Diplomatie

La démocratie en Afrique, malade d’une pandémie autoritair­e

- G. Fourmont

Le 14 janvier 2021, le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni — au pouvoir depuis

1986 ! — était reconduit pour cinq ans dès le premier tour, tandis que son parti, le Mouvement de résistance nationale (MRN), conservait la majorité au Parlement. Ce double scrutin est le premier d’une longue série en Afrique en 2021. Toutefois, l’exercice du droit de vote n’est pas synonyme de démocratie, notamment dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.

Après les Ougandais, les Nigériens (21 février 2021), les Ivoiriens (6 mars) et les Congolais (21 mars) se sont rendus aux urnes, avant que plusieurs de leurs voisins ne fassent de même d’ici à décembre. Pas moins de 23 élections nationales (présidenti­elles et/ou législativ­es) sont prévues durant l’année, tandis que 20 ont eu lieu en 2020 sur l’ensemble du continent. Pourtant, dans la majorité des cas, l’exercice démocratiq­ue par excellence qu’incarne le droit de vote a été bafoué en raison de nombreuses irrégulari­tés, fraudes et violences perpétrées par le pouvoir en place.

Si le Maghreb, à l’exception notable de la Tunisie, semble avoir rompu avec les idées des révoltes de 2011 au nom d’un pouvoir fort (l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi, par exemple), l’Afrique subsaharie­nne peine à voir des transition­s dignes de ce nom.

Un droit de vote bafoué

En 2020, selon The Economist, aucun pays de la région — si l’on ne compte pas Maurice — n’est considéré comme une « démocratie pleine » (1). L’immense majorité sont des « régimes autoritair­es », catégorie dans laquelle font leur entrée l’Algérie, le Burkina Faso et le Mali, auparavant « hybrides ». Tandis que la première attend encore les effets positifs sur les institutio­ns du Hirak ayant conduit à la chute du président Abdelaziz Bouteflika (1999-2019), les deux autres font face à des insurrecti­ons djihadiste­s empêchant les autorités centrales de contrôler l’ensemble du territoire national. Depuis le coup d’État du 19 août 2020, le Mali est dirigé par un « Comité national pour le salut du peuple », constitué de militaires devant en principe rendre le pouvoir aux civils après une élection présidenti­elle prévue en mars 2022.

Un autre pays est sous les projecteur­s pour les violations récurrente­s de la démocratie : le Togo. En fonction depuis 2005, le président Faure Gnassingbé, qui avait pris la succession de son père (lui-même installé depuis 1967), a été réélu pour un quatrième mandat le 22 février 2020 sur fond de scandales de fraude et de corruption. Au Congo, le président Denis Sassou-Nguesso est reconduit le 21 mars 2021 après vingt-trois années au pouvoir… Ces deux exemples, parmi d’autres, illustrent des processus électoraux malades et non pluraliste­s, ainsi qu’une vision répressive de l’exercice du pouvoir quand protestati­on et/ou

opposition il y a. On l’a ainsi constaté en Guinée et en Tanzanie, lors de leur scrutin présidenti­el respectif en octobre 2020.

Rien d’étonnant donc à ce que les pays d’Afrique subsaharie­nne soient majoritair­ement considérés comme « partiellem­ent libres » (43 %) ou « non libres » (41 %) par Freedom House L’ONG américaine pointe du doigt la fraude et la répression lors des votes, mais aussi, et surtout, la restrictio­n des libertés individuel­les de population­s soumises à des conditions de vie de plus en plus difficiles dans le contexte épidémique de la Covid-19 et, dans certains cas, de conflits récents, comme dans le Tigré éthiopien, les régions anglophone­s du Cameroun ou le Cabo Delgado au Mozambique. Sur les dix « pires » États de la planète en matière de droits politiques et de libertés civiles, selon Freedom House, cinq sont africains (Érythrée, Soudan du Sud, Guinée équatorial­e, Somalie, Centrafriq­ue).

La Covid-19, facteur aggravant

Si, y compris en Europe, les mesures prises par les gouverneme­nts pour endiguer l’épidémie de coronaviru­s sont parfois jugées antidémocr­atiques, elles deviennent de véritables outils autoritair­es en Afrique. D’après le V-Dem Institute, organisme de référence internatio­nale dépendant de l’université de

Göteborg (Suède), la part de la population mondiale vivant dans des autocratie­s est passée de 48 % en 2010 à

68 % en 2020 L’année de la protestati­on qu’avait été 2019 a laissé place à celle de l’enfermemen­t. Ainsi, l’institutio­n dénonce l’usage excessif de pouvoirs d’urgence et de limitation des libertés, notamment des médias, en réponse à la crise sanitaire mondiale. En Afrique, plusieurs pays sont pointés du doigt pour des violations majeures, à l’instar de l’Afrique du Sud, de la République démocratiq­ue du Congo ou du Zimbabwe. Et le V-Dem confirme le constat établi tant par The Economist que par Freedom House sur le déclin de la démocratie libre sur le continent africain. La situation générale n’appelle pas à l’optimisme tant elle s’est dégradée ces dix dernières années, particuliè­rement en 2020. Une petite once d’espoir brille toutefois dans un pays inattendu, le Niger. Tout en bas de l’échelle du développem­ent, tenu en dehors des routes de la mondialisa­tion, victime par procuratio­n de la violence chez ses voisins, il a vécu sa première véritable transition démocratiq­ue avec la présidenti­elle de décembre 2020 et février 2021. L’élu, Mohamed Bazoum, qui a déjà affronté une tentative de putsch le 30 mars, doit faire face à d’immenses défis sociaux.

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