“Le sport n’est jamais éducatif en soi”
Secrétaire de la société française d’histoire du sport et maître de conférences à l’ENS Rennes, Jean-Nicolas Renaud a étudié les apports éducatifs des sports de combat.
Pourquoi les sports de combat plaisent tant ?
Je vais parler du judo, l’une des fédérations majeures à l’heure actuelle avec un peu plus de 500 000 licenciés en France. Son succès tient d’abord à la croyance qui lui est associée : le sport a des vertus, mais des vertus qui s’enseignent. Dès les années 1960, le judo a eu une démarche pédagogique, avec une progression dans l’apprentissage des techniques et une prise en compte de l’enfant. Ensuite, il s’agit d’une pratique fatigante. Pour les enfants trop vivants, cela permet aux parents d’avoir une visibilité de leur calme après la pratique. Dans les sports de combat, on éprouve aussi la notion de relation à l’extérieur : toute cause a un effet. Si l’enfant fait mal à quelqu’un, il ne peut plus jouer avec lui, et vice versa. Donc il comprend qu’il faut prendre soin de l’autre. Enfin, un kimono peut avoir un côté très dépaysant. Un judogi enlève presque tous les stigmates sociaux préalables. Lorsque tout le monde se ressemble, le sentiment d’égalité peut apparaître de manière plus prégnante chez l’enfant.
Pour les enfants timides, il s’agit aussi d’un moyen de gagner en confiance.
Sur le plan de l’apprentissage, c’est ce que l’on appelle “apprendre par corps”. Le corps nous oblige à aller vers l’autre, par-delà une relation sociale directement liée à la parole. La ritualisation de la pratique des sports de combat leur permet d’être éducatifs tout en étant d’apparence violente. La ritualisation de l’affrontement assure la sécurité. En judo, l’enfant peut taper au sol quand il sent que ça ne va pas. Il y a toujours des codifications qui lui permettent d’aller jusqu’à ses limites, de les explorer, d’aller chercher l’inconnu en terrain connu.
Comment apprendre de tels sports aux enfants ?
Avant de faire des combats, les enfants font des assauts. C’est du jeu à thème, de la touche. D’un point de vue pédagogique, on va tronquer l’affrontement direct l’un contre l’autre pour donner un thème à l’un et un thème à l’autre. Une manière d’éviter l’affrontement frontal, que les enfants se blessent, qu’ils se cognent. Les deux combattants peuvent gagner, remplir leurs contrats, avoir le sentiment de victoire.
Les sports de combat rendent-ils les enfants moins agressifs ?
Le sport ne fait rien. Le sport n’est jamais éducatif en soi. C’est l’entraîneur, par le discours entretenu, qui rend sa pratique physique éducative ou non. Certaines personnes pratiquent un art martial avec des règles très précises, mais ne se préoccupent pas du respect de l’adversaire, au-delà de la ritualisation. Si on n’explique pas ce que signifie le geste de saluer son adversaire, cela ne sert à rien. Respecter l’autre est une manière d’être respecté en retour plus tard. C’est être capable de discuter plutôt que de se frapper. S’il n’y a pas ce discours derrière, ce n’est que de la forme. Le fond de l’individu ne va pas bouger.
Pourquoi les enfants abandonnentils régulièrement les sports de combat une fois arrivés à l’adolescence ?
Cela relève de la sociabilité sportive. Beaucoup d’enfants apprennent un sport de combat avec un enseignant. Ils ont développé un rapport à la pratique avec cet enseignant-là. Quand ils arrivent vers douze ans, ils doivent aller au collège, et doivent souvent changer de club. Ils ne vont pas forcément retrouver la même culture, cela va faire un premier point de friction. Le deuxième point, ce sont les parents. Beaucoup disent à leurs enfants : “Tu vas faire du judo, ça va te calmer.” Mais la parole des parents se fait moins prégnante lors de la préadolescence et de l’adolescence. Enfin, l’apprentissage des sports de combat peut être long par rapport à certaines disciplines du moment, comme le kite-surf ou le roller. Le plus dur, je pense, c’est de tenir jusqu’à ses seize, dix-sept ans.