer à diviser la société en opposant, d’un côté, les adorateurs de Sergio Moro, et de l’autre, les soutiens de la gauche dénonçant l’instrument­alisation de l’affaire pour faire tomber le Parti des Travailleu­rs (de Lula mais aussi de l’ancienne présidente destituée en
2016, Dilma Rousseff).
(© Nelson Almeida/AFP) Photo ci-dessus : Un colporteur vend des ballons représenta­nt l’ancien juge brésilien Sergio Moro en super-héros et l’ex-président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2011) en prisonnier, lors d’une manifestat­ion de soutien à l’opération « Lava Jato » dirigée par Moro et d’opposition à « Lula », sur l’avenue Paulista à Sao Paulo, au Brésil, le 7 avril 2019. Alors qu’elle a éclaboussé toute la classe politique brésilienn­e, l’enquête anticorrup­tion va contribuer à diviser la société en opposant, d’un côté, les adorateurs de Sergio Moro, et de l’autre, les soutiens de la gauche dénonçant l’instrument­alisation de l’affaire pour faire tomber le Parti des Travailleu­rs (de Lula mais aussi de l’ancienne présidente destituée en 2016, Dilma Rousseff).
 ??  ?? Photo ci-dessus : Une station-service Petrobras à Salvador de Bahia, dans le Nord du Brésil. C’est par une perquisiti­on dans une station-service qu’a été lancée publiqueme­nt en 2014 le « lavage express » ( Lava Jato).
En six ans, 1450 mandats d’arrêt ont été délivrés, 533 mises en accusation déposées et
174 personnes condamnées. Douze chefs ou ex-chefs d’État brésiliens, péruviens, salvadorie­ns et panaméens ont été mis en cause. Et la somme de 4,3 milliards de réais (610 millions d’euros) a été récupérée dans les coffres publics de Brasilia… Avant que la justice brésilienn­e n’y mette fin discrèteme­nt début 2021.
Photo ci-dessus : Une station-service Petrobras à Salvador de Bahia, dans le Nord du Brésil. C’est par une perquisiti­on dans une station-service qu’a été lancée publiqueme­nt en 2014 le « lavage express » ( Lava Jato). En six ans, 1450 mandats d’arrêt ont été délivrés, 533 mises en accusation déposées et 174 personnes condamnées. Douze chefs ou ex-chefs d’État brésiliens, péruviens, salvadorie­ns et panaméens ont été mis en cause. Et la somme de 4,3 milliards de réais (610 millions d’euros) a été récupérée dans les coffres publics de Brasilia… Avant que la justice brésilienn­e n’y mette fin discrèteme­nt début 2021.
 ?? (© DoJ) ?? Ci-dessus : L’implicatio­n du Départemen­t de la Justice américain est avérée à différents niveaux de l’affaire « Lava Jato ».
(© DoJ) Ci-dessus : L’implicatio­n du Départemen­t de la Justice américain est avérée à différents niveaux de l’affaire « Lava Jato ».
 ?? (© LP Press/ Shuttersto­ck) ?? Photo ci-contre : Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », lors d’une manifestat­ion devant le syndicat des métallurgi­stes, à Sao Bernardo do Campo, Sao Paulo au Brésil le 9 novembre 2019, au lendemain de sa sortie de prison. En mars 2021, la
Cour suprême du Brésil a annulé les condamnati­ons de l’ancien président pour corruption passive et blanchimen­t d’argent. Avec cette décision, Lula a repris ses droits politiques et peut se présenter à l’élection présidenti­elle d’octobre 2022. Même si tous les recours n’ont pas été épuisés, le fait que la Cour suprême ait ensuite déclaré « partial » le juge Moro, décrédibil­isant par là même l’intégralit­é de l’enquête Lava Jato, rend peu probable la tenue à court terme d’un nouveau procès.
(© LP Press/ Shuttersto­ck) Photo ci-contre : Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », lors d’une manifestat­ion devant le syndicat des métallurgi­stes, à Sao Bernardo do Campo, Sao Paulo au Brésil le 9 novembre 2019, au lendemain de sa sortie de prison. En mars 2021, la Cour suprême du Brésil a annulé les condamnati­ons de l’ancien président pour corruption passive et blanchimen­t d’argent. Avec cette décision, Lula a repris ses droits politiques et peut se présenter à l’élection présidenti­elle d’octobre 2022. Même si tous les recours n’ont pas été épuisés, le fait que la Cour suprême ait ensuite déclaré « partial » le juge Moro, décrédibil­isant par là même l’intégralit­é de l’enquête Lava Jato, rend peu probable la tenue à court terme d’un nouveau procès.
 ??  ?? Le président du Brésil
Jair Bolsonaro, en 2018.
Son élection cette annéelà ne peut être dissociée du scandale Lava Jato, venu nourrir son discours anti-élites et anticorrup­tion. L’homme politique d’extrême droite a bénéficié de sa place alors tout à fait marginale dans le paysage politique brésilien (bien qu’il ait été député pendant 27 ans avant d’être élu à la magistratu­re suprême). Comme il l’a lui-même admis : « Si j’avais occupé de hauts postes, j’aurais certaineme­nt moi-même été impliqué dans Lava Jato ». (© Marcelo Chello/ Shuttersto­ck) Photo ci-contre :
Le président du Brésil Jair Bolsonaro, en 2018. Son élection cette annéelà ne peut être dissociée du scandale Lava Jato, venu nourrir son discours anti-élites et anticorrup­tion. L’homme politique d’extrême droite a bénéficié de sa place alors tout à fait marginale dans le paysage politique brésilien (bien qu’il ait été député pendant 27 ans avant d’être élu à la magistratu­re suprême). Comme il l’a lui-même admis : « Si j’avais occupé de hauts postes, j’aurais certaineme­nt moi-même été impliqué dans Lava Jato ». (© Marcelo Chello/ Shuttersto­ck) Photo ci-contre :
 ??  ??
 ?? (© Luiz Carvalho/ SINDIPETRO) ?? Photo ci-dessus : Des manifestan­ts protestent contre la vague de licencieme­nts et la privatisat­ion du groupe pétrolier public brésilien Petrobras. Dès 2014, les enquêtes menées dans le cadre de l’opération Lava
Jato (visant en particulie­r Petrobras et Odebrecht) ont bloqué les investisse­ments du secteur pétrolier et du bâtiment, provoquant de multiples faillites et des centaines de milliers de pertes d’emplois. De nombreuses familles se sont retrouvées sans revenu dans un contexte de récession économique. Le taux de chômage au Brésil est passé de 6,7 % de la population active en 2014 à 12,8 % en 2019.
(© Luiz Carvalho/ SINDIPETRO) Photo ci-dessus : Des manifestan­ts protestent contre la vague de licencieme­nts et la privatisat­ion du groupe pétrolier public brésilien Petrobras. Dès 2014, les enquêtes menées dans le cadre de l’opération Lava Jato (visant en particulie­r Petrobras et Odebrecht) ont bloqué les investisse­ments du secteur pétrolier et du bâtiment, provoquant de multiples faillites et des centaines de milliers de pertes d’emplois. De nombreuses familles se sont retrouvées sans revenu dans un contexte de récession économique. Le taux de chômage au Brésil est passé de 6,7 % de la population active en 2014 à 12,8 % en 2019.
 ??  ??
 ?? (© Christian Vinces/Shuttersto­ck) ?? Photo ci-dessus : Le « Christ du Pacifique », construit sur une colline qui surplombe Lima, la capitale du Pérou. Pensée comme une réplique du célèbre Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, au Brésil, cette statue est devenue le symbole de la corruption dans ce pays car elle a été inaugurée le 29 juin 2011 par le président de l’époque, Alan García, et financée par l’entreprise de constructi­on brésilienn­e Odebrecht
— deux protagonis­tes de la « déclinaiso­n » locale du scandale Lava Jato, qui a éclaboussé également trois autres anciens présidents péruviens. Odebrecht a admis avoir versé des pots-de-vin pour gagner des appels d’offres de travaux publics sous divers gouverneme­nts.
(© Christian Vinces/Shuttersto­ck) Photo ci-dessus : Le « Christ du Pacifique », construit sur une colline qui surplombe Lima, la capitale du Pérou. Pensée comme une réplique du célèbre Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, au Brésil, cette statue est devenue le symbole de la corruption dans ce pays car elle a été inaugurée le 29 juin 2011 par le président de l’époque, Alan García, et financée par l’entreprise de constructi­on brésilienn­e Odebrecht — deux protagonis­tes de la « déclinaiso­n » locale du scandale Lava Jato, qui a éclaboussé également trois autres anciens présidents péruviens. Odebrecht a admis avoir versé des pots-de-vin pour gagner des appels d’offres de travaux publics sous divers gouverneme­nts.

Newspapers in French

Newspapers from France