Doolittle

Faut-il les laisser jouer au docteur ?

On n'est jamais vraiment prêt. Et pourtant, souvent, cela finit par arriver. Alors, comment réagir quand on trouve sa petite fille nue avec un petit garçon dans la salle de bain, ou quand la maîtresse vient vous dire que votre enfant passe beaucoup trop d

- Texte Amanda Rubinstein illustrati­ons Julia Lamoureux

Comment réagir quand on trouve sa petite fille nue avec un petit garçon dans la salle de bain, ou quand la maîtresse vient vous dire que votre enfant passe beaucoup trop de temps aux toilettes avec ses camarades ? Tentative de réponse.

J’avais 5 ans, il faisait beau et chaud, c’étaient les vacances. Une camarade m’a invité à son anniversai­re. Nous étions nus dans sa chambre, l’un en face de l’autre. Et là, nos mères sont rentrées.” Les souvenirs de Victor sont à la fois vagues et très précis. “Comme un rêve”, dit-il. Il se souvient de sa gêne. Et de celle de sa mère. Il se souvient aussi qu'il n'y eut ni réprimande ni punition. On encouragea simplement Victor et sa camarade à rejoindre les autres enfants dans le jardin pour se dégourdir. “Ce jour-là, pour la première fois de ma vie, j’ai entendu l’expression ‘jeu du docteur'. C’est ma mère qui l’a prononcée. Et elle a résonné en moi pendant longtemps.” Car, jouer au docteur, pour les fillettes et les garçonnets, ce n'est pas seulement enfiler la panoplie d'infirmière Dream Land ou titiller Dr Maboul. C'est toucher, palper, observer, explorer le corps de l'autre. Alors, que faire dans ces moments-là ? Quels sont les mots à dire à un enfant qui touche les fesses de son petit camarade ? À un pré-adolescent qui se frotte contre sa co-équipière lors de cache-cache nocturnes ? Comment s'y prendre face à des petites filles qui obligent leurs camarades à leur montrer leurs seins naissants ? Sur le sujet, évidemment, les avis divergent.

Dans les toilettes de l’école

Tout commence vraiment avec l'entrée à l'école. La période est riche en découverte­s, les petites culottes et les slips remplacent les couches. Isabelle est ATSEM, représenta­nte du collectif des ATSEM de France, et mère de 4 enfants. “On a les enfants en charge plus de temps que les enseignant­s, du matin garderie jusqu’au soir garderie en passant par la cantine, la sieste, et bien souvent, notre avis est très important”, explique-t-elle. Les ATSEM accompagne­nt les enfants dans les moments les plus intimes. Elles les changent, les douchent, les déshabille­nt pour la sieste. Ce sont elles aussi qui emmènent les plus petits faire leurs besoins. “On a une grande proximité avec les enfants. Le passage aux toilettes, c’est un moment où les enfants apprennent à se connaître et on les voit se découvrir. C’est mixte. Souvent, il y a un petit côté pour les filles, mais en principe, c’est ouvert. Les grands se regardent moins, mais les petits... Ils vont avoir des regards différents, il y en a qui vont rire un peu gênés, d’autres qui vont regarder curieuseme­nt, il y en a qui arrivent même à toucher, tapoter les fesses, ça arrive.” Parfois, ils sont plusieurs. “Généraleme­nt, ça commence par un petit groupe d’enfants qui jouent et ça finit par s’étendre à toute la cour”, dit-elle. Alors comment réagit Isabelle ? “Pour moi, c’est normal de ne rien dire aux enfants. Si je vois un enfant qui fait quelque chose de dérangeant, je lui dirai discrèteme­nt, tu peux faire ça, pas en public. Mais c’est rare.” Isabelle évoque cette petite fille qui, pour s'endormir, prenait son doudou et le mettait entre ses jambes. À chaque sieste, elle faisait des soupirs de contenteme­nt qui dérangeaie­nt les autres enfants. Isabelle a dû lui dire de faire moins de bruit, mais ne l'a pas brimée. C'était son rituel, elle prenait du plaisir en faisant ça. Alors, pourquoi, au fond, l'en empêcher ? Isabelle ne pense pas qu'il faille remettre en cause la mixité des toilettes en maternelle ou empêcher les caresses et les jeux enfantins. Elle est plus choquée par l'attitude de cette enseignant­e, qui récemment interdisai­t aux enfants de s'embrasser à l'école. “Ça m’a choqué, parce que quand on prépare le concours d’ATSEM, on nous dit qu’on ne doit pas stigmatise­r les enfants ou leur dire que c’est mal. Car ce comporteme­nt fait partie du développem­ent normal du petit enfant. L’enseignant­e qui empêchait les enfants de s’embrasser, je trouve que c’est dommage, l’enfant va penser que ce n’est pas bien, que ce n’est pas beau de s’embrasser…”

Masque africain et brumisateu­r

Stéphanie Mouclier, responsabl­e du programme éducatif de l'associatio­n Stop aux violences sexuelles, n'est pas tout à fait du même avis. “C’est schizophrè­ne, ce que l’on impose aux enfants. Quand ils sont petits, ils s’embrassent sur la bouche, on leur dit ‘oh regarde comme c'est mignon ils sont amoureux' et ensuite on leur dit que c’est interdit!” Stéphanie Mouclier a aussi un problème avec les toilettes collective­s. “Là, c’est l’éducation à la pudeur qui explose, les pissotière­s les unes à côté des autres, c’est catastroph­ique... Quand les enfants commencent à se tripoter, à aller voir chez l’autre, il y a une intrusion de l’intimité qui est grave. L’enfant naturellem­ent n’a pas de limites. Il faut les lui poser. Cela peut se passer très simplement en lui posant la question. Est-ce que tu trouves normal de faire cela ? Est-ce que tu es à l’aise avec ce que tu es en train de faire ou ce qu’on te

“On avait tout un petit rituel. D'abord, je lui mettais sur le torse du brumisateu­r, et j'avais des cotons que je passais sur ses seins à peine naissants, sur l'aréole, sur les tétons.” Anaïs

fait ? Ça, l’enfant va pouvoir le dire.” La présidente de l'associatio­n Stop aux violences sexuelles, Violaine Trajen, gynécologu­e et endocrinol­ogue, ne dit pas autrement. “Un enfant, tant qu’il n’est pas pubère, n’a pas de mouvements hormonaux, n’a pas de rythme biologique en rapport avec une sexualité. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un enfant qui touche son sexe, ou va toucher le sexe d’un autre enfant, il va le faire comme il irait toucher ses cheveux, sa main ou autre chose, sans avoir la conscience d’une sexualité. On a beaucoup de travail à faire dans notre pays, suite en particulie­r aux années 1968-1970, parce qu’on est encore en train de poser des mots qui ne sont pas justes, et de laisser faire des choses qui ne sont pas bien...” Au fil des années, le jeu du docteur se perfection­ne. Mickael se souvient : “Je devais avoir 10-11 ans, mon meilleur pote était en internat. Il avait accès à beaucoup plus d’informatio­ns sur le sexe que moi. On était tous les deux dans un état d’excitation hétérosexu­elle, mais on ne savait pas quoi faire. On cherchait un orifice quelque part, ma mère avait une espèce de masque africain… Je sais pas comment, mais de fil en aiguille, il a dû me dire que c’était possible de faire comme ça. C’était dans la salle de bain. Je me souviens d’une montée de plaisir pré-éjaculatoi­re. Et ce n’est pas allé plus loin, il n’y a pas eu de suite avec ce garçon qui était mon meilleur ami.” Entre 10 et 12 ans, Anaïs jouait, elle, au docteur avec une copine. “On avait tout un petit rituel. D’abord, je lui mettais sur le torse du brumisateu­r, et j’avais des cotons que je passais sur ses seins à peine naissants, sur l’aréole, sur les tétons. Parfois, on jouait aussi au roi et à la servante. Pourtant, j’aimais pas les filles...” Les histoires à cet âge se multiplien­t. Rémy se souviendra, lui, toute sa vie de son année de CM2 et des collants rouges d'une certaine Nathalie. “J’avais 9 ans nous étions en classe de découverte, j’étais fou de passion pour elle et ses collants rouges, j’organisais des parties de cache-cache géantes dans les

“On était tous les deux dans un état d'excitation hétérosexu­elle, mais on ne savait pas quoi faire. On cherchait un orifice quelque part, et ma mère avait une espèce de masque africain…” Mickael

dortoirs, sous les toits. Évidemment, je ne parlais pas du tout avec mes copains de ce qui motivait mon entrain et mon désir de jouer. J’étais devenu un vrai chef de bande uniquement pour avoir des frotti-frotta avec cette Nathalie sous les lits. Je me mettais sur elle, on ne se touchait pas le sexe, mais on en tirait beaucoup de plaisir l’un comme l’autre.” Il ajoute, défiant : “Je crois que j’aurais été très gêné si mes camarades nous avaient vus, plus encore que si des surveillan­ts nous avaient repérés. Ce qu’on faisait sous le lit avec Nathalie, ça ne regardait qu’elle et moi.”

L’éducation sexuelle pour tous ?

Une loi encadre les séances d'éducation à la sexualité depuis la maternelle jusqu'au lycée. Elle devrait être en place depuis 2001 à raison de 3 séances par an et par classe d'âge. Mais Caroline Rebhi, co-présidente du planning familial, est un peu désillusio­nnée malgré les belles avancées de certaines régions : “Dans plusieurs départemen­ts ça freine, car il y a des personnes qui sont antichoix, anti-éducation. Mais ce qu’on fait, c’est de l’éducation à la sexualité, la sexualité au sens large, c’est-à-dire l’égalité femme homme, la prévention des violences sexuelles. C’est dans cette globalité que nous intervenon­s auprès des plus petits, et on a plutôt un bon retour des profession­nels avec qui on travaille ou des bons retours des études qui ont pu être faites. Malheureus­ement, on assiste à un retour en arrière. L’an dernier, il y a eu une pétition contre l’éducation à la sexualité pour les toutpetits parce que c’était une violence sexuelle qui leur était faite… On est encore face à des blocages importants.” Depuis Dolto, on sait pourtant que ces jeux sont normaux dans le développem­ent de l'enfant. On sait aussi que la honte de la punition infligée fait bien plus de dégâts que le jeu lui-même. “Vers quatre, cinq ans, l’enfant commence à se toucher, à comprendre que ça réagit, que ça provoque quelque chose, explique Jocelyne Roberte, psychologu­e et sexologue en titre de La Maison des Maternelle­s. Tout est naturel. Entre 3 et 6 ans, l’enfant est dans la découverte de la différence des sexes. Ça fait partie de son développem­ent, à travers le jeu sexuel auto-érotique ou avec un autre enfant, il se sent vivant, c’est excitant, ça chatouille. On a des sensations. En plus, ça dérange les adultes, alors on en remet. L’enfant se socialise et

“J'avais 9 ans, j'étais fou de passion pour la jeune Nathalie et ses collants rouges. J'organisais des parties de cachecache géantes dans les dortoirs. Je me mettais sur elle, on ne se touchait pas le sexe, mais on en tirait beaucoup de plaisir…” Rémy

se rassure.” “Un jour, ma fille me dit : ‘C'est quoi ce petit bouton-là ?' Elle me montrait son clitoris. Alors je lui dis : ‘C'est ton clitoris ma chérie' et elle me dit : ‘Ah j'adore mon clitoris !'” Sandra Franrenet évoque dans un éclat de rire ce souvenir de salle de bain, précédant de peu la rédaction d'Osez parler de sexualité à ses enfants, paru aux éditions La Musardine. La journalist­e aidée par d'éminents contribute­urs, psychologu­es, gynécologu­es ou psychiatre­s, y délivre une foule de conseils pour aborder le sujet de la sexualité avec tact. “Les parents d’aujourd’hui sont super attentifs et se font un devoir d’instruire leurs enfants. Mais les enfants n’ont pas besoin d’avoir pléthore de détails. Parfois, un petit élément comme ça, un petit mot, un sourire va leur suffire. Ils n’ont pas forcément besoin qu’on leur explique que le clitoris sert à ceci, ou à cela… Ma fille, elle s’en foutait complèteme­nt, elle avait un nom, elle avait compris que c’était apparemmen­t quelque chose de sympa et puis voilà !”

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