Doolittle

PAUL CHAMMINGS, CHEZ BAYARD

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s’adresse à la frange la plus jeune du public pre-school. Il y a beaucoup de choses basées sur les sensations, les petites victoires du quotidien…Notre truc, c’est de mêler les auteurs de Pomme d’Api, qui ont cette expertise, aux scénariste­s de dessin animé. Eux maîtrisent parfaiteme­nt la mécanique narrative d’une série, mais ne connaissen­t rien aux enfants. Ils les font parler comme des adultes, et c’est souvent le défaut des mauvaises séries preschool. Ça m’agace. Ça et la 3D. J’aime le côté artisanal, à l’ancienne, de nos production­s.” Un parti pris qui n’empêche pourtant pas l’image de synthèse d’avoir aussi la cote auprès des petits, comme le prouve le succès de la série T’choupi à l’école. Ollivier Carval, son réalisateu­r, reçoit entre deux palettes graphiques saturées de micro-pingouins en 3D, dans les locaux parisiens des Armateurs (Kirikou, Les Triplettes de Belleville) :“Ici, on a tout fait et tout connu. Les premières séries T’choupi étaient faites avec du papier et des crayons, et aujourd’hui entièremen­t sur ordi. Il faut vivre avec son temps, et coller à une esthétique qui plaît aux enfants d’aujourd’hui. Moi, je n’ai pas peur de jouer cette carte-là. Et de mettre une tablette entre les pattes de T’choupi, par exemple.” Le bébé pingouin, né en 1992 sous le pinceau de Thierry Courtin, serait donc l’incarnatio­n d’une vedette pre-school 2.0 ? “Pas seulement. Il est plus moderne que les autres idoles des enfants, mais il est aussi plus grand. Il va à l’école. L’idée, c’est de faire des histoires plus compliquée­s que celles de la concurrenc­e, mais de viser large. C’est-àdire qu’on raconte des choses que seuls les gamins de 5 ans vont comprendre, mais en animant la série de façon à ce que leurs petits frères ou leurs petites soeurs puissent la suivre.” En revanche, pas question de faire exploser tous les codes du genre. Chez T’choupi comme chez Trotro, la transgress­ion est jouée piano : “La clé de la réussite d’une série pour les tout-petits à mon sens, c’est d’arriver à les mettre à l’aise avec leurs échecs et leurs bêtises. Les enfants ne sont pas fondamenta­lement méchants. Ils essaient juste d’atteindre leur but par tous les moyens possibles, et découvrent que certains ne sont pas bien vus. Dans T’choupi, si un enfant triche, il avoue tout de suite. Ce sont des oeuvres d’apprentiss­age, et les enfants recherchen­t ça. Il n’y a pas d’antihéros dans les séries pre-school.” Et heureuseme­nt, si l’on en croit Pierre Siracusa, responsabl­e des programmes jeunesse de France 5, principal diffuseur français du genre : “En fait, les parents passent un pacte tacite avec nous : on doit leur assurer qu’ils peuvent laisser leurs enfants tout seuls

“Nous avons consulté des pédo-psychiatre­s pour retrouver le public d’aujourd’hui. Donc Petit Ours Brun va déménager. Pas en ville hein, faut pas pousser ! ”

devant nos programmes. C’est une notion clé, qui est propre à la télé. Parce qu’on ne maîtrise pas le temps que va passer l’enfant devant l’écran. Ce n’est pas du cinéma. Ça veut par exemple dire qu’on ne va pas leur montrer des contes classiques. On sait depuis Bettelheim (auteur de Psychanaly­se des contes de fée) que l’enfant va aller puiser des choses structuran­tes dans la violence des contes. Sauf que ce sont les parents qui les lisent, et qui peuvent en discuter avec eux. Parce que ça fout la trouille. Si on fait une série Petit Poucet, et que l’enfant est seul devant l’écran au moment où il se fait abandonner dans la forêt par ses parents, c’est traumatisa­nt.” Une politique éditoriale d’autant plus valable, selon ce vieux routier de l’animation, que le public n’a jamais été aussi bien ciblé : “On sait exactement qui regarde nos programmes. Et je peux aussi vous dire que la tranche preschool cartonne. Notre émission, Les Zouzous, bat des records tous les trimestres. D’abord parce que les dessins animés sont mieux financés, mieux faits, plus proches des enfants, mais aussi à cause d’un autre phénomène : la fuite des plus de 8 ans. Avant, les enfants cessaient globalemen­t de regarder les programmes pour les petits au moment de l’entrée en sixième. Ils le faisaient encore un peu, mais de façon régressive. Maintenant, on situe ça au niveau de l’entrée au CM1. La multiplica­tion des écrans et les youtubeurs les détournent de nos programmes, et font monter mécaniquem­ent l’audience des pré-scolaires.” Un jeune public qui, de son côté, semble réclamer plus de séries similaires à celles des grands : “La grande révolution actuelle, à la télé, c’est l’arrivée des super-héros pour les tout-petits. Comme Sam-Sam ou Pyjamasque­s. Les créateurs transposen­t les codes des comics au monde de la petite enfance. Il n’y a pas de super-méchants, pas de violence, mais des déguisemen­ts et des super-pouvoirs. C’est un truc qui a été initié par Spider-Man, qui plaisait aux enfants de 3 ans alors qu’il ne leur était pas destiné.” Est-ce pour autant la fin du dessin animé classique en 2D pastel, avec doudou, papa et maman ? “Pas nécessaire­ment. Notre but est aussi de proposer une grande diversité d’oeuvres, et d’exploiter la curiosité de l’enfant tant qu’on peut le faire. À partir de 6 ans, avec l’entrée à l’école, l’enfant commence à suivre des modes, et devient finalement plus conservate­ur. Il regarde les Pokémon parce que tout le monde le fait, par exemple. C’est l’influence du marketing.” Peut-être, mais parce qu’on n’est jamais trop prudent, l’âne Trotro devrait songer à passer du régime Dukan à la fonte, et muscler son jeu pour durer.

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