A ention, les méchants sont de retour !
Il n’y a pas de bonne histoire sans bons méchants. Et les éditeurs d’albums de jeunesse en sont de plus en plus conscients. Ainsi, dans les rayons des librairies, ne cessent de débarquer de nouveaux méchants bien décidés à effrayer les enfants, tout en le
Li érature jeunesse : Il n’y a pas de bonne histoire sans bons méchants. Et les éditeurs d’albums de jeunesse en sont de plus en plus conscients. Ainsi, dans les rayons des librairies, ne cessent de débarquer de nouveaux méchants, bien décidés à effrayer les enfants, tout en les amusant, tout en les effrayant quand même…
Ilssont partout : dans la rue, au fond des placards, derrière les portes ou sous les lavabos. Monstres à capuche ou à chaussettes, loups boulimiques ou simples anti-héros façon Till L’Espiègle, les méchants trustent les rayonnages de littérature de jeunesse comme jamais auparavant. Pourquoi ? Tout simplement parce que, comme le dit Thierry Magnier, directeur des éditions Actes Sud Junior, “les méchants sont les vrais héros des histoires. Et tout le monde en est conscient maintenant. Alors on en voit partout.” Mais surnombre oblige, les bad guys d’aujourd’hui se diversifient pour faire leur trou. Quitte à y perdre un peu de dignité : “Ils évoluent. On s’amuse à les mettre dans des situations contemporaines ou à les castrer complètement. Certains sont gentils, d’autres sont juste pathétiques.. Nous avons un livre qui s’appelle Un Chaperon rouge, de Marjolaine Leray, dans lequel la fillette tient tête à un vieux loup parce qu’il a mauvaise haleine. Elle lui donne même un bonbon au poison. C’est un truc qu’on retrouve aussi dans Les Monstres malades, d’Emmanuelle Houdard. On met l’enfant en situation de force de plus en plus fréquemment.” Le but ? Soigner la peur. Ou dans certains cas, apprendre aux enfants à découvrir leur propre ambiguïté : “Dans Mes Amis monstres, qui sort tout juste, une petite fille se déguise elle-même en monstre pour les effrayer. L’idée, c’est de grandir en apprenant à vivre avec ses démons intérieurs. Donc ses névroses.” Éditeur
“On s’amuse à me re les méchants dans des situations contemporaines ou à les castrer complètement. Certains sont gentils, d’autres sont juste pathétiques.” Thierry Magnier, directeur d'édition
à L’École des loisirs, mais aussi et surtout auteur de plusieurs classiques du genre, Grégoire Solotareff abonde : “Moi, j’aime beaucoup les livres d’Alex Sanders, qui ridiculisent complètement le loup. Il y a des auteurs qui préfèrent briser la peur et le méchant plutôt que de les magnifier. On va plutôt vers ça.” À rebours, donc, de ce qui se trame au cinéma : “Je vois de plus en plus de films avec des méchants absolument terrifiants. Comme des morts-vivants. Ils sont interdits aux moins de douze ans, mais les enfants y sont exposés. Notre société est violente, de plus en plus compliquée à expliquer, alors on a tendance à édulcorer les choses dans les livres. Il ne s’agit pas non plus de leur dire que la vie est rose, hein. Mais il y a une limite.” Des méchants très gentils ? Les méchants pullulent donc parce qu’ils font moins peur ? Pas nécessairement : “Dans À l’Intérieur des méchants, notre livre à flaps qui permet aux enfants de fouiller dans les affreux, on perpétue une certaine tradition, raconte Angèle Cambournac, éditrice chez Seuil Jeunesse. La tendance contemporaine va plutôt à la désacralisation, et on s’y soumet un peu, notre sorcière a des culottes bouffantes par exemple. Mais dans les textes et certains détails visuels, on fait appel aux vrais grands méchants des premiers contes.” Soit les ogres et les loups qui faisaient déjà régner la terreur il y a plus de trois cents ans chez Charles Perrault. Des superstars maltraitées, mais toujours en tête d’affiche : “On est un peu coincés avec eux. Ce sont finalement des figures très rassurantes. Les gens qui se sentent un peu perdus dans le paysage gigantesque de cette littérature vont aller spontanément vers eux pour écrire ou acheter un livre.” Alors, si certains méchants ont réussi à bousculer la hiérarchie pour se faire une place dans l’ombre des chambres d’enfants – comme le Grinch ou Voldemort – la plupart des candidats restent à la porte. “C’est dur d’imposer de nouvelles figures de méchants. La force des anciens, c’est justement d’avoir su traverser les siècles. Alors bien sûr, il y a le monstre. Mais c’est un truc un peu protéiforme, qui change d’allure selon les livres. Et surtout, il est souvent mignon. Moitié méchant, moitié doudou, comme dans Le Gruffalo ou Le Monstre du placard existe et je vais vous le prouver, qui vient de sortir.” Spécialiste du sujet et maîtresse de conférence à l’université Paris 13, Mathilde Lévêque avance une théorie pour expliquer l’hégémonie de la bande du loup. Du moins dans l’Hexagone : “Il faut savoir qu’en France, on a fait passer une loi en 1949 destinée à protéger la jeunesse de la mauvaise influence des BD américaines. Elle interdit notamment de faire l’apologie de la paresse, du banditisme ou du vol.” Toujours en vigueur mais jamais
“Les vrais nouveaux méchants sont plus des sujets de société, comme la surconsommation, la pollution ou l’argent...” Angèle Cambournac, éditrice chez Seuil Jeunesse
observée à la lettre, cette loi de contrôle des publications aurait en son temps considérablement freiné l’essor des génies du mal : “C’était surtout flagrant dans les années 50-60. Les méchants du Club des 5 ou de Fantômette étaient gentillets, et on censurait même Fifi Brindacier ! Il existe une lettre d’un éditeur qui se demandait si elle ne faisait pas un peu trop blouson noir… Finalement, les loups et les sorcières étaient quasiment les seuls, du côté des petits, à porter le flambeau de la méchanceté pure.” Jusqu’à l’apparition des charognes post-modernes, qui font de la figure du méchant un nouveau terrain de jeu : “Je dirais que depuis Shrek, au cinéma, on a changé de regard. Maintenant, les méchants ont parfois le premier rôle. Ça crée de l’humour, mais ça permet aussi de réinventer le genre en sortant d’un certain manichéisme.”
Des méchants d’une nouvelle forme
Sauf quand, bien sûr, les démons en question n’ont ni crocs ni tentacules : “Finalement, ajoute Angèle Cambournac, les vrais nouveaux méchants sont plus des sujets de société, aujourd’hui. Des choses qu’on érige en nouveaux prédateurs, comme la surconsommation, la pollution ou l’argent. Je pense d’ailleurs ce livre