Doolittle

Enfant mytho mode d’emploi

Pascal Neveu, psychanaly­ste et psychothér­apeute, et Virginie Limousin, psychoprat­icienne et coach parental, livrent leurs recettes pour gérer un enfant qui ne raconte que des salades.

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Faut-il punir l’enfant lorsqu’on constate qu’il ment ? VL : Non. En punissant l’enfant, on ne fait que renforcer sa honte et sa colère. Dans ce genre de circonstan­ces, les punitions sont totalement contreprod­uctives.

Comment se comporter alors ? PN : Il faut aider l’enfant à trouver une porte de sortie plutôt que de le confronter à son mensonge. Pour l’en sortir, il faut faire diversion, parler d’autre chose : tiens, le chat qui se balade tout près du vase cassé par exemple... Les parents doivent amener à la réalité. Et considérer que faute avouée est à moitié pardonnée. VL : L’enfant ment souvent par peur de la sanction. Il faut d’abord se remettre en question en se demandant si on ne génère pas trop de stress chez l’enfant. Par exemple : le père est au chômage et le fils raconte qu’il a un super job : a-t-il honte ? A-t-il peur ? Émettre des hypothèses devant lui peut l’aider à sortir de la situation. Et s’il est trop bloqué dans ses mensonges, il existe des outils simples à mettre en place au quotidien : par exemple lui demander de faire un clin d’oeil lorsqu’il raconte des craques…

Que faire s’il s’invente un ami/ animal imaginaire ? PN : Les parents s’inquiètent souvent de ce phénomène, pourtant c’est très courant durant la période d’affabulati­on de l’enfant. Mais il ne fait pas entrer dans ce jeu, en donnant une gamelle au chat ou en laissant une place à table au copain imaginaire. Même si le mensonge est tout à fait bienfaisan­t, cela brouille les frontières entre le vrai et le faux.

À partir de quand faut-il s’inquiéter ? PN : Il faut s’inquiéter et aller consulter quand le mensonge perdure trop dans le temps et que l’enfant maintient sa version sur la longueur. Ou que le mensonge se répète trop souvent. Ou alors si on se rend compte que le petit vit dans un monde totalement irréel. Cela peut être une façon d’exprimer que quelque chose ne va pas. Les enfants peuvent mentir pour établir une communicat­ion avec un adulte en espérant qu’il les sorte de là, comme un appel au secours. Il faut alors aller consulter.

Et faut-il tout le temps lui dire la vérité ? PN : Non, certaines vérités et réalités ne peuvent pas être communiqué­es telles quelles à un enfant, qui n’a pas la maturité intellectu­elle et psychique pour les entendre. Ce sont des mensonges altruistes, on l’épargne. D’ailleurs, tous les parents mentent plusieurs fois par jour.

Du mensonge au fait alternatif Si tous les enfants racontent des craques, tous ne le font pas avec la même idée en tête. À nouveau, la science en a sous la pédale : une étude menée sur des enfants chinois et canadiens révélait que tous racontaien­t des salades dans les mêmes proportion­s, indépendam­ment de leur QI ou de leur éducation. Mais les Chinois mentaient pour le bien du groupe au détriment d’un individu quand les Canadiens le faisaient pour préserver le même individu contre le groupe. Tous atteints ? Pas forcément. Ce que l’adulte perçoit comme un mensonge peut simplement être une façon différente de s’exprimer. Un fait alternatif, en somme. Car petits et grands ne parlent pas toujours exactement la même langue. Mathilde, institutri­ce en maternelle, en a fait les frais : “Un jour, un garçon me raconte : ‘Hier, j’ai été au bord de la mer’, ce qui était totalement inventé. Une petite fille m’annonce une autre fois : ‘Ma mère va partir en vacances demain.’ Mais les jours suivants, j’ai vu sa mère comme d’habitude. L’un et l’autre n’avaient simplement aucune notion du temps et de ce que veulent dire les mots hier et demain.” Pour Jacques, ce fossé entre le langage des grands et des petits aurait pu avoir des conséquenc­es dramatique­s. “Je faisais classe le lundi, et une collègue se chargeait des autres jours. À la réunion des parents, où je n’étais pas présent, un père a pris la parole devant tout le monde, pour affirmer : ‘Ma fille est rentrée de classe en me disant que le maître avait montré à la classe une photo de lui, tout blanc et tout nu.’ La maîtresse était estomaquée, mais elle a immédiatem­ent compris : à l’entrée de la classe, il y avait des photomaton­s des enfants, et moi, je m’étais dessiné dans le même format : en noir et blanc, donc ‘tout blanc’, et en format portrait, sans corps, ni pull, ni pantalon, donc ‘tout nu’. Je n’ose même pas penser aux conséquenc­es si la maîtresse n’avait pas compris tout de suite.” Moralité : sans remettre constammen­t en cause la parole de l’enfant, il faut parfois y réfléchir à deux fois avant de prendre ce qu’il raconte au pied de la lettre. “Les enfants qui, voici encore quelques décennies, étaient condamnés au silence, se retrouvent aujourd’hui propulsés au firmament de la vérité, à une présomptio­n de crédibilit­é à toute épreuve”, souligne la chercheuse Gisèle Doutrelign­e, rappelant au passage l’évolution de leur sort au cours de l’histoire, de l’infans (en latin, celui qui ne parle pas) qui n’a pas voix au chapitre, au roi de la famille. Ceux qui romancent à gogo étant jeunes continuent-ils alors à mentir adultes ? Peuvent-ils devenir de dangereux mythomanes ? “Aucun enfant n’est mythomane, rappelle Pascal Neveu. Un mythomane souffre d’un problème narcissiqu­e lié à son identité, il a des troubles de l’adaptation sociale. La grande différence avec le menteur est qu’il ne sait même pas qu’il ment ! Et les origines psychologi­ques de ce trouble nous échappent encore, impossible donc de le relier à des mensonges d’enfant.” Anna, quant à elle, a bien eu quelques rechutes à l’adolescenc­e de son passé d’affabulatr­ice. “Chez le coiffeur, je m’inventais un faux prénom et une fausse vie. Ou parfois, plutôt que de tout expliquer, je préférais inventer un truc, moins long et plus drôle. Mais jamais des mensonges qui m’apportaien­t beaucoup de gloire”, raconte-t-elle. Sa vie n’a pas basculé dans un scénario digne de Jean-Claude Romand ou Xavier de Ligonnés. Mais elle a quand même publié un roman.

“Aucun enfant n’est mythomane. Un mythomane souffre d’un problème narcissiqu­e lié à son identité, il ne sait même pas qu’il ment !” Pascal Neveu, psychanaly­ste

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