Magri Charlo e
“Il ne suffit pas d’aimer ses élèves pour que ça marche... ”
Enseignante dans les quartiers nord de Marseille, Charlotte Magri s’est fait connaître fin 2015 en dénonçant l’état de délabrement de son école primaire. Sa lettre cinglante, Je nous accuse, relayée par la presse, avait permis de mettre au jour la situation dramatique de certains établissements marseillais. Quelques mois plus tard, la jeune femme a jeté l’éponge et démissionné, juste avant la parution en septembre d’un livre intitulé Lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale (Stock), adressé à Najat VallaudBelkacem. “De toute façon, je comptais partir, j’étais proche du burn-out, raconte-t-elle. Je n’ai pas agi en pensant provoquer une médiatisation nationale, mais il fallait que je fasse quelque chose parce que ça me rendait malade.” Pour elle, la question de l’état de délabrement des écoles, bien qu’importante, n’est que la face émergée de l’iceberg. “Je me doutais bien que c’était ce qui allait être retenu, parce que cela peut se mettre en images. Mais depuis plusieurs années déjà, je constatais que les valeurs qui m’avaient amenée vers l’enseignement ne parvenaient pas à trouver leur réalité dans l’institution. Le problème, ce n’est pas seulement qu’il fasse froid dans une classe. Le problème, c’est l’inégalité de traitement.”
L’autorité, c’est quoi ?
Si à Marseille, le ministère a vite renvoyé la balle à la municipalité, responsable des bâtiments scolaires, pour Charlotte Magri, c’est bien à l’État de s’interroger sur l’écart entre discours et réalité. Difficile d’apprendre à vivre ensemble et développer des compétences citoyennes quand la République bafoue ses propres valeurs : liberté, égalité, fraternité... Aujourd’hui, l’ex-institutrice poursuit ses réflexions en dehors de l’institution, en lien avec des associations, notamment dans le domaine de l’éducation populaire. Elle écrit, prépare un roman, et a aussi un projet d’essai sur le système éducatif. Elle se sent solidaire de tous ceux qui essaient de faire bouger l’école, notamment Céline Alvarez. “Elle amène les enseignants à s’interroger sur leurs pratiques, c’est salvateur. Même si je suis dérangée par le côté ‘All you need is love !’ La plupart des jeunes enseignants qui arrivent sont favorables à une éducation bienveillante, mais ne comprennent pas pourquoi c’est le bazar dans leur classe. Il ne suffit pas d’aimer les élèves pour que ça marche.” Pour Charlotte Magri, il faut redéfinir le rôle de l’enseignant et surtout réfléchir à la question centrale de l’autorité, “qui ne va pas de soi dans notre société”. En attendant, à Marseille, les choses se sont un peu améliorées, quelques réparations ont été effectuées dans les écoles des quartiers nord. “Mais le chantier est toujours ouvert”, reconnaît Charlotte Magri. Passé le coup de projecteur médiatique, la vie a repris tristement son cours. En janvier, enseignants et parents d’élèves ont bloqué l’entrée d’une école maternelle pour dénoncer l’absence de chauffage en pleine période de grand froid. Dans l’indifférence quasi générale.