Le pouvoir des cartes
À l’orée du XVe siècle, les savants d’Occident s’intéressent enfin à la géographie du monde grâce à la redécouverte des travaux de Claude Ptolémée, l’astronome et astrologue grec. Treize siècles plus tard, les esprits savants dissèquent enfin l’oeuvre phare du maître de l’Antiquité : Géographie ou Manuel de géographie, rédigé vers l’an 150 de notre ère. Il faut dire que le travail de Ptolémée est une mine d’or en termes de connaissances mathématiques et astronomiques appliquées à la connaissance du monde. Le savant était notamment parvenu à représenter la Terre sous forme d’un globe divisé en zones climatiques. Synthèse des connaissances géographiques à l’époque de l’empire romain sous le règne d’Hadrien (117-138), son oeuvre, divisée en huit livres, couvrait la totalité du monde connu, ou écoumène. Si le premier livre pose les bases théoriques du sujet, les six suivants sont consacrés aux diverses parties du monde connu, et contiennent les coordonnées d’environ
8000 localités ou sites remarquables, dirait-on aujourd’hui. Le huitième et dernier livre synthétise le tout, offrant 27 cartes du monde habité, dont une carte générale et une carte détaillée de 26 régions.
C’est ce travail colossal et cette méthodologie qui vont inspirer les cartographes de la Renaissance, dont l’activité va se développer avec l’invention de l’imprimerie. Vont alors apparaitre au milieu du XVe siècle des cartes modernes ( tabulae modernae), dont la portée sera immense, permettant d’actualiser la géographie de certains pays, de mieux les représenter sur une carte, mais aussi dans les esprits. Naitra ainsi la légende de l’École de Sagres, formée à l’instigation d’Henri le Navigateur (13941460) pour réunir les plus grands savants et élaborer en secret les meilleures cartes pour s’aventurer toujours plus loin dans la mer des Ténèbres ( mare Tenebrarum)
— le nom, jusque-là, de l’océan Atlantique. Conjuguée au progrès de la construction navale — dont l’invention de la caravelle, robuste et manoeuvrable avec ses mâts à voiles latines, ou les outils de navigation, comme la boussole, permettant au timonier de déterminer son cap avec plus de précision et l’aidant à conserver sa route —, la navigation devient moins hasardeuse. Les marins peuvent désormais naviguer loin des côtes, et même contre les vents dominants.
Ortelius, l’inventeur de l’atlas
Abraham Ortelius (1527-1598) est aujourd’hui considéré comme l’inventeur de l’atlas moderne. Il est en effet le premier cartographe à publier, sous un seul et même format, des cartes de toutes les régions connues de la planète. Pour ce faire, il a collecté avec patience des données, et il a fait appel à son vaste réseau de contacts. L’homme est un érudit. Jeune, il a bien entendu étudié la littérature et l’histoire de l’Antiquité. Il sait également parler le néerlandais, le grec, le latin, l’italien, le français et l’espagnol, et il a de solides bases d’allemand et d’anglais. Il s’intéresse aussi à l’évolution des sciences. Il est surtout fasciné par les découvertes faites en Amérique, en Afrique et en Asie. Pareilles compétences lui permettent de tisser un large réseau à travers l’Europe. Il visitera ainsi l’Italie, la France, les Pays-Bas, l’Angleterre et l’Irlande. Lors de l’un de ces voyages, il fait la connaissance du cartographe Gérard Mercator (1512-1594), qui le pousse à produire ses propres cartes. Il créera alors des cartes de l’Égypte, de la Terre sainte, de l’Asie, de l’Espagne ou encore de l’Empire romain. Mais c’est l’assemblage de cartes géographiques dans un même format qui va le rendre fameux. Parait ainsi le Theatrum Orbis Terrarum (Théâtre du monde), le chef-d’oeuvre d’Ortelius. Ce premier atlas du monde en 53 cartes est d’emblée plébiscité par les plus grands savants, dont Mercator : « Vous méritez des louanges pour avoir sélectionné le meilleur descriptif de chaque contrée et les avoir tous rassemblés dans un seul livre. Ce livre n’est pas onéreux et on peut en outre l’emporter partout ». Paru en 42 éditions et en 7 langues entre 1570 et 1612, cet ouvrage a connu un vif succès. Si sa carte du monde comporte des inexactitudes, son impact a été gigantesque car, pour la première fois, celle-ci représentait le globe avec les dernières données sur la taille et la forme des continents. Une nouvelle vision de notre monde était née. S. G.
Ci-dessous : Typus Orbis Terrarum, carte extraite du « Théâtre du monde » d’Abraham Ortelius, en 1570. (© National Library of Australia/Shutterstock)