Doolittle

Alerte aux voleurs de pousse es

Elle vous suit partout, ou presque. Le matin, le soir, le week-end, pendant les vacances. Votre pousse e est votre plus fidèle alliée. Jusqu’au moment où elle finit par disparaîtr­e… Depuis quelques années, en effet, les vols de pousse es, de plus en plus

- texte Lucas Minisini & Louis Chahuneau illustrati­ons Marie Doazan

Elle vous suit partout, ou presque. Le matin, le soir, le week-end, pendant les vacances. Votre poussette est votre plus fidèle alliée. Jusqu’au moment où elle finit par disparaîtr­e… Depuis quelques années, en effet, les vols de poussettes, de plus en plus chères, se multiplien­t. Jusqu’à devenir un véritable filon pour les malfrats. Enquête.

C’est déjà l’heure de partir. Capucine agrippe fermement Jeanne, sa fille de 16 mois, dans ses bras et claque sa porte d’entrée d’un coup de talon. Le geste est maîtrisé. Quelques étages à descendre. Rez-de-chaussée. Digicode. Mais juste avant de passer la porte de son immeuble du 9e arrondisse­ment de Paris, un dernier détour. Vers le local à poussettes. Elle s’engouffre à l’intérieur après un simple tour de clé. Mais réalise rapidement que quelque chose cloche. “Les poussettes de mes voisins étaient là, mais la mienne avait disparu”, revit la jeune maman. La sienne, c’est une poussette Yoyo de la marque Babyzen, achetée 400 euros pour la naissance de son bébé en 2015. Un sacré investisse­ment, mais Capucine n’y avait pas réfléchi à deux fois. “Elle était extrêmemen­t petite, elle se glissait partout. Même dans le bus !” expliquet-elle. En plus, c’était une poussette “un peu à la mode”. Capucine savait que ce type d’engin est convoité, mais jamais elle n’a imaginé le voir se volatilise­r. Elle souffle : “J’étais frustrée, énervée, et surtout je ne savais même pas vers qui je pouvais me tourner.” Alors, elle décide de régler le problème toute seule. Capucine s’installe devant son ordinateur, et ouvre une page leboncoin. Les petites annonces pour des poussettes Yoyo pullulent. Certaines sont même un peu étranges : des offres de “location” à la journée, des prix cassés par rapport au marché. La maman devenue enquêtrice croit même y trouver des indices. “Une photo ressemblai­t étrangemen­t à la mienne, alors j’ai donné rendez-vous à la personne qui vendait, pour voir.” Elle respire : “Ça n’a rien donné.” Ses recherches patinent. Elle se résigne à remplacer la belle Yoyo par une marque inconnue, une sorte de porte-bébé sur roues, “pourri” de son propre aveu. Mais Capucine a quand même un semblant de piste malgré tout. “Peut-être que c’est un gang, je ne sais pas.” “Gang.” Le mot fait frémir, mais

l’intuition de Capucine était la bonne. C’était en septembre dernier : trois femmes – dont une mineure – et un homme sont interpellé­s après une opération des forces de l’ordre entre les départemen­ts de l’Essonne et de la Seine-Saint-Denis. Chez eux, la police ramasse 14 000 euros en liquide, et plusieurs armes à feu. Mais aussi des dizaines de poussettes. En quelques mois, la revente de poussettes, souvent de marque, leur avait même permis d’amasser un peu plus de 100 000 euros. La méthode était bien rodée. Agnès Thibault-Lecuivre, vice-procureur du Palais de justice de Paris, raconte : “Une des femmes faisait croire qu’elle venait chercher son enfant à la crèche, et en profitait pour repartir avec une poussette comme si de rien n’était.” Les halls d’immeubles étaient eux aussi ciblés, malgré les codes à l’entrée et même parfois les caméras de surveillan­ce braquées sur les épaisses portes, comme chez Capucine. Les bandits assuraient eux-mêmes la revente. Pour ça, ils s’inscrivaie­nt sur des sites d’achat de particulie­rs à particulie­rs type leboncoin. Les clients affluaient. Normal : en magasins, les mêmes poussettes neuves avoisinent les 400 euros, et peuvent même monter à 600, voire 1000 euros pour certaines marques… Sur leboncoin, pour 100 euros, on avait même une belle affaire.

Eurodisney, terrain d’action privilégié

“Une des femmes faisait croire qu’elle venait chercher son enfant à la crèche, et en profitait pour repartir avec une pousse e comme si de rien n’était.” Agnès Thibault-Lecuivre, vice-procureur du Palais de justice de Paris, à propos d'un gang de voleurs démantelé fin 2016

Combien de poussettes disparaiss­ent chaque année en France ? Personne ne le sait. Aucune statistiqu­e, aucun début d’analyse même. Tout ce que l’on sait vient d’Angleterre où pendant la seule année 2012, ce sont 345 000 poussettes qui se sont volatilisé­es. Montant du préjudice : 85 millions d’euros. En France, les chiffres sont sans doute semblables. Me Chauveaux le sait mieux que d’autres. Avocat au barreau de Reims, il plaidait en 2014 dans ce qui est devenu avec le temps la première véritable affaire de vol de poussettes. “Vu l’organisati­on, il était très difficile de repérer des traces pour remonter à la source de ces disparitio­ns.” Cela a pris huit mois. Leur terrain de vol privilégié : Disneyland Paris. Un couple et une belle-soeur détenaient un pass annuel pour profiter des attraction­s du parc. Mais eux ne se lançaient même pas dans les files des attraction­s. Ils patientaie­nt tranquille­ment jusqu’à ce que des parents garent la poussette de leur bébé le temps d’un tour de manège. Ensuite, tout allait très vite. “L’une des femmes s’emparait du landau et allait le stocker dans le coffre d’une voiture située sur le parking. Et elle enchaînait les trajets de ce type. En l’espace d’une journée, c’était une dizaine de poussettes qui finissaien­t à l’arrière du véhicule”, énumère l’avocat. Sans jamais être inquiété, le trio va dérober environ 70 poussettes en l’espace de quelques mois. Tout était presque trop facile. “Ils étaient novateurs dans le schéma criminel”, avoue Me Chauveaux. Mais en 2014, les sites comme leboncoin explosent, attirant des dizaines de milliers de visiteurs uniques chaque jour. Les ventes se multiplien­t – 30 000 euros de profit – avant le couac. Un client a besoin d’une nouvelle poussette. La sienne a disparu quelques mois plus tôt, à Disneyland Paris justement. Pas grave. Il furète sur leboncoin, et déniche un engin de la même marque. Profitant de l’aubaine, il donne rendezvous au vendeur. Souci, il connaît trop bien le produit. La couleur, les petites éraflures sur la structure aussi, il les a déjà observées des dizaines de fois. En fait, il est face à sa poussette disparue, il en est sûr et certain. “Il s’est dit : ‘Je ne vais quand même pas racheter ma propre

poussette’”, rejoue l’avocat de la défense. Donc, il file au poste de police, et les recoupemen­ts commencent. Les forces de l’ordre découvrent alors plusieurs ventes frauduleus­es. Des transactio­ns qui n’ont pas lieu, ou encore des descriptio­ns mensongère­s. Elles étudient les lieux de vente, le détail des offres, et plongent dans les archives de plaintes déposées. Pour les familles qui se constituen­t partie civile, chaque vol était “une belle journée qui se terminait en cauchemar”, résume Me Chauveaux. Résultat : les trois personnes sont condamnées à 10, 8 et 5 mois de prison avec sursis. Pourtant, dans la plupart des cas de vol de poussettes, difficile d’obtenir réparation, et justice. “Je me suis sentie seule.” C’est Maimiti qui se confie. Cette maman qui bosse dans les relations publiques s’est retrouvée sans poussette il y a quelques mois. “Tout le monde s’en fout. Personne ne s’en occupe”, dit-elle. Quand Maimiti a appelé son assurance, les réponses sont restées très évasives. “Ils ont dû se dire : ‘La nana veut juste se racheter une poussette neuve’”, regrette-t-elle. Pour la MAIF par exemple, on blâme les parents qui ne remplissen­t pas correcteme­nt l’inventaire de leurs biens. Une conseillèr­e détaille : “C’est toujours à nous de les prévenir qu’il vaut mieux inclure leur poussette dans la valeur mobilière.” Du côté de la police, c’est souvent ausaussi la même histoire. Quand sa poussette Yoyo a disparu, Laurianne n’a même papas été reçue par un agent, mais par le ssecrétari­at du commissari­at. “C’était archarchi-express, on ne m’a même pas aassise, on m’a demandé ma signature susur un bout de table, c’est limite moi qqui ai dû sortir un stylo. On m’avait promis un entretien avec un agent, et au final on m’a mise à la porte. On mm’a juste dit ‘Restez joignable.’ Mais pour qquoi faire ?” insiste-t-elle auprès de soson interlocut­rice, visiblemen­t occupée. “OnO ne sait jamais, restez joignable”, s’entend-selle répondre. Bon. Elle traquertra­quera son bien sur leboncoin. Sans succèssucc­ès. De toute façon, les platesform­esformes de rerevente en ligne se défaussent de toute responsabi­lité dans ce type d’affaired’affaires. Sur leboncoin, leader françaifra­nçais du marché de l’occasion, ce sont 8850 000 offres qui se côtoient dandans la catégorie “équipement­s poupour bébé”. Mais la direction asassure ne pas avoir “constaté dde hausse particuliè­re sur les ventes de poussettes dd’occasion récemment”. Me Chauveaux insiste pourtant sur le fait que ce sont sur ces plates-formes que les marchandis­es liées à l’enfance trouvent le plus preneur. “Tout se vend comme des petits pains”, rappellet-il. Leboncoin n’a qu’une unique recommanda­tion : “Nous conseillon­s aux utilisateu­rs de signaler l’annonce à notre service client pour qu’il fasse le nécessaire et la supprime rapidement.” Inefficace à en croire plusieurs parents. Qui en veulent aussi aux crèches, les premières cibles pour subtiliser des poussettes. Laurianne s’insurge : “Quand on va au Carrefour, nos sacs sont fouillés, mais à la crèche, que dalle. En plein plan Vigipirate en plus !”

Faire justice soi-même

Alors les parents contre-attaquent. Malgré toutes les déceptions et les faux espoirs, tous s’organisent pour empêcher le rapt de leur bel objet. Premier accessoire : un cadenas solidement arrimé aux pieds de la poussette. Les magasins spécialisé­s en proposent maintenant de différents modèles, similaires à un antivol pour vélo. Certaines poussettes détiennent aussi leur propre numéro de série, comme une plaque d’immatricul­ation qui pourrait empêcher le recel illégal. À condition de le noter quelque part. “Avec

“Tout le monde s’en fout. Personne ne s’en occupe. Mon assurance a dû se dire : ‘La nana veut juste se racheter une pousse e neuve’.” Maimiti, victime d'un vol de poussette

mon mari, nous avions oublié de le relever”, regrette amèrement Laurianne. Certaines familles optent alors pour des procédés plus créatifs. Des parents confient sur des forums avoir dissimulé des traceurs GPS. Ils découpent une ouverture discrète dans le tissu de l’engin, avant d’y placer la puce qui leur permettra de le traquer en cas de pépin. Malgré toutes ces précaution­s, personne n’est totalement rassuré. Maimiti vérifie chaque soir que son gros cadenas enserre bien les pieds de sa nouvelle poussette. Sans trop oser y croire non plus. “La dernière fois, soit des gens ont ouvert aux voleurs, soit ils sont passés par les chambres de bonne. Donc ce n’est pas mon cadenas qui va les arrêter”, se résigne-t-elle. Puisque rien ne freine les escrocs, des parents prennent parfois les choses en main eux-mêmes. Comme des justiciers. Loïc partait se balader un dimanche matin de juin 2016, mais dans le hall de son immeuble, sa poussette s’était envolée. Il se rue sur leboncoin, et passe en revue les dernières annonces postées. “J’en ai vu une vendue à 150 euros, même couleur que la mienne, même marque. C’étaittait étrange, donc jj’aiai fait une capture d’écran de l’annonce, et surtout du numéro de téléphone inscrit dessus”, replacelac­e Loïc. Bon réflexe car une demi-heureeure plus tard, l’annonce n’est plus visiblesib­le – la poussette ayant très probableme­ntement trouvé un acheteur à la rechercheh­e de la bonne affaire. Loïc empoigne sonon smartphone, et commence à composer le fameux numéro. C’est à cet instant qu’il réalise qu’il a déjà aperçu cette même enfilade de chiffres. Pas plus tard que la veille en fait. Un livreur de courses leur avait passé un coup de fil pour qu’on vienne lui ouvrir la porte. Sans perdre une seconde, Loïc appelle son père – un gendarme – et tous les deux mettent à exécution le plan qu’ils ont déjà en tête. “Mon père lui a mis un gros coup de pression au téléphone. Il lui a expliqué les choses clairement : si on le dénonçait, il aurait perdu son boulot, tout ça pour une poussette”, décortique le jeune papa. Le voleur-livreur ne nie pas. Loin de là. “Il nous a proposé de nous la ramener dans un sac, juste devant notre porte”, sourit Loïc, en se remémorant son soulagemen­t. Le lendemain, c’est chose faite. Il n’a même pas oublié le petit skate qui était fixé sous le siège. Loïc part d’un grand rire : “Je suis un héros des vols de poussettes !” En juillet, il a tout de même décidé d’investir dans un cadenas.

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