Migrants climatiques, le défi de demain
Les problématiques environnementales représentent l'un des principaux facteurs de déplacement des populations. Avec l'accélération du réchauffement climatique, ce type de mobilités devrait croître de manière exponentielle dans les décennies à venir. La Banque mondiale estime ainsi que 216 millions de personnes, dont 86 millions en Afrique subsaharienne, sont appelées à migrer à l'intérieur de leur pays d'ici à 2050.
Si les sphères académiques et médiatiques prêtent une attention accrue à la question des migrations environnementales, ce thème demeure mal connu du grand public. L'écueil le plus fréquent porte sur la distinction entre migrations climatiques et environnementales. Si les premières sont provoquées par des aléas climatiques (sécheresses, inondations, ouragans), les secondes englobent aussi des déplacements causés par des phénomènes géophysiques (éruptions volcaniques, séismes), des accidents industriels, des accaparements de terre, etc.
Une définition floue, des flux difficiles à quantifier
L'autre complexité de ce sujet réside dans l'absence de définition internationalement reconnue pour désigner les personnes victimes de ces déplacements. En s'en tenant au point de vue de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), les migrants environnementaux sont des « personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur lieu de résidence habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l'intérieur ou hors de leur pays ».
Sur le plan juridique, aucun instrument législatif ne s'applique au droit spécifique des migrants environnementaux. L'un des enjeux pour l'avenir réside dans la nécessité de mettre en place un système juridique plus contraignant, permettant de protéger les personnes déplacées à la suite de ce type de catastrophes. Mais au regard des nombreuses crispations que provoquent les questions migratoires pour les gouvernements occi- dentaux, la route vers l'adoption d'un tel système semble longue.
Si les migrations environnementales sont souvent perçues comme un phénomène récent lié au changement climatique, l'histoire abonde d'exemples de mobilités motivées par de tels facteurs. Il y a 10000 ans déjà, les migrations de la Mésopotamie vers l'Europe se sont développées dans un souci d'accéder à un climat plus favorable et à des sols plus fertiles. La grande famine de 1845-1851 poussa plus de 2 millions d'Irlandais à fuir leur pays, la plupart ayant pris la direction des États-Unis. Pour la période contemporaine, l'absence de législation sur le sujet rend périlleux l'exercice de comptage des migrants environnementaux. Cette difficulté est de plus renforcée par le fait que l'essentiel de ces mobilités s'effectue dans un périmètre national. Il n'est pas surprenant que les seules données exhaustives portent sur des déplacements internes recensés par l'Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC).
D'après cette organisation, sur la période 2008-2020, plus de 318 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur lieu de vie habituel pour trouver refuge ailleurs dans leur pays en raison de facteurs environnementaux. En 2020, les tempêtes et les inondations constituèrent les premières causes de déplacement des 30,7 millions de migrants environnementaux recensés au cours de cette année. La zone Asie-Pacifique fut la plus touchée – Chine (5,07 millions), Philippines (4,45 millions), Bangladesh (4,44 millions), Inde (3,86 millions) –, devant le continent américain – États-Unis (1,71 million), Honduras (937000), Cuba (639000). Proportionnellement au nombre d'habitants, le Vanuatu fut particulièrement affecté par le cyclone Harold, qui causa le déplacement de 80000 personnes, soit près du quart de sa population.
Un phénomène voué à augmenter
La montée du niveau des mers et la multiplication des événements climatiques extrêmes vont constituer la source d'importants déplacements environnementaux dans les décennies à venir. Même avec un réchauffement inférieur à 2 degrés Celsius, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que la hausse des océans devrait atteindre 50 centimètres en 2100. Ce scénario place les pays insulaires et deltaïques d'Asie du Sud et du Pacifique dans une situation d'extrême vulnérabilité. L'intrusion d'eau salée sur des terres agricoles pourrait menacer la sécurité alimentaire et sanitaire des habitants, sans compter que la montée du niveau marin risque de provoquer la submersion de villes et de villages entiers. Le gouvernement du Tuvalu a conclu des accords de coopération bilatérale avec ses voisins en vue de faciliter l'éventuelle émigration de ses ressortissants. Les populations des îles et des pays côtiers d'Asie et du Pacifique ne sont pas les seules menacées par les effets du réchauffement climatique. Pour le GIEC, la hausse des océans à l'horizon 2050 devrait provoquer le déplacement d'au moins 280 millions de personnes dans le monde.