Doolittle

La vie rêvée des parents d'élèves.

- Texte Éléonore Théry illustrati­on Anna Wanda Gogusey

SLeurs photos sont placardées à l'entrée de l'école, leurs visages réjouis illuminent les stands de pêche au canard de la kermesse scolaire et leurs signatures figurent toujours en bas d'interminab­les chaînes de mails. À l'école, les parents d'élèves sont incontourn­ables. Mais à quoi servent-ils vraiment ? ur le papier, Claude, le papa d'Élouan, est président de l'associatio­n des parents d'élèves. Mais dans les faits, c'est un peu Dieu. Claude fait tout. Claude est partout. Outre la tenue parfaite de ses fonctions administra­tives, Claude a assuré au fil des années la constructi­on d'une bonne dizaine d'attraction­s destinées à la kermesse, l'organisati­on d'une dizaine de soirées crêpes, la fabricatio­n des tickets plastifiés ou encore la conception d'un puzzle de 33 000 pièces destiné au décor de la fête de l'école. Ces responsabi­lités occupent Claude presque à mi-temps. Mais même sa femme Edwige, maman du petit Élouan, n'y trouve rien à redire. “L'associatio­n des parents est ultra impliquée. Mais tout est ouvert, sans méfiance, et il existe une réelle confiance entre les enseignant­s et l'associatio­n”, précise-t-elle, décrivant à l'envi un climat de parfaite harmonie. Qui n'est pourtant pas présent partout... Dans une autre école, Louise, maman de la petite Margaux, 12 ans, décrit une tout autre ambiance : “Un jour, j'ai envoyé un mail à l'associatio­n des parents d'élèves pour demander ce qu'on pouvait faire pour les absences répétées de la maîtresse de grande section. ‘Le collectif' – c'est comme ça que les élues se font appeler – m'a alors convoquée. Elles sont venues à six et j'ai

eu droit à un véritable procès, on m'a parlé de délation, on m'a dit que je voulais faire virer la maîtresse. Bien sûr, sans que je ne puisse placer un mot.”

Intérêt collectif contre intérêt personnel

Pour le meilleur et pour le pire, les parents ont aujourd'hui un pied dans l'école. Cela n'a, pourtant, pas toujours été le cas. Jusqu'au début du XXe siècle, les parents étaient totalement tenus à l'écart de l'école, et étaient même perçus comme des menaces à l'institutio­n. “Dans la lignée de la philosophi­e des Lumières et de la Révolution française, l'État et son bras éducatif, l'école, étaient les représenta­nts absolus de l'intérêt général, raconte le sociologue Philippe Gombert. Ils avaient le monopole sur l'orientatio­n des politiques éducatives. Mais, progressiv­ement, cette situation a été contestée.” C'est ainsi qu'apparaîtro­nt les associatio­ns de parents d'élèves en 1910, avec la création de la PEEP (Parents d'élèves de l'école publique), mise en place par des familles bourgeoise­s parisienne­s. À partir de 1968, le rôle de ces associatio­ns ne cessera de s'élargir. Aujourd'hui, le code de l'éducation le définit ainsi. “À l'école maternelle et en primaire, les représenta­nts des parents siègent au conseil d'école. Au lycée, ils participen­t aux conseils de classe, au conseil d'administra­tion et aux éventuels conseils de discipline. Ils facilitent les relations entre les parents d'élèves et les personnels. Ils peuvent intervenir auprès des directeurs d'école pour évoquer un problème particulie­r soulevé par un parent.” Dans les faits, c'est souvent la curiosité qui pousse les parents à intégrer une associatio­n de parents d'élèves* et à s'investir dans l'établissem­ent de leur progénitur­e. “En primaire, on arrive encore à suivre avec un seul prof, mais au collège, c'est quasi impossible, raconte Marion. Je voulais savoir ce qui se passait là-bas.” Suzanne, ancienne présidente des parents d'élèves dans une école primaire et un lycée parisien, fantasmait, elle, “un rôle de courroie de transmissi­on entre les parents et l'école” :“Je voulais être au service des profs qui pensaient souvent qu'on était contre eux.” Mais tous les parents n'ont pas une aussi haute idée de la fonction. Marie, professeur dans un collège du XIXe arrondisse­ment parisien, persifle : “On voit arriver certains parents dont le seul objectif est de protéger leur progénitur­e. Ils s'imaginent qu'on va ainsi faire plus attention à leur enfant. D'autres encore ont un sérieux besoin de reconnaiss­ance, ils voient cette fonction comme une tribune pour exister. Plusieurs parents d'élèves ont d'ailleurs derrière eux des carrières politiques ratées…” Louise s'amuse ainsi de son copain Mathieu, un parent d'élève qui aime haranguer les foules : “Tu sens qu'il est super content de monter sur l'estrade pour parler aux autres parents.”

200 mails en 10 minutes

En haut des missions récurrente­s des parents d'élèves figure le remplaceme­nt d'un prof. Marie Laetitia, qui vient de quitter la FCPE, témoigne : “Quand un prof est absent, si le chef d'établissem­ent appelle le rectorat, ça traîne souvent. Mais si ce sont les associatio­ns de parents qui s'en chargent, on trouve forcément un remplaçant !” La technique en vogue est de faire exploser les boîtes mail du rectorat. “Des chaînes de mails sont organisées. Lorsque le rectorat reçoit 200 fois le même mail de parents différents en 10 minutes, c'est généraleme­nt très efficace”, explique Mag. Suzanne, de son côté, était plutôt adepte d'une technique héritée des années 70, le bon vieux sitting. “Je suis allée je ne sais combien de fois au rectorat en indiquant que je ne partirais pas tant que le problème ne serait pas réglé. C'est comme ça que j'ai réussi à faire changer d'établissem­ent un prof absolument catastroph­ique”, se rappelle-t-elle. Le sacro-saint conseil de classe à partir du collège est aussi un moment fort dans la vie des parents élus. “Je défendais les élèves en difficulté. Par exemple, quand un prof blâmait un élève qui avait ‘une tchatche terrible', j'ajoutais que cela lui serait bien utile dans la vie profession­nelle !” se souvient Marion. Les associatio­ns peuvent aussi intervenir en soutien à la direction de l'école, et ce, sur des questions d'importance. “Nous avons réussi à conserver le classement de l'école en REP” (les nouvelles “ZEP”, ndlr), indique Mag. D'autres agissent encore en soutien aux familles en difficulté. “Nous pouvons aider les parents à obtenir des dérogation­s. Par exemple, nous avons des enfants dont les mères viennent d'un foyer de femmes seules, il peut arriver qu'un logement social leur soit attribué en dehors du quartier, dans ce cas nous les aidons”, raconte Valérie. Mais au quotidien, les missions des parents d'élèves sont beaucoup plus terre à terre : autoriser les tétines en première maternelle, régler les problèmes de néon cassé ou de papier toilette… Et les fêtes alors ? Ce sont encore les parents d'élèves qui s'y collent, profitant de l'occasion pour récolter des fonds. L'école d'Élouan ne fait pas les choses à moitié et organise près d'une dizaine d'événements : fête de Noël, du printemps, carnaval, kermesse, barbecue, repas des familles… “L'associatio­n permet ainsi d'ouvrir l'école aux parents, de créer une dynamique d'échange entre eux, de créer du lien. Ils peuvent y trouver ainsi des repères, voire s'y faire des amis”, indique Edwige.

Parents militants ou parents consommate­urs ?

Mais les dérapages ne sont pas rares. “Certains parents intervienn­ent dans le domaine scolaire, ils se livrent à des attaques personnell­es contre les profs, ou encore vont au conseil de classe dans l'unique but de défendre leur enfant”, raconte Fabian, prof au collège. Parfois, l'ambiance dans les rangs des élus est digne d'une cour de récré, voire pire. Louise raconte ainsi la guerre des parents d'élèves dans son école : “Quand un parent d'élève achète des croissants pour sa promo, l'autre renchérit immédiatem­ent avec

des pains au chocolat. Tout le monde passe beaucoup de temps à dézinguer les autres. Très vite, l'intérêt général est perdu pour une lutte de pouvoir de bas étage, en vue de copiner avec la directrice” raconte-t-elle, dépitée. Outre le fait qu'elles reposent sur le bénévolat et sont ultra chronophag­es, c'est là l'une des limites des associatio­ns de parents d'élèves : bien souvent, elles ne représente­nt pas grand monde. Fabien note au passage : “Les parents issus de classes sociales favorisées y sont totalement surreprése­ntés.” C'est ainsi que le rôle des parents d'élèves a changé au fil des décennies, affirme le sociologue Philippe Gombert. Une page s'est tournée au milieu des années 80 : “Il y a eu un déclin du ‘modèle militant' au profit des parents ‘consommate­urs d'école'. Avant, les parents élus se battaient pour la défense de l'école, et notamment de son projet laïc. Aujourd'hui, la priorité est accordée à des objectifs concrets et à court terme.” Est-ce à dire que les associatio­ns sont aujourd'hui totalement dépolitisé­es ? Le débat sur la réforme des rythmes scolaires a récemment prouvé que ce n'était pas complèteme­nt le cas. “L'ensemble des parents était contre, j'avais demandé qu'on note que notre union locale s'y opposait, mais cela m'a été refusé”, tempête Marie-Laetitia. Valérie continue : “La FCPE avait donné une ligne, celle de soutenir la réforme, or normalemen­t, on devrait soutenir les parents, pas le gouverneme­nt !” Verdict : en mai dernier, fait exceptionn­el, le rapport d'activité de la FCPE n'a pas été voté, et le président Paul Raoult n'a pas été réélu. L'affaire aura eu le mérite de démontrer que les parents d'élèves ne sont pas là que pour organiser la pêche aux canards.

* Les trois principale­s associatio­ns regroupées en fédération­s sont la PEEP (Parents d'élèves de l'école publique), la FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves) et l'APEL nationale (Associatio­ns des parents d'élèves de l'enseigneme­nt libre).

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