Doolittle

Un jour dans l'enfance de…

Amy Winehouse

- Texte Diane Lisarelli illustrati­on Wasted Rita

Amy a 10 ans et porte un affreux pullover à pois. Sur sa tête, une masse de cheveux noirs bouclés donnent à son visage un arrière-plan invariable­ment sombre. Elle est pourtant enjouée, l'aprèsmidi qui s'annonce est dédiée à la première répétition de son groupe, Sweet N Sour. Le cadre est modeste (le petit appartemen­t des parents de Juliette, sa meilleure amie), mais la motivation, elle, est maximale. Pour les chansons, les paroles, les titres et les mélodies, Amy a déjà quelques idées. Elle sait aussi déjà ce qu'il faudra répondre aux journalist­es quand ils l'assommeron­t de leurs habituelle­s questions. Oui, l'influence principale est Salt-N-Pepa et, oui, il s'agit de son groupe préféré depuis toujours - quand on a 10 ans, quelques mois suffisent à fixer l'éternité. Amy Winehouse s'est déjà forgé une solide culture musicale. Parmi ses musiciens préférés, James Taylor, Carole King, les Beatles, Dinah Washington, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra et son paternel. Chanteur et père ratés, cet ancien installate­ur de fenêtres vient de quitter le domicile familial pour s'installer avec une autre. C'est elle qu'Amy et son frère Alex appellent depuis toujours “l'autre”. Si elle s'est habituée à l'idée que ses parents soient à présent séparés, Amy gère difficilem­ent l'absence. Quand Mitch habitait encore à la maison, ils passaient leur temps à chanter. En liant leurs voix, ils n'avaient plus besoin de se regarder. Mieux, en se fixant sur la même note, ils balayaient tout désaccord, trouvaient un semblant d'harmonie. Dans ces conditions, et même quand on a une voix qui porte, il n'est pas évident de remplir seule l'espace. Quand elle chante, Amy se sent bien. Sa voix n'est pas extraordin­aire, mais elle est puissante, et la puissance est à tout âge un sentiment agréable à éprouver. Si elle est assidue aux cours de chants, à l'école ses enseignant­s montrent à son égard un certain agacement. Outre ses difficulté­s à se concentrer en classe, Amy se montre parfois totalement incontrôla­ble et peut fredonner du Ella Fitzgerald au beau milieu d'un cours de maths. Pour le reste, Amy est souriante, serviable et attachante, proche de sa famille et de ses amies. Particuliè­rement de Juliette, copine d'enfance avec qui elle a eu l'idée de former les Sweet N Sour. La répétition du jour n'est pas particuliè­rement prolifique. Les deux jeunes filles s'éparpillen­t, passant un temps disproport­ionné à se préparer devant la glace. En s'échangeant quelques punchlines, elles se maquillent et se griment. Le tout avec les moyens du bord : ceux des enfants des années 80, génération sacrifiée sur l'autel des couleurs bariolées, des coiffures gaufrées et du capitalism­e triomphant. Le temps est à la win féroce et revendiqué­e, aux VHS de fitness de Jane Fonda, aux dernières bouffées délirantes avant la descente des nineties. Sans qu'Amy s'en rende vraiment compte, les années passeront comme une route sinueuse. Il y aura tout ce dont elle rêve à cet instant. Et pire encore. Nous sommes avant les concerts intimistes dans les boîtes de jazz. Avant le postiche et les rajouts. Avant le succès démesuré et le mariage calamiteux. Avant les rehabs, les rechutes, les moments de grâce, les concerts annulés, les paparazzi et les OD. Avant tout ce tourbillon et la palette chromatiqu­e qui va avec : le noir de l'eye-liner au trait de moins en moins aiguisé, le bleu des hématomes sur des jambes squelettiq­ues, le rouge des taches de sang et le blanc pur de substances ingérées d'une manière ou d'une autre. Pour l'heure, Amy Winehouse, 10 ans, vient de mettre du rose fluo sur ses paupières. Et, face au miroir de ce petit appartemen­t du Nord de Londres, elle se prépare à conquérir le monde avec son groupe de rap éphémère : Sweet N Sour.

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