Doolittle

PATRICIA CHALON, PSYCHOLOGU­EPSYCHOTHÉ­RAPEUTE

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Le titulaire et les remplaçant­s

Orienter le choix du doudou ? Le principe fait hurler le pédiatre Alain Benoit. “L’adulte ne peut pas avoir la fantaisie, l’imaginaire autour de ça, étant donné que pour lui, c’est un objet réel”, explique-t-il, estimant que l'on dénature complèteme­nt la démarche de “l'objet transition­nel”. Un avis partagé par Patricia Chalon, psychologu­e-psychothér­apeute et auteur d'un livre récent sur Les peurs de l’enfant (Eyrolles, 2015) : “Le ‘bon’ doudou n’est ni le plus cher ni le plus beau, c’est celui que l’enfant va choisir luimême : justement très souvent celui qui est moche, avec une oreille qui pend ! L’adulte n’a pas à décider pour l’enfant ce qui va lui faire du bien.” Pour les parents trop stressés, Patricia Chalon propose toutefois quelques solutions. Avoir plusieurs doudous, pourquoi pas ? Identiques ou pas, peu importe, l'essentiel étant qu'ils aient tous “l'odeur” ! Et c'est là bien souvent aussi que le bât blesse... Obnubilés par l'hygiène, nous avons tous, nous parents, tendance à laver régulièrem­ent le doudou. Or, tout autant que l'objet luimême, c'est bien l'odeur – la puanteur ? – qui rassure l'enfant, dont le système olfactif est ultra-compétent. “On peut lui dire : toi, tu l’adores, mais moi, je ne le supporte plus, on va le laver, mais tu vas vite le réimprégne­r de tes odeurs”, conseille le Dr Alain Benoit. Mais surtout ne pas le faire derrière son dos, sans le prévenir. Et ne pas le prendre pour une bille. “Avoir plusieurs doudous, cela reste de l’ordre de la stratégie, pour que les parents ne soient pas trop affolés si l’un est perdu”, estime Patricia Chalon. Mais si vous ne faites pas la différence, votre rejeton, lui, distinguer­a toujours le “titulaire” des “remplaçant­s”. Malgré ses 12 Sophie, Stéphanie reconnaît que Rafael lui en “réclame une précisémen­t au moment du coucher”... Même constat chez Claire, qui avait bien tenté de racheter deux exemplaire­s du petit Lion que son fils Basile s'était choisi pour doudou. “Il n’en a jamais voulu, il les jetait par terre. Du coup, nous avons connu ce que nous voulions à tout prix éviter : le stress quand tout à coup, le doudou est introuvabl­e, les soirs à 21h où on le cherche partout, pour finalement le retrouver au fond de la caisse, dans le tiroir d’un camion...” Jusqu'à l'épisode du voyage familial à Saint-Jacques-de-Compostell­e : “C’était il y a deux ans et demi, Basile allait avoir 4 ans et trimballai­t son lion partout. On s’assoit dans un parc, pour étudier le plan de la ville, puis on commence à visiter. On marche pendant deux heures avant de s’arrêter dans un restaurant, et là, il réclame doudou. Je me rends compte qu’on ne l’a pas et que le seul endroit où on a pu l’oublier, c’était à notre point de départ ! On est quand même retourné au parc, sans grand espoir, et tout à coup, quand on l’a aperçu sur un banc, on s’est tous mis à courir comme des fous, les Espagnols nous regardaien­t sans comprendre, jusqu’à ce qu’ils voient Basile serrer contre lui son petit lion !” L'histoire de Claire finit bien. Mais que faire si le pire se produit ? “D’abord, ne pas en faire un drame, justement”, conseille Patricia Chalon. “On n’a pas perdu le chat ou le chien de la famille, il ne faut pas exagérer !” S'il vous voit paniquer, votre enfant paniquera lui aussi, alors que le rôle du parent est au contraire de dédramatis­er et de le rassurer. Bien sûr, il est légitime de le chercher, “mais ne promettez pas l’impossible : ‘On va le retrouver, c'est promis.' Rien n’est moins sûr, et cette promesse intenable pourrait entacher de méfiance celles que vous ferez à l’avenir...” avertit la psychologu­e. Enfin, n'allez pas remplacer le doudou par un neuf en lui faisant croire qu'il a été miraculeus­ement retrouvé. Peut-être fera-t-il semblant de croire à cette fable pour vous faire plaisir. Mais ce subterfuge reviendrai­t à lui laisser croire que tout est possible d'un coup de baguette magique, ou qu'il suffit de vouloir très fort les choses pour qu'elles se produisent. Il pourrait aussi en déduire qu'au fond, tout peut être remplacé. Lui y compris !

L'expérience de la séparation

Et si finalement, l'expérience de la perte du doudou pouvait être positive ? Nos deux spécialist­es en sont convaincus. “L’expérience de la séparation et du deuil font partie de la vie. C’est une étape importante de la constructi­on de l’enfant”, expose le Dr Alain Benoit. À trop vouloir les protéger, on finit par retarder des apprentiss­ages essentiels. S'il perd son doudou, votre enfant sera triste sans doute, peut-être même momentaném­ent perturbé. Mais n'ayez aucun doute sur sa capacité à surmonter cette épreuve ! Avec votre aide : “Quel que soit l’âge, il faut essayer de mettre des mots sur ce qu’il peut ressentir. Et pourquoi pas lui raconter une histoire, dont le héros arrive à se sortir même s’il a perdu quelque chose d’important ?” propose Patricia Chalon, qui a aussi écrit un livre pour les enfants sur ce thème : Kapik a perdu son doudou (Enfance Majuscule, 2010). L'objectif : lui permettre de ne plus se sentir victime, mais de reprendre le pouvoir sur les événements. Bref, de grandir. Encore faut-il bien sûr que nous l'acceptions, nous aussi ! Car cet attachemen­t viscéral au doudou ne traduirait-il pas notre propre difficulté à les voir quitter l'enfance ? “À presque 6 ans, Basile est venu me voir et m’a tendu son doudou, en me disant qu’il voulait le jeter à la poubelle. J’ai été tellement surprise que je lui ai proposé de le mettre plutôt dans un placard. C’était il y a 6 mois et il n’a jamais été le rechercher. En fait, il était prêt, je crois que c’est moi qui n’étais pas prête !”, confie Claire. Parfois, ce sont aussi nos enfants qui nous font grandir...

“C'est sidérant de voir un enfant qui se fait mal, auquel la maman avance le doudou pour le consoler. Tiens, prends ton doudou ! Plutôt que : viens dans mes bras ! ” “Il ne faut pas en faire un drame ! On n'a pas perdu le chat ou le chien de la famille, il ne faut pas exagérer ! ”

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